22 décembre 2007 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur le rôle des militaires français dans la lutte contre le terrorisme et la reconstruction de l'Afghanistan, à Kaboul le 22 décembre 2007.

Mesdames et Messieurs,
Et si vous le permettez, Chers Amis,
En arrivant à Kaboul pour la première fois en tant que chef des armées, vous comprendrez que mes pensées vont d'abord aux 14 militaires français, vos camarades qui sont morts en Afghanistan depuis 2001. Ils sont victimes de leur devoir au service de la paix, dans la lutte contre le terrorisme et la barbarie. Leur sacrifice ne doit pas rester vain. Je m'y engage devant vous, j'ai voulu que mes premiers mots soient pour eux afin de montrer que nul ne les oubliera.
J'ai une pensée plus particulière pour les adjudants-chefs Pascal Correia et Laurent Pica qui sont morts en juillet et en septembre dernier, en Afghanistan. Je veux associer une nouvelle fois Christelle et Annabelle, leurs épouse et compagne et, Léna et Olivia, leurs enfants, à ces pensées. J'exprime à nouveau mes condoléances à leurs proches et à vous tous, leurs frères d'armes des armées françaises et je propose que nous observions une minute de silence, pour eux et pour tous vos camarades tombés en Afghanistan. Je vous remercie.
Je suis venu à Kaboul, en compagnie de votre ministre, Hervé Morin, du ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, de la secrétaire d'Etat, Rama Yade, du chef d'état-major de nos armées et des présidents de la Commission de la Défense à l'Assemblée nationale et au Sénat. Je suis venu pour vous rencontrer car c'est sur les théâtres d'opération que se manifeste de la façon la plus nette le lien direct qui doit unir le chef des armées aux militaires. Que dirait-on si je décidais, depuis l'Elysée, d'envoyer des militaires français en opération et si je n'allais pas les voir lorsqu'ils sont déployés, lorsqu'ils sont dans l'action ? Si je n'allais pas me rendre compte par moi-même comment vous vivez, comment vous remplissez votre mission, à quelles difficultés et à quels dangers vous êtes exposés ?
Que ce soit ici en Afghanistan, au Liban, en Côte d'Ivoire ou au Kosovo, je sais que les missions qui vous sont confiées sont toujours très difficiles, et que vous devez les remplir dans des environnements précaires et parfaitement imprévisibles £ la paix patiemment construite peut voler en éclat avec une brutalité inouïe et, alors, il faut une nouvelle fois tout reconstruire. Je sais que la première chose à conquérir ou à reconquérir, c'est la confiance et l'estime des populations. Mais cette capacité à faire face aux difficultés multiples, elle est la marque de fabrique du soldat français. Tous vous la reconnaissent cette capacité. Le soldat français ne se conduit jamais en occupant, nous ne sommes pas ici une force d'occupation, nous sommes une force au service de la paix et des autorités afghanes. Le soldat français sait s'adapter aux habitants des pays dans lesquels il est engagé et à leurs coutumes. Le soldat français il le fait avec conviction et avec beaucoup d'intelligence de la situation.
En Afghanistan, la situation est parmi les plus difficiles, les exigences vis-à-vis de la population sont les mêmes avec le risque et le danger qui sont pour vous une réalité quotidienne. J'avais eu l'occasion d'en parler avec le général Lafontaine lorsque son convoi avait été visé par l'explosion d'un IED, au mois d'août dernier. Assumer librement ce risque et cette part de danger, c'est bien tout ce qui fait la nature particulière de votre engagement, c'est bien tout ce qui fait que votre métier, celui que vous avez choisi, ce n'est pas un métier comme les autres. Je suis heureux de voir que vous vivez ce métier dont vous devez être fiers avec professionnalisme, parce que vous êtes des professionnels, avec enthousiasme, parce que je demande aux soldats français d'être enthousiastes, avec simplicité et en même temps avec calme. C'est pour cela que l'on vous a envoyé ici et qu'on vous a choisi. Et si c'est difficile, vous devez le prendre comme un honneur car ce n'est pas un honneur d'aller là où les choses sont faciles. C'est donc une preuve de confiance.
Depuis le 11 septembre 2001, la France a toujours été aux avant-postes de la lutte contre le terrorisme et a toujours participé aux efforts de reconstruction de l'Afghanistan. Depuis beaucoup a été fait et plus particulièrement pour former une armée afghane capable un jour d'assurer la sécurité de l'Afghanistan. Avec nos Alliés qui sont nos amis, si nous n'étions pas amis et alliés, on ne le ferait pas comme ça et je tiens à le dire parce que je le pense profondément et grâce à l'action du détachement Epidote, grâce à nos OMLT, grâce à l'action de nos instructeurs des forces spéciales, il y a déjà plus de 40.000 officiers, sous-officiers et soldats afghans qui ont été formés. Alors, ça va à la vitesse afghane mais enfin ça va quand même. Et de toute manière, si quelqu'un a une autre stratégie, il ne faut pas qu'il se gêne pour la donner, enfin, pas ici mais ailleurs. En parallèle, je sais aussi ce que font le bataillon français et nos avions de Kandahar, chaque jour, pour assurer la stabilité de l'Afghanistan et pour aider la population afghane à retrouver des conditions de vie tout simplement acceptables.
Vous le savez, nous sommes aujourd'hui au milieu du gué. Nous devons simultanément accroître la stabilité de l'Afghanistan et, dans le domaine de la formation, nous devons poursuivre nos efforts aux côtés de nos Alliés pour que l'armée afghane soit, au plus vite, autonome. C'est une des clés du succès de l'engagement de la communauté internationale. C'est pour cette raison que j'ai décidé de renforcer encore notre présence dans les OMLT.
Car c'est l'armée afghane qui doit, au premier chef, livrer et gagner le combat contre les Taliban. Quand on se souvient de ce qu'ils ont fait, l'Afghanistan n'a pas besoin de cette forme de barbarie. Et c'est un juste combat que celui qui est mené contre les Talibans. Tout à l'heure, j'étais à Darulaman pour rencontrer les OMLT français. J'ai bien vu que cette mission était exigeante et périlleuse. Mais quand on s'engage pour une cause et quand on y croit, et bien ce n'est certainement pas quand c'est difficile que l'on doit faire machine arrière. Ou alors, le sacrifice de vos camarades n'aurait servi à rien. C'est quand c'est difficile qu'il faut persévérer et qu'il faut se serrer les coudes avec nos amis et avec nos Alliés. Et nous y arriverons, et je sais que vous remplirez cette mission avec persévérance, avec courage et avec détermination. Mais on ne partira pas, parce que partir là, cela voudrait dire que l'on a échoué. Il n'est pas question que l'on échoue contre des bandes de terroristes et la barbarie qu'incarnent les Talibans.
Et de ce que j'ai vu ce matin, des échanges que j'ai eu avec certains d'entre vous, j'ai tiré la conviction que les Français engagés en Afghanistan remplissent au mieux leurs missions. Je vous en félicite et en tant que chef des Armées je vous dis ma confiance. Vous pouvez être fiers de l'image que vous donnez des armées françaises, vous pouvez être fiers de ce que vous faites et vous pouvez même être fiers de vous-mêmes. Parce que vous travaillez à la stabilité du monde, parce que si l'Afghanistan devait devenir un Etat terroriste, c'est nous tous, y compris dans l'hexagone et en Europe qui en paieraient un jour le prix.
En cette période de fin d'année, je veux également avoir une pensée pour vos familles qui se préparent à passer Noël et le jour de l'An sans vous. Et je sais bien que cette séparation est sans doute plus difficile que d'autres. Je sais qu'il y aura de la mélancolie dans vos familles et ici, de la mélancolie parce que vous ne serez pas avec ceux qui vous sont chers. Je tenais à vous dire que j'en ai pleinement conscience et que je ressens au fond de moi-même l'effort qui vous est demandé. Mais c'est votre travail, et un militaire fait son travail, parce que c'est son devoir et c'est pour cela qu'il est fier d'être militaire. Cela ne m'empêche pas de vous souhaiter de bonnes fêtes, à vos familles comme à vous, en pensant naturellement, Monsieur le Ministre, Monsieur le Chef d'état-major de nos armées, aux 11.000 militaires français qui sont actuellement engagés en opérations extérieures ou qui, sur le territoire national, participent à la sécurité des français.
Et c'est bien parce que le métier militaire comporte des contraintes particulières pour le personnel mais aussi pour les familles, qu'il est de mon devoir de m'assurer qu'aucun décalage ne s'installe durablement entre la communauté militaire et le reste de la société. C'est pourquoi j'ai demandé à votre ministre de veiller à une évolution de la condition militaire qui tienne d'abord compte des sujétions partagées par tous les militaires, sans ignorer pour autant - par souci d'une véritable équité - celles qui les distinguent entre eux. L'équité globale de traitement devra également être recherchée en externe, notamment vis-à-vis des autres corps en uniforme de l'Etat.
Votre mandat touche à sa fin puisque votre bataillon devrait être relevé d'ici un mois. Mais je suis sûr que quand vous serez revenus, vous aurez aussi la nostalgie. Parce qu'un militaire c'est fait pour servir. Alors, je vous souhaite un joyeux Noël placé sous le signe de la camaraderie, de la fraternité d'armes et du succès de votre mission. J'adresse tous mes voeux pour l'année 2008, à chacun d'entre vous et bien sûr à tous ceux qui vous sont chers.
Et je veux vous dire quelque chose, cela m'a bien fait plaisir de venir ici, parce que cela me fait toujours plaisir de rencontrer des Français qui aiment leur travail. Toute petite allusion, cela n'a rien à voir avec l'impartialité militaire mais je ne tenais à ne décevoir personne. Et c'est vrai que cela fait du bien pour notre pays, d'avoir des jeunes gens, des jeunes femmes engagés pour leur patrie. Et vous pouvez être fiers de votre pays, de l'image qui est celle de votre pays et du respect que votre pays impose partout dans le monde. Et si nous n'étions pas là, on se demanderait où est la France ? La France elle se devait d'être là, et c'est le message qu'avec Hervé Morin et avec Bernard Kouchner, je voulais vous donner. Et sachez que nous, où on est, on est aussi au front, une autre forme de front, pas forcement moins brutal, mais qu'on pense bien à vous.
Je voudrais terminer par un petit mot personnel, j'ai commencé en pensant à vos camarades, vous savez, je mesure pleinement ma responsabilité particulière lorsque l'un des vôtres disparaît. Et je ne prends pas des décisions en ignorant les risques, je me sens responsable de chacune et de chacun d'entre vous. Et ce ne sont jamais des décisions faciles à prendre. Et je ne considère pas que le métier de militaire c'est de se faire tuer. Je ne dis même pas que cela fait partie des risques du métier, je ne dis même pas que c'est la fatalité, je dis que c'est notre devoir de le faire, ce qui est différent. Et que notre devoir, c'est de ne pas laisser tomber les familles qui restent derrière. Et cela c'est un engagement que je prends devant chacune et chacun d'entre vous. Alors le choc affectif et la disparition, personne ne pourra les remplacer, mais on ne les laissera pas tomber et vous le savez très bien. Je les ai reçues les veuves, et ce n'est pas simplement une question d'institution, on me dit : "l'institution", oui l'institution. Mais c'est une question également d'humanité et de respect de soi-même. On ne laisse pas les gens derrière, on les amène avec nous, jusqu'au bout et vous devez être assurés que si qui que ce soit connaît un problème, on sera avec lui et on ne laissera pas tomber la famille derrière. Et avec cela, on peut faire sereinement sa mission. Cela s'appelle un pays, une communauté nationale, voilà. On sait ce qu'on a à faire, vous et nous, et nous le ferons. Mais les sentiments cela compte aussi, il faut être des professionnels mais il ne faut pas oublier que chacun a un coeur, voilà. Et avec cela on fait une armée moderne, un pays moderne. 2007, vous avez beaucoup travaillé, et bien vous n'avez rien vu ! Parce que 2008 je vous promets que l'on travaillera encore plus !
Bonnes fêtes à tous !./.