6 novembre 2007 - Seul le prononcé fait foi
Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, notamment sur les relations franco-américaines, les réformes en France, les relations économiques internationales et sur la question du nucléaire iranien, à Washington le 6 novembre 2007.
Merci, beaucoup.
Il y a beaucoup de choses, dans ce que vient de dire Frederik SMITH, que je voulais dire. Donc, je vais laisser le papier qui m'a été présenté de côté. Je vais essayer de vous parler très librement.
Je suis venu à la tête d'une délégation importante. Je suis très fier d'être accompagné par les ministres qui m'accompagnent, parce que, chacun d'entre eux, je le dis à nos amis Américains, à sa façon, représentent une nouvelle France. Moi, je pense que c'est la vraie France, la France de la diversité.
D'abord, le ministre des Affaires étrangères, Bernard KOUCHNER, qui est un ami des Etats-Unis. Je suis très fier et très heureux de travailler avec lui. Il faut que vous sachiez qu'en France, avec Bernard et cinq autres ministres socialistes de mon gouvernement, nous essayons de montrer que la France est un pays fort. Un pays fort, c'est un pays qui refuse le sectarisme. Je veux faire des grandes réformes en France. Pour cela, j'ai besoin d'une grande majorité. Je ne peux pas rassembler une grande majorité simplement avec les membres de ma propre famille politique. C'est une expérience très nouvelle en France. Il y a eu des tentations pour faire l'ouverture, en France. Le Président MITTERRAND l'avait essayé mais cela n'avait pas marché, parce qu'il avait demandé aux membres qui n'étaient pas de sa famille politique, de renoncer à être ce qu'ils étaient. Moi, je ne leur ai pas dit : "ne soyez plus socialistes. Soyez ce que vous êtes et aidez-moi à mettre en oeuvre le projet présidentiel tel que les Français l'ont adopté à 53%" - même à 51, cela m'aurait suffit ! - Je suis très reconnaissant à Bernard KOUCHNER du courage qu'il a eu, le premier. Il faut beaucoup de courage pour assumer cette façon différente de faire de la politique. Moi, j'étais persuadé que les Français nous demandaient de faire la meilleure équipe de France, au service d'un seul projet, d'une seule stratégie, celle qui a été tranchée par les Français.
Christine LAGARDE, ministre de l'Economie et des Finances, qui connaît bien les Etats-Unis, bien sûr, est exemplaire, parce qu'en même temps, je suis fier, et je me dis : "bon sang, c'est la première fois qu'il y a une femme ministre de l'Economie et des Finances dans mon pays. Cela en dit long sur le retard qui a été accumulé. Comme s'il y avait des responsabilités pour les femmes : la famille, les affaires sociales, l'inauguration des crèches. Pour les affaires sérieuses, c'est pour les hommes. Je n'ai pas voulu de cela. Dans mon gouvernement, il y a une femme ministre de l'Economie et des Finances. Il y a une femme ministre de l'Intérieur. Il y a une femme ministre de la Justice. Pas parce qu'elles sont femmes, mais parce qu'elles ont le talent pour assumer ces responsabilités. Jamais, dans l'histoire de la Ve République, en tout cas, il n'y a eu l'exemple d'une femme, ministre de l'Economie et des Finances.
Je veux dire aussi, combien je suis heureux d'avoir à mes côtés, Rachida DATI, ministre de la Justice, qui fait un travail remarquable. J'ai voulu dire : "mais voilà, il n'y a pas qu'une France dans la France d'aujourd'hui, il n'y a pas une justice à deux vitesses". J'ai voulu bousculer toutes ces idées sur le racisme. On faisait des beaux discours sur l'intégration, mais... Moi, j'admire les Etats-Unis, parce que Madeleine ALBRIGHT, Colin POWELL, Mme RICE, ce n'est pas des Américains de longue tradition et cela fait plus de vingt ans que votre ministre des Affaires étrangères est un américain venu d'ailleurs. Moi, je suis fier que Rachida DATI soit Garde des Sceaux. Je peux vous dire une chose, quand pour la première fois, on a été à l'installation du nouveau Président de la Cour de cassation, il y avait toute la justice qui était là, il y avait peu de femmes et peu de gens différents. J'étais fier que la Garde des Sceaux soit cela.
La plus jeune du gouvernement FILLON est Rama YADE. Elle travaille au côté de Bernard KOUCHNER. Pour moi, c'est très important et Rama le sait. Trente ans, beaucoup de talent. A sa façon, elle donne le visage que je souhaitais donner de mon pays, moins classique, mais c'est mon pays, c'est la France. Rama, à sa manière, porte une très belle idée de la France. Je vais vous dire une anecdote, j'espère qu'elle ne m'en voudra pas. Quand on a reçu Nelson MANDELA, elle était très émue, moi aussi. Nelson MANDELA arrivant, voit Rama, commence à lui parler afrikaner. Je lui dis : "non, non, elle est Française !". C'est tellement dire le retard que l'on avait accumulé. Dans les discours, on n'avait accumulé aucun retard ! Dans les discours, c'était égalité, égalité, égalité ! Mais dans les faits, ce n'était pas égalité. On a encore beaucoup de retard à récupérer.
Je salue également le Président de l'Assemblée nationale, puisque demain, je ferai un discours devant le Congrès. J'ai voulu que cet honneur que me font les Américains, soit partagé avec le Président de l'Assemblée nationale, Bernard ACCOYER.
Je voudrais vous dire rapidement avant de répondre à vos questions, deux choses.
La première, c'est que je n'ai jamais compris pourquoi il fallait se fâcher avec les Etats-Unis. C'est une histoire qui m'a toujours semblé étrange. Les Etats-Unis et la France, on ne s'est jamais fait la guerre, ce n'est pas une raison pour s'en vouloir ! Quand les Etats-Unis, vous avez commencé, vous étiez quatre millions, on était dix-huit millions. C'était les Français qui étaient là pour vous aider. Les Anglais n'avaient pas tout à fait compris ce qu'il se passait ! Les Français étaient là £ c'était LAFAYETTE, ROCHAMBEAU. Ce n'est pas une histoire très ancienne. C'est une réalité. Dans la salle du Congrès, il y a le portrait de WASHINGTON, bien sûr et il y a le portrait de LAFAYETTE. Moi, je veux m'inscrire dans cette tradition là. Quand les Etats-Unis, vous avez commencé, vous étiez moins puissants qu'aujourd'hui. La France était à vos côtés. Et quand nous, nous les Français, nous les Européens, on a été confronté à ce qu'il y a eu de pire dans le XXE siècle : deux conflits, épouvantablement meurtriers, ce sont vos parents qui avaient l'âge de nos enfants, qui sont venu nous aider. Moi, je suis venu vous dire que le peuple français n'oubliera jamais. Il y a une dette éternelle du peuple français à l'endroit du peuple américain pour ce que vous avez fait pour nous. Ce n'est pas de l'histoire ancienne. Ce sont des jeunes de vingt ans qui sont venus mourir loin de chez eux, pas pour leur liberté, pour la liberté de l'humanité. Quand on s'inscrit dans une telle dimension historique, et je pourrais rajouter lorsqu'il y a idéologie totalitaire du communisme, on a encore dû et pu compter sur vous et combattu à vos côtés. On peut avoir des désaccords, on peut avoir des différents, mais on reste des amis, parce que l'on est de la même famille. Dans une famille, on peut assumer ses désaccords, mais on reste des amis. Je ne peux pas m'empêcher de penser, à chaque fois qu'un soldat américain, où que ce soit dans le monde, meurt, à ce que l'armée d'Amérique a fait pour nous.
Vous savez, ce n'est pas moi qui le dis, ce n'est pas moi qui en parle, c'est le peuple français qui aime le peuple américain. Les élites françaises, c'est autre chose. Quand il y a eu les commémorations, le peuple français était à l'unisson du peuple américain. Vous savez, quand il y a eu ce qui s'est passé le 11 septembre, les terroristes ont cru vous affaiblir. Moi, je veux vous dire une chose : jamais l'Amérique n'a été aussi grande, n'a été aussi digne, n'a été aussi courageuse, n'a été aussi émouvante que le 11 septembre. Ils ont cru vous affaiblir, ils vous ont renforcé. Parce que, comme le titrait un journal qui n'a pas toujours mes opinions, on était tous des Américains, ce jour là. Parce que ce qui vous est arrivé aurait pu nous arriver. On a le désaccord sur l'Irak, bien sûr, c'est une réalité. Mais ce désaccord ne doit pas remettre en cause l'amitié, l'alliance et la solidarité entre nous.
Vous savez ce que je vous dis là, je l'ai dit dans mon pays. Mes amis peuvent en être témoins, je l'ai dit avant l'élection. Je ne l'ai pas dit après, c'est facile après l'élection. Non, je l'ai dit avant. J'ai dit que j'étais un ami des Américains. Vous vous rendez compte, avec cela j'ai été élu. Pas mal ! Cela veut donc dire que ceux qui pensaient parler au nom du peuple français, ne connaissaient pas le peuple français.
Deuxième chose. J'aime passionnément mon pays. Je veux pour la France le meilleur. Mais je dois être lucide. Si on veut être un exemple, il faut être exemplaire? et la France a pris beaucoup de retard. Nous sommes en train de rattraper ce retard. Je verrai, après la séance, un certain nombre d'entre vous pour leur dire de venir en France. Vous êtes les bienvenus. On vous attend. Il n'y a pas de problème. Nous, le gouvernement, on sera à vos côtés.
On fait du travail pour faire ces réformes. Cela va un peu bouger, mais c'est normal. Parce que faire des réformes, cela bouge des habitudes et cela suscite des réactions. Avant de venir à Washington, sur la route, je me suis posé en Bretagne, c'était l'Ouest, je me suis dit : "tiens, on va s'arrêter". C'était extrêmement intéressant, parce que j'ai vu un millier de pêcheurs, c'était un peu rude, un peu franc, mais en moi-même je disais, ces gens qu'est-ce qu'ils veulent ? Ils ne veulent pas mourir et ils ont raison. Le rôle d'un chef de l'Etat, c'est d'aller à leur contact, de leur parler, d'essayer de les comprendre et trouver des solutions. Cela fait trop longtemps que l'on ne parle pas aux gens. La semaine dernière, j'étais à la SNCF. Cela faisait vingt-trois ans qu'un Président de la République n'était pas venu avec eux. Comment voulez-vous que les gens puissent l'accepter ? Les gens, ils acceptent le changement mais ils font que l'on leur explique, il faut que l'on aille à leur contact, il faut que l'on dise pourquoi on fait les changements, que ce n'est pas par plaisir que l'on fait des choses difficiles. Je suis persuadé que l'on va réussir. Il ne faut pas vous inquiéter. Il y aura des grèves, des manifestations. Moi, je tiendrai. Pas parce que je suis entêté, mais parce que c'est l'intérêt de mon pays. On a trop reculé, il ne faut plus reculer. Mais, en même temps, je veux que chacun comprenne : les cheminots, les agents de la RATP, les électriciens, les gaziers, que l'on ne les laissera pas tomber. Je ne veux pas que la réforme humilie. Je veux que la réforme rassemble. Mon travail de chef de l'Etat, c'est d'être le Président de tous les Français, pas de quelques uns. Voyez ce matin, au Guilvinec, il y en avait de très en colère. Je leur ai dit : vous êtes en colère contre qui ? Contre moi ? Moi qui viens vous voir ? Vous auriez dû être en colère contre tous ceux qui auraient dû venir vous voir mais qui ne sont pas venus vous voir. A l'arrivée, on a trouvé un accord. Je leur dis d'ici, de Washington, que je tiendrai mes engagements. On réforme les retraites, Maurice. On réforme le service de l'emploi. On réforme le ministère des Finances. On réforme la carte judiciaire. On a réformé la fiscalité. On va réformer le droit du travail. Il y a des journalistes, qui sont ici, qui disent : "oh là, vous en faites trop". Si j'en faisais moins, ils me diraient : "vous n'en faites pas assez !". Mais, ils sont dans leur rôle de commenter. Mais moi, j'ai cinq ans et je dois commencer à me mettre au travail le premier jour, la première minute, la première heure, jusqu'à la dernière. Quand on me dit que l'on en fait trop, je ne sais même pas ce que cela veut dire. Je pense, moi, que l'on n'en fait pas assez. C'est fantastique, d'ailleurs, les mêmes qui me disent que j'en fais trop, font le bilan au bout de six mois. Au bout de six mois, vous n'avez pas encore résolu le problème du chômage, le problème de la croissance, l'affaire des subprimes... Comme si cela était de ma faute ! Au fond, ce que je dis au gouvernement et ce que l'on fait avec le Premier ministre, François FILLON, nous, notre travail, c'est d'agir. Ma passion et tout ce que je fais, je veux agir.
J'aurai l'occasion avec le Président BUSH, ce soir, et demain au Congrès, de dire un mot de la situation internationale et de ce que j'en pense. Moi, ce que je pense que ce qui vous intéresse le plus, aujourd'hui, c'est ce que l'on fait pour l'économie. Est-ce que vous allez pouvoir investir en France ? Est-ce que vous allez pouvoir développer vos affaires, ici ? Est-ce que les industriels français vont pouvoir se développer aux Etats-Unis ?
Je voudrais terminer cette brève présentation, en disant deux choses.
Nous, on aime l'Amérique. Nous, on aime une Amérique qui est fidèle à ses valeurs. On aime la grande Amérique, celle qui sait donner l'exemple. On aime l'Amérique qui soutient les créateurs, pas les spéculateurs. On aime l'Amérique qui croit au libre échange, mais à la concurrence loyale? pas à la concurrence déloyale. On aime l'Amérique qui favorise la compétition, mais la compétition à armes égales. Je le dis gentiment, mais une grande économie aura une grande monnaie. C'est une question. Ce n'est pas simplement une question pour nous, c'est une question aussi pour vous que la valeur du dollar, pas que pour nous, c'est aussi pour vous. Vous avez une main-d'oeuvre de qualité, des entreprises extraordinaires, vous n'avez pas besoin d'un dollar trop faible. Votre technologie, votre savoir-faire, cela suffit.
On aime l'Amérique avec ses paysages extraordinaires. Et nous, on veut l'Amérique à la tête du combat pour la protection de la planète. Vous êtes bordés de deux océans. S'il y a le réchauffement de la planète, et le niveau des eaux qui montent, cela vous concerne autant que nous. On veut travailler avec l'Amérique : le développement du nucléaire, la sécurité du monde. Je vous assure, on sera des alliés et des amis loyaux. Et puis, quand on n'est pas d'accord, on peut se le dire sans manière, sans hypocrisie, sans mensonge. J'aime bien cette idée d'une Amérique qui aime la franchise, où on met carte sur table, on met le gros paquet sur quoi on est d'accord et puis le petit paquet sur quoi on n'est pas d'accord. On discute. On essaye de trouver des solutions et d'avancer ensemble.
Je voudrais remercier Maurice LEVY et Frederic SMITH pour leur présidence. Dites donc, cela devait aller mal si vous n'avez pas trouvé à vous réunir depuis 2003 ! Rattrapez le temps perdu, réunissez-vous plus d'une fois par an. Je serai très heureux que l'on vous reçoive à Paris et plus longuement. C'est très important que la communauté des affaires crée des liens entre les deux rives de l'Atlantique. C'est capital.
Je voudrais, je suis sûr que Maurice ne m'en voudra pas, associer Felix ROHATYN, presque le plus célèbre des Américains en France, de même que Jean-David LEVITTE est le plus célèbre des Français aux Etats-Unis. Parce que, même quand cela allait mal, ils ont tenu et ils ont cru. Je voudrais notamment dire à celui qui était notre Ambassadeur, pendant la crise, Jean-David LEVITTE, il a bien mérité de la France quand cela n'allait pas.
Vous savez, le pire de tous, c'est que tout ce que je viens de vous dire, c'est très sincère. Je le pense et je le crois. Et je suis persuadé que quelle que soit l'administration américaine, puisqu'il va y avoir des élections, cela va évoluer. Moi, je ne choisis pas le président des Etats-Unis. Et ce n'est pas vous qui choisissez le Président de la France. Mais quel que soit le Président, le Président que vous choisirez, on travaillera main dans la main avec lui. Parce que, plus important que la politique, c'est l'amitié entre nos deux peuples. Et croyez bien que quel que soit celui qui aurait été Président de la France, je suis sûr qu'il aurait eu cette idée, qu'il fallait que la France, grand pays du monde, entretienne des relations d'amitié avec les Etats-Unis, première puissance du monde. Cela va bien au-delà d'un homme. Vous savez, l'amitié, ce n'est pas simplement les rapports entre les chefs d'Etat, cela va au-delà. Et moi je crois que ce n'est pas un effet de mode, c'est quelque chose qui est profond. Ce qui était anormal, c'est qu'on se soit fâché. Ce qui est naturel, c'est qu'on soit amis.
Merci de votre attention.
Commentaire en Anglais
QUESTION - Monsieur le Président, je souhaite revenir sur ce que vous avez dit, concernant la concurrence à armes égales. Cette grande nation américaine a bâti sa puissance grâce à son économie, poussée par des grandes entreprises qui ont eu accès à un marché intérieur qui est le plus gros marché mondial. Ma question est la suivante. La notion de champions nationaux que vous défendez, et de champions européens que la commission de la concurrence à Bruxelles n'aime pas entendre, conduit à ce que les règles de concurrence sur le grand marché européen qui est aujourd'hui économiquement la taille du marché américain, ne sont pas les mêmes que sur le marché américain. Par conséquent, dans certains secteurs, il n'y a pas de concurrence à armes égales puisque les définitions de marché et les règles de concurrence ne sont pas les mêmes. On peut avoir, dans certains secteurs, deux opérateurs côté américain, versus quatre opérateurs sur le marché français et européen. Comment est-ce que vous pensez qu'on peut faire évoluer les convergences de règles de concurrence entre ces deux grands pays ?
LE PRESIDENT - L'Europe a une monnaie unique, mais ce n'est pas un pays unique. Alors, il y a des choses que font les Américains et je n'ai toujours pas compris pourquoi on ne les faisait pas en Europe. Je prends le Small Business Act : les américains prônent la liberté, mais cela ne les empêche pas et ils ont raison de mon point de vue, de défendre les petites et moyennes entreprises et de leur réserver une part des marché publics. Moi je ne dis pas que vous avez tort, je dis que vous avez raison. Qu'est ce que je souhaite pour l'Europe Jean-François ? Que l'on fasse la même chose ! Parce qu'un pays a besoin de grands groupes, mais aussi d'un tissu de PME. Vous êtes un grand pays libéral, mais enfin, vous avez adopté une législation fiscale différente pour les produits fabriqués sur votre territoire et ceux qui ne le sont pas ! Moi je pense que vous avez raison ! Parce que c'est quand même le rôle d'un Etat de soutenir ses entreprises. Quand je vois qu'on met sur nos entreprises des règles sociales plus difficiles que les autres, des règles fiscales plus lourdes, des règles environnementales plus contraignantes, et que pour investir dans certains pays, je pense à la Chine, il faut s'associer, et dans quelles conditions, à un certain nombre d'opérateurs... Si nous ne défendons pas l'emploi de nos propres concitoyens, nos concitoyens nous le reprocheront. Ce n'est pas être réservé sur le libéralisme que de dire cela ! C'est vouloir une concurrence loyale. Après, ce que je dis sur l'euro, on me l'a souvent reproché. Je vois la politique de la Federal Reserve Bank : chaque fois qu'il y a un petit coup de mou sur la croissance, on baisse les taux. Jusqu'à présent, cela a bien réussi. Simplement, je ne peux pas oublier que Boeing est une très belle entreprise, Airbus est une très belle entreprise, mais chaque fois que l'euro prends dix centimes, Airbus perd un milliard. Si Boeing gagne contre Airbus, sur une meilleure technologie, une meilleure organisation, une meilleure agressivité commerciale, je n'ai rien à dire. Je vous le dis très librement. Mais je ne suis pas pour le dumping environnemental, pas pour le dumping social, pas pour le dumping fiscal donc je suis réservé sur le dumping monétaire. Les Américains et nous, on a un problème avec la valeur du Yuan. J'imagine que vous devez l'avoir aussi. On serait quand même plus fort ensemble pour peser sur une réévaluation du Yuan. Je ne plaide pas du tout pour un dollar fort, c'est l'affaire des Etats-Unis pas la mienne. Je dis simplement qu'une grande économie doit avoir une monnaie qui a une certaine valeur. Et ce sont des sujets dont on doit pouvoir parler. Pareil pour l'agriculture, j'ai dit au Président Bush, quand je l'ai vu : je comprends que vous défendiez les fermiers américains, mais acceptez qu'on défende, dans le cadre des négociations commerciales, les agriculteurs européens. Nous voulons une alliance politique, mais sur le plan économique, on veut se battre à armes égales, c'est le seul message que je veux faire passer. On ne veut pas plus que vous, on veut autant. Est-ce que je me fais comprendre ? Après, il y a des fois où vous gagnerez, des fois où on gagnera, cela d'accord ! Mais à la loyale, avec des règles du jeu connues et respectées par tout le monde. Que vous vous disiez « on peut investir en France si on prend des risques en France, on va gagner de l'argent en France » : ça, c'est loyal. Que vous disiez : allez on veut venir en France, on ne va pas se retrouver dans un maquis de complexités administratives : ça, c'est loyal, et nous on veut cette concurrence loyale. Alors il y a l'alliance politique, diplomatique, stratégique, mais c'est cela qu'on va essayer de faire. Comme je ne peux pas faire bouger tout seul l'Europe, je me dis que, moi, je vais faire bouger la France. Parce qu'on est dans la mondialisation. Quand même, la France sera mieux placée pour demander des choses si elle s'impose des reformes que les autres ont faites avant nous. C'est ça que j'essaye de faire en m'alliant avec des gens qui ont compris. M. BARROSO, le Président de la commission, veut avancer lui aussi. Et je ne voudrais surtout pas que vous ayez l'image d'une France qui demande aux autres de faire des efforts alors qu'elle veut s'exonérer de ces efforts. On fait ces efforts et je vous assure, en six mois on en a fait et ce n'est pas facile. Je pense que, depuis 1958, il n'y a jamais eu un tel effort de réformes tous azimut. On ne veut pas des avantages pour nous. On veut simplement pouvoir faire la même chose que vous. Voilà, et ce n'est pas parce qu'on a 62 millions d'habitants, qu'on est moins grand que vous, qu'on pense qu'on a moins de droits. On ne pense pas non plus qu'on a moins de devoirs. Voilà, je voudrais tellement donner l'image d'une France loyale, où les règles du jeu sont comprises, où on sait très exactement où on met les pieds, où il y a du fair-play, où on se dise en plus du risque économique qu'on prend on se dit que quelque chose va nous tomber dessus politiquement, fiscalement, administrativement ! C'est fini cela ! C'était avant. On essaye de changer cela. Et, pour le reste, je veux aussi convaincre les Etats-Unis qu'on ne doit pas rester avec la même organisation de l'ONU. On ne doit pas rester avec la même organisation du FMI. On ne doit pas rester avec la même organisation du G8 : on a l'organisation du XXe siècle ! On dit que cela ne marche pas... Evidemment, on est au XXIe ! Cela ne peut pas marcher. On ne peut pas être performant au XXIe siècle avec l'organisation du XXe. Vous, dans vos entreprises, vous avez l'organisation du XXIe siècle, pas du XIXe. Je me bats avec Bernard, pour que le G8 se transforme en G13. Je vais au G8 la première fois à Heiligendamm, extraordinaire : on est huit, on est bien, on discute, puis on dit « tiens, au fait, il y a un déjeuner à la fin du G8. Qui vient ? Oh, eh bien, la Chine, l'Inde, l'Afrique du Sud, le Brésil, le Mexique... deux milliards et demi d'habitants ! Ah bon, et on les invite simplement pour le déjeuner le troisième jour ? » Ce n'est pas ma conception des choses. Pareil pour la rente pétrolière, je sais que c'est un sujet très difficile aux Etats-Unis mais permettez moi de vous dire une chose. Quand j'étais ministre des finances, avant Christine LAGARDE, en 2004, le baril était à 42 dollars. Depuis, il a dépassé les 90 dollars. En trois ans, il n'y a eu aucune innovation technologique, cela coûte la même chose de sortir le même baril, et le prix est le double. Mais dans le même temps, il y a des pays comme le Sénégal, où pendant 4 ou 5 heures il n'y a pas d'électricité. Si quelqu'un ici me dit que le monde peut continuer comme ça, et bien moi je lui dis que je ne suis pas d'accord. Je ne suis pas socialiste, je ne suis pas altermondialiste, mais j'essaye de réfléchir avec ma tête. Quand il y a des profits tellement énormes qu'ils ne sont justifiés par aucune avancée technologique, par aucune innovation, aucun risque, simplement parce que le cours a augmenté, et qu'on ne pose pas la question, comment font les pays qui n'ont rien ? Je dis attention, réfléchissons ! Le monde est pour le coup assis sur un baril, mais un baril qui peut exploser. C'est ça que j'ai envie de dire, de faire partager comme idée. Cela ne répond pas tout à fait la question de Jean-François, mais c'est tout à fait ma réponse, parce que ça me fait tellement plaisir de vous le dire ! Et puis j'ai oublié de saluer la Présidente du MEDEF, Laurence PARISOT, qui est ici, et qui essaye elle aussi de rénover son organisation.
QUESTION (en anglais)
LE PRESIDENT - Oui bien sûr, même si la situation japonaise n'est pas exactement la même que la situation chinoise, parlant sous le contrôle de Christine. Que veut-on faire tous ensemble ? Le monde idéal c'est quoi ? Un monde où les marchandises, les technologies et les êtres humains pourraient circuler avec le maximum de liberté. Pour que cela soit possible il faut que la concurrence et la compétition soient loyales. Pour des raisons historiques et sociales, tout le monde n'étant pas au même niveau, il y a des déséquilibres qu'on ne pourra pas combler avant 40 ou 50 ans. Je pense social, je pense fiscal, je pense à l'éducation, à la formation, au service public. Raison de plus pour ne pas s'en créer d'autres, qui sont parfaitement artificiels. Je vais aller en Chine, je dirai à nos amis Chinois : écoutez vous avez une réussite tellement spectaculaire, c'est formidable ce que vous faites, vous n'avez pas besoin d'avoir une monnaie sous-évaluée pour gagner. Ce n'est même pas utile. Cela crée les conditions d'un déséquilibre, et au fond ce déséquilibre il vous concernera aussi. Moi j'ai appris à l'époque où j'étais à l'école qu'une grande économie avait une monnaie forte, parce que le reflet de la vigueur d'une économie c'était la force de la monnaie. Et bien, maintenant, on vous explique le contraire : une grande économie doit avoir une monnaie faible, si j'en juge par le Yuan, et un peu ce qui se passe avec le dollar. On ne peut pas vouloir le maximum de concurrence, et créer le maximum de déséquilibres ! Je le dis très amicalement, la question des déficits, de la stratégie de la Federal Reserve Bank, c'est vraiment pas mon sujet. Moi j'ai déjà bien assez à faire avec le débat eurpéen ! Et puis, j'admire tellement ce qu'à fairt Alan GREENSPAN et la conception que vous avez de la Federal Reserve Bank, c'est fantastique. La Federal Reserve Bank est tellement indépendante que son directeur peut discuter avec le Secrétaire d'Etat au Trésor sans que personne ne se dise que cela va handicaper l'indépendance de la banque.
Quand le secrétaire d'Etat au Trésor discute avec le directeur de la Federal Reserve Bank, personne dit que la Banque centrale américaine est sous tutelle. Alors, nous, il faut installer nos institutions. Le seul fait qu'un homme politique ait une idée sur la monnaie est quasiment vécu comme un tabou. Je ne vois pas pourquoi. La monnaie est un sujet économique comme les autres. On doit pouvoir en parler tranquillement. Je ne prétends pas d'ailleurs avoir raison. Surtout, ce que je veux dire, c'est que, pour moi, ce n'est pas une façon de différer les réformes. Je pense que les problèmes de la France ou de l'Europe ne viennent pas que de la valeur de l'euro. Cela serait ridicule de dire cela. Mais on ne peut pas avoir des régions du monde qui mettent leur monnaie au service de la croissance et puis une autre région qui mette sa monnaie au service de la lutte contre l'inflation. C'est là où moi, j'ai un petit problème, parce que l'on devrait réfléchir ensemble à ces questions pour essayer de trouver des solutions. Pas dans l'opposition, Maurice, simplement, pour comprendre le problème des Américains, comprendre le problème des Chinois, comprendre le problème des Européens, et que vous, les chefs d'entreprise des deux côtés, ne soyez pas confrontés à cette difficulté. Vous avez besoin de stabilité, de règles claires. Oserai-je dire qu'en matière de monétaire, les règles claires restent à inventer. Je ne vois pas pourquoi je suis parti là-dessus, mais moi, cela m'intéresse.
QUESTION - (en anglais sur Irak - Iran)
LE PRESIDENT - J'ai parlé du désaccord au moment où a été prise la décision d'envoyer des soldats américains en Irak. La décision a été prise. Ils y sont. Bernard KOUCHNER l'a fait avec mon soutien total et mon accord. Il s'est rendu en Irak depuis. Je voudrais quand même vous rappeler cela. Personne ne dit qu'il faut partir sans condition, tout de suite. Nous, ce que nous souhaitons c'est que, le plus rapidement possible, le peuple irakien puisse décider de son avenir et garantir son unité. Après, vous citez un autre nom, qui est un nom difficile, c'est celui de l'Iran. Je vous dis une chose très clairement. L'hypothèse de la détention de l'arme nucléaire dans les mains des dirigeants actuels de l'Iran, c'est pour la France inacceptable. C'est clair et sans ambiguïté. Dans le même temps, je vous dis avec la même force, que l'accès au nucléaire civil, y compris pour l'Iran, c'est un droit. Il faut bien prendre garde de faire le différence entre le militaire nucléaire, il y a des traités de non-prolifération et le nucléaire civil. Il n'y a aucune raison qu'un grand peuple comme l'Iran ne puisse pas accéder à l'énergie du futur, qu'est l'énergie du nucléaire. Je dis cela, ce n'est pas rien. C'est un vrai engagement. Donc, c'est "non" pour l'arme nucléaire, c'est "oui" pour le nucléaire civil. Comment y arriver ? Cela va être l'objet de nos discussions avec le Président. Moi, je pense qu'il faut à la fois de la fermeté et je ne suis pas de l'avis de ceux qui pensent que les sanctions ne servent à rien, parce qu'à ceux qui disent cela qu'est-ce qu'ils proposent ? Il n'y a pas d'autres solutions que des sanctions onusiennes, européennes pour bien faire comprendre aux dirigeants iraniens que le peuple iranien vaut mieux que cela. C'est un grand peuple, une grande civilisation. En même temps, je me battrai sur cette ligne. Il faut que l'on reste disponible pour le dialogue, la main tendue. Si les Iraniens font preuve de bonne volonté et comprennent que la stratégie de détention de l'arme nucléaire est une impasse, il faut immédiatement pouvoir ouvrir une collaboration. La politique de la France, c'est plus de fermeté, s'ils veulent continuer sur le chemin du nucléaire militaire. Et le dialogue, on le maintiendra jusqu'à la dernière seconde, parce qu'il faut que la société iranienne débatte de cette question. L'Iran mérite mieux que l'isolement. On condamne le Président actuel. Vraiment, c'est quelque chose que je crois. Il n'y a pas d'opposition entre fermeté et dialogue. Il faut les deux. Regardez ce qui s'est passé. C'est quand même intéressant. Vous venez de recueillir un grand succès, d'ailleurs, avec l'aide des Chinois pour la Corée du Nord. Qui aurait pu dire que la Corée du Nord s'engagerait à ce point dans le processus ? C'est une très bonne nouvelle.
On m'a fait le reproche d'aller en Libye. Mais la Libye avait fait le choix de l'arme nucléaire militaire. Je crois qu'elle a abandonné, y a tourné le dos, le Colonel KADHAFI à cela. Il faut donc encourager. Je le dis même si, en France parfois? certains me le reprochent. Si vous n'engagez pas des dirigeants qui ont fait de lourdes erreurs dans le passé et qui réintègrent la communauté internationale, si vous ne leur tendez pas la main pour dire que c'est le bon chemin, alors quel signal vous adressez à tous ceux qui voudraient créer les conditions d'un affrontement entre l'Orient et l'Occident ? Je sais bien qu'après, l'affaire irakienne ne va pas se régler en une minute.
Loin de moi l'idée, vous le savez, de donner des leçons à qui que ce soit, je n'en ai aucun titre et aucune volonté. Simplement, une fois que l'on est dans un problème, on ne va pas essayer de s'en créer un second. Il faut sortir de la crise iranienne en montrant que le chemin actuel des dirigeants iraniens est une impasse pour eux et qu'ils prennent un risque majeur, et dans le même temps, en leur disant il y a une autre voie, et cette voie elle restera ouverte tout le temps. Je pense qu'avec un pays comme l'Iran, une grande civilisation, il y a moyen d'avoir cette espérance.
Voilà ce que l'on essaye de faire par des voies officielles, et par des voies officieuses. C'est notre rôle. Et peut-être que si la France peut jouer un rôle, c'est d'être fidèle à ses alliés et maintenir ce fil avec ceux avec lesquels elle a des accords profonds. C'est ce que l'on essaye de faire. Pas pour être plus grands que ce que l'on est, mais simplement, parce que pour être utiles, il faut bien qu'il y ait des pays qui continuent à parler.Merci à vous de m'avoir invité.
Il y a beaucoup de choses, dans ce que vient de dire Frederik SMITH, que je voulais dire. Donc, je vais laisser le papier qui m'a été présenté de côté. Je vais essayer de vous parler très librement.
Je suis venu à la tête d'une délégation importante. Je suis très fier d'être accompagné par les ministres qui m'accompagnent, parce que, chacun d'entre eux, je le dis à nos amis Américains, à sa façon, représentent une nouvelle France. Moi, je pense que c'est la vraie France, la France de la diversité.
D'abord, le ministre des Affaires étrangères, Bernard KOUCHNER, qui est un ami des Etats-Unis. Je suis très fier et très heureux de travailler avec lui. Il faut que vous sachiez qu'en France, avec Bernard et cinq autres ministres socialistes de mon gouvernement, nous essayons de montrer que la France est un pays fort. Un pays fort, c'est un pays qui refuse le sectarisme. Je veux faire des grandes réformes en France. Pour cela, j'ai besoin d'une grande majorité. Je ne peux pas rassembler une grande majorité simplement avec les membres de ma propre famille politique. C'est une expérience très nouvelle en France. Il y a eu des tentations pour faire l'ouverture, en France. Le Président MITTERRAND l'avait essayé mais cela n'avait pas marché, parce qu'il avait demandé aux membres qui n'étaient pas de sa famille politique, de renoncer à être ce qu'ils étaient. Moi, je ne leur ai pas dit : "ne soyez plus socialistes. Soyez ce que vous êtes et aidez-moi à mettre en oeuvre le projet présidentiel tel que les Français l'ont adopté à 53%" - même à 51, cela m'aurait suffit ! - Je suis très reconnaissant à Bernard KOUCHNER du courage qu'il a eu, le premier. Il faut beaucoup de courage pour assumer cette façon différente de faire de la politique. Moi, j'étais persuadé que les Français nous demandaient de faire la meilleure équipe de France, au service d'un seul projet, d'une seule stratégie, celle qui a été tranchée par les Français.
Christine LAGARDE, ministre de l'Economie et des Finances, qui connaît bien les Etats-Unis, bien sûr, est exemplaire, parce qu'en même temps, je suis fier, et je me dis : "bon sang, c'est la première fois qu'il y a une femme ministre de l'Economie et des Finances dans mon pays. Cela en dit long sur le retard qui a été accumulé. Comme s'il y avait des responsabilités pour les femmes : la famille, les affaires sociales, l'inauguration des crèches. Pour les affaires sérieuses, c'est pour les hommes. Je n'ai pas voulu de cela. Dans mon gouvernement, il y a une femme ministre de l'Economie et des Finances. Il y a une femme ministre de l'Intérieur. Il y a une femme ministre de la Justice. Pas parce qu'elles sont femmes, mais parce qu'elles ont le talent pour assumer ces responsabilités. Jamais, dans l'histoire de la Ve République, en tout cas, il n'y a eu l'exemple d'une femme, ministre de l'Economie et des Finances.
Je veux dire aussi, combien je suis heureux d'avoir à mes côtés, Rachida DATI, ministre de la Justice, qui fait un travail remarquable. J'ai voulu dire : "mais voilà, il n'y a pas qu'une France dans la France d'aujourd'hui, il n'y a pas une justice à deux vitesses". J'ai voulu bousculer toutes ces idées sur le racisme. On faisait des beaux discours sur l'intégration, mais... Moi, j'admire les Etats-Unis, parce que Madeleine ALBRIGHT, Colin POWELL, Mme RICE, ce n'est pas des Américains de longue tradition et cela fait plus de vingt ans que votre ministre des Affaires étrangères est un américain venu d'ailleurs. Moi, je suis fier que Rachida DATI soit Garde des Sceaux. Je peux vous dire une chose, quand pour la première fois, on a été à l'installation du nouveau Président de la Cour de cassation, il y avait toute la justice qui était là, il y avait peu de femmes et peu de gens différents. J'étais fier que la Garde des Sceaux soit cela.
La plus jeune du gouvernement FILLON est Rama YADE. Elle travaille au côté de Bernard KOUCHNER. Pour moi, c'est très important et Rama le sait. Trente ans, beaucoup de talent. A sa façon, elle donne le visage que je souhaitais donner de mon pays, moins classique, mais c'est mon pays, c'est la France. Rama, à sa manière, porte une très belle idée de la France. Je vais vous dire une anecdote, j'espère qu'elle ne m'en voudra pas. Quand on a reçu Nelson MANDELA, elle était très émue, moi aussi. Nelson MANDELA arrivant, voit Rama, commence à lui parler afrikaner. Je lui dis : "non, non, elle est Française !". C'est tellement dire le retard que l'on avait accumulé. Dans les discours, on n'avait accumulé aucun retard ! Dans les discours, c'était égalité, égalité, égalité ! Mais dans les faits, ce n'était pas égalité. On a encore beaucoup de retard à récupérer.
Je salue également le Président de l'Assemblée nationale, puisque demain, je ferai un discours devant le Congrès. J'ai voulu que cet honneur que me font les Américains, soit partagé avec le Président de l'Assemblée nationale, Bernard ACCOYER.
Je voudrais vous dire rapidement avant de répondre à vos questions, deux choses.
La première, c'est que je n'ai jamais compris pourquoi il fallait se fâcher avec les Etats-Unis. C'est une histoire qui m'a toujours semblé étrange. Les Etats-Unis et la France, on ne s'est jamais fait la guerre, ce n'est pas une raison pour s'en vouloir ! Quand les Etats-Unis, vous avez commencé, vous étiez quatre millions, on était dix-huit millions. C'était les Français qui étaient là pour vous aider. Les Anglais n'avaient pas tout à fait compris ce qu'il se passait ! Les Français étaient là £ c'était LAFAYETTE, ROCHAMBEAU. Ce n'est pas une histoire très ancienne. C'est une réalité. Dans la salle du Congrès, il y a le portrait de WASHINGTON, bien sûr et il y a le portrait de LAFAYETTE. Moi, je veux m'inscrire dans cette tradition là. Quand les Etats-Unis, vous avez commencé, vous étiez moins puissants qu'aujourd'hui. La France était à vos côtés. Et quand nous, nous les Français, nous les Européens, on a été confronté à ce qu'il y a eu de pire dans le XXE siècle : deux conflits, épouvantablement meurtriers, ce sont vos parents qui avaient l'âge de nos enfants, qui sont venu nous aider. Moi, je suis venu vous dire que le peuple français n'oubliera jamais. Il y a une dette éternelle du peuple français à l'endroit du peuple américain pour ce que vous avez fait pour nous. Ce n'est pas de l'histoire ancienne. Ce sont des jeunes de vingt ans qui sont venus mourir loin de chez eux, pas pour leur liberté, pour la liberté de l'humanité. Quand on s'inscrit dans une telle dimension historique, et je pourrais rajouter lorsqu'il y a idéologie totalitaire du communisme, on a encore dû et pu compter sur vous et combattu à vos côtés. On peut avoir des désaccords, on peut avoir des différents, mais on reste des amis, parce que l'on est de la même famille. Dans une famille, on peut assumer ses désaccords, mais on reste des amis. Je ne peux pas m'empêcher de penser, à chaque fois qu'un soldat américain, où que ce soit dans le monde, meurt, à ce que l'armée d'Amérique a fait pour nous.
Vous savez, ce n'est pas moi qui le dis, ce n'est pas moi qui en parle, c'est le peuple français qui aime le peuple américain. Les élites françaises, c'est autre chose. Quand il y a eu les commémorations, le peuple français était à l'unisson du peuple américain. Vous savez, quand il y a eu ce qui s'est passé le 11 septembre, les terroristes ont cru vous affaiblir. Moi, je veux vous dire une chose : jamais l'Amérique n'a été aussi grande, n'a été aussi digne, n'a été aussi courageuse, n'a été aussi émouvante que le 11 septembre. Ils ont cru vous affaiblir, ils vous ont renforcé. Parce que, comme le titrait un journal qui n'a pas toujours mes opinions, on était tous des Américains, ce jour là. Parce que ce qui vous est arrivé aurait pu nous arriver. On a le désaccord sur l'Irak, bien sûr, c'est une réalité. Mais ce désaccord ne doit pas remettre en cause l'amitié, l'alliance et la solidarité entre nous.
Vous savez ce que je vous dis là, je l'ai dit dans mon pays. Mes amis peuvent en être témoins, je l'ai dit avant l'élection. Je ne l'ai pas dit après, c'est facile après l'élection. Non, je l'ai dit avant. J'ai dit que j'étais un ami des Américains. Vous vous rendez compte, avec cela j'ai été élu. Pas mal ! Cela veut donc dire que ceux qui pensaient parler au nom du peuple français, ne connaissaient pas le peuple français.
Deuxième chose. J'aime passionnément mon pays. Je veux pour la France le meilleur. Mais je dois être lucide. Si on veut être un exemple, il faut être exemplaire? et la France a pris beaucoup de retard. Nous sommes en train de rattraper ce retard. Je verrai, après la séance, un certain nombre d'entre vous pour leur dire de venir en France. Vous êtes les bienvenus. On vous attend. Il n'y a pas de problème. Nous, le gouvernement, on sera à vos côtés.
On fait du travail pour faire ces réformes. Cela va un peu bouger, mais c'est normal. Parce que faire des réformes, cela bouge des habitudes et cela suscite des réactions. Avant de venir à Washington, sur la route, je me suis posé en Bretagne, c'était l'Ouest, je me suis dit : "tiens, on va s'arrêter". C'était extrêmement intéressant, parce que j'ai vu un millier de pêcheurs, c'était un peu rude, un peu franc, mais en moi-même je disais, ces gens qu'est-ce qu'ils veulent ? Ils ne veulent pas mourir et ils ont raison. Le rôle d'un chef de l'Etat, c'est d'aller à leur contact, de leur parler, d'essayer de les comprendre et trouver des solutions. Cela fait trop longtemps que l'on ne parle pas aux gens. La semaine dernière, j'étais à la SNCF. Cela faisait vingt-trois ans qu'un Président de la République n'était pas venu avec eux. Comment voulez-vous que les gens puissent l'accepter ? Les gens, ils acceptent le changement mais ils font que l'on leur explique, il faut que l'on aille à leur contact, il faut que l'on dise pourquoi on fait les changements, que ce n'est pas par plaisir que l'on fait des choses difficiles. Je suis persuadé que l'on va réussir. Il ne faut pas vous inquiéter. Il y aura des grèves, des manifestations. Moi, je tiendrai. Pas parce que je suis entêté, mais parce que c'est l'intérêt de mon pays. On a trop reculé, il ne faut plus reculer. Mais, en même temps, je veux que chacun comprenne : les cheminots, les agents de la RATP, les électriciens, les gaziers, que l'on ne les laissera pas tomber. Je ne veux pas que la réforme humilie. Je veux que la réforme rassemble. Mon travail de chef de l'Etat, c'est d'être le Président de tous les Français, pas de quelques uns. Voyez ce matin, au Guilvinec, il y en avait de très en colère. Je leur ai dit : vous êtes en colère contre qui ? Contre moi ? Moi qui viens vous voir ? Vous auriez dû être en colère contre tous ceux qui auraient dû venir vous voir mais qui ne sont pas venus vous voir. A l'arrivée, on a trouvé un accord. Je leur dis d'ici, de Washington, que je tiendrai mes engagements. On réforme les retraites, Maurice. On réforme le service de l'emploi. On réforme le ministère des Finances. On réforme la carte judiciaire. On a réformé la fiscalité. On va réformer le droit du travail. Il y a des journalistes, qui sont ici, qui disent : "oh là, vous en faites trop". Si j'en faisais moins, ils me diraient : "vous n'en faites pas assez !". Mais, ils sont dans leur rôle de commenter. Mais moi, j'ai cinq ans et je dois commencer à me mettre au travail le premier jour, la première minute, la première heure, jusqu'à la dernière. Quand on me dit que l'on en fait trop, je ne sais même pas ce que cela veut dire. Je pense, moi, que l'on n'en fait pas assez. C'est fantastique, d'ailleurs, les mêmes qui me disent que j'en fais trop, font le bilan au bout de six mois. Au bout de six mois, vous n'avez pas encore résolu le problème du chômage, le problème de la croissance, l'affaire des subprimes... Comme si cela était de ma faute ! Au fond, ce que je dis au gouvernement et ce que l'on fait avec le Premier ministre, François FILLON, nous, notre travail, c'est d'agir. Ma passion et tout ce que je fais, je veux agir.
J'aurai l'occasion avec le Président BUSH, ce soir, et demain au Congrès, de dire un mot de la situation internationale et de ce que j'en pense. Moi, ce que je pense que ce qui vous intéresse le plus, aujourd'hui, c'est ce que l'on fait pour l'économie. Est-ce que vous allez pouvoir investir en France ? Est-ce que vous allez pouvoir développer vos affaires, ici ? Est-ce que les industriels français vont pouvoir se développer aux Etats-Unis ?
Je voudrais terminer cette brève présentation, en disant deux choses.
Nous, on aime l'Amérique. Nous, on aime une Amérique qui est fidèle à ses valeurs. On aime la grande Amérique, celle qui sait donner l'exemple. On aime l'Amérique qui soutient les créateurs, pas les spéculateurs. On aime l'Amérique qui croit au libre échange, mais à la concurrence loyale? pas à la concurrence déloyale. On aime l'Amérique qui favorise la compétition, mais la compétition à armes égales. Je le dis gentiment, mais une grande économie aura une grande monnaie. C'est une question. Ce n'est pas simplement une question pour nous, c'est une question aussi pour vous que la valeur du dollar, pas que pour nous, c'est aussi pour vous. Vous avez une main-d'oeuvre de qualité, des entreprises extraordinaires, vous n'avez pas besoin d'un dollar trop faible. Votre technologie, votre savoir-faire, cela suffit.
On aime l'Amérique avec ses paysages extraordinaires. Et nous, on veut l'Amérique à la tête du combat pour la protection de la planète. Vous êtes bordés de deux océans. S'il y a le réchauffement de la planète, et le niveau des eaux qui montent, cela vous concerne autant que nous. On veut travailler avec l'Amérique : le développement du nucléaire, la sécurité du monde. Je vous assure, on sera des alliés et des amis loyaux. Et puis, quand on n'est pas d'accord, on peut se le dire sans manière, sans hypocrisie, sans mensonge. J'aime bien cette idée d'une Amérique qui aime la franchise, où on met carte sur table, on met le gros paquet sur quoi on est d'accord et puis le petit paquet sur quoi on n'est pas d'accord. On discute. On essaye de trouver des solutions et d'avancer ensemble.
Je voudrais remercier Maurice LEVY et Frederic SMITH pour leur présidence. Dites donc, cela devait aller mal si vous n'avez pas trouvé à vous réunir depuis 2003 ! Rattrapez le temps perdu, réunissez-vous plus d'une fois par an. Je serai très heureux que l'on vous reçoive à Paris et plus longuement. C'est très important que la communauté des affaires crée des liens entre les deux rives de l'Atlantique. C'est capital.
Je voudrais, je suis sûr que Maurice ne m'en voudra pas, associer Felix ROHATYN, presque le plus célèbre des Américains en France, de même que Jean-David LEVITTE est le plus célèbre des Français aux Etats-Unis. Parce que, même quand cela allait mal, ils ont tenu et ils ont cru. Je voudrais notamment dire à celui qui était notre Ambassadeur, pendant la crise, Jean-David LEVITTE, il a bien mérité de la France quand cela n'allait pas.
Vous savez, le pire de tous, c'est que tout ce que je viens de vous dire, c'est très sincère. Je le pense et je le crois. Et je suis persuadé que quelle que soit l'administration américaine, puisqu'il va y avoir des élections, cela va évoluer. Moi, je ne choisis pas le président des Etats-Unis. Et ce n'est pas vous qui choisissez le Président de la France. Mais quel que soit le Président, le Président que vous choisirez, on travaillera main dans la main avec lui. Parce que, plus important que la politique, c'est l'amitié entre nos deux peuples. Et croyez bien que quel que soit celui qui aurait été Président de la France, je suis sûr qu'il aurait eu cette idée, qu'il fallait que la France, grand pays du monde, entretienne des relations d'amitié avec les Etats-Unis, première puissance du monde. Cela va bien au-delà d'un homme. Vous savez, l'amitié, ce n'est pas simplement les rapports entre les chefs d'Etat, cela va au-delà. Et moi je crois que ce n'est pas un effet de mode, c'est quelque chose qui est profond. Ce qui était anormal, c'est qu'on se soit fâché. Ce qui est naturel, c'est qu'on soit amis.
Merci de votre attention.
Commentaire en Anglais
QUESTION - Monsieur le Président, je souhaite revenir sur ce que vous avez dit, concernant la concurrence à armes égales. Cette grande nation américaine a bâti sa puissance grâce à son économie, poussée par des grandes entreprises qui ont eu accès à un marché intérieur qui est le plus gros marché mondial. Ma question est la suivante. La notion de champions nationaux que vous défendez, et de champions européens que la commission de la concurrence à Bruxelles n'aime pas entendre, conduit à ce que les règles de concurrence sur le grand marché européen qui est aujourd'hui économiquement la taille du marché américain, ne sont pas les mêmes que sur le marché américain. Par conséquent, dans certains secteurs, il n'y a pas de concurrence à armes égales puisque les définitions de marché et les règles de concurrence ne sont pas les mêmes. On peut avoir, dans certains secteurs, deux opérateurs côté américain, versus quatre opérateurs sur le marché français et européen. Comment est-ce que vous pensez qu'on peut faire évoluer les convergences de règles de concurrence entre ces deux grands pays ?
LE PRESIDENT - L'Europe a une monnaie unique, mais ce n'est pas un pays unique. Alors, il y a des choses que font les Américains et je n'ai toujours pas compris pourquoi on ne les faisait pas en Europe. Je prends le Small Business Act : les américains prônent la liberté, mais cela ne les empêche pas et ils ont raison de mon point de vue, de défendre les petites et moyennes entreprises et de leur réserver une part des marché publics. Moi je ne dis pas que vous avez tort, je dis que vous avez raison. Qu'est ce que je souhaite pour l'Europe Jean-François ? Que l'on fasse la même chose ! Parce qu'un pays a besoin de grands groupes, mais aussi d'un tissu de PME. Vous êtes un grand pays libéral, mais enfin, vous avez adopté une législation fiscale différente pour les produits fabriqués sur votre territoire et ceux qui ne le sont pas ! Moi je pense que vous avez raison ! Parce que c'est quand même le rôle d'un Etat de soutenir ses entreprises. Quand je vois qu'on met sur nos entreprises des règles sociales plus difficiles que les autres, des règles fiscales plus lourdes, des règles environnementales plus contraignantes, et que pour investir dans certains pays, je pense à la Chine, il faut s'associer, et dans quelles conditions, à un certain nombre d'opérateurs... Si nous ne défendons pas l'emploi de nos propres concitoyens, nos concitoyens nous le reprocheront. Ce n'est pas être réservé sur le libéralisme que de dire cela ! C'est vouloir une concurrence loyale. Après, ce que je dis sur l'euro, on me l'a souvent reproché. Je vois la politique de la Federal Reserve Bank : chaque fois qu'il y a un petit coup de mou sur la croissance, on baisse les taux. Jusqu'à présent, cela a bien réussi. Simplement, je ne peux pas oublier que Boeing est une très belle entreprise, Airbus est une très belle entreprise, mais chaque fois que l'euro prends dix centimes, Airbus perd un milliard. Si Boeing gagne contre Airbus, sur une meilleure technologie, une meilleure organisation, une meilleure agressivité commerciale, je n'ai rien à dire. Je vous le dis très librement. Mais je ne suis pas pour le dumping environnemental, pas pour le dumping social, pas pour le dumping fiscal donc je suis réservé sur le dumping monétaire. Les Américains et nous, on a un problème avec la valeur du Yuan. J'imagine que vous devez l'avoir aussi. On serait quand même plus fort ensemble pour peser sur une réévaluation du Yuan. Je ne plaide pas du tout pour un dollar fort, c'est l'affaire des Etats-Unis pas la mienne. Je dis simplement qu'une grande économie doit avoir une monnaie qui a une certaine valeur. Et ce sont des sujets dont on doit pouvoir parler. Pareil pour l'agriculture, j'ai dit au Président Bush, quand je l'ai vu : je comprends que vous défendiez les fermiers américains, mais acceptez qu'on défende, dans le cadre des négociations commerciales, les agriculteurs européens. Nous voulons une alliance politique, mais sur le plan économique, on veut se battre à armes égales, c'est le seul message que je veux faire passer. On ne veut pas plus que vous, on veut autant. Est-ce que je me fais comprendre ? Après, il y a des fois où vous gagnerez, des fois où on gagnera, cela d'accord ! Mais à la loyale, avec des règles du jeu connues et respectées par tout le monde. Que vous vous disiez « on peut investir en France si on prend des risques en France, on va gagner de l'argent en France » : ça, c'est loyal. Que vous disiez : allez on veut venir en France, on ne va pas se retrouver dans un maquis de complexités administratives : ça, c'est loyal, et nous on veut cette concurrence loyale. Alors il y a l'alliance politique, diplomatique, stratégique, mais c'est cela qu'on va essayer de faire. Comme je ne peux pas faire bouger tout seul l'Europe, je me dis que, moi, je vais faire bouger la France. Parce qu'on est dans la mondialisation. Quand même, la France sera mieux placée pour demander des choses si elle s'impose des reformes que les autres ont faites avant nous. C'est ça que j'essaye de faire en m'alliant avec des gens qui ont compris. M. BARROSO, le Président de la commission, veut avancer lui aussi. Et je ne voudrais surtout pas que vous ayez l'image d'une France qui demande aux autres de faire des efforts alors qu'elle veut s'exonérer de ces efforts. On fait ces efforts et je vous assure, en six mois on en a fait et ce n'est pas facile. Je pense que, depuis 1958, il n'y a jamais eu un tel effort de réformes tous azimut. On ne veut pas des avantages pour nous. On veut simplement pouvoir faire la même chose que vous. Voilà, et ce n'est pas parce qu'on a 62 millions d'habitants, qu'on est moins grand que vous, qu'on pense qu'on a moins de droits. On ne pense pas non plus qu'on a moins de devoirs. Voilà, je voudrais tellement donner l'image d'une France loyale, où les règles du jeu sont comprises, où on sait très exactement où on met les pieds, où il y a du fair-play, où on se dise en plus du risque économique qu'on prend on se dit que quelque chose va nous tomber dessus politiquement, fiscalement, administrativement ! C'est fini cela ! C'était avant. On essaye de changer cela. Et, pour le reste, je veux aussi convaincre les Etats-Unis qu'on ne doit pas rester avec la même organisation de l'ONU. On ne doit pas rester avec la même organisation du FMI. On ne doit pas rester avec la même organisation du G8 : on a l'organisation du XXe siècle ! On dit que cela ne marche pas... Evidemment, on est au XXIe ! Cela ne peut pas marcher. On ne peut pas être performant au XXIe siècle avec l'organisation du XXe. Vous, dans vos entreprises, vous avez l'organisation du XXIe siècle, pas du XIXe. Je me bats avec Bernard, pour que le G8 se transforme en G13. Je vais au G8 la première fois à Heiligendamm, extraordinaire : on est huit, on est bien, on discute, puis on dit « tiens, au fait, il y a un déjeuner à la fin du G8. Qui vient ? Oh, eh bien, la Chine, l'Inde, l'Afrique du Sud, le Brésil, le Mexique... deux milliards et demi d'habitants ! Ah bon, et on les invite simplement pour le déjeuner le troisième jour ? » Ce n'est pas ma conception des choses. Pareil pour la rente pétrolière, je sais que c'est un sujet très difficile aux Etats-Unis mais permettez moi de vous dire une chose. Quand j'étais ministre des finances, avant Christine LAGARDE, en 2004, le baril était à 42 dollars. Depuis, il a dépassé les 90 dollars. En trois ans, il n'y a eu aucune innovation technologique, cela coûte la même chose de sortir le même baril, et le prix est le double. Mais dans le même temps, il y a des pays comme le Sénégal, où pendant 4 ou 5 heures il n'y a pas d'électricité. Si quelqu'un ici me dit que le monde peut continuer comme ça, et bien moi je lui dis que je ne suis pas d'accord. Je ne suis pas socialiste, je ne suis pas altermondialiste, mais j'essaye de réfléchir avec ma tête. Quand il y a des profits tellement énormes qu'ils ne sont justifiés par aucune avancée technologique, par aucune innovation, aucun risque, simplement parce que le cours a augmenté, et qu'on ne pose pas la question, comment font les pays qui n'ont rien ? Je dis attention, réfléchissons ! Le monde est pour le coup assis sur un baril, mais un baril qui peut exploser. C'est ça que j'ai envie de dire, de faire partager comme idée. Cela ne répond pas tout à fait la question de Jean-François, mais c'est tout à fait ma réponse, parce que ça me fait tellement plaisir de vous le dire ! Et puis j'ai oublié de saluer la Présidente du MEDEF, Laurence PARISOT, qui est ici, et qui essaye elle aussi de rénover son organisation.
QUESTION (en anglais)
LE PRESIDENT - Oui bien sûr, même si la situation japonaise n'est pas exactement la même que la situation chinoise, parlant sous le contrôle de Christine. Que veut-on faire tous ensemble ? Le monde idéal c'est quoi ? Un monde où les marchandises, les technologies et les êtres humains pourraient circuler avec le maximum de liberté. Pour que cela soit possible il faut que la concurrence et la compétition soient loyales. Pour des raisons historiques et sociales, tout le monde n'étant pas au même niveau, il y a des déséquilibres qu'on ne pourra pas combler avant 40 ou 50 ans. Je pense social, je pense fiscal, je pense à l'éducation, à la formation, au service public. Raison de plus pour ne pas s'en créer d'autres, qui sont parfaitement artificiels. Je vais aller en Chine, je dirai à nos amis Chinois : écoutez vous avez une réussite tellement spectaculaire, c'est formidable ce que vous faites, vous n'avez pas besoin d'avoir une monnaie sous-évaluée pour gagner. Ce n'est même pas utile. Cela crée les conditions d'un déséquilibre, et au fond ce déséquilibre il vous concernera aussi. Moi j'ai appris à l'époque où j'étais à l'école qu'une grande économie avait une monnaie forte, parce que le reflet de la vigueur d'une économie c'était la force de la monnaie. Et bien, maintenant, on vous explique le contraire : une grande économie doit avoir une monnaie faible, si j'en juge par le Yuan, et un peu ce qui se passe avec le dollar. On ne peut pas vouloir le maximum de concurrence, et créer le maximum de déséquilibres ! Je le dis très amicalement, la question des déficits, de la stratégie de la Federal Reserve Bank, c'est vraiment pas mon sujet. Moi j'ai déjà bien assez à faire avec le débat eurpéen ! Et puis, j'admire tellement ce qu'à fairt Alan GREENSPAN et la conception que vous avez de la Federal Reserve Bank, c'est fantastique. La Federal Reserve Bank est tellement indépendante que son directeur peut discuter avec le Secrétaire d'Etat au Trésor sans que personne ne se dise que cela va handicaper l'indépendance de la banque.
Quand le secrétaire d'Etat au Trésor discute avec le directeur de la Federal Reserve Bank, personne dit que la Banque centrale américaine est sous tutelle. Alors, nous, il faut installer nos institutions. Le seul fait qu'un homme politique ait une idée sur la monnaie est quasiment vécu comme un tabou. Je ne vois pas pourquoi. La monnaie est un sujet économique comme les autres. On doit pouvoir en parler tranquillement. Je ne prétends pas d'ailleurs avoir raison. Surtout, ce que je veux dire, c'est que, pour moi, ce n'est pas une façon de différer les réformes. Je pense que les problèmes de la France ou de l'Europe ne viennent pas que de la valeur de l'euro. Cela serait ridicule de dire cela. Mais on ne peut pas avoir des régions du monde qui mettent leur monnaie au service de la croissance et puis une autre région qui mette sa monnaie au service de la lutte contre l'inflation. C'est là où moi, j'ai un petit problème, parce que l'on devrait réfléchir ensemble à ces questions pour essayer de trouver des solutions. Pas dans l'opposition, Maurice, simplement, pour comprendre le problème des Américains, comprendre le problème des Chinois, comprendre le problème des Européens, et que vous, les chefs d'entreprise des deux côtés, ne soyez pas confrontés à cette difficulté. Vous avez besoin de stabilité, de règles claires. Oserai-je dire qu'en matière de monétaire, les règles claires restent à inventer. Je ne vois pas pourquoi je suis parti là-dessus, mais moi, cela m'intéresse.
QUESTION - (en anglais sur Irak - Iran)
LE PRESIDENT - J'ai parlé du désaccord au moment où a été prise la décision d'envoyer des soldats américains en Irak. La décision a été prise. Ils y sont. Bernard KOUCHNER l'a fait avec mon soutien total et mon accord. Il s'est rendu en Irak depuis. Je voudrais quand même vous rappeler cela. Personne ne dit qu'il faut partir sans condition, tout de suite. Nous, ce que nous souhaitons c'est que, le plus rapidement possible, le peuple irakien puisse décider de son avenir et garantir son unité. Après, vous citez un autre nom, qui est un nom difficile, c'est celui de l'Iran. Je vous dis une chose très clairement. L'hypothèse de la détention de l'arme nucléaire dans les mains des dirigeants actuels de l'Iran, c'est pour la France inacceptable. C'est clair et sans ambiguïté. Dans le même temps, je vous dis avec la même force, que l'accès au nucléaire civil, y compris pour l'Iran, c'est un droit. Il faut bien prendre garde de faire le différence entre le militaire nucléaire, il y a des traités de non-prolifération et le nucléaire civil. Il n'y a aucune raison qu'un grand peuple comme l'Iran ne puisse pas accéder à l'énergie du futur, qu'est l'énergie du nucléaire. Je dis cela, ce n'est pas rien. C'est un vrai engagement. Donc, c'est "non" pour l'arme nucléaire, c'est "oui" pour le nucléaire civil. Comment y arriver ? Cela va être l'objet de nos discussions avec le Président. Moi, je pense qu'il faut à la fois de la fermeté et je ne suis pas de l'avis de ceux qui pensent que les sanctions ne servent à rien, parce qu'à ceux qui disent cela qu'est-ce qu'ils proposent ? Il n'y a pas d'autres solutions que des sanctions onusiennes, européennes pour bien faire comprendre aux dirigeants iraniens que le peuple iranien vaut mieux que cela. C'est un grand peuple, une grande civilisation. En même temps, je me battrai sur cette ligne. Il faut que l'on reste disponible pour le dialogue, la main tendue. Si les Iraniens font preuve de bonne volonté et comprennent que la stratégie de détention de l'arme nucléaire est une impasse, il faut immédiatement pouvoir ouvrir une collaboration. La politique de la France, c'est plus de fermeté, s'ils veulent continuer sur le chemin du nucléaire militaire. Et le dialogue, on le maintiendra jusqu'à la dernière seconde, parce qu'il faut que la société iranienne débatte de cette question. L'Iran mérite mieux que l'isolement. On condamne le Président actuel. Vraiment, c'est quelque chose que je crois. Il n'y a pas d'opposition entre fermeté et dialogue. Il faut les deux. Regardez ce qui s'est passé. C'est quand même intéressant. Vous venez de recueillir un grand succès, d'ailleurs, avec l'aide des Chinois pour la Corée du Nord. Qui aurait pu dire que la Corée du Nord s'engagerait à ce point dans le processus ? C'est une très bonne nouvelle.
On m'a fait le reproche d'aller en Libye. Mais la Libye avait fait le choix de l'arme nucléaire militaire. Je crois qu'elle a abandonné, y a tourné le dos, le Colonel KADHAFI à cela. Il faut donc encourager. Je le dis même si, en France parfois? certains me le reprochent. Si vous n'engagez pas des dirigeants qui ont fait de lourdes erreurs dans le passé et qui réintègrent la communauté internationale, si vous ne leur tendez pas la main pour dire que c'est le bon chemin, alors quel signal vous adressez à tous ceux qui voudraient créer les conditions d'un affrontement entre l'Orient et l'Occident ? Je sais bien qu'après, l'affaire irakienne ne va pas se régler en une minute.
Loin de moi l'idée, vous le savez, de donner des leçons à qui que ce soit, je n'en ai aucun titre et aucune volonté. Simplement, une fois que l'on est dans un problème, on ne va pas essayer de s'en créer un second. Il faut sortir de la crise iranienne en montrant que le chemin actuel des dirigeants iraniens est une impasse pour eux et qu'ils prennent un risque majeur, et dans le même temps, en leur disant il y a une autre voie, et cette voie elle restera ouverte tout le temps. Je pense qu'avec un pays comme l'Iran, une grande civilisation, il y a moyen d'avoir cette espérance.
Voilà ce que l'on essaye de faire par des voies officielles, et par des voies officieuses. C'est notre rôle. Et peut-être que si la France peut jouer un rôle, c'est d'être fidèle à ses alliés et maintenir ce fil avec ceux avec lesquels elle a des accords profonds. C'est ce que l'on essaye de faire. Pas pour être plus grands que ce que l'on est, mais simplement, parce que pour être utiles, il faut bien qu'il y ait des pays qui continuent à parler.Merci à vous de m'avoir invité.