3 mars 2009 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur la réforme de la formation professionnelle, à Alixan le 3 mars 2009.

Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Monsieur le Président du Conseil régional,
Monsieur le Président du Conseil général,
Monsieur le Maire,
Je vous remercie de m'accueillir ici, dans votre beau département de la Drôme. Cela fait bien longtemps qu'un Président de la République n'y était pas venu.
Si j'ai voulu vous rencontrer aujourd'hui, c'est pour vous présenter la réforme de la formation professionnelle, que nous sommes en train de mener à bien avec Christine LAGARDE et Laurent WAUQUIEZ, grâce à l'accord important que les partenaires sociaux ont conclu le 7 janvier dernier. Cette réforme, je m'y étais engagé pendant la campagne présidentielle.
Pourquoi accorder tant d'importance à la formation professionnelle ?
Pour les salariés, la formation, c'est la meilleure des sécurités professionnelles. Pouvoir faire évoluer ses compétences tout au long de la vie, c'est l'assurance de conserver un emploi de qualité ou de pouvoir en retrouver un, lorsqu'on a perdu son travail. Je voudrais vous raconter l'histoire d'une jeune femme, que j'ai rencontrée il y a un mois à Châteauroux, qui m'a impressionné par son cran. Elle a 43 ans et a travaillé toute sa vie dans la confection. Elle a été licenciée économique et autant dire que ce n'est pas facile de retrouver du travail dans la confection. Eh bien, au lieu de baisser les bras, elle a suivi une formation en chaudronnerie industrielle et elle a retrouvé un emploi, en contrat à durée indéterminée, dans ce nouveau secteur. C'est pour moi le symbole de ce que permet la formation professionnelle : une meilleure sécurité et la possibilité d'un nouveau départ.
La formation professionnelle, c'est aussi un gage de promotion sociale, l'assurance de pouvoir progresser au sein de son entreprise ou d'accéder à un autre emploi, plus valorisant et mieux rémunéré. Tout le monde n'est pas diplômé de l'université. Tout le monde n'a pas fait Polytechnique, l'ENA ou HEC. Il n'y a aucune honte à démarrer en bas de l'échelle. Le drame en revanche, c'est de se dire qu'on n'a d'autre perspective que d'y rester toute sa vie.
La formation professionnelle enfin, c'est la compétitivité de nos entreprises. Je m'adresse aux chefs d'entreprises présents dans la salle. Vous le savez bien, votre principale richesse, ce sont les hommes et les femmes de l'entreprise. Si vous n'investissez pas en eux, si vous ne leur donnez pas leur chance, comment voulez-vous vous développer, innover, rester compétitifs et gagner de nouveaux marchés ? Je viens de visiter le centre Néopolis à quelques kilomètres d'ici, qui forme aux métiers de la construction durable. C'est un très beau centre, qui apprend à des jeunes, à des salariés et à des demandeurs d'emploi à construire des bâtiments plus économes, plus respectueux de l'environnement, plus efficients. Bref, des formations tournées vers l'avenir et des métiers en tension, dans l'intérêt commun des salariés et des entreprises, qui en sont également bénéficiaires.
Pourquoi réformer la formation professionnelle ? Parce qu'alors que nous y consacrons, tous types de dépenses confondues, 27 milliards d'euros chaque année, le système français souffre de vraies lacunes.
D'abord, les inégalités d'accès à la formation sont criantes. En fait, les dispositifs actuels fonctionnent trop souvent à l'envers :
- première inégalité, moins vous êtes qualifié, moins vous bénéficiez de la formation professionnelle : si vous êtes cadre, vous avez une chance sur deux d'y accéder mais seulement une sur 7 si vous êtes ouvrier £
- deuxième inégalité, plus votre entreprise est petite, moins vous bénéficiez de formation : un salarié dans une entreprise de moins de 10 salariés a cinq fois moins de chance de se former qu'un salarié d'une entreprise de plus de 500 salariés £
- troisième inégalité, si vous êtes chômeur, vous avez moins accès à la formation que si vous avez du travail : 75% des demandes de formation des chômeurs ne débouchent pas £
- et je ne vous parle pas des inégalités en fonction de l'âge, car quand vous avez dépassé 45 ans, vous avez encore moins la possibilité de vous former.
Franchement, qui peut dire que c'est efficace, qui peut dire que c'est juste?
Deuxième problème : notre système de formation est injuste. Les petites entreprises payent pour former les salariés des grandes. Ainsi, près de 30% des entreprises, principalement des TPE, ne font que financer la formation sans envoyer leurs salariés en formation.
Troisième problème : la collecte des fonds de la formation professionnelle est complexe et ses coûts de gestion sont trop importants. On compte ainsi une centaine d'organismes paritaires collecteurs agréés, qu'on appelle OPCA. C'est un système cloisonné, qui raisonne trop en logique de branche professionnelle alors que quantité d'emplois aujourd'hui sont des emplois de ventes, de marketing, de ressources humaines, etc., qui ne dépendent pas d'un secteur d'activité. C'est un système qui ne fait pas assez jouer la concurrence dans le choix des prestataires de formation.
Quatrième problème, l'information, l'orientation et le conseil aux personnes comme aux entreprises, notamment pour les plus petites d'entre elles, sont insuffisants. On compte en France 45 000 organismes de formation qui préparent à plus de 15 000 titres et diplômes. C'est un maquis inextricable.
Comprenez-moi bien, il ne s'agit pas de tout mettre à bas, mais de conduire une réforme ambitieuse, autour de cinq objectifs simples :
- mieux orienter les fonds de la formation professionnelle vers ceux qui en ont le plus besoin, c'est-à-dire les demandeurs d'emploi et les salariés peu qualifiés £
- développer la formation dans les petites et les moyennes entreprises £
- insérer les jeunes sur le marché du travail en nous appuyant sur ce qui marche, notamment les formations en alternance £
- améliorer la transparence et les circuits de financements et mieux évaluer les politiques de formation professionnelle £
- et enfin, ce qui est essentiel dans les temps actuels, simplifier, mieux informer, mieux orienter et accompagner les salariés et les demandeurs d'emploi. Ce sont eux qui doivent être au coeur du système au lieu d'en subir la complexité.
Ces objectifs, nous les avons définis de manière collective. En effet, le gouvernement a constitué à ma demande au début de l'année 2008 un groupe de travail réunissant les acteurs concernés, c'est-à-dire l'Etat, les régions et les partenaires sociaux pour arrêter ensemble les pistes de réforme. Je voudrais rendre hommage aux travaux de ce groupe piloté par Pierre FERRACCI.
C'est en effet sur la base de ses conclusions que le gouvernement a pu transmettre fin juillet un document d'orientation aux régions et aux partenaires sociaux, proposant les grands axes de la réforme et invitant les partenaires sociaux à ouvrir des négociations.
Syndicats et patronat ont abouti à un accord le 7 janvier 2009. Et cet accord devrait être signé à l'unanimité. Sa conclusion illustre toute la richesse du dialogue social depuis mai 2007. Au cours des trois derniers mois, les partenaires sociaux ont conclu des conventions essentielles. Sur la formation professionnelle, je l'ai dit, mais aussi sur l'assurance chômage, la convention de reclassement personnalisé, qui permet d'accompagner les salariés licenciés économiques, le chômage partiel et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Ces accords, ce sont autant de solutions négociées, qui sont apportées aux salariés et aux entreprises. Et dans la crise économique dure que nous traversons, on voit bien que le dialogue social est plus que jamais nécessaire.
Je l'ai redit aux syndicats et au patronat quant je les ai reçus à l'Elys??e le 18 février dernier. Ils ont leurs convictions, j'ai les miennes. Et je comprends parfaitement que leur rôle soit aussi d'exprimer, sinon d'organiser, les mécontentements. Mais nous ne devons jamais perdre de vue, qu'il nous faut travailler ensemble pour trouver des solutions dans l'intérêt de tous les Français, encore plus dans cette période. L'accord qui a été conclu sur la formation professionnelle en est une excellente illustration et il revient maintenant à la loi de donner corps à la réforme.
Je souhaite que ce projet de loi soit déposé au Parlement avant la mi-avril. D'ici là, je demande à Christine LAGARDE et Laurent WAUQUIEZ de poursuivre la concertation sur ce projet avec les signataires de l'accord mais aussi les régions et bien entendu, les parlementaires. La représentation nationale s'est toujours beaucoup impliquée sur les questions de formation professionnelle et je tiens à saluer ses travaux de grande qualité, en particulier le rapport de Jean-Claude CARLE et Bernard SEILLIER (2007), celui de Françoise GUÉGOT (2008) et aussi celui sur lequel travaillent actuellement Jean-Paul ANCIAUX et Claude GOASGUEN. Je crois que certains sujets se prêtent bien à un travail en amont avec le Parlement, comme par exemple le contrôle de la formation professionnelle, la simplification, l'évaluation et la régulation de l'offre de formation.
En quoi consiste la réforme ?
Premier axe, les partenaires sociaux ont prévu la création d'un fonds de sécurisation des parcours professionnels. L'objectif de ce fonds est de former les demandeurs d'emploi, les salariés peu qualifiés, notamment ceux des plus petites entreprises. Ce fonds, abondé par une partie des contributions obligatoires des employeurs à la formation, sera doté de 900 millions d'euros. Il formera chaque année 500 000 salariés peu qualifiés et 200 000 demandeurs d'emploi, c'est-à-dire ceux qui étaient jusqu'à présent exclus de la formation.
Mais il faut une gouvernance claire et une bonne coordination des politiques de formation et d'emploi. Comme le principe en est prévu par l'accord du 7 janvier, les priorités d'intervention du fonds seront fixées de manière contractuelle entre l'Etat et les partenaires sociaux et relayées au plan régional.
Deuxième axe, rendre les circuits de financement plus efficients. Il faut des OPCA avec une surface financière plus importante et organisés par grands secteurs d'activité, ce qui permettra des économies d'échelle, une meilleure gestion des fonds collectés et la mobilité professionnelle. Je privilégie un relèvement du seuil de collecte minimum à 100 millions d'euros. Mais tout ceci ne se fera pas du jour au lendemain. Une période de deux ans sera laissée aux OPCA pour préparer leur réorganisation. Passé ce délai, il serait souhaitable d'avoir une dizaine ou une quinzaine d'OPCA, au lieu de la centaine qui existe actuellement. Il faut aussi plus de transparence. La loi prévoira donc que les OPCA puissent être contrôlés tous les trois ans.
Troisième axe, la simplification et l'amélioration des outils de la formation.
Je pense par exemple, au congé individuel de formation. Il permet à tout travailleur de suivre à son initiative une formation, indépendamment des stages compris dans le plan de formation de l'entreprise. C'est un congé qui peut durer jusqu'à un an et qui permet, si on le souhaite, de préparer et de passer des examens. Je souhaite que cet outil soit utilisé à plein et élargi, par exemple au financement de cours du soir.
Je pense aussi au droit individuel à la formation. Les partenaires sociaux l'ont créé en 2004. Il est de 20 heures par an. Mais rien n'était prévu en cas de rupture du contrat de travail et ce droit était généralement perdu avec le licenciement. Pour y remédier, les partenaires sociaux ont prévu que ce droit pourra être utilisé pendant les deux ans qui suivent la rupture du contrat de travail. Concrètement, un salarié licencié qui aura accumulé 100 heures au titre du droit individuel à la formation chez son ancien employeur - ce qui représente environ l'équivalent de 1 000 euros - pourra demander à son conseiller Pôle emploi d'utiliser ce droit pour financer une formation.
Les partenaires sociaux ont également acté d'autres avancées dans leur accord, que la loi s'attachera à reprendre. C'est le cas de la simplification du plan de formation, de la création d'un bilan d'étape professionnel ou encore de la généralisation du passeport formation, du développement de la validation des acquis de l'expérience et des contrats de professionnalisation. Tous ces outils sont de bons outils, au service des salariés comme des entreprises.
Mais comme je l'ai dit, connaître les formations existantes, trouver celle qui convient, l'obtenir, avoir le financement correspondant, est trop souvent un parcours du combattant.
C'est pourquoi, le quatrième axe du projet de loi est de créer un droit à l'information et à l'orientation.
Nous avons une myriade de lieux où l'on peut s'informer et rencontrer un conseiller : mission locale, pôle emploi, centre d'information et d'orientation, chambres des métiers, cités de métiers. Nous allons donner de la cohérence à tout cela en labellisant les organismes qui participent à l'orientation professionnelle.
Pourquoi ne pas imaginer un centre d'appel téléphonique et un portail internet dédiés pour expliquer les dispositifs, recenser l'offre de formation et orienter vers les interlocuteurs adéquats.
Enfin, comme prévu par l'accord entre les partenaires sociaux, nous allons élargir les missions des OPCA, notamment en faveur des TPE et des PME, pour qu'elles sachent comment envoyer leurs salariés en formation et les orienter vers des formations adaptées. Les OPACIF, qui gèrent le congé individuel de formation, feront de même pour les projets personnels des salariés et pour les demandeurs d'emploi, en lien avec Pôle Emploi.
Il reste encore des sujets importants dans le champ de la concertation pour finaliser le projet de loi. Des discussions sont en cours entre les partenaires sociaux et Christine LAGARDE et Laurent WAUQUIEZ pour examiner si on peut aller plus loin afin de développer la formation dans les TPE et les PME ou encore pour muscler les formations qui ont un vrai contenu en termes de qualification ou qui permettent d'accéder à un diplôme.
Une concertation est aussi en cours avec l'Association des régions de France et les régions. Elle devrait aboutir dans les prochains jours. La formation professionnelle a été l'un des premiers domaines de la décentralisation. Le transfert de l'Etat s'est opéré progressivement : l'apprentissage en 1983, la formation professionnelle des jeunes en 1993, celle des demandeurs d'emploi en 2004. J'entends dire qu'il faudrait aller plus loin. Avant d'aller plus loin, il est temps et grand temps de se poser la question des résultats, de l'évaluation de ces politiques régionales et de l'équité entre territoires. Des propositions seront mises sur la table pour progresser dans tous ces domaines.
On me dit aussi qu'il faut clarifier les compétences : à l'Etat, l'emploi, à la région, la formation des demandeurs d'emploi et des jeunes, aux partenaires sociaux la formation des salariés... Ces raisonnements ne font en réalité que renforcer les cloisonnements.
Il n'est pas illégitime et anormal que l'Etat, les partenaires sociaux et les régions interviennent tous les trois dans le champ de la formation professionnelle. Il n'est pas normal en revanche que le dialogue soit aussi peu construit entre tous ces acteurs. Il faut que nous soyons capables, surtout en cette période de crise, de construire une réponse collective aux besoins dans les territoires : l'évolution de la carte de l'offre de formation, l'anticipation des nouveaux métiers. Je crois qu'il serait utile que les plans régionaux de développement de la formation ne soient plus le seul document du conseil régional mais qu'il soit contractualisé en tout ou partie avec l'Etat et que les partenaires sociaux soient associés à son élaboration.
La réforme que je viens de décrire est structurante. Elle permettra de moderniser en profondeur et durablement notre système de formation professionnelle. Mais certaines évolutions prendront un peu de temps. Or, face à la crise économique, nous menons une course contre la montre. Nos réponses doivent être rapides et à la hauteur de la situation.
C'est pourquoi nous allons créer un fonds d'investissement social. Ce fonds, nous en avons acté le principe lors de la réunion que j'ai tenue le 18 février dernier avec les partenaires sociaux, et je demande aux Ministres de finaliser dans les meilleurs délais un projet de charte constitutive à soumettre aux syndicats et au patronat. Ce fonds, c'est un engagement fort de l'Etat, des organisations syndicales et patronales pour investir massivement et rapidement dans les politiques favorisant l'adaptation des compétences, la reconversion, le retour vers l'emploi. Doté de 2,5 à 3 milliards d'euros, dont plus de la moitié apportée par l'Etat, ce fonds permettra non seulement d'accompagner les hommes et les femmes touchés par la crise mais aussi de préparer l'avenir en se préparant aux métiers de demain.
Bien entendu, chaque acteur conservera la pleine responsabilité de ses financements. Le fonds d'investissement social sera un outil de mutualisation et de coordination. Il sera piloté par une cellule qui associera Etat et partenaires sociaux.
Que fera ce fonds ? Eh bien, par exemple, il financera le recours à l'activité partielle, toujours préférable au licenciement économique et il permettra d'améliorer les revenus des salariés qui seraient concernés et de leur offrir en parallèle des formations pour préparer l'avenir. Ce fonds financera également la prime de 500 euros en faveur des salariés précaires n'ayant pas acquis suffisamment de droits à l'assurance chômage pour être indemnisés. Il permettra de renforcer l'accompagnement des salariés licenciés économiques, via le contrat de transition professionnelle et la convention de reclassement personnalisé. Il participera aussi à la formation des demandeurs d'emploi et au maintien de leur indemnisation lorsque des chômeurs suivent des formations longues. Pour toutes les actions qui nous permettront d'accompagner les salariés dans cette période de crise et de préparer l'avenir, le fonds d'investissement social sera au rendez-vous.
Par ailleurs, nous disposons avec l'AFPA d'une entreprise nationale de formation professionnelle des adultes, la plus importante en Europe. Elle forme à elle seule chaque année 200 000 personnes.
Certes, l'AFPA doit évoluer. L'Etat l'accompagnera pour qu'elle ait les moyens de son développement dans un cadre concurrentiel, elle les aura en maîtrisant notamment son patrimoine immobilier. En contrepartie, je demande à l'AFPA d'accentuer son effort en faveur des demandeurs d'emploi, des salariés peu qualifiés et des salariés en reconversion professionnelle. Je le dis aux partenaires sociaux, aux conseils régionaux et à Pôle Emploi, ils doivent mobiliser cet instrument.
Tous les acteurs de la formation professionnelle doivent monter au front. L'Etat, les partenaires sociaux et les régions. Face à la crise, il y a deux comportements possibles : rester dans son pré carré en espérant que cela passera tout seul ou, au contraire, travailler ensemble pour apporter des solutions concrètes à nos concitoyens qui sont les plus touchés et réformer en profondeur pour en finir avec nos handicaps. C'est cette voie que nous avons choisie. C'est la plus difficile. Celle qui heurte tous les conservatismes. Mais c'est la seule qui nous fera progresser et donc la seule qui vaille la peine.
Je vous remercie.