23 juin 2008 - Seul le prononcé fait foi

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Entretien de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, dans "Al-Quds" du 23 juin 2008, notamment sur l'action de la France en faveur de la paix entre Palestiniens et Israéliens.

Q - Compte tenu du développement de la construction de colonies israéliennes, pensez-vous que la volonté du président Bush de trouver un accord israélo-palestinien d'ici la fin 2008 est réalisable ?
R - Je crois à la paix, je crois à la fin de ce conflit qui n'a que trop duré et par conséquent, je crois à l'objectif proche d'un accord sur le statut final. Cette paix est aujourd'hui à portée de main, à la portée du peuple palestinien et du peuple israélien, c'est maintenant une question de volonté et de courage.
La France veut encourager les gouvernements palestinien et israélien à poursuivre résolument les négociations et à aller de l'avant en vue d'un règlement final avant la fin de l'année 2008. Mais pour aboutir, enfin, après tant de rendez-vous manqués et de désillusions et si on ne veut pas voir le processus initié à Annapolis s'enliser, il faut sans plus attendre des avancées politiques décisives, il faut des changements concrets sur le terrain.
Q - Il a été question d'une certaine forme de négociation entre la France et le Hamas. Quel est l'objectif de ces négociations et quel a été leur résultat ?
R - A ce sujet, il ne doit y avoir aucune ambiguïté : il n'y a aucune relation politique, aucune négociation, aucun pourparler entre la France et le Hamas. Le gouvernement français n'entend pas se départir de sa position, qui est aussi celle de la communauté internationale, et qui veut qu'aucun dialogue ne sera possible avec le Hamas tant que celui-ci n'aura pas respecté les trois conditions du Quartet et au premier chef la renonciation à la violence et la reconnaissance d'Israël.
Je ne nie pas que le Hamas fasse partie de la réalité palestinienne. Il est donc essentiel de l'amener sur la voie politique. A cet égard, la France encourage le dialogue entre le Fatah et le Hamas. Nous souhaitons qu'il puisse conforter l'unité palestinienne derrière le président Abbas, dont la démarche de paix doit recevoir le plus large soutien.
Q - Comment qualifiez-vous la contribution française au processus de paix au plan politique ?
R - La France est et restera pleinement engagée aux côtés des Palestiniens et des Israéliens pour les aider à avancer ensemble sur le chemin de la paix. Nous serons aussi avec les Palestiniens pour les aider à construire l'Etat auquel ils aspirent et auquel ils ont droit. Mais cette paix, elle ne pourra venir que des Palestiniens et des Israéliens eux-mêmes. Faire la paix n'est jamais facile. Cela requiert beaucoup de volonté et de courage. Mais nous disons aux Palestiniens et aux Israéliens : vous n'êtes pas seuls, les efforts que vous allez faire pour aboutir à un règlement final seront douloureux mais nous vous aiderons. Le montant exceptionnel de l'aide mobilisée en décembre dernier à la Conférence de Paris a été un signe très fort de la confiance de la communauté internationale dans la création d'un Etat palestinien. Mais, au-delà du nécessaire soutien au développement de l'économie palestinienne, la France et l'Union européenne sont disponibles pour apporter une contribution politique à la mise en oeuvre d'un accord de paix entre Palestiniens et Israéliens.
La France, qui prendra la Présidence de l'Union européenne dans quelques jours, a la volonté de jouer un rôle actif en faveur du processus de paix. Ainsi, des garanties internationales pourraient être apportées sur les principaux paramètres et les points clefs du règlement final : les frontières, la sécurité, la question des réfugiés palestiniens et bien évidemment le statut de Jérusalem. C'est ce que je suis venu dire au président de l'Autorité palestinienne et au gouvernement israélien.
Q - Le processus de suivi de la Conférence de Paris avance-t-il de la manière prévue par la France ? Quel a été le rôle de la France dans la conférence de Bethléem sur l'investissement et comment voyez-vous l'avenir de l'économie palestinienne ? Cette économie peut-elle se développer malgré les restrictions israéliennes à la circulation des personnes et des marchandises ? La France fait-elle tout pour mettre un terme à cette situation impossible ?
R - Le suivi de la Conférence de Paris a permis de constater que la communauté internationale et notamment l'Union européenne se sont fortement mobilisées. Fin mai, plus de 700 millions de dollars avaient, d'ores et déjà, été versés à l'Autorité palestinienne, ce qui est exceptionnel et montre l'appui international au projet de création d'un Etat palestinien. Il faut bien entendu que les pays qui n'ont pas encore versé leur aide, en particulier les pays de la région, le fassent sans délai. Par ailleurs, dans le cadre du suivi de la conférence, la communauté internationale a salué les réformes entreprises par le Premier ministre palestinien, M. Salam Fayyad qui a su équilibrer les contraintes économiques et budgétaires avec les impératifs de justice sociale. Je veux ici rendre hommage à son action et l'encourager à poursuivre dans cette voie.
La conférence de Bethléem sur l'investissement privé en Palestine conçue comme s'inscrivant dans la suite de la Conférence de Paris, a été une rencontre exceptionnelle, un plein succès. Elle a permis de confirmer aux yeux du monde les potentialités du secteur privé palestinien, grâce à l'inventivité des chefs d'entreprises palestiniens et malgré toutes les difficultés sur le terrain.
Nous sommes tous conscients que seule une amélioration des conditions de circulation des hommes, des services, des capitaux et des biens en Palestine permettra au secteur privé de prendre toute son ampleur. Et c'est ce que je dis de la manière la plus claire à mes interlocuteurs israéliens : Israël doit maintenant faire plus pour que la situation change sur le terrain et que le quotidien de la population palestinienne s'améliore. La levée de check-points significatifs est essentielle dans ce cadre afin notamment que l'économie puisse redémarrer.
Q - Quelle est la position de la France sur l'avenir de Jérusalem et comment jugez-vous l'expansion des colonies et la construction du mur de séparation ?
R - La position de principe de la France est constante sur le statut final de la ville de Jérusalem. La France, comme le reste de la communauté internationale, considère que cette question doit s'inscrire dans le cadre du règlement négocié entre les parties, conformément au droit international. Il ne pourra y avoir de paix excluant Jérusalem, la "Cité de la Paix", qui a vocation, selon moi, à devenir la capitale des deux Etats. Bien entendu, le moment venu, la communauté internationale et notamment l'Union européenne pourront contribuer, par le biais de garanties, à la mise en place de solutions pratiques pour assurer la mise en oeuvre de l'accord, s'agissant notamment de la question de l'accès aux Lieux Saints.
Comme je l'ai dit à plusieurs reprises, le gel de la colonisation, principal obstacle à la paix, est primordial. Nous condamnons toute décision unilatérale qui préjuge le règlement final et qui porte atteinte à la viabilité du futur Etat palestinien et au processus politique en cours. Et je veux redire ici notre exigence, inscrite dans la Feuille de route que les parties se sont engagées à respecter à Annapolis, d'un gel complet des activités de colonisation, y compris celles liées à la "croissance naturelle", y compris à Jérusalem-Est.
Q- - Pensez-vous qu'il existe une chance pour Gaza que prennent fin le blocus et les souffrances des Palestiniens qui y vivent ?
R - Je n'oublie pas Gaza qui fera partie du futur Etat palestinien. Un million et demi d'hommes, de femmes et d'enfants sont enfermés dans ce territoire. La poursuite du blocus est contre-productive et conduit à punir collectivement la population civile. Naturellement, un cessez-le feu est nécessaire, le terrorisme doit cesser et l'Autorité palestinienne doit rétablir l'ordre. Israël doit ouvrir les points de passage et l'acheminement notamment des marchandises, des médicaments et du carburant dans la bande de Gaza doit être assuré. Dans ce cadre, je salue l'accord survenu sous l'égide de l'Egypte. L'Union européenne continuera d'aider la population de Gaza.
Q - Des réserves ont été émises sur la participation de certains pays arabes à l'Union pour la Méditerranée, simplement en raison de l'invitation faite à Israël : cela pourrait-il être un obstacle à la réalisation de votre projet d'union ?
R - Vous le savez, l'Union pour la Méditerranée est un projet auquel je suis très attaché. Ma conviction, c'est que nous, les peuples de la Méditerranée, n'avons pas seulement une mer en partage et une longue histoire commune £ nous avons aussi un avenir à construire ensemble, parce que nos destins sont liés. Je suis convaincu que l'Union pour la Méditerranée entraînera l'adhésion, autour de projets concrets, de tous ceux qui souhaitent faire de la Méditerranée une zone de paix et de prospérité. L'Autorité palestinienne et Israël ont bien évidemment vocation à jouer un rôle important dans l'UPM notamment dans les secteurs de l'eau et du développement durable. Le président Mahmoud Abbas m'a déjà confirmé sa présence au Sommet du 13 juillet.
Comme il me l'a écrit, de par sa composition, une telle union pourra représenter un modèle pour le dialogue entre les cultures, parce qu'elle favorisera la meilleure connaissance de l'autre. Afin d'assurer le succès de ce projet ambitieux, il est dans l'intérêt de tout le monde que la représentation des Etats au sommet de Paris soit significative. Pour cela, nous devons veiller et je m'y emploie, à ce que les attentes légitimes de chaque participant au projet d'UPM soient prises en compte avec intelligence, sans discrimination et avec des perspectives ouvertes quant à son mode de fonctionnement.
Q - Y a-t-il un changement dans la position française vis-à-vis de la Syrie ? Qu'en est-il de l'invitation adressée au président Assad d'assister au défilé du 14 juillet à Paris ?
R - J'avais dit clairement, le 30 décembre dernier au Caire, que je ne reprendrai contact avec le président Assad que lorsque des développements positifs et concrets seraient intervenus sur le dossier libanais. Et c'est ce que j'ai fait. De tels développements sont intervenus, qui ont conduit à l'élection du président Sleimane. J'ai donc téléphoné au président Assad pour lui dire combien il est essentiel qu'il poursuive dans cette voie. Je lui ai également dit que les pourparlers engagés avec Israël allaient dans le bon sens et que la France les soutenait. Et puis, je l'ai invité au sommet de l'Union pour la Méditerranée, qui se tiendra le 13 juillet à Paris. Quant au défilé du 14, le président Assad est invité à y assister au même titre que l'ensemble des participants au sommet de l'Union pour la Méditerranée, soit près de cinquante chefs d'Etat ou de gouvernement. L'invité d'honneur en sera M. Ban Ki-moon, Secrétaire général de l'ONU.