21 octobre 2008 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, devant le Parlement européen, sur l'action de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, notamment la gestion du conflit russo-géorgien, la réaction à la crise financière internationale, le paquet énergie-climat, la politique d'immigration et les institutions communautaires, à Strasbourg le 21 octobre 2008.

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
C'est un honneur pour moi de venir une nouvelle fois devant le Parlement européen rendre compte de l'action de la Présidence du Conseil à un moment tellement important pour l'Europe. Si vous le voulez bien, j'essaierai de parler très librement, comme il se doit dans cette enceinte qui est le coeur de l'Europe démocratique que nous voulons.
Qu'est-ce que nous avons essayé de construire ? D'abord, la Présidence a voulu que les institutions européennes soient unies dans toutes les crises que nous avons eu à gérer. J'ai voulu que le Parlement européen soit associé à chaque instant des grands événements que nous avons connus. Je veux remercier les présidents de vos groupes politiques, toutes tendances confondues, qui ont joué le jeu du dialogue et de l'unité avec la Présidence du Conseil. J'ai voulu également qu'avec la Commission, et notamment son Président, nous travaillions main dans la main, car quelles que soient les divergences ou les différences entre tous ceux qui siègent ici, chacun sait bien que la division entre les institutions de l'Europe, c'est un affaiblissement de l'Europe, et que le devoir de ceux qui assument des responsabilités, c'est de travailler main dans la main. On fera avancer l'Europe si le Parlement européen, si la Commission et si le Conseil trouvent sur les grands sujets la voie du consensus pour faire entendre la parole de l'Europe.
Cette Europe, nous avons voulu d'abord qu'elle soit unie - ce qui n'a pas été simple -, qu'elle ait une pensée indépendante - parce que le monde a besoin de la pensée de l'Europe -, et qu'elle soit volontariste. Si l'Europe a des choses à dire, qu'elle ne se contente pas de les dire, qu'elle les fasse. Nous avons d'abord eu la guerre avec la réaction disproportionnée des Russes dans le cadre du conflit géorgien. Les mots ont un sens. J'emploie le mot disproportionné parce qu'il est disproportionné, d'intervenir comme les Russes sont intervenus en Géorgie. Mais j'emploie le mot réaction parce que si cette réaction a été disproportionnée, c'est qu'il y a eu une action inappropriée avant. L'Europe doit être juste et ne pas hésiter à sortir de schémas idéologiques pour porter un message de paix.
Le 8 août, la crise s'est déclenchée. Le 12 août, avec Bernard KOUCHNER, nous étions à Moscou pour obtenir le cessez-le-feu. Je ne dis pas que ce fut parfait, je dis simplement qu'en quatre jours, l'Europe a obtenu un cessez-le-feu. Et début septembre, l'Europe a obtenu l'engagement d'un retrait sur les lignes d'avant le début de la crise du 8 août. En deux mois, l'Europe a obtenu la fin d'une guerre et le retrait de troupes d'occupation. Il y avait plusieurs thèses. Certains disaient - et ils avaient des raisons pour le dire - que le dialogue était inutile et que la réponse à l'action militaire devait être militaire : folie ! L'Europe a vu la chute du mur de Berlin et la fin de la Guerre froide. L'Europe ne doit pas être complice d'une nouvelle guerre froide, subie par le seul fait d'un manque de sang-froid.
Ce fut un problème que nous avons surmonté avec nos alliés américains, qui pensaient que le déplacement à Moscou n'était pas opportun. Malgré tout, nous avons joué main dans la main avec nos alliés américains. Ils avaient une position qui n'était pas la même que la nôtre. Nous avons essayé de construire une collaboration plutôt qu'une opposition. Et franchement, vu l'état du monde aujourd'hui, je ne pense pas qu'il ait besoin d'une crise entre l'Europe et la Russie. Ce serait irresponsable. On peut donc défendre nos idées sur le respect de la souveraineté, sur le respect de l'intégrité de la Géorgie, sur les droits de l'Homme, sur les différences que nous avons avec ceux qui dirigent la Russie. Mais il eût été irresponsable de créer les conditions d'un affrontement dont nous n'avons nul besoin. Les discussions ont commencé à Genève sur le statut futur de ces terres géorgiennes que sont l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie. On me dit qu'elles commencent dans la difficulté. Qui pourrait imaginer autre chose ? Mais l'important, c'est qu'elles commencent. Je dois dire, d'ailleurs, que le Président MEDVEDEV a tenu les engagements qu'il a pris devant la Présidence de la Commission et la Présidence du Conseil européen lorsque nous nous sommes rendus au début du mois de septembre à Moscou.
L'Europe a fait la paix. L'Europe a obtenu le retrait d'une armée d'occupation et l'Europe a voulu les discussions internationales. Cela faisait longtemps, me semble-t-il, que l'Europe n'avait pas joué un tel rôle dans un conflit de cette nature. Je vois naturellement toutes les ambiguïtés, toutes les insuffisances, tous les compromis qu'il a fallu faire. Mais en conscience j'estime que nous avons obtenu le maximum de ce qui était possible et surtout, Monsieur le Président du Parlement européen, que si l'Europe n'avait pas fait entendre la voix du dialogue et la voix de la raison, qui l'aurait fait ? Quand nous sommes partis avec Bernard KOUCHNER, le 12 août, à Moscou et à Tbilissi, les Russes étaient à 40 km de Tbilissi, et l'objectif était de renverser le régime de M. SAKACHVILI. C'était cela la réalité. On est passé à deux doigts de la catastrophe £ mais grâce à l'Europe, une Europe déterminée, cette catastrophe n'a pas eu lieu, même si, bien sûr, le chemin sera long pour que les tensions s'apaisent dans cette région du monde.
Deuxième chose : la crise. La crise financière systémique incroyable, invraisemblable, qui a commencé - disons les choses comme elles sont- le 15 septembre, pas le 7 août 2007. Le 7 août 2007, a commencé une crise grave, préoccupante, mais - oserai-je dire - normale. Le 15 septembre 2008, nous sommes rentrés dans une autre crise. Que s'est-t-il passé le 15 septembre 2008 ? C'est la faillite de Lehman Brothers. Et le monde stupéfait découvre le 15 septembre 2008 qu'une banque peut faire faillite. Il ne nous appartient pas - et il ne m'appartient pas - de porter un jugement sur ce qu'a fait ou n'a pas fait le gouvernement américain. Je dis simplement, et je l'affirme, que le 15 septembre 2008, la crise grave est devenue une crise systémique avec l'effondrement du système financier américain, puis du système financier européen, puis petit à petit d'autres places boursières et de systèmes financiers. A ce moment-là, qu'est-ce que l'on a essayé de faire ? Il y a eu le plan Paulson I, qui n'a pas fonctionné. Ce n'est pas critiquer que de le dire, c'est décrire une réalité. Et à ce moment-là, avec le Président de la Commission, nous avons essayé de construire une réponse commune européenne, d'abord dans la zone euro. Monsieur le Président, vous en avez parlé : qu'on soit pour ou qu'on soit contre, il n'en reste pas moins que, dans la zone, nous avons la même banque centrale, la même monnaie donc un même devoir d'unité.
Obtenir une position commune n'était pas simple. Nous avons d'abord proposé la réunion des quatre pays européens membres du G8. Ce n'est faire injure à personne que de dire que l'influence, par exemple, du Royaume-Uni, sur le système financier mondial est plus importante que celle d'autres pays parmi les 27. Je me suis dit que si on arrivait à mettre d'accord Anglais, Allemands, Italiens et Français, cela ne se ferait pas contre les autres Européens mais au service des autres Européens. Bien sûr, il y avait des analyses différentes, et qui pourrait nous le reprocher ? Car dans les premiers jours de la crise, on n'a pas tout de suite su quelle était la bonne réponse à apporter à une crise jamais vue dans l'histoire économique, en tout cas du XXème siècle.
Je me suis dis après avoir réuni les quatre : il conviendrait de réunir les pays de l'Eurogroupe plus la Slovaquie qui va nous rejoindre. Et cette semaine de plus nous a permis, ensemble, de trouver la solution qui consistait à permettre aux banques de faire à nouveau leur métier : prêter. Mais nous nous trouvions dans une situation où les banques ne se prêtaient plus entre elles, n'avaient plus d'argent à prêter et tout le système s'affaissait : des banques nationalisées au Royaume-Uni, des banques en faillite en Belgique, un système hors d'Europe mais si proche d'Europe, en Islande, qui s'effondrait, de très mauvaises nouvelles en Suisse, et petit-à-petit, la contagion, l'Allemagne, la France, tous y étaient emportés. Nous avons réussi, dans l'Eurogroupe, à nous mettre d'accord sur un plan gigantesque, 1 800 milliards d'euros, pour permettre à nos institutions financières de faire leur travail et pour rassurer les épargnants et les entrepreneurs européens.
Puis, nous sommes partis au Conseil européen qui a adopté la même stratégie et à partir de ce moment-là, on a pu réussir à calmer les marchés en Europe. Bonne surprise : le plan Paulson II est arrivé, et chacun a pu observer que ce plan Paulson II s'inspire très largement du plan européen. Il n'y a aucune gloriole à en tirer. Il y a simplement à réfléchir : la crise est mondiale, la réponse ne peut être que mondiale. La montre des Etats-Unis et celle de l'Europe doivent marquer la même heure.
Mais tout ceci, c'est de la gestion de crise, Monsieur le Président. Ce n'est rien d'autre que de la gestion de crise. Ce n'est pas plus. Si on ne l'avait pas fait, qu'est-ce qui se serait passé ? Mais il reste à apporter les vraies réponses. Comment tout ceci a-t-il pu être possible ? Comment éviter que tout ceci ne se reproduise ? Est-ce que l'Europe a des idées à défendre ? Une politique à proposer ? Et c'est dans ce cadre qu'au nom de l'Europe, à l'Assemblée générale des Nations Unies, début septembre, j'ai proposé qu'on tienne un sommet international pour porter les bases d'un nouveau Bretton Woods, par référence à ce qui s'était passé au lendemain de la guerre mondiale, - la seconde - pour porter un nouveau système financier mondial. Cette idée progresse. Quel doit être l'objectif de l'Europe dans le cadre de ce sommet ? L'Europe doit porter l'idée d'une refondation du capitalisme mondial. Ce qui s'est passé, c'est la trahison des valeurs du capitalisme. Ce n'est pas la remise en cause de l'économie de marché. Pas de règles, la récompense de spéculateurs au détriment d'entrepreneurs... Nous devons porter l'idée d'une nouvelle régulation. L'Europe doit proposer ces idées et elle les proposera.
D'abord, qu'aucune banque qui bénéficie de l'argent des Etats ne puisse travailler avec des paradis fiscaux. Qu'aucune institution financière, Monsieur le Président, ne puisse travailler sans être soumis à une régulation financière. Que les « traders » voient leur système de rémunération calculé et organisé de façon à ne pas pousser à la prise de risques inconsidérés, comme ce que nous avons vu. Que les règles comptables de nos banques n'accusent pas la gravité de la crise, mais au contraire permettent de l'accompagner. Que le système monétaire soit repensé entre des taux de change fixes. On a tout essayé dans le monde. Est-ce que le reste du monde peut continuer à porter les déficits de la première puissance mondiale sans avoir un mot à dire ? La réponse est clairement non. Il ne sert à rien, d'ailleurs, de désigner un coupable. Il sert simplement de trouver les voix et les moyens pour que cela ne se reproduise plus.
Et puis, il y aurait bien d'autres choses à dire, mais je voudrais surtout que l'Europe porte un regard sur la gouvernance mondiale du XXIème siècle. Ne nous étonnons pas que cela ne marche pas : nous sommes au XXIème siècle et nous avons les institutions du XXème. Le Président des Etats-Unis et les représentants de l'Europe ont donc proposé la tenue de plusieurs sommets à partir de la mi-novembre, qui porteront sur une nouvelle régulation, une nouvelle gouvernance mondiale. Je souhaite que l'Europe puisse en débattre. J'aurai l'occasion de proposer à mes partenaires, chefs d'Etat et de gouvernement, une réunion pour préparer ces sommets. Cette question de la refondation de notre capitalisme et de notre système international est un sujet pour le Parlement européen qui doit en débattre, qui doit porter ces idées. Et l'Europe doit parler d'une même voix pour avoir une chance de se faire entendre.
Qui participera à ce sommet ? Il y a beaucoup d'écoles. Le plus simple, c'est le G8, qui est incontestable, avec naturellement les Russes, auxquels il convient d'ajouter le G5, qui est également incontestable, qui permettra d'associer la Chine et l'Inde notamment à ce débat essentiel. Ce sera tout l'objet, avec le Président BARROSO, du déplacement que nous faisons en Chine pour convaincre les puissances asiatiques de participer à cette refondation.
Monsieur le Président, il y a eu un troisième sujet durant cette Présidence, qui est extrêmement difficile, c'est celui de l'avenir du paquet énergie-climat. Je sais parfaitement que votre assemblée et certains de vos groupes sont partagés sur la suite à donner. Qu'il me soit permis de dire ma conviction et la politique que j'entends proposer. Le paquet énergie-climat, ambitieux, est fondé sur la conviction que le monde va à la catastrophe s'il continue à produire dans les mêmes conditions. Je ne vois pas un seul argument qui pourrait faire dire que le monde va mieux du point de vue environnemental parce qu'il y a eu la crise financière. Lorsque nous avons décidé de nous lancer dans le paquet énergie-climat, nous l'avons fait conscients de nos responsabilités vis-à-vis de nos enfants et de l'avenir de la planète. C'est une politique structurelle. C'est une politique historique. Il serait dramatique d'abandonner cette politique au prétexte que la crise financière s'est produite.
Ce serait dramatique et ce serait irresponsable. Pourquoi irresponsable ? Parce que l'Europe enverrait le signal qu'elle n'est pas décidée à faire les efforts qu'elle a promis en la matière. Et si l'Europe ne fait pas ces efforts, nos chances de convaincre le reste du monde qu'il faut préserver les équilibres de la planète sont nulles. Il ne s'agirait donc pas simplement de la démission de l'Europe pour elle-même, il s'agirait de la démission devant le rendez-vous environnemental pour le monde entier. Parce que si l'Europe n'est pas exemplaire, elle ne sera pas entendue, respectée, écoutée. Si l'Europe ne fait pas ce travail, personne ne le fera à notre place. Nous aurons alors manqué le rendez-vous de l'histoire.
Qu'est-ce que cela veut dire ne pas être au rendez-vous ? A mon sens cela veut dire deux choses. La première, c'est revenir sur les objectifs du « 3 x 20 ». Et la deuxième, c'est revenir sur le calendrier, c'est-à-dire la fin de l'année. Et je n'ai évidemment nullement l'intention - d'ailleurs je n'en ai pas le pouvoir ni la volonté - de remettre en cause en quoi que ce soit de la codécision. Mais dans cette affaire, nous nous sommes battus avec le Président BARROSO au Conseil européen pour imposer le respect des objectifs et imposer le respect du calendrier. Ce ne fut pas facile.
Nous avons donc quelques semaines pour convaincre un certain nombre de nos partenaires dont je comprends les préoccupations. On ne crée pas les conditions du compromis sans essayer de comprendre ce que dit celui qui n'est pas d'accord avec vous. Il y a certaines économies qui sont à 95% sur le charbon. On ne peut pas leur demander des choses qui les mettraient à genoux alors que déjà les difficultés sont immenses. Il va donc falloir trouver les voies et les moyens de la flexibilité, en respectant les deux lignes rouges que j'ai proposées au Conseil : respect des objectifs, respect du calendrier.
J'aurai l'occasion, Monsieur le Président, de m'en expliquer plus longuement, mais je ne veux pas abuser de votre patience.
Un mot sur le quatrième sujet, le pacte d'immigration, pour dire que je crois qu'il s'agit d'un bel exemple de démocratie européenne : malgré les différences au départ, chacun a pu se mettre d'accord sur une politique d'immigration choisie, concertée avec les pays d'émigration de façon à ce que nous tirions les conséquences de Schengen, qui concerne les trois quart des pays européens. Il est quand même raisonnable que les pays qui n'ont pas besoin de visas pour passer de l'un à l'autre se dotent d'un même corpus de pensée pour une politique d'immigration européenne.
Restent deux points et j'en aurai terminé.
Le premier, c'est que la crise financière nous amène une crise économique. Cette crise économique, elle est là. Il est inutile de la prédire puisque nous la vivons. Je veux dire, à titre personnel, connaissant parfaitement les désaccords entre certains pays, que je ne peux pas imaginer que l'on m'explique que face à la crise financière, il fallait une réponse uni européenne et que face à la crise économique, il ne faut pas une même réponse uni européenne.
Un mot sur ce que signifie uni. Uni ne veut pas dire la même réponse. Pour la crise financière, nous avons proposé une boite à outils, une feuille de route, une harmonisation, une coordination. Je pense que pour la politique économique il faudra la même chose. Cela ne veut pas dire que l'on fera tous la même chose. Mais cela veut dire au moins que nous avons l'obligation d'en parler, l'obligation de nous informer, et sur certains sujets l'obligation de nous concerter.
Il y a plusieurs pistes. Qu'il me soit permis d'évoquer une idée. Les bourses sont à un niveau historiquement bas. Je n'aimerais pas que les citoyens européens, dans quelques mois, se réveillent en découvrant que les société européennes appartiennent à des capitaux non européens, qui auraient acheté au plus bas du cours de bourse, à vil prix, qui prendraient la propriété et les citoyens européens demanderaient alors : qu'avez-vous fait ? Moi, je demande que chacun d'entre nous nous réfléchissions à l'opportunité qu'il pourrait-y avoir à créer, nous aussi, des fonds souverains dans chacun de nos pays et peut-être que ces fonds souverains nationaux pourraient, de temps à autre, se coordonner pour apporter une réponse industrielle à la crise ?
J'ajoute que j'ai regardé avec beaucoup d'intérêt le plan américain pour l'industrie automobile. 25 milliards de dollars de taux d'intérêts à prix imbattable pour sauver de la faillite les trois constructeurs américains automobiles. Je voudrais que l'on s'arrête un instant sur ce sujet en Europe. Nous demandons à nos constructeurs, et nous avons raison, de construire maintenant des voitures propres, de changer complètement leur appareil de production. A ce titre, grâce au bonus écologique, désormais 50 % des voitures vendues dans mon pays sont des voitures propres. Peut-on laisser l'industrie automobile européenne en situation de distorsion grave de concurrence avec ses concurrents américains sans poser la question de la politique sectorielle européenne pour défendre l'industrie européenne ? Cela ne veut pas dire qu'il faut remettre en cause le marché unique. Cela ne veut pas dire qu'il faut remettre en cause le principe de la concurrence. Cela ne veut pas dire qu'il faut remettre en cause le principe des aides d'Etat. Cela veut dire que l'Europe doit poser une réponse unie et une réponse qui ne doit pas être naïve, face à la concurrence des autres grandes régions du monde. Notre devoir, c'est qu'en Europe, on puisse continuer à construire des avions, des bateaux, des trains, des automobiles parce que l'Europe a besoin d'une industrie puissante. Sur cette politique-là, la Présidence se battra.
Enfin, dernier point : les institutions. Les institutions ne sont pas le seul sujet européen £ on a eu tort de se consacrer trop exclusivement à cette question. Mais les institutions sont un sujet. Je veux dire ma conviction que la crise appelle à la réforme des instituions européennes. La crise appelle à ce que l'Europe puisse apporter une réponse aussi puissante et aussi rapide que tel autre ensemble mondial, comme les Etats-Unis ont pu le faire face au drame qu'a représenté la crise financière.
Je suis de ceux qui pensent que ce serait une très grave erreur de ne pas faire la réforme de nos institutions. Très grave, parce que pour suivre des questions aussi compliquées que la Géorgie, la Russie, la crise financière, la crise économique, il ne semble pas très raisonnable d'avoir une Présidence tournante tous les six mois. Permettez-moi de vous dire que franchement, si l'on aime l'Europe et si l'on veut que l'Europe parle d'une seule voix, il ne me semble pas raisonnable de considérer que tous les six mois cela doit changer.
Donc nous aurons, avec le Président BARROSO, à construire une feuille de route pour le mois de décembre, pour voir comment on apporte une réponse à la question irlandaise. J'ai bien l'intention, avant de quitter la Présidence du Conseil, de proposer cette feuille de route et d'indiquer de manière consensuelle les voies et les moyens pour s'en sortir.
Je veux d'ailleurs dire une dernière chose : c'est qu'il n'est pas possible que la zone euro continue sans un gouvernement économique clairement identifié. On ne peut plus continuer comme cela. Je veux rendre hommage à l'action de la BCE, je veux dire ma conviction que la BCE doit être indépendante mais pour que l'action de la BCE trouve toute sa pleine mesure elle doit pouvoir discuter avec un gouvernement économique. C'était cela, l'esprit du traité. L'esprit du traité, c'est le dialogue, la démocratie et l'indépendance réciproque. Et dans mon esprit d'ailleurs, le vrai gouvernement économique de l'Eurogroupe c'est un Eurogroupe, qui se réunit au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement. Et quelle ne fut pas ma stupéfaction, quand j'ai demandé cette réunion, de constater que c'est la première fois depuis la création de l'Euro qu'elle a lieu. Franchement : on fait une monnaie, on se dote d'une banque centrale, on a une politique monétaire unique et on n'a pas un gouvernement économique digne de ce nom.
L'effort qui a consisté, M. le Commissaire ALMUNIA, à élire un Président, des ministres des Finances - j'ai participé à la décision, j'étais moi-même à l'époque ministre des Finances - c'est un effort salutaire et je veux rendre hommage d'ailleurs à l'action de Jean-Claude JUNCKER. Mais je veux dire une chose : quand la crise prend les proportions que nous connaissons, la seule réunion des ministres des Finances n'est pas à la hauteur de la gravité de la crise. Et lorsqu'il a fallu mobiliser les sommes que nous avons mobilisées, il a fallu mobiliser non pas les argentiers mais les chefs d'Etat et de gouvernement, seuls disposant de la légitimité démocratique pour assumer des décisions aussi lourdes.
Mesdames et Messieurs, il y aurait bien d'autres choses à dire. Je voudrais simplement, en terminant, dire que pour le monde, il faut une Europe qui parle d'une voix forte.
Cela repose sur vos épaules.
Cela repose sur les épaules de la Commission.
Cela repose sur les épaules du Conseil et je voudrais vous dire à tous combien il a été utile pour la Présidence de sentir, au-delà des différences, la solidarité d'un Parlement européen qui avait analysé dès le début la gravité de la crise et qui était prêt - et hommage vous en soit rendu - à passer sur nos différences de sensibilité pour créer les conditions de l'unité de l'Europe. Je voulais vous le dire parce que je le pense très profondément.
Je vous remercie.