16 octobre 2008 - Seul le prononcé fait foi
Conférence de presse conjointe de MM. Nicolas Sarkozy, Président de la République, et José Manuel Barroso, Président de la Commission européenne, notamment sur la réaction de l'Union européenne face à la crise financière internationale, à Bruxelles le 16 octobre 2008.
Mesdames et Messieurs,
Une très brève présentation. S'agissant de la crise financière et économique, je vous confirme que toutes les informations que nous vous donnions avec le Président ont fait l'objet de l'unanimité. Pour nous, maintenant, la priorité c'est le sommet de samedi soir avec le Président des Etats-Unis pour préparer le sommet mondial dont le monde a besoin, pour refonder un système capitaliste, un système financier, un système monétaire. Nous avons, avec le Président BARROSO, un mandat des 27.
Pour le reste, toutes les mesures que je vous annonçais ont été prises, y compris l'initiative que nous avons prise avec la Commission sur l'économie. L'étude qui est demandée sur l'industrie européenne, le mécanisme de supervision du secteur financier a été un peu dopé. Chacun a bien conscience que l'on ne doit plus laisser en Europe une seule institution sans supervision.
Ce matin nous avons adopté le Pacte européen sur l'immigration. Vous savez que c'était l'une des priorités de la France. Ce pacte a été adopté à l'unanimité. L'Europe se dote d'une véritable politique d'immigration, c'était attendu, c'était indispensable.
Je veux tout particulièrement saluer, cher François, l'action de Brice HORTEFEUX, qui a animé avec beaucoup d'intelligence les différents conseils qui ont préparé ce pacte. Sur le paquet climatique, nous avons obtenu également l'unanimité.
Je vous confirme donc que, les objectifs sont restés les mêmes, le calendrier le même. A charge pour le Président BARROSO, pour moi-même, de trouver des solutions pour les pays qui ont manifesté leur inquiétude.
S'agissant de la Russie, des relations avec la Russie, le conseil a adopté les propositions de la Présidence. Et enfin, le groupe de réflexion présidé par Felipe GONZALES - groupe des sages - a été accepté avec 9 membres. S'agissant de la Française membre de ce groupe, il s'agit de Nicole NOTAT. C'était pour moi important qu'elle accepte et je précise simplement que le Secrétaire général qui animera ce groupe au côté du Président Felipe GONZALES sera un Slovène.
Là aussi on a obtenu l'unanimité. 9 membres, unanimité à 27 membres, vous imaginez bien que cela n'a pas été si facile à obtenir.
M. JOSE MANUEL BARROSO - Je tiens à féliciter très sincèrement le Président SARKOZY pour la façon exceptionnellement compétente avec laquelle il a dirigé les travaux de ce Conseil européen. Parce que, soyons clairs, il y avait des sujets extrêmement difficiles sur la table et sans une grande détermination, une grande énergie, il aurait été impossible d'arriver à un consensus, en respectant les horaires.
Comme j'ai l'habitude de le faire à la fin d'un Conseil européen, je vais voir ma check-list, voir si les objectifs que j'avais ont été remplis ou pas. Alors, vous me permettrez que je le fasse très brièvement.
Je suis venu à ce Conseil européen avec 6 objectifs majeurs : consolider et renforcer le consensus autour des principes et des actions qui ont été communément entreprises pour stabiliser le secteur financier, c'est fait.
Dégager une perspective de renouvellement du système financier européen à plus long terme, notamment par l'engagement des Etats membres d'adopter rapidement les initiatives de la Commission qui ont déjà été soumises et celles qui sont à venir, c'est fait.
Lancer les bases d'un renouvellement du système financier à l'échelle globale, c'est fait.
Affirmer notre détermination commune de faire face aux conséquences de la situation dans la vie de tous les jours des citoyens et des entreprises, c'est fait.
Réaffirmer dans tout cela le rôle clef du marché intérieur et de l'Euro, c'est fait.
Confirmer une date butoir pour l'adoption du paquet énergie/climat, afin que nos politiques ne tombent pas dans le court-termisme, mais restent orientés vers les solutions responsables pour l'avenir de la planète, pour l'avenir des futures générations, c'est fait.
Dans les semaines à venir, la Commission va pleinement jouer son rôle, bien sûr en étroite coordination avec la Présidence française.
Sur la base des travaux du groupe de M. DE LAROSIERE - d'ailleurs les conclusions du Conseil européen saluent l'initiative de la création de ce groupe - la Commission va en mettre en avant davantage d'idées pour renforcer le système européen de supervision et approfondir les pistes déjà existantes pour une nouvelle architecture financière sur le plan international.
Sur le plan de la coordination des politiques économiques, il faut continuer à construire une coordination plus étroite et efficace, notamment à travers la stratégie de Lisbonne renouvelée. Nous n'allons pas reculer dans le combat contre le changement climatique, il est illusoire de croire que l'on peut choisir entre résoudre la crise financière et résoudre le changement climatique, les deux vont de pair.
Et je suis spécialement satisfait, avec la confirmation aussi claire, vous le verrez dans les conclusions qui seront distribuées, de la date butoir du Conseil européen de décembre pour un accord entre chefs d'Etat et de gouvernement.
Nous avons pris aujourd'hui un engagement très important. Parce que soyons clairs, avant ce Conseil européen, on se posait la question : est-ce que les chefs d'Etat et de gouvernement vont confirmer maintenant qu'il y a cette crise financière avec les mêmes objectifs, la même ambition, qu'ils avaient décidés il y a an, quand la situation était différente ? Et la réponse est oui, on le confirme. On confirme les grands objectifs, on dit explicitement dans les conclusions le même niveau d'ambition et on confirme la date. Là, bien sûr, il y aura un travail immense à faire encore. Je ne veux pas sous-estimer la difficulté de la tâche. Là, nous allons le faire, le Président SARKOZY et moi-même, la Présidence française et la Commission, on va le faire pour essayer de trouver des solutions spécifiques aux problèmes spécifiques.
Mais franchement je crois qu'il faut mettre en relief l'engagement, la confirmation de l'engagement de nos chefs d'Etat et de gouvernement, aller de l'avant dans cette voie.
Je trouve aussi très important ce que l'on a dit sur l'industrie. La reconnaissance qu'il y a un besoin d'avoir en Europe une industrie moderne, durable, plus verte, capable de conquérir les marchés de l'avenir en tant que pionnier. Nous allons nous battre, rendre clair que nous voulons un avenir pour l'industrie en Europe et la Commission a été invitée à présenter quelques propositions dans ce domaine.
Franchement, je suis extrêmement satisfait des résultats de ce Conseil européen. Encore une fois, mes remerciements très sincères au Président SARKOZY et à toute son équipe : les diplomates, les ministres, les experts, qui ont fait un travail remarquable. Je crois, en tout cas, qu'il faut être honnête, le travail est loin d'être fini. Il y a encore beaucoup de choses à faire. Il faut que les engagements qui ont été pris maintenant par les chefs d'Etat et de gouvernement soient confirmés au niveau des autres Conseils et de toutes les décisions concrètes que nous devons prendre dans les semaines et mois à venir.
LE PRESIDENT - Merci, José Manuel.
QUESTION - J'ai une question qui concerne les inquiétudes sur l'économie réelle. On voit qu'aujourd'hui encore, les marchés financiers ont des craintes voire même une peur en ce qui concerne peut-être une récession. Vous avez confié à la Commission un travail de réflexion sur l'industrie. Est-ce que vous pourriez nous donner quelques pistes un peu plus concrètes sur ce que l'on peut faire au niveau européen pour relancer ou, en tout cas, pour que l'économie réelle ne tombe pas en récession ?
LE PRESIDENT - D'abord, ce que l'on essaye de faire, c'est de sortir de la crise financière. Le Premier ministre a eu l'occasion de dire au Parlement que l'on n'en était pas encore sorti et il a parfaitement raison. Je crois que l'on a pris les bonnes décisions. Les décisions qui ont été prises en Europe, toutes les parties du monde, aujourd'hui, s'en inspirent. Mais il y a tout un travail pour inspirer la transparence, la moralisation, l'efficacité. Cela, c'est notre priorité. Naturellement, on voit bien la crise économique qui est là. Et la question en tant que Président du Conseil que j'ai posée aux chefs d'Etat et de gouvernement : si l'on a pu apporter une réponse coordonnée à la crise financière en Europe, ne faudrait-il pas apporter une réponse coordonnée à la crise économique en Europe ? Il y avait un cercle vicieux. On prend un cercle vertueux. Eh bien, continuons-le !
D'ici au 1er janvier, la France prendra des initiatives en la matière. Il y a un Conseil européen en décembre. Nous avons demandé à la Commission de travailler sur la question : comment soutient-on la croissance et comment soutient-on l'emploi avec une référence plus particulière à l'industrie ? Pourquoi ? Pour deux raisons : les Américains viennent de décider de 25 Mds de dollars de prêts à taux bonifiés pour leurs trois constructeurs automobiles qui sont dans la situation que vous connaissez. Nous devons nous préoccuper en Europe des conditions de la concurrence. Mais, il y a autre chose. Peut-on demander à l'industrie automobile européenne de produire des voitures propres, de changer en quelques mois l'appareil industriel sans leur donner un coup de main ? C'est tout le travail de l'étude que nous avons demandée à la Commission.
Vous savez, la Présidence française, on s'est battus pour ne pas laisser tomber les objectifs, les ambitions et le calendrier du paquet énergie-climat. Que personne n'en doute, cela n'a pas été si facile que cela. Je peux vous dire que j'y ai mis dans la balance tout le poids de la France. Je pense que le rendez-vous climatique est tellement important que l'on ne peut pas, sous prétexte de la crise financière et de la crise économique, le laisser tomber.
Voilà sur quoi on va travailler. J'ajoute que nous aurons tout un travail de coordination certainement entre les quatre Européens membres du G8 et notamment avec Gordon BROWN, Angela MERKEL, Sylvio BERLUSCONI pour présenter un front commun lors du sommet. Mais je réfléchis également à comment on va pouvoir assurer l'information et la coordination de la zone euro, et sans doute des 27, pour préparer ce sommet, parce que l'on sera beaucoup plus fort si on parle au nom des 27. Et puis, l'émergence de ce gouvernement économique de l'Europe que l'on attend depuis si longtemps, qui a commencé à Paris, dimanche dernier, il ne faut pas l'arrêter. Les pays qui sont dotés de la même banque centrale, de la même monnaie, doivent essayer de coordonner leur politique économique. J'ai plusieurs idées en la matière, ce n'est pas le moment, ce n'est pas le lieu de les mettre. Qu'est-ce qui a marché ces derniers temps ? C'est l'unité, c'est la coordination, c'est la volonté d'aller de l'avant. On ne va pas laisser tomber face à la crise. C'est tout ceci qui a fait l'objet de nos débats. Chaque pays, face à la crise économique, sera obligé de prendre un certain nombre de décisions. C'est à nous de faire en sorte qu'il y ait le maximum de coordination. Là, on est dans la crise financière, en plein. Mais on sait bien que le rendez-vous arrive tout de suite. On n'a pas le droit de décevoir.
QUESTION - La crise pour l'économie réelle a lieu dans l'immédiat et la crise financière, les chefs d'Etat et de gouvernement ont réussi en dix jours à présenter un plan de sauvetage. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait agir, de manière aussi rapide, pour aider l'économie réelle ? En deuxième lieu, pour la conférence internationale que vous voulez faire d'ici quelque temps, est-ce que vous pourriez nous donner quelques pistes de réflexion sur lesquelles vous voulez vous diriger pour établir un nouveau système capitaliste international ? Question pour les deux Présidents, M. SARKOZY et M. BARROSO.
M. JOSE MANUEL BARROSO - Pour la deuxième question, je trouve que c'est essentiel, effectivement, la réunion que nous allons avoir samedi avec le Président des Etats-Unis. Soyons clair, il ne peut y avoir une solution pour les grandes questions globales en matière financière sans l'active participation des Etats-Unis. C'est pourquoi, j'accorde la plus grande importance à cette réunion. Nous croyons que, maintenant, il y a une disponibilité et que, franchement, il n'y en avait pas il y a quelque temps, pour que l'on puisse regarder ensemble ces questions, pas simplement avec nos amis américains mais aussi avec les grands pays émergents car une chose qui est évidente et d'ailleurs cela a été confirmé hier dans l'analyse qui vous a été présentée par Jean-Claude TRICHET et aussi dans nos propres analyses : cette crise touche déjà les grandes économies émergentes. Que l'on ne pense pas que c'est simplement quelques questions qui peuvent être importantes pour l'Europe ou pour les Etats-Unis, pour les économies disons considérées normalement le plus industrialisées, il y a aussi un effet.
Et là, je crois que, dans les conclusions, vous trouverez les grands principes. On a déjà mentionné ici les grands principes, c'est la supervision au-dessus des frontières. C'est certain principe fondamental de transparence. Vous avez là une liste des grands principes que nous aimerions qu'ils soient à la base d'un nouveau régime financier international, ce que l'on appelle maintenant très souvent un Bretton Woods 2, y inclus, pourquoi pas, aussi une réforme des institutions financières internationales. J'insiste sur ce plan car c'est quelque chose sur laquelle la Commission se bat depuis longtemps, par exemple, l'Europe, en tant que telle, n'a pas une véritable présence, une véritable représentation, ni l'Europe, ni la zone euro.
Seulement il y a quelques mois, la Commission a été admise au « Financial stability forum ». Parce que la vérité est que les Etats membres sont représentés mais pas en tant que zone euro, en tant qu'Europe. Là, je crois qu'il y aura à faire un travail de gouvernance, qu'on réforme la gouvernance du système. Voilà les grandes lignes sur lesquelles on va travailler et je crois que l'initiative proposée par le Président SARKOZY, que nous avons appuyée dès le premier moment, de ce sommet international, la réunion qu'on aura ce samedi. Et après la concertation avec tous nos partenaires va nous permettre de faire des progrès très importants. Si ce n'est pas maintenant, cela sera quand ? C'est vraiment là qu'on a les conditions pour voir une réforme globale. Et c'est avec une grande satisfaction, je dois vous dire, que j'ai vu là, l'unanimité. Il n'y a pas eu une position de réticence à l'égard de cela. Il y a eu de la part des chefs d'Etat et de gouvernement un grand engagement dans cette voie.
LE PRESIDENT - L'expression économie réelle, je la comprends bien mais je m'en méfie un peu. Derrière le plan de soutien aux banques, qu'est-ce qu'on défend si ce n'est l'épargne des épargnants ? Dans les garanties aux emprunts, qu'est-ce qu'on défend ? La possibilité de mettre des prêts au service d'entreprises qui veulent investir. Je me méfie un peu, comme si on jouait au Monopoly. On ne joue pas au Monopoly. Derrière, c'est de l'économie réelle. Qu'un citoyen allemand puisse continuer à emprunter pour financer son appartement ou qu'une entreprise espagnole puisse investir et obtenir de sa banque des crédits. C'est cela qu'on fait, c'est bien de l'économie réelle. Ce supposé « faut-il la même coordination pour la politique économique que pour la crise financière », du point de vue de la Présidence française, la réponse est oui, oui, oui. Voilà. Est-ce que, pour l'instant, c'est l'unanimité ? Non, non, non. Voilà. On ne peut pas dire mieux.
Mais je veux dire que l'on a fait des progrès gigantesques. Ecoutez, vous savez, pour moi, je parle sous contrôle de François FILLON qui était à mes côtés, voir le Président de la BCE discuter avec les chefs d'Etat et de gouvernement de la zone euro sans que personne ne se sente atteint dans son indépendance. Enfin, j'avais envie de dire : enfin ! M. TRICHET a fait un travail remarquable. C'est un secret de polichinelle de dire qu'on n'a pas été toujours exactement d'accord sur tout. Je pense qu'on a besoin de travailler ensemble. Il ne manquerait plus, qu'en plus, on affiche des divisions.
J'ai trouvé que c'était utile d'avoir une discussion, José Manuel BARROSO était là également, entre les chefs d'Etat et de gouvernement de la même zone et le Président de la BCE. Personne ne s'est senti insulté dans ses responsabilités.
Et ce gouvernement économique qu'on appelle de nos voeux depuis si longtemps, on voyait qu'il prenait forme. Il ne faut pas que cela s'arrête. Il reviendra, sans doute, à la Présidence française de prendre d'autres initiatives.
Sur la conférence internationale, quelques sujets. Je parlais hier soir des paradis fiscaux. François FILLON en a parlé lui-même. Est-ce qu'il serait normal qu'une banque à qui nous garantirions des prêts ou à qui nous octroierions des fonds propres, sans forcément avoir tout ou une partie du capital, continue à travailler dans les paradis fiscaux ? Réponse : non. Deuxièmement, peut-il ou non avoir une institution financière sans superviseur ? Réponse : non. Troisièmement, qu'est-ce que l'on fait des fameux « hedge funds » ? Et quelle est la différence entre un « hedge fund » et un fond souverain ? Comment on trouve l'équilibre ? Il me semble que ce sont bien des sujets de réflexion mondiale. Quatrièmement, le rôle des institutions internationales. Clairement, je souhaite poser la question du FMI, de son avenir et de son rôle. Excusez-moi, c'est quelque chose qui se pose. Petit à petit, le FMI a dérivé comme une instance d'aide au développement qui notait un certain nombre de pays avec difficulté et qui donnait son aval ou son refus à l'octroi de prêt. Je ne dis pas que c'était inutile. Mais l'ambition originelle au moment de Bretton Woods sur une institution internationale de régulation, la question mérite d'être posée. J'en ai parlé avec Dominique STRAUSS-KAHN. Je souhaite vivement qu'on réfléchisse au futur rôle du FMI qui est moins d'organisation internationale plus spécialisée et plus en responsabilité.
Cinquièmement, les agences de notation. On peut dire qu'elles, c'est un triomphe. La question : est-ce qu'on les garde ? Par quoi on les remplace ? Est-ce qu'elles doivent être seulement américaines ? Qui doit être propriétaire du capital ? On observe des choses absolument invraisemblables. Les agences de notation qui notent un certain nombre d'acteurs de la vie de la bourse sont parfois détenues par les mêmes acteurs. Est-ce que cela est possible de continuer comme cela ? La question extrêmement importante à mes yeux : la rémunération des opérateurs sur le marché. C'est vraiment un problème international, c'est-à-dire la folie du bonus à tout prix qui pousse à prendre tous les risques dans n'importe quelles conditions. Là-aussi, je pense qu'il y a matière à discuter.
Autre sujet : le monde de demain, les grandes monnaies, combien doit-il y en avoir ? Quel doit être l'accord entre ces grandes monnaies ? Est-ce qu'on doit organiser une discussion ? Est-ce qu'un pays comme l'Inde, un jour, a vocation à avoir une monnaie du monde ? On a tout essayé dans le monde : les serpents, les fluctuations, les taux fixes, pas de taux du tout. C'est des sujets qui doivent être discutés. Je pense profondément que tous ces sujets doivent être sur la table, qu'on doit préparer un ordre du jour ambitieux, qu'on doit se doter de premières conclusions pour un sommet dont j'aimerais qu'il ait lieu au mois de novembre et peut-être qu'on continue un travail de fond pour aboutir en plusieurs étapes. Je pense qu'on n'a pas le droit de laisser échapper la chance et l'opportunité de construire l'organisation du XXIème siècle. C'est absolument considérable. Et c'est dans ce cadre-là que nous sommes mandatés pour discuter avec le Président des Etats-Unis et poser les bases de ce sommet qui est la dernière attente pour réponde à la crise financière. C'est de voir si, maintenant, les grandes régions du monde sont décidées à aller dans le même sens pour rétablir la confiance parce que l'Europe, on a fait ce qu'il fallait faire, les Etats-Unis ont fait ce qu'il fallait faire. Maintenant, ce sont les pays émergents qui sont touchés et ils vont devoir faire un certain nombre de choses et puis, l'ensemble de ces blocs, on doit se retrouver pour assurer la coordination, l'unité, la complémentarité de tout cela et tenir enfin compte de la mondialisation.
QUESTION - Je voudrais poser une question au Président BARROSO. Vous avez rendu hommage au travail effectué par Nicolas SARKOZY mais je voudrais vous poser une question. Est-ce que vous ne pensez pas que la crise que nous venons de traverser montre l'absolue nécessité d'une présidence stable de l'Union et que va-t-il se passer au 1er janvier ?
M. JOSE MANUEL BARROSO - De tous mes voeux, j'appelle à la ratification du Traité de Lisbonne. Vous le savez très bien, pas pour le 1er janvier malheureusement, cela n'est pas possible mais vous le savez très bien et soyons très francs, il y avait des gens qui avaient des doutes. Est-ce que la Commission ne serait pas jalouse qu'il y ait un Président du Conseil ? Et je vous ai toujours dit : je suis pour qu'il y ait un Président du Conseil stable. Ce qui m'intéresse surtout, c'est la force, disons, de l'Union européenne, l'Europe dans son ensemble. Et nous avons besoin, en Europe, d'un Président du Conseil qui ne change pas tous les six mois. De la même façon, je crois que c'est important que le Haut-représentant soit aussi vice-président de la Commission pour que l'on puisse mettre ensemble les compétences diplomatiques intergouvernementales classiques que nos Etats membres ont sans doute - là, je parle en tant qu'ancien ministre des Affaires étrangères aussi - mais avec les compétences communautaires dont la Commission et les institutions européennes disposent aussi.
Je crois que c'est absolument important. Et je peux vous dire une chose : dans mes conversations avec les chefs d'Etat et de gouvernement - surtout de ces derniers mois - j'ai vu qu'il y a une conscience beaucoup plus aiguë du besoin du Traité de Lisbonne. Notamment grâce, en grande mesure, à l'initiative du Président SARKOZY, ce que l'on a pu faire sous son initiative - et moi je suis très heureux d'être associé à cela - en Géorgie et en Russie. Maintenant, sur cette crise financière, cela montre que c'est essentiel pour l'Europe. La Commission peut faire son travail, elle le fait. Nous ne sommes pas parfaits mais je crois que nous faisons bien notre travail. Mais c'est essentiel pour une Europe à 27 qu'il y ait aussi un leadership des gouvernements eux-mêmes. Parce que l'Europe, ce n'est pas simplement les institutions européennes. Je le dis toujours, l'Europe, ce n'est pas simplement Bruxelles. L'Europe, c'est nous tous. Et donc, pour emmener les Etats membres, il nous faut une présidence très forte.
Bon, je ne sais pas si on est en condition de proposer au Président SARKOZY qu'il soit Président du Conseil Européen, je crois qu'il ne le veut pas, après l'expérience de ces mois. En tout cas, moi je voterais pour, bien sûr !
LE PRESIDENT - Moi, je crois, comme toujours, que d'une crise, on peut en faire une opportunité. Et, comme l'a très bien dit le Président BARROSO, je reste convaincu que l'Europe a besoin d'une Présidence stable, qui prenne ses responsabilités, qui fasse un certain nombre de choses. On ne peut pas travailler comme cela en changeant tous les six mois. Vous vous rendez compte des sujets aussi importants, par exemple, la mise en oeuvre de l'accord qu'avec Bernard KOUCHNER, nous avons négocié entre les Russes et les Géorgiens. On en connaît chaque demi-virgule. On en connaît aussi les ambigüités et, bien sûr, vous savez, quand on est en situation de crise, quelques ambigüités permettent de trouver le chemin de sortie. Mais c'est sûr qu'il y a un côté un peu frustrant de porter une chose comme cela et puis, forcément, de ne pas gérer. Enfin, il n'y a pas que du frustrant, il y a aussi du « bon courage aux autres ».
Mais c'est quelque chose que nous n'avons pas oublié puisqu'en décembre, je devrai mettre sur la table une proposition s'agissant de l'Irlande. Et, franchement, le paragraphe que nous avons rédigé, sur cette question-là, il est un peu de langue de bois et je le reconnais bien volontiers mais c'est pour la bonne cause. Tant que l'on n'est pas prêt à mettre une solution sur la table, ce n'est pas la peine d'aller rouvrir la boite de Pandore des divisions. Mais cela progresse et j'ai bon espoir qu'en décembre, tous les pays aient ratifié. J'irai d'ailleurs le 6 décembre en Pologne et, à ce moment-là, on proposera une feuille de route pour se doter d'institutions et puis il y a le problème également des élections européennes. Tout cela, on les a bien en tête. Enfin, chaque chose en son temps, il y a un conseil en décembre, on verra si l'on doit faire d'autres réunions d'ici là mais vraiment, bien sûr que cela se pose. Moi, je crois que cela a avancé, qu'en Europe, tout le monde comprend qu'il ne faut pas craindre une Présidence stable du Conseil européen, qu'on en a besoin, que l'Europe ce n'est pas simplement le plus petit dénominateur commun, c'est-à-dire que l'on se mette d'accord sur des trucs insignifiants pour mieux repousser les trucs difficiles que l'on se repasse de Présidence en Présidence. Ce n'est pas possible, il faut que cela change. C'est en train de changer et je crois qu'au moins, cette crise donne cette opportunité, peut-être, de réconcilier les Européens avec l'Europe. Moi, je suis prêt à prendre un pari, c'est que de la crise, l'image de l'Europe peut sortir renforcée. L'Europe qui menaçait, qui inquiétait, j'observe, dans différentes opinions publiques européennes que les gens se disent : « dans le fond, si l'Europe se met d'accord, cela peut nous protéger » et vraiment, je trouve que c'est une évolution extrêmement positive. Et d'ici là, je suis sûr que toutes les présidences qui se succéderons, la tchèque, la suédoise et puis après, l'espagnole, auront à coeur, tant que l'on n'aura pas adopté Lisbonne, de continuer sur la même route. Vous savez, ne vous trompez pas, personne ne pourra revenir en arrière.
QUESTION - Inaudible
LE PRESIDENT - Moi, je n'ai aucun doute là-dessus. Vous savez, je pense qu'indépendamment des personnes - et Monsieur TOPOLANEK est une personne tout à fait respectable - eh bien, il y a les institutions qui ont leur propre logique et chacun aura à coeur d'être à la hauteur de l'institution qu'il préside. Vous savez, face à la crise, l'Europe a dû prendre ses responsabilités. Je ne pense pas que personne ne pourra laisser l'Europe revenir dans une situation ante et que, finalement, les choses se passeront très bien et puis, ce n'est pas parce que l'on n'est pas Président du Conseil que l'on ne peut rien dire en Europe. La France, quand il y aura à dire des choses, je ne sais pas, on aura peut-être toujours le droit, non ?
QUESTION - Une question pour le Président SARKOZY et le Président BARROSO. Vu votre agenda chargé et votre fatigue, je me pose quelques questions sur l'opportunité de la visite au Président américain samedi. Notamment, pour la raison : quel est encore son pouvoir ? Seconde raison, vous dites, Monsieur SARKOZY : « on veut refonder le système capitaliste » -Monsieur BARROSO n'a pas dit cela -. Les conceptions de Monsieur BUSH sont plutôt néolibérales ou même très libérales. Et, troisième raison, vous allez demander au Président américain d'assister à l'enterrement presque de l'empire américain, de l'empire dollar. C'est beaucoup demander aux Américains.
LE PRESIDENT - D'abord, j'interprète votre préoccupation sur notre fatigue comme une tendresse sincère et peut-être cela vous a couté mais sachez que cela me touche et vraiment, honnêtement c'est sympa. Quel est son pouvoir ? Je voudrais que vous compreniez vraiment notre raisonnement parce que cela ne m'a pas échappé qu'il y a des élections aux Etats-Unis. Mais réfléchissez quand même. Le Président des Etats-Unis est élu début novembre, il sera installé début janvier mais le nouveau Président installé, cela m'étonnerait que sa première tentation sera de se précipiter sur un sommet sans avoir pris connaissance de tous les dossiers, avant même d'avoir installé tous ses ministres, que la première chose qu'il dira : « je m'en vais pour faire le sommet ». Donc, si nous attendons le nouveau Président, cela veut dire que dans le meilleur des cas on se réunit disons, au printemps. Moi, je vous dis que c'est beaucoup trop tard et ce n'est pas acceptable pour deux raisons. Soit que cela aille plus mal et dans ce cas-là, qui comprendrait qu'on attende ? Soit, Monsieur, que cela aille mieux et dans ce cas-là, je me méfie comme de la peste de ceux qui nous ont conduits là qui diront immédiatement : « mais pourquoi s'énerver cela va mieux ? C'est fait, dormez tranquille braves gens ». En tout état de cause, ce serait une très mauvaise idée donc l'Europe veut le sommet avant la fin de l'année. L'Europe le veut, l'Europe le demande, l'Europe l'obtiendra. Alors, s'agissant du Président BUSH, j'ai parlé plusieurs fois avec lui, le Président BARROSO aussi, son successeur aura déjà été élu mais lui sera toujours Président des Etats-Unis. Il y a un continuum des Etats et il pourra parfaitement venir au sommet accompagné de l'équipe économique du nouveau Président. Au contraire, cela aura beaucoup plus de force. Et pour l'Europe, ce ne sera pas désavantageux non plus. Et on va se mettre d'accord sur deux choses encore très importantes : l'ordre du jour. Ça y est, on a obtenu le principe mais l'ordre du jour ce n'est pas rien. La composition, nous avons, nous les Européens, à faire valoir un certain nombre d'idées, par exemple on a dit dès le début qu'il n'était pas question qu'il n'y ait pas les Russes. Mais il y a aussi la question des grands émergents. Et puis, qu'attend-on de ce sommet ? L'Europe se battra pour que ce sommet se traduise par des décisions concrètes et pas simplement par des principes. Rien que pour cela, cela vaut le coup de faire le déplacement.
M. JOSE MANUEL BARROSO - Je voudrais simplement ajouter qu'hier, vous avez sans doute remarqué, il y a eu un communiqué du G8, c'est-à-dire les 8 Etats membres du G8 et la Commission européenne qui marque quand même un point très important parce que c'est, je crois, la première fois qu'au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement des 8 Etats membres du G8, plus la Commission, on assume une responsabilité concrète sur les grandes question financières internationales. En ce qui concerne votre référence au fait que je ne parle pas normalement de la réforme du capitalisme, c'est vrai pour une raison très simple. C'est que le mot capitalisme, à mon avis, a une charge idéologique très forte et pas tellement agréable dans certain de nos pays, notamment dans le mien qui a connu une révolution. Et donc, je préfère parler de la réforme du système financier mondial. Mais c'est évidemment de la même chose que l'on parle. C'est une question de sémantique, ne voyez pas là une différence fondamentale. Je crois pouvoir vous dire que le Président SARKOZY et moi-même, nous partageons exactement la même volonté d'une réforme profonde du système financier international. Nous croyons beaucoup à l'économie de marché, nous sommes pour l'économie de marché mais une économie de marché avec des règles. Finalement, le modèle européen, c'est cela le modèle européen, ce n'est pas le capitalisme débridé, c'est ce qu'on appelle dans certains de nos états une économie sociale de marché. Une économie qui est une économie de marché mais qui a des règles et qui a d'ailleurs un but d'inclusion sociale. C'est cela le modèle. Donc, ne voyez pas là une différence idéologique, voyez peut-être une différence de sémantique pour des raisons, je dirais, linguistiques.
QUESTION - Monsieur le Président, au moment où nous vous écoutons parler, les bourses continuent à dégringoler malgré la stratégie arrêtée par l'Eurogroupe et l'Union européenne, malgré les plans mis en place aux Etats-Unis. Pourquoi cela ne fonctionne pas ? Pourquoi les bourses continuent à dégringoler après avoir eu un léger rebond et qu'est-ce que vous inspire cette dégringolade qui continue ?
LE PRESIDENT - Je vous l'ai dit hier, je ne vais pas commenter tous les jours le cours de bourse. Quand vous dites : « cela ne fonctionne pas », nous regardions avec le Premier ministre - vous vous imaginez comme nous suivons cela - la question de la reprise des prêts interbancaires, les taux à l'intérieur ce qu'on appelle Inaudible. Cela baisse, c'est extrêmement important et le système bancaire est en train de re-fonctionner. Je ne vous dis pas que c'est merveilleux mais enfin, c'était notre objectif. Nous savons depuis bien longtemps que nous aurions un problème avec le marché actions pour deux raisons entre autres. La première, c'est qu'un certain nombre de hedge funds, lourdement endettés doivent vendre pour se désendetter donc il y a une pression baissière de ce point de vue-là et la seconde, c'est parce qu'un certain nombre d'indicateurs économiques notamment aux Etats-Unis, qui ne sont pas bons poussent les investisseurs à anticiper des résultats des différentes sociétés cotées moins bons que ce qu'ils pouvaient imaginer. Mais pour nous, la priorité, c'était de rétablir le système bancaire, de manière à ce que les banques puissent faire leur travail, qu'il y ait de nouveau des liquidités et de nouveau des possibilités de prêts.
Voila, on savait pertinemment que ce n'était pas facile, votre question nous le confirme. Je vous remercie de votre lucidité, merci à tous.