17 octobre 2008 - Seul le prononcé fait foi

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Entretien de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, dans "National Post" du 17 octobre 2008, sur les relations franco-canadiennes, franco-québécoises et euro-canadiennes et sur la présence militaire de la France en Afghanistan.

QUESTION - On m'a dit que vous vous êtes rendu personnellement au Canada déjà une dizaine de fois depuis le milieu des années 90, ce qui est une période très intéressante pour comprendre le Canada parce qu'à l'époque, nous faisions face à une crise d'unité nationale et une crise des finances publiques. Les préoccupations sur l'intégration des immigrants étaient également très fortes. Je voudrais vous demander quelle est votre sentiment sur le Canada et son potentiel, ce que vous avez appris en étudiant la manière dont le Canada a été une source d'inspiration pour les réformes que vous entreprenez dans votre pays en matière d'immigration et de finances publiques ?
LE PRESIDENT - J'aime beaucoup votre pays, c'est vrai. J'aime le Canada pour sa beauté, j'aime le Canada pour la chaleur et la générosité de ses habitants. J'ai aussi une très grande admiration pour votre pays, pour les valeurs qu'il porte, pour sa capacité à incarner la modernité et le changement, pour la manière dont il a fait de sa formidable diversité un atout. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le Canada est le seul pays mentionné dans la lettre de mission que j'ai adressée à tous les ministres du gouvernement après mon élection pour guider leur action, notamment dans le domaine de la réforme de l'État.
Bien sûr, chaque pays a ses spécificités, son histoire, qui font que les réformes ne sont pas des produits d'exportation. Mais les valeurs qui les inspirent peuvent être les mêmes. Et c'est vrai que lorsque je parle d'« immigration choisie », ou lorsque je fais de la réhabilitation de la valeur travail le coeur de mon projet, je ne pense pas être très éloigné de ce qui se fait au Canada.
Mais plus encore que dans le détail de telle ou telle réforme, c'est dans sa capacité à se remettre toujours en question, à refuser les tabous, à innover sans cesse que la société canadienne est, pour tous les réformateurs du monde, une source d'inspiration permanente.
QUESTION - On dit souvent que la France a une vue assez festive du Canada centrée sur le 400ème anniversaire de la fondation de la ville de Québec. Je comprends que votre vision de la relation franco-canadienne est plus large et tournée vers le futur plus que vers le passé. Je voudrais donc vous demander quel est votre vision sur le rôle que le Canada peut jouer dans la relation transatlantique sur des sujets tels que l'Afghanistan, la lutte contre le terrorisme, la sécurité, l'environnement, la question de la souveraineté de l'Arctique et de l'exploitation de ses ressources dans la perspective de la fonte des glaces.
LE PRESIDENT - Le 400ème anniversaire de la fondation de la ville de Québec, qui a donné lieu à de très nombreuses manifestations de part et d'autre de l'Atlantique, a été un moment privilégié pour célébrer la profondeur du fait francophone en Amérique du Nord. Au-delà de leur caractère commémoratif, ces manifestations ont été résolument tournées vers l'avenir. Pour n'en prendre qu'un seul exemple, le forum Futurallia a été l'occasion de plusieurs milliers de rencontres entre nos entreprises et les vôtres.
Le Canada est pour la France un partenaire essentiel de la relation transatlantique, avec lequel nous entretenons un dialogue très approfondi sur beaucoup de sujets : l'Afghanistan, le dossier iranien, mais aussi Haïti, et plus généralement la gestion des crises. Nos deux pays sont parties au Protocole de Kyoto et les questions d'environnement sont l'une des priorités des Sommets UE/Canada et de la Francophonie. Nous estimons que les pays industrialisés doivent être exemplaires dans leur politique de lutte contre le changement climatique. La France est consciente des contraintes particulières du Canada, liées notamment à l'exploitation des sables bitumineux, et nous défendons le principe de « responsabilités communes mais différenciées » : chacun doit faire un effort, avec des contraintes plus ou moins élevées en fonction du niveau de développement.
QUESTION - Au début de cette année, la France a été sollicitée très fortement pour renforcer son engagement en Afghanistan. Maintenant que cela est fait et qu'elle a réaffirmé sa détermination pour aider ses alliés et gagner cette difficile bataille en dépit de la perte tragique de 10 soldats français en août dernier, est-ce que vous prévoyez bientôt de demander au Canada de prolonger son engagement au-delà de 2011 alors que le gouvernement a promis de retirer ses troupes de Kandahar ? Je note pour ma part que vous n'avez pas fixé de limite pour le retrait des troupes françaises.
LE PRESIDENT - Ce qui se joue en Afghanistan, c'est un combat pour nos valeurs les plus fondamentales, un combat pour la liberté, pour les Droits de l'Homme dans un pays martyrisé par la barbarie et l'obscurantisme £ c'est un combat contre le terrorisme et contre le fanatisme. Ce qui se joue en Afghanistan, c'est notre sécurité et celle du monde. L'enjeu est immense : ce n'est pas un hasard si tant de pays sont engagés aux côtés de la France et du Canada au sein de la coalition.
Ce combat, nous n'avons pas le droit de le perdre. C'est la raison pour laquelle j'ai décidé de renforcer la présence militaire de la France, et c'est pour cela que nous resterons aussi longtemps que nécessaire aux côtés du peuple afghan. Ce renforcement, je l'ai décidé dans le cadre de la nouvelle stratégie des Alliés, définie à l'initiative de la France au sommet de Bucarest. Cette stratégie reste valable : elle repose sur un engagement dans la durée, au service d'une approche globale, civile et militaire, avec une coordination accrue de l'aide. L'objectif, c'est bien sûr de permettre la prise en charge progressive par les Afghans eux-mêmes de leurs responsabilités de sécurité. C'est même l'objectif prioritaire car c'est la première condition d'un succès durable.
Sur tous ces objectifs, je peux vous assurer que nous sommes, avec nos amis canadiens comme avec l'ensemble des membres de la coalition, en parfait accord. Bien sûr, c'est un combat difficile : le Canada le sait mieux que personne, lui qui a déjà payé un lourd tribut. Je veux d'ailleurs dire que le Canada peut être extrêmement fier de ses soldats qui font preuve, en Afghanistan, d'un engagement et d'un courage exceptionnels.
QUESTION - Pourquoi pensez-vous qu'il est important que l'Union Européenne négocie un accord de libre-échange avec le Canada et pouvez-vous nous donner l'assurance que le 17 octobre, l'Union pourra s'engager au lancement d'une négociation pleine et entière début 2009 (et non pas seulement une simple annonce d'un exercice de définition du champ de négociation?) Annoncerez-vous également un accord de mobilité professionnelle avec le Québec ?
LE PRESIDENT - Je fais partie des responsables politiques les plus engagés en faveur d'un partenariat économique ambitieux entre l'Union Européenne et le Canada. Le sommet du 17 octobre nous permettra de donner une impulsion décisive dans ce sens. C'est essentiel pour encourager les entreprises européennes et canadiennes à accroitre leurs investissements croisés, renforcer la mobilité de la main d'oeuvre, développer des partenariats technologiques et favoriser un environnement ouvert et respectueux des règles en matière de propriété intellectuelle ou de marchés publics notamment. La relation économique entre l'Union Européenne et le Canada a un grand potentiel de développement, alors que le marché européen est plus vaste que celui des Etats-Unis. Une plus grande ouverture du ciel transatlantique, que nous sommes en train de négocier, devrait également faciliter notre intégration économique.
La France va également conclure le 17 octobre une importante entente en matière de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles avec le Québec. Cette entente doit servir de modèle pour les autres provinces et les autres Etats membres de l'UE. Ce qui est en jeu, c'est le développement des échanges humains entre nos sociétés et nos économies.