10 octobre 2007 - Seul le prononcé fait foi
Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, notamment sur les relations franco-russes, à Moscou le 10 octobre 2007.
Monsieur le Recteur,
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais vous dire combien je suis heureux d'être parmi vous. Vous qui êtes les professeurs et les élites d'une des plus prestigieuses universités de Russie. Vous êtes les citoyens d'un grand pays qui a joué un grand rôle dans l'histoire du monde et dont la contribution aux arts et aux sciences n'a cessé au cours des siècles d'être inestimable.
Oui, Monsieur le Recteur, je connais les noms prestigieux de cette Université, SOUKHOÏ, TUPOLEV, JOUKOVSKI, KOROLEV, ce sont des scientifiques de renommée mondiale qui ont étudié sur les bancs de cette université. Il existe entre nos deux nations des liens très profonds, des liens qui ont été tissés par l'histoire et par le sentiment.
La France et la Russie se sont parfois combattues. Mais nos deux peuples ne se sont jamais haïs. Nos deux peuples éprouvent l'un pour l'autre de l'amitié et de la fraternité.
Nos deux peuples ont en commun d'avoir traversé des épreuves terribles et la Russie a traversé des épreuves terribles sans que jamais son âme ne disparaisse. L'âme russe a survécu au totalitarisme, elle a même fini par le vaincre comme l'âme française a fini par être plus forte que tout ce qui menaçait de la détruire.
Depuis toujours, nos deux peuples, le peuple russe et le peuple français, se respectent. Ils savent au fond d'eux-mêmes que ce qu'ils ont en commun est plus fort que ce qui les sépare.
Depuis toujours, nos deux peuples ont le pressentiment que l'amitié de la Russie et de la France est nécessaire à l'équilibre du monde. Pour l'équilibre du monde nous devons être amis.
Alors, à travers vous, j'apporte le salut de la jeunesse française à la jeunesse de Russie. On dit que, désormais, toutes les jeunesses du monde se ressemblent. Moi je pense qu'elles ne ressemblent pas, mais qu'elles se comprennent. Qu'elles aspirent toutes à devenir maîtresse de leur destinée et que toutes les jeunesses du monde placent cette destinée à l'échelle du monde et non pas à l'échelle de son seul pays.
La jeunesse d'aujourd'hui, quelle que soit sa nationalité, veut conquérir le monde. Elle veut le façonner à son image. Elle veut que le monde de demain ressemble à ses rêves.
Vous êtes l'élite intellectuelle d'un des plus grands pays du monde, la Russie. Vous êtes destinés à devenir des savants, des ingénieurs, les techniciens qui construiront la Russie nouvelle. De votre savoir, de votre intelligence va naître un monde nouveau, une Russie nouvelle.
Dans ce monde nouveau, la Russie et la France doivent s'unir pour que ce monde soit en paix, pour qu'il soit plus heureux, pour que ce monde soit plus juste. C'est notre devoir de porter ces idées.
Songez à ce que la Russie et la France peuvent accomplir ensemble dans le spatial, dans l'aéronautique, dans le nucléaire, dans l'énergie, dans l'automobile, dans les transports. Ne travaillons pas les uns contre les autres, travaillons ensemble.
Songez à cette grande tradition mathématique qui est commune à la Russie et à la France et que nous devons faire fructifier ensemble. Songez à cette culture commune qui fait de la Russie et de la France, Monsieur le Recteur, deux pays d'ingénieurs.
Songez à ce que nos entreprises sont capables de faire lorsqu'elles cessent d'être rivales et lorsqu'elles deviennent partenaires. Je suis fier que les tirs de fusée Soyouz partent du centre de Kourou, en Guyane française. Je suis fier de l'avion régional Super Jet 100 qui vient de sortir de vos usines et dont les entreprises françaises construisent 35%.
Voilà ce que peut donner la coopération entre les Russes et les Français. Je souhaite que cette coopération soit beaucoup plus forte, que nos entreprises, nos universités, nos écoles, nos laboratoires, nos chercheurs, nos étudiants travaillent ensemble. Les étudiants russes sont les bienvenus dans nos écoles en France.
Je souhaite que la jeunesse russe, qui a tant d'espoir, et la jeunesse française rêvent ensemble et que ce rêve de nos deux jeunesses soulève le monde. Je ne veux pas d'un monde aplati.
Si la jeunesse le veut, les droits de l'Homme seront respectés, les hommes et les idées circuleront librement et les frontières seront ouvertes.
Si la jeunesse le veut, la solidarité entre les peuples triomphera des égoïsmes nationaux.
Aimer son pays, ce n'est pas détester l'autre.
Aimer son pays, ce n'est pas haïr le voisin.
Aimer son pays, c'est l'ouvrir aux autres.
Si la jeunesse le veut, l'humanité prendra enfin conscience de la menace qu'elle fait peser sur l'avenir de la planète et s'engagera résolument dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Si la jeunesse le veut, les chocs des civilisations ne se produiront pas.
Si la jeunesse le veut, la guerre des religions n'aura pas lieu, ni les guerres de la faim, ni les guerres de l'eau.
Si la jeunesse le veut, le monde vivra en paix.
Nous savons que nous avons à construire tous ensemble un nouvel ordre du monde. Et ce nouvel ordre du monde ne doit pas reposer sur la volonté de puissance, ni sur la force.
Dans ce monde où vous allez vivre, le sort de chacun dépend de celui de tous. Il n'y a pas d'un côté les Russes, de l'autre les Français. Chacun d'entre nous est responsable, pour une part, de l'avenir de ce monde et nul ne peut espérer relever les défis planétaires avec ses seuls moyens.
Travailler ensemble n'est pas un choix, c'est une obligation dans le monde d'aujourd'hui. Nul ne peut plus espérer accomplir seul son destin. Nul ne peut plus espérer que ses frontières le mettent à l'abri des malheurs du monde. Nul ne peut espérer se développer en vivant replié sur lui-même, à l'égard du grand métissage de l'esprit humain, du grand brassage des cultures et des connaissances.
Vous voulez développer la Russie. Vous avez voulu relever la Russie. Vous y êtes arrivés. Mais faites le en vous ouvrant aux autres, non pas en vous repliant sur vous-mêmes. Seul, chaque pays est fragile. Avec les autres, chaque pays est fort.
A l'ONU, au nom de la France, j'ai proposé un '' new deal ' écologique et économique planétaire comme la condition d'un nouvel ordre mondial. Dans ce nouvel ordre, la Russie et la France, en unissant leur force et leur volonté, peuvent contribuer de façon décisive à le construire.
La Russie a son identité propre, elle a sa spécificité. Mais la Russie et l'Europe doivent travailler ensemble, doivent se comprendre, doivent collaborer, doivent s'entraider.
La Russie et la France unies par une même volonté, par les valeurs de civilisation qu'elles ont en commun, peuvent convaincre le monde entier de la nécessité de vivre en paix.
Je veux parler ici au nom de toute l'Europe, et pas seulement de la France. Je veux dire à la Russie, au nom de l'Europe, que lorsque l'Europe et la Russie s'affrontent, elles s'affaiblissent mutuellement. Nous avons tout à perdre d'un affrontement entre nous.
Je veux dire à la Russie, je veux dire à la jeunesse russe, que le lorsque le fossé se creuse entre l'Europe et la Russie, ni l'une, ni l'autre ne sont en mesure de peser de façon décisive sur les affaires du monde.
L'Europe a besoin de la Russie. Et qu'il me soit permis de dire ici, que la Russie a besoin de l'Europe. La Russie veut être respectée pour ce qu'elle est et elle a raison, parce que la Russie est un grand peuple, une grande puissance, une grande civilisation qui a trop souffert.
L'Europe respecte la Russie.
La Russie veut être connue comme une vieille et grande nation que son histoire et la vitalité de son peuple appellent à jouer un grand rôle sur la scène du monde. Et la Russie a raison. Sa place est aux côtés des grands du monde. L'Europe reconnaît cette place.
L'Europe veut que la Russie joue tout son rôle. L'Europe ne veut pas d'une petite Russie. L'Europe souhaite une grande Russie. L'Europe sera toujours avec la Russie pour qu'elle soit respectée et qu'elle soit reconnue. La France plaidera toujours dans le monde et en Europe la cause de la Russie.
Mais la France dit à la Russie : ''vous êtes un grand du monde, vous en avez tous les droits, mais vous devez également en exercer tous les devoirs, comme la France'. Il n'y a pas de droit sans devoir.
La France dit à la Russie : ''vous êtes un grand peuple, une grande civilisation, une grande nation, vous comptez dans les affaires du monde, mettez votre force au service de la paix dans le monde, pas au service de la division du monde'. On est un grand du monde, quand on est un facteur de paix.
La Russie est observée partout dans le monde. Ce que vous faites est admiré. Mais la Russie doit savoir qu'elle doit être un exemple. Que ce qu'elle fait de bien est admiré et respecté. Et quand il y a des choses qui ne vont pas, comme en France, la Russie doit aussi faire tous ses efforts pour les corriger.
C'est par l'alliance avec l'Europe que la Russie retrouvera son statut de grande puissance internationale.
La France est l'amie de la Russie. Et la Russie peut compter sur cette amitié. Mais je suis venu vous dire qu'entre amis, on doit se parler. On ne doit pas évacuer les problèmes. On doit les regarder en face. Etre des amis, c'est cela aussi. Etre franc sur ses accords et sur ses désaccords.
La Russie sera d'autan plus reconnue et d'autan plus respectée qu'elle s'engagera dans les affaires du monde, non seulement au nom de ses propres intérêts, ce qui est parfaitement légitime, mais aussi au nom de l'intérêt de tous les hommes. Cela vaut aussi naturellement pour la France.
La France n'a jamais regardé la stabilité, la prospérité, la puissance de la Russie comme une menace pour le monde, mais au contraire comme un facteur essentiel de son équilibre.
La confiance retrouvée de la Russie peut contribuer à la stabilité du monde. La Russie a raison de plaider que nulle nation n'a la légitimité, ni les moyens de décider seule pour toutes les autres. Nulle nation, pas même la première. La Russie a raison de dire que la réalité du monde qui se construit sous nos yeux est multipolaire.
Mais le monde est dangereux, il exige plus de coopération et plus de droit international.
La France veut que la Russie rejoigne l'Europe pour pouvoir, mains dans la main, faire triompher ses convictions. Europe et Russie, nous devons travailler ensemble. La France espère dans cet élan du coeur et de la raison qui pousse depuis toujours les peuples européens et le peuple russe à se rapprocher.
Cet élan, je voudrais en terminer par là, viendra d'abord de vous, les jeunes. Vos parents vous laissent ce monde. Mais ce monde vous allez le laisser à vos enfants. Vous êtes responsables de ce qu'il va devenir. Vous prenez la société russe à un moment de son histoire. Vous allez l'accompagner dans son développement et dans son changement. Eh bien cet élan, je veux que la jeunesse russe et la jeunesse française le construisent avec enthousiasme, avec audace, avec idéalisme.
Ayez de grands rêves pour avoir de grandes vies. Avec des petits rêves, on a des petites vies. Ne laissez personne vous voler vos rêves. Ayez le plus d'ambition possible. Ne laissez personne réduire vos ambitions. Ayez de l'ambition pour vous pour vos familles pour votre pays. Mais mettez cette ambition au service de la coopération entre les peuples, de l'amitié entre les peuples, de la paix entre les peuples.
Changez le monde. Jeunesse de Russie, vos parents ont connus tant d'épreuves et pourtant, vous êtes la comme toutes les autres jeunesses. Ce qui montre que la jeunesse est plus forte que tous les totalitarismes. On n'a pas atteint l'âme russe, elle continue de vivre dans la jeunesse russe.
Quand je vous vois, quand je vois cette jeunesse russe pleine de vie, pleine de talent, pleine de générosité, pleine d'ardeur, alors malgré tout les tragédies qui bouleversent le monde, malgré les drames, malgré les menaces, malgré les dangers, je me prends à espérer que l'humanité va se ressaisir, et qu'ensemble nous allons construire un monde meilleur.
Je ne suis pas venu donner des leçons. Je n'en ai aucun titre et aucun droit. On ne donne pas de leçons au peuple russe. Je suis simplement venu vous dire : ''Grand vous l'êtes redevenus. Soyez des facteurs de paix, soyez exemplaire, construisez une société russe apaisée, ouverte, démocratique, tolérante et le monde vous en sera reconnaissant'.
Je vous remercie.
Merci beaucoup. Bien sur, s'il y a des questions, j'y répondrai bien volontiers.
QUESTION - Monsieur le Président, comment voyez-vous l'avenir de la coopération franco-russe dans le domaine de l'aviation, et en particulier du super jet 100 ?
LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE - J'ai commencé à parler avec le Président POUTINE et j'aurai un déjeuner et une réunion de travail avec lui. Je souhaite que nous ne nous voyions plus en concurrents mais en partenaires. Je pense qu'il y a deux domaines où nous pourrions être des partenaires stratégiques, deux domaines qui vous concernent : l'énergie et l'aéronautique. Le Super Jet 100 est une réussite de l'industrie aéronautique russe qui sort de chez SOUKHOÏ. La France est prête à travailler sur d'autres projets avec la Russie.
Mais je veux parler du nucléaire. Il y a deux voies pour nous : être concurrents ou être partenaires. Pourquoi, ne serions-nous pas partenaires ? Nous avons à travailler ensemble au développement de nouvelles générations de centrales nucléaires, à la sécurité de ces centrales. Qu'il me soit permis de dire que, contrairement à ce que j'entends, c'est un devoir que l'on travaille ensemble. Quand une centrale explose, les conséquences ne sont pas limitées à la seule région où elle a explosée. Les autres pays sont concernés. Je souhaite que nous développions les accordes entre nos ingénieurs sur la filière nucléaire.
Enfin, j'ai dit à notre ambassadeur que je voulais mettre en place un système de collaboration beaucoup plus ambitieux entre les universités russes et les universités françaises. Je souhaite que davantage d'étudiants russes puissent venir en France, que des étudiants français viennent en Russie et que notre partenariat soit beaucoup plus ambitieux.
Vous savez, Monsieur, l'avenir du monde, c'est que dans chaque pays les jeunes doivent avoir le choix d'aller faire leurs études dans leur pays ou dans les autres pays. Ce que je poserai avec le Président POUTINE, c'est les bases d'une collaboration économique et de recherche très ambitieuse. La Russie et la France n'ont d'autre choix que la collaboration et l'amitié. S'il n'y a pas de collaboration et de partenariat, il n'y aura pas d'amitié. Et s'il n'y a pas d'amitié, il n'y aura pas de stabilité. Or la Russie et la France, ont besoin de cette stabilité.
QUESTION - Monsieur le Président, quelles sont les perspectives des étudiants russes en France ? Contacts, stages, voyages ?
LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE - Pouvez-vous me répéter les
perspectives de ... ?
QUESTION - Des étudiants russes
LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE - Je vous l'ai dit. Je souhaite ouvrir les possibilités pour les étudiants russes de venir en France. Non seulement de venir étudier mais d'y avoir une première expérience professionnelle. Vous êtes les bienvenus dans notre pays.
Mais je vais vous dire autre chose. La Russie aujourd'hui a la chance d'être un pays producteur de matière première : le pétrole et le gaz. La Russie a une croissance exceptionnelle. La Russie a un budget excédentaire. Mais la Russie doit penser à l'avenir, quand il n'y aura plus de pétrole et quand il y aura moins de gaz. La Russie aura besoin alors, pour soutenir sa croissance, d'investissements internationaux sur son territoire. Je souhaite donc des étudiants russes en France, des investissements russes en France. Mais je dis à nos amis russes : pour trouver le second souffle de votre croissance, après la période des matières premières, vous aurez besoin aussi de l'investissement du monde entier dans votre pays, pour développer un pays de 142 millions d'habitants, des territoires immenses.
Il n'y a pas d'autre choix pour nous que celui de l'ouverture. C'est cela que je suis venu plaider auprès de vos dirigeants. Ouvrir le pays, ouvrir la Russie, ouvrir la France. Ne jamais refermer un pays. Au fond, aimer son pays, être fier de lui, vouloir le développer, c'est lui demander de tendre la main aux autres et non pas de la refermer.
Je sais que pour le peuple russe, c'est une affaire complexe et difficile. Parce que les 20 dernières années, l'Histoire ne vous a pas épargnés. Mais c'est très important de comprendre cette histoire, de ne pas vouloir se venger de cette histoire, de vouloir la transcender, cette histoire, pour que plus jamais cette histoire ne recommence.
L'Europe est là pour vous aider, tendez la main aux autres. Vous êtes forts. Vous êtes respectés. Vous êtes aimés. Jouez tout votre rôle dans le monde, en vous ouvrant aux autres, et les autres s'ouvriront à vous. C'est en cela que la jeunesse russe peut jouer tout son rôle et prendre la part de ses responsabilités, beaucoup plus que vous ne l'imaginez, dans le destin du monde.
QUESTION - Bonjour, Monsieur le Président. J'ai deux questions à vous poser. Une question brève et sérieuse. Disons que la deuxième question est un peu plus polémique et j'espère que vous me pardonnerez.
La première question : Merci pour vos propose liminaires. Mais pourriez-vous répondre à la question suivante : êtes-vous vraiment partisan d'un monde pluri polaire, multipolaire, parce que dans ce que vous venez de dire, nous avons entendu des paroles que prononce aussi notre Président, par exemple à Munich. Est-ce que vous êtes vraiment partisan d'un monde pluri polaire ? Deuxième question, et je pense que c'est une question qui peut être intéressante mais qui est peut-être moins sérieuse : vous savez, en Russie, Courchevel est devenu quelque chose de légendaire. Le nom de votre station de ski. En particulier après les incidents avec Mikhaïl PROKHOROFF. Ne croyez pas que nous soyons ici ravis de la façon dont les représentants de notre monde des affaires passent leurs loisirs en France, mais au moment où ont lieu ces événements scandaleux, ne pensez-vous pas que l'attitude du gouvernement français n'est pas seulement une défense de la moralité mais
plutôt un geste contre les hommes d'affaires et le monde des affaires russes ?
Merci beaucoup, Monsieur le Président.
LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE - D'abord, je voudrais vous dire que cette question n'était pas du tout impertinente. Je viens ici pour que vous me posiez des questions. Pour moi, ce qui n'irait pas, c'est que vous ne m'en posiez pas. J'en pose bien à la Russie, moi, des questions. Pourquoi, la Russie ne m'en poserait-elle pas ?
Je vais vous répondre très franchement. Sur la première question, je suis un ami des Etats-Unis, mais ami, cela ne veut pas dire vassal. J'ai des désaccords avec les Etats-Unis. Dans une famille, vous pouvez aimer les gens de votre famille sans être obligé d'être d'accord sur tout. Je vous dis les choses de la façon la plus claire. Le monde d'aujourd'hui peut être régenté par une puissance, fut-elle la première. Chaque pays a le droit d'exister, et aucun, aucun ne doit s'aligner sous prétexte qu'il y a en un plus puissant. Ce que je dis des Etats-Unis à l'endroit de la Russie, je pourrais le dire de la Russie à l'endroit des Etats-Unis, je pourrais le dire de ses voisins. Même principe, mêmes valeurs. Il n'y a pas dans le monde, de mon point de vue, de pays qui a plus de droits et de pays qui ont moins de droits. Il y a des nations qui veulent vivre, qui veulent vivre libre et qui ont le droit à cette liberté. J'espère avoir répondu à cette première question avec franchise.
J'ai dit au Président POUTINE : qu'il veuille redonner son statut de grande puissance internationale à la Russie, personne ne peut lui reprocher, personne, parce que c'est sont devoir de Chef de l'Etat. Mais je dis, de la même façon : les droits que la Russie, à juste titre, veut pour elle, elle doit les reconnaître pour les autres. Je pense qu'il y a eu des malentendus, il faut qu'on s'en explique. C'est la première question.
La deuxième question : vous êtes les bienvenus en France, homme d'affaires, touristes, jeunes, riches ou moins riches. Mais en France, il y a une règle qui est celle de l'indépendance de la justice.
La médiatisation de l'affaire de Courchevel était sans doute regrettable mais vous apprendrez une chose, c'est que dans les démocraties, il faut toujours préférer les excès de la médiatisation à l'insuffisance de la liberté de la presse. Je ne suis pas venu vous dire qu'il n'y a pas d'excès. Certainement qu'il y en a eu et sans doute cela a blessé des gens. Mais je préférai toujours - je dis ma part de vérité - les excès de la liberté à l'insuffisance de liberté.
Si vous venez en France, je vous invite bien volontiers, vous verrez que les critiques sur moi, dans la presse, sont régulières, sont nombreuses, ne sont pas toujours justifiées mais que mon devoir c'est de les accepter, parce que c'est la démocratie. Et sur l'action des juges, je peux ne pas être toujours d'accord, je peux avoir mon opinion mais mon devoir c'est de l'accepter. Parce qu'un pays où la justice n'est pas indépendante ce n'est pas un pays libre. Ce n'est pas au chef de l'Etat de faire cela.
Je sais que cela peut surprendre mais vous connaitrez cela un jour. C'est ce que je vous souhaite parce que l'évolution des choses fait que chaque pouvoir souhaite exercer ses responsabilités. Croyez bien que la justice en France ne ménage personne : ministres, hommes politiques, journalistes, chefs d'entreprise. C'est la réalité du monde démocratique et il nous faut l'accepter.
Croyez bien que, dans ce qui c'est passé à Courchevel, il n'y avait aucun sentiments d'aigreur à l'endroit des Russes, aucun. Cela aurait pu être n'importe quelle nationalité mais la justice a estimé qu'elle avait des explications à demander à une personne. Je ne sais pas ce qu'il y a dans le dossier, mais elle l'a estimé. Si cela vous a blessé, J'en suis désolé. Mais il faut que vous compreniez que dans mon pays, chaque pouvoir doit rendre des comptes et que personne n'est au dessus de la loi. Croyez bien, ce n'est pas si facile d'être chef d'un Etat démocratique. Mais c'est tellement mieux de vivre dans une démocratie.
Enfin, le dernier point, c'est toute la question de la transparence, de la liberté de la presse. Il peut y avoir des excès, il peut m'arriver moi-même d'être blessé par ce que l'on écrit de moi, sur moi. Mais ces blessures représentent bien peu de choses par rapport à la blessure plus profonde d'un pays qu'on n'a pas le droit d'écrire librement. Quand il y a la fameuse affaire des caricatures du prophète, dans la presse du monde, j'ai été de ceux qui ont toujours dit : je préfère l'excès de caricature à l'absence de caricature. Ma façon de vous répondre : excès il y a eu, mais cet excès, c'est la contrepartie d'une société libre. Il n'était pas possible de faire autrement.
Maintenant je vous souhaite d'avoir les moyens d'aller à Courchevel, parce que c'est une très belle station. Je ne suis pas sûr, moi, d'avoir les moyens de vous inviter.
QUESTION - Monsieur le Président, vous savez qu'en Russie on s'intéresse beaucoup à l'innovation. Que se passe-t-il en France en ce qui concerne l'innovation ? Je pense en particulier à de jeunes gens, de jeunes étudiants qui voudraient justement participer à ces efforts d'innovation. Et deuxième question : que fait-on en France pour aider les étudiants à mettre en oeuvre leurs idées et en particulier lorsque des activités de recherche sont prévues ? Qu'est-ce qui est fait pour que les étudiants participent à cela ?
LE PRESIDENT - Nous rentrons dans le monde de la connaissance. Les pays qui gagneront sont les pays qui innoveront. Je ne vais pas entrer dans le détail des mesures fiscales que nous avons mises en oeuvre pour aider les entreprises à innover. Mais je vais vous parler d'une seule idée que nous allons mettre en oeuvre. J'ai demandé à ce que toutes les facultés de France, les universités de France soient déclarées zone franche. Qu'est-ce que cela veut dire ? Que chaque étudiant qui souhaite créer son entreprise pour innover, pour inventer, pour entreprendre puisse le faire dans des locaux mis à sa disposition dans l'université française en franchise d'impôts. Pour aider les jeunes entreprises et pour aider les nouveaux créateurs, quel est le grand problème ? Que toute la connaissance accumulée dans les universités puisse se transmettre à la connaissance accumulée dans les entreprises, pour trouver un marché, pour créer de nouveaux produits, pour créer de la richesse, pour créer de la croissance et pour créer de l'emploi.
Donc, nous allons aider tous les étudiants qui veulent créer leurs entreprises à la démarrer dans le cadre de l'université qui est la leur, sans qu'ils ne soient obligés de payer des impôts, pour les aider dans le développement de cette entreprise.
Au fond, c'est ce qui s'est passé dans l'une des plus grandes universités du monde, qui est l'université de Stanford en Californie. Au lendemain de la guerre, ils n'avaient plus d'argent et ils ont eu cette idée géniale de donner des locaux aux étudiants qui voulaient créer leurs entreprises et de leur laisser développer leurs entreprises sans payer d'impôts. Dans ces étudiants, il y avait deux inconnus qui allaient réussir : il y en avait un qui s'appelait HEWLETT, l'autre qui s'appelait PACKARD, et à eux deux ils ont créé l'une des plus grandes entreprises du monde. C'est parti du campus universitaire de Stanford.
Parce que toute la connaissance accumulée ne servira à rien si elle ne rencontre pas des investisseurs. Parce que toute la connaissance accumulée ne servira à rien si elle n'a pas son débouché sur la création de marchés de produits, de valeur ajoutée.
C'est cela qui est en train de se jouer en France. Et c'est pour cela que j'ai voulu l'autonomie des universités françaises : pour leur donner la liberté d'engager des programmes de recherche, de recruter des professeurs, les meilleurs dans le monde. En France on ne parlait que de statut, j'ai voulu donner la liberté, parce qu'il faut faire confiance aux professeurs, aux enseignants, aux étudiants et les laisser chercher dans la direction qu'ils souhaitent.
Je vous remercie de votre attention et je vous remercie de cette rencontre.
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais vous dire combien je suis heureux d'être parmi vous. Vous qui êtes les professeurs et les élites d'une des plus prestigieuses universités de Russie. Vous êtes les citoyens d'un grand pays qui a joué un grand rôle dans l'histoire du monde et dont la contribution aux arts et aux sciences n'a cessé au cours des siècles d'être inestimable.
Oui, Monsieur le Recteur, je connais les noms prestigieux de cette Université, SOUKHOÏ, TUPOLEV, JOUKOVSKI, KOROLEV, ce sont des scientifiques de renommée mondiale qui ont étudié sur les bancs de cette université. Il existe entre nos deux nations des liens très profonds, des liens qui ont été tissés par l'histoire et par le sentiment.
La France et la Russie se sont parfois combattues. Mais nos deux peuples ne se sont jamais haïs. Nos deux peuples éprouvent l'un pour l'autre de l'amitié et de la fraternité.
Nos deux peuples ont en commun d'avoir traversé des épreuves terribles et la Russie a traversé des épreuves terribles sans que jamais son âme ne disparaisse. L'âme russe a survécu au totalitarisme, elle a même fini par le vaincre comme l'âme française a fini par être plus forte que tout ce qui menaçait de la détruire.
Depuis toujours, nos deux peuples, le peuple russe et le peuple français, se respectent. Ils savent au fond d'eux-mêmes que ce qu'ils ont en commun est plus fort que ce qui les sépare.
Depuis toujours, nos deux peuples ont le pressentiment que l'amitié de la Russie et de la France est nécessaire à l'équilibre du monde. Pour l'équilibre du monde nous devons être amis.
Alors, à travers vous, j'apporte le salut de la jeunesse française à la jeunesse de Russie. On dit que, désormais, toutes les jeunesses du monde se ressemblent. Moi je pense qu'elles ne ressemblent pas, mais qu'elles se comprennent. Qu'elles aspirent toutes à devenir maîtresse de leur destinée et que toutes les jeunesses du monde placent cette destinée à l'échelle du monde et non pas à l'échelle de son seul pays.
La jeunesse d'aujourd'hui, quelle que soit sa nationalité, veut conquérir le monde. Elle veut le façonner à son image. Elle veut que le monde de demain ressemble à ses rêves.
Vous êtes l'élite intellectuelle d'un des plus grands pays du monde, la Russie. Vous êtes destinés à devenir des savants, des ingénieurs, les techniciens qui construiront la Russie nouvelle. De votre savoir, de votre intelligence va naître un monde nouveau, une Russie nouvelle.
Dans ce monde nouveau, la Russie et la France doivent s'unir pour que ce monde soit en paix, pour qu'il soit plus heureux, pour que ce monde soit plus juste. C'est notre devoir de porter ces idées.
Songez à ce que la Russie et la France peuvent accomplir ensemble dans le spatial, dans l'aéronautique, dans le nucléaire, dans l'énergie, dans l'automobile, dans les transports. Ne travaillons pas les uns contre les autres, travaillons ensemble.
Songez à cette grande tradition mathématique qui est commune à la Russie et à la France et que nous devons faire fructifier ensemble. Songez à cette culture commune qui fait de la Russie et de la France, Monsieur le Recteur, deux pays d'ingénieurs.
Songez à ce que nos entreprises sont capables de faire lorsqu'elles cessent d'être rivales et lorsqu'elles deviennent partenaires. Je suis fier que les tirs de fusée Soyouz partent du centre de Kourou, en Guyane française. Je suis fier de l'avion régional Super Jet 100 qui vient de sortir de vos usines et dont les entreprises françaises construisent 35%.
Voilà ce que peut donner la coopération entre les Russes et les Français. Je souhaite que cette coopération soit beaucoup plus forte, que nos entreprises, nos universités, nos écoles, nos laboratoires, nos chercheurs, nos étudiants travaillent ensemble. Les étudiants russes sont les bienvenus dans nos écoles en France.
Je souhaite que la jeunesse russe, qui a tant d'espoir, et la jeunesse française rêvent ensemble et que ce rêve de nos deux jeunesses soulève le monde. Je ne veux pas d'un monde aplati.
Si la jeunesse le veut, les droits de l'Homme seront respectés, les hommes et les idées circuleront librement et les frontières seront ouvertes.
Si la jeunesse le veut, la solidarité entre les peuples triomphera des égoïsmes nationaux.
Aimer son pays, ce n'est pas détester l'autre.
Aimer son pays, ce n'est pas haïr le voisin.
Aimer son pays, c'est l'ouvrir aux autres.
Si la jeunesse le veut, l'humanité prendra enfin conscience de la menace qu'elle fait peser sur l'avenir de la planète et s'engagera résolument dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Si la jeunesse le veut, les chocs des civilisations ne se produiront pas.
Si la jeunesse le veut, la guerre des religions n'aura pas lieu, ni les guerres de la faim, ni les guerres de l'eau.
Si la jeunesse le veut, le monde vivra en paix.
Nous savons que nous avons à construire tous ensemble un nouvel ordre du monde. Et ce nouvel ordre du monde ne doit pas reposer sur la volonté de puissance, ni sur la force.
Dans ce monde où vous allez vivre, le sort de chacun dépend de celui de tous. Il n'y a pas d'un côté les Russes, de l'autre les Français. Chacun d'entre nous est responsable, pour une part, de l'avenir de ce monde et nul ne peut espérer relever les défis planétaires avec ses seuls moyens.
Travailler ensemble n'est pas un choix, c'est une obligation dans le monde d'aujourd'hui. Nul ne peut plus espérer accomplir seul son destin. Nul ne peut plus espérer que ses frontières le mettent à l'abri des malheurs du monde. Nul ne peut espérer se développer en vivant replié sur lui-même, à l'égard du grand métissage de l'esprit humain, du grand brassage des cultures et des connaissances.
Vous voulez développer la Russie. Vous avez voulu relever la Russie. Vous y êtes arrivés. Mais faites le en vous ouvrant aux autres, non pas en vous repliant sur vous-mêmes. Seul, chaque pays est fragile. Avec les autres, chaque pays est fort.
A l'ONU, au nom de la France, j'ai proposé un '' new deal ' écologique et économique planétaire comme la condition d'un nouvel ordre mondial. Dans ce nouvel ordre, la Russie et la France, en unissant leur force et leur volonté, peuvent contribuer de façon décisive à le construire.
La Russie a son identité propre, elle a sa spécificité. Mais la Russie et l'Europe doivent travailler ensemble, doivent se comprendre, doivent collaborer, doivent s'entraider.
La Russie et la France unies par une même volonté, par les valeurs de civilisation qu'elles ont en commun, peuvent convaincre le monde entier de la nécessité de vivre en paix.
Je veux parler ici au nom de toute l'Europe, et pas seulement de la France. Je veux dire à la Russie, au nom de l'Europe, que lorsque l'Europe et la Russie s'affrontent, elles s'affaiblissent mutuellement. Nous avons tout à perdre d'un affrontement entre nous.
Je veux dire à la Russie, je veux dire à la jeunesse russe, que le lorsque le fossé se creuse entre l'Europe et la Russie, ni l'une, ni l'autre ne sont en mesure de peser de façon décisive sur les affaires du monde.
L'Europe a besoin de la Russie. Et qu'il me soit permis de dire ici, que la Russie a besoin de l'Europe. La Russie veut être respectée pour ce qu'elle est et elle a raison, parce que la Russie est un grand peuple, une grande puissance, une grande civilisation qui a trop souffert.
L'Europe respecte la Russie.
La Russie veut être connue comme une vieille et grande nation que son histoire et la vitalité de son peuple appellent à jouer un grand rôle sur la scène du monde. Et la Russie a raison. Sa place est aux côtés des grands du monde. L'Europe reconnaît cette place.
L'Europe veut que la Russie joue tout son rôle. L'Europe ne veut pas d'une petite Russie. L'Europe souhaite une grande Russie. L'Europe sera toujours avec la Russie pour qu'elle soit respectée et qu'elle soit reconnue. La France plaidera toujours dans le monde et en Europe la cause de la Russie.
Mais la France dit à la Russie : ''vous êtes un grand du monde, vous en avez tous les droits, mais vous devez également en exercer tous les devoirs, comme la France'. Il n'y a pas de droit sans devoir.
La France dit à la Russie : ''vous êtes un grand peuple, une grande civilisation, une grande nation, vous comptez dans les affaires du monde, mettez votre force au service de la paix dans le monde, pas au service de la division du monde'. On est un grand du monde, quand on est un facteur de paix.
La Russie est observée partout dans le monde. Ce que vous faites est admiré. Mais la Russie doit savoir qu'elle doit être un exemple. Que ce qu'elle fait de bien est admiré et respecté. Et quand il y a des choses qui ne vont pas, comme en France, la Russie doit aussi faire tous ses efforts pour les corriger.
C'est par l'alliance avec l'Europe que la Russie retrouvera son statut de grande puissance internationale.
La France est l'amie de la Russie. Et la Russie peut compter sur cette amitié. Mais je suis venu vous dire qu'entre amis, on doit se parler. On ne doit pas évacuer les problèmes. On doit les regarder en face. Etre des amis, c'est cela aussi. Etre franc sur ses accords et sur ses désaccords.
La Russie sera d'autan plus reconnue et d'autan plus respectée qu'elle s'engagera dans les affaires du monde, non seulement au nom de ses propres intérêts, ce qui est parfaitement légitime, mais aussi au nom de l'intérêt de tous les hommes. Cela vaut aussi naturellement pour la France.
La France n'a jamais regardé la stabilité, la prospérité, la puissance de la Russie comme une menace pour le monde, mais au contraire comme un facteur essentiel de son équilibre.
La confiance retrouvée de la Russie peut contribuer à la stabilité du monde. La Russie a raison de plaider que nulle nation n'a la légitimité, ni les moyens de décider seule pour toutes les autres. Nulle nation, pas même la première. La Russie a raison de dire que la réalité du monde qui se construit sous nos yeux est multipolaire.
Mais le monde est dangereux, il exige plus de coopération et plus de droit international.
La France veut que la Russie rejoigne l'Europe pour pouvoir, mains dans la main, faire triompher ses convictions. Europe et Russie, nous devons travailler ensemble. La France espère dans cet élan du coeur et de la raison qui pousse depuis toujours les peuples européens et le peuple russe à se rapprocher.
Cet élan, je voudrais en terminer par là, viendra d'abord de vous, les jeunes. Vos parents vous laissent ce monde. Mais ce monde vous allez le laisser à vos enfants. Vous êtes responsables de ce qu'il va devenir. Vous prenez la société russe à un moment de son histoire. Vous allez l'accompagner dans son développement et dans son changement. Eh bien cet élan, je veux que la jeunesse russe et la jeunesse française le construisent avec enthousiasme, avec audace, avec idéalisme.
Ayez de grands rêves pour avoir de grandes vies. Avec des petits rêves, on a des petites vies. Ne laissez personne vous voler vos rêves. Ayez le plus d'ambition possible. Ne laissez personne réduire vos ambitions. Ayez de l'ambition pour vous pour vos familles pour votre pays. Mais mettez cette ambition au service de la coopération entre les peuples, de l'amitié entre les peuples, de la paix entre les peuples.
Changez le monde. Jeunesse de Russie, vos parents ont connus tant d'épreuves et pourtant, vous êtes la comme toutes les autres jeunesses. Ce qui montre que la jeunesse est plus forte que tous les totalitarismes. On n'a pas atteint l'âme russe, elle continue de vivre dans la jeunesse russe.
Quand je vous vois, quand je vois cette jeunesse russe pleine de vie, pleine de talent, pleine de générosité, pleine d'ardeur, alors malgré tout les tragédies qui bouleversent le monde, malgré les drames, malgré les menaces, malgré les dangers, je me prends à espérer que l'humanité va se ressaisir, et qu'ensemble nous allons construire un monde meilleur.
Je ne suis pas venu donner des leçons. Je n'en ai aucun titre et aucun droit. On ne donne pas de leçons au peuple russe. Je suis simplement venu vous dire : ''Grand vous l'êtes redevenus. Soyez des facteurs de paix, soyez exemplaire, construisez une société russe apaisée, ouverte, démocratique, tolérante et le monde vous en sera reconnaissant'.
Je vous remercie.
Merci beaucoup. Bien sur, s'il y a des questions, j'y répondrai bien volontiers.
QUESTION - Monsieur le Président, comment voyez-vous l'avenir de la coopération franco-russe dans le domaine de l'aviation, et en particulier du super jet 100 ?
LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE - J'ai commencé à parler avec le Président POUTINE et j'aurai un déjeuner et une réunion de travail avec lui. Je souhaite que nous ne nous voyions plus en concurrents mais en partenaires. Je pense qu'il y a deux domaines où nous pourrions être des partenaires stratégiques, deux domaines qui vous concernent : l'énergie et l'aéronautique. Le Super Jet 100 est une réussite de l'industrie aéronautique russe qui sort de chez SOUKHOÏ. La France est prête à travailler sur d'autres projets avec la Russie.
Mais je veux parler du nucléaire. Il y a deux voies pour nous : être concurrents ou être partenaires. Pourquoi, ne serions-nous pas partenaires ? Nous avons à travailler ensemble au développement de nouvelles générations de centrales nucléaires, à la sécurité de ces centrales. Qu'il me soit permis de dire que, contrairement à ce que j'entends, c'est un devoir que l'on travaille ensemble. Quand une centrale explose, les conséquences ne sont pas limitées à la seule région où elle a explosée. Les autres pays sont concernés. Je souhaite que nous développions les accordes entre nos ingénieurs sur la filière nucléaire.
Enfin, j'ai dit à notre ambassadeur que je voulais mettre en place un système de collaboration beaucoup plus ambitieux entre les universités russes et les universités françaises. Je souhaite que davantage d'étudiants russes puissent venir en France, que des étudiants français viennent en Russie et que notre partenariat soit beaucoup plus ambitieux.
Vous savez, Monsieur, l'avenir du monde, c'est que dans chaque pays les jeunes doivent avoir le choix d'aller faire leurs études dans leur pays ou dans les autres pays. Ce que je poserai avec le Président POUTINE, c'est les bases d'une collaboration économique et de recherche très ambitieuse. La Russie et la France n'ont d'autre choix que la collaboration et l'amitié. S'il n'y a pas de collaboration et de partenariat, il n'y aura pas d'amitié. Et s'il n'y a pas d'amitié, il n'y aura pas de stabilité. Or la Russie et la France, ont besoin de cette stabilité.
QUESTION - Monsieur le Président, quelles sont les perspectives des étudiants russes en France ? Contacts, stages, voyages ?
LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE - Pouvez-vous me répéter les
perspectives de ... ?
QUESTION - Des étudiants russes
LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE - Je vous l'ai dit. Je souhaite ouvrir les possibilités pour les étudiants russes de venir en France. Non seulement de venir étudier mais d'y avoir une première expérience professionnelle. Vous êtes les bienvenus dans notre pays.
Mais je vais vous dire autre chose. La Russie aujourd'hui a la chance d'être un pays producteur de matière première : le pétrole et le gaz. La Russie a une croissance exceptionnelle. La Russie a un budget excédentaire. Mais la Russie doit penser à l'avenir, quand il n'y aura plus de pétrole et quand il y aura moins de gaz. La Russie aura besoin alors, pour soutenir sa croissance, d'investissements internationaux sur son territoire. Je souhaite donc des étudiants russes en France, des investissements russes en France. Mais je dis à nos amis russes : pour trouver le second souffle de votre croissance, après la période des matières premières, vous aurez besoin aussi de l'investissement du monde entier dans votre pays, pour développer un pays de 142 millions d'habitants, des territoires immenses.
Il n'y a pas d'autre choix pour nous que celui de l'ouverture. C'est cela que je suis venu plaider auprès de vos dirigeants. Ouvrir le pays, ouvrir la Russie, ouvrir la France. Ne jamais refermer un pays. Au fond, aimer son pays, être fier de lui, vouloir le développer, c'est lui demander de tendre la main aux autres et non pas de la refermer.
Je sais que pour le peuple russe, c'est une affaire complexe et difficile. Parce que les 20 dernières années, l'Histoire ne vous a pas épargnés. Mais c'est très important de comprendre cette histoire, de ne pas vouloir se venger de cette histoire, de vouloir la transcender, cette histoire, pour que plus jamais cette histoire ne recommence.
L'Europe est là pour vous aider, tendez la main aux autres. Vous êtes forts. Vous êtes respectés. Vous êtes aimés. Jouez tout votre rôle dans le monde, en vous ouvrant aux autres, et les autres s'ouvriront à vous. C'est en cela que la jeunesse russe peut jouer tout son rôle et prendre la part de ses responsabilités, beaucoup plus que vous ne l'imaginez, dans le destin du monde.
QUESTION - Bonjour, Monsieur le Président. J'ai deux questions à vous poser. Une question brève et sérieuse. Disons que la deuxième question est un peu plus polémique et j'espère que vous me pardonnerez.
La première question : Merci pour vos propose liminaires. Mais pourriez-vous répondre à la question suivante : êtes-vous vraiment partisan d'un monde pluri polaire, multipolaire, parce que dans ce que vous venez de dire, nous avons entendu des paroles que prononce aussi notre Président, par exemple à Munich. Est-ce que vous êtes vraiment partisan d'un monde pluri polaire ? Deuxième question, et je pense que c'est une question qui peut être intéressante mais qui est peut-être moins sérieuse : vous savez, en Russie, Courchevel est devenu quelque chose de légendaire. Le nom de votre station de ski. En particulier après les incidents avec Mikhaïl PROKHOROFF. Ne croyez pas que nous soyons ici ravis de la façon dont les représentants de notre monde des affaires passent leurs loisirs en France, mais au moment où ont lieu ces événements scandaleux, ne pensez-vous pas que l'attitude du gouvernement français n'est pas seulement une défense de la moralité mais
plutôt un geste contre les hommes d'affaires et le monde des affaires russes ?
Merci beaucoup, Monsieur le Président.
LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE - D'abord, je voudrais vous dire que cette question n'était pas du tout impertinente. Je viens ici pour que vous me posiez des questions. Pour moi, ce qui n'irait pas, c'est que vous ne m'en posiez pas. J'en pose bien à la Russie, moi, des questions. Pourquoi, la Russie ne m'en poserait-elle pas ?
Je vais vous répondre très franchement. Sur la première question, je suis un ami des Etats-Unis, mais ami, cela ne veut pas dire vassal. J'ai des désaccords avec les Etats-Unis. Dans une famille, vous pouvez aimer les gens de votre famille sans être obligé d'être d'accord sur tout. Je vous dis les choses de la façon la plus claire. Le monde d'aujourd'hui peut être régenté par une puissance, fut-elle la première. Chaque pays a le droit d'exister, et aucun, aucun ne doit s'aligner sous prétexte qu'il y a en un plus puissant. Ce que je dis des Etats-Unis à l'endroit de la Russie, je pourrais le dire de la Russie à l'endroit des Etats-Unis, je pourrais le dire de ses voisins. Même principe, mêmes valeurs. Il n'y a pas dans le monde, de mon point de vue, de pays qui a plus de droits et de pays qui ont moins de droits. Il y a des nations qui veulent vivre, qui veulent vivre libre et qui ont le droit à cette liberté. J'espère avoir répondu à cette première question avec franchise.
J'ai dit au Président POUTINE : qu'il veuille redonner son statut de grande puissance internationale à la Russie, personne ne peut lui reprocher, personne, parce que c'est sont devoir de Chef de l'Etat. Mais je dis, de la même façon : les droits que la Russie, à juste titre, veut pour elle, elle doit les reconnaître pour les autres. Je pense qu'il y a eu des malentendus, il faut qu'on s'en explique. C'est la première question.
La deuxième question : vous êtes les bienvenus en France, homme d'affaires, touristes, jeunes, riches ou moins riches. Mais en France, il y a une règle qui est celle de l'indépendance de la justice.
La médiatisation de l'affaire de Courchevel était sans doute regrettable mais vous apprendrez une chose, c'est que dans les démocraties, il faut toujours préférer les excès de la médiatisation à l'insuffisance de la liberté de la presse. Je ne suis pas venu vous dire qu'il n'y a pas d'excès. Certainement qu'il y en a eu et sans doute cela a blessé des gens. Mais je préférai toujours - je dis ma part de vérité - les excès de la liberté à l'insuffisance de liberté.
Si vous venez en France, je vous invite bien volontiers, vous verrez que les critiques sur moi, dans la presse, sont régulières, sont nombreuses, ne sont pas toujours justifiées mais que mon devoir c'est de les accepter, parce que c'est la démocratie. Et sur l'action des juges, je peux ne pas être toujours d'accord, je peux avoir mon opinion mais mon devoir c'est de l'accepter. Parce qu'un pays où la justice n'est pas indépendante ce n'est pas un pays libre. Ce n'est pas au chef de l'Etat de faire cela.
Je sais que cela peut surprendre mais vous connaitrez cela un jour. C'est ce que je vous souhaite parce que l'évolution des choses fait que chaque pouvoir souhaite exercer ses responsabilités. Croyez bien que la justice en France ne ménage personne : ministres, hommes politiques, journalistes, chefs d'entreprise. C'est la réalité du monde démocratique et il nous faut l'accepter.
Croyez bien que, dans ce qui c'est passé à Courchevel, il n'y avait aucun sentiments d'aigreur à l'endroit des Russes, aucun. Cela aurait pu être n'importe quelle nationalité mais la justice a estimé qu'elle avait des explications à demander à une personne. Je ne sais pas ce qu'il y a dans le dossier, mais elle l'a estimé. Si cela vous a blessé, J'en suis désolé. Mais il faut que vous compreniez que dans mon pays, chaque pouvoir doit rendre des comptes et que personne n'est au dessus de la loi. Croyez bien, ce n'est pas si facile d'être chef d'un Etat démocratique. Mais c'est tellement mieux de vivre dans une démocratie.
Enfin, le dernier point, c'est toute la question de la transparence, de la liberté de la presse. Il peut y avoir des excès, il peut m'arriver moi-même d'être blessé par ce que l'on écrit de moi, sur moi. Mais ces blessures représentent bien peu de choses par rapport à la blessure plus profonde d'un pays qu'on n'a pas le droit d'écrire librement. Quand il y a la fameuse affaire des caricatures du prophète, dans la presse du monde, j'ai été de ceux qui ont toujours dit : je préfère l'excès de caricature à l'absence de caricature. Ma façon de vous répondre : excès il y a eu, mais cet excès, c'est la contrepartie d'une société libre. Il n'était pas possible de faire autrement.
Maintenant je vous souhaite d'avoir les moyens d'aller à Courchevel, parce que c'est une très belle station. Je ne suis pas sûr, moi, d'avoir les moyens de vous inviter.
QUESTION - Monsieur le Président, vous savez qu'en Russie on s'intéresse beaucoup à l'innovation. Que se passe-t-il en France en ce qui concerne l'innovation ? Je pense en particulier à de jeunes gens, de jeunes étudiants qui voudraient justement participer à ces efforts d'innovation. Et deuxième question : que fait-on en France pour aider les étudiants à mettre en oeuvre leurs idées et en particulier lorsque des activités de recherche sont prévues ? Qu'est-ce qui est fait pour que les étudiants participent à cela ?
LE PRESIDENT - Nous rentrons dans le monde de la connaissance. Les pays qui gagneront sont les pays qui innoveront. Je ne vais pas entrer dans le détail des mesures fiscales que nous avons mises en oeuvre pour aider les entreprises à innover. Mais je vais vous parler d'une seule idée que nous allons mettre en oeuvre. J'ai demandé à ce que toutes les facultés de France, les universités de France soient déclarées zone franche. Qu'est-ce que cela veut dire ? Que chaque étudiant qui souhaite créer son entreprise pour innover, pour inventer, pour entreprendre puisse le faire dans des locaux mis à sa disposition dans l'université française en franchise d'impôts. Pour aider les jeunes entreprises et pour aider les nouveaux créateurs, quel est le grand problème ? Que toute la connaissance accumulée dans les universités puisse se transmettre à la connaissance accumulée dans les entreprises, pour trouver un marché, pour créer de nouveaux produits, pour créer de la richesse, pour créer de la croissance et pour créer de l'emploi.
Donc, nous allons aider tous les étudiants qui veulent créer leurs entreprises à la démarrer dans le cadre de l'université qui est la leur, sans qu'ils ne soient obligés de payer des impôts, pour les aider dans le développement de cette entreprise.
Au fond, c'est ce qui s'est passé dans l'une des plus grandes universités du monde, qui est l'université de Stanford en Californie. Au lendemain de la guerre, ils n'avaient plus d'argent et ils ont eu cette idée géniale de donner des locaux aux étudiants qui voulaient créer leurs entreprises et de leur laisser développer leurs entreprises sans payer d'impôts. Dans ces étudiants, il y avait deux inconnus qui allaient réussir : il y en avait un qui s'appelait HEWLETT, l'autre qui s'appelait PACKARD, et à eux deux ils ont créé l'une des plus grandes entreprises du monde. C'est parti du campus universitaire de Stanford.
Parce que toute la connaissance accumulée ne servira à rien si elle ne rencontre pas des investisseurs. Parce que toute la connaissance accumulée ne servira à rien si elle n'a pas son débouché sur la création de marchés de produits, de valeur ajoutée.
C'est cela qui est en train de se jouer en France. Et c'est pour cela que j'ai voulu l'autonomie des universités françaises : pour leur donner la liberté d'engager des programmes de recherche, de recruter des professeurs, les meilleurs dans le monde. En France on ne parlait que de statut, j'ai voulu donner la liberté, parce qu'il faut faire confiance aux professeurs, aux enseignants, aux étudiants et les laisser chercher dans la direction qu'ils souhaitent.
Je vous remercie de votre attention et je vous remercie de cette rencontre.