14 septembre 2007 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, dans le quotidien hongrois "Népszabadsag" du 14 septembre 2007, notamment sur l'ouverture politique en France, l'avenir de la construction européenne et sur les relations franco-hongroises.

QUESTION - Monsieur le Président, le journal romain La Repubblica a consacré ces derniers jours un éditorial au '' modèle Sarkozy '', et votre politique est suivie également avec la plus grande attention dans d'autres pays. Pourriez-vous nous dire en quoi consiste la nouveauté de votre programme ?
LE PRESIDENT - Mon projet pour la France repose d'abord sur la volonté de réunir au-delà de ma propre famille politique, en s'adressant à l'immense majorité des Français, qui ne sont ni de droite, ni de gauche, mais tout simplement de bonne volonté. Beaucoup s'y sont reconnus, notamment parce qu'il s'agit d'un projet simple et clair : faire renaître l'espérance dans notre pays, en redonnant toute leur place aux valeurs essentielles que sont le travail, l'effort, le mérite, le respect et la fraternité.
Sur le fond, mon programme repose sur la franchise. Je n'ai jamais eu peur de dire la vérité : par exemple je n'ai pas caché aux Français, qu'à mon sens, on ne travaille pas assez dans notre pays comparé aux autres pays de l'OCDE. Dans cet esprit, je n'ai pas hésité à dire au cours de la campagne présidentielle tout ce que je ferais si j'étais élu. Vous constaterez d'ailleurs que depuis le 16 mai, mes premiers engagements sont tenus : réforme de l'enseignement supérieur et de la recherche, adoption de mesures visant à soutenir le pouvoir d'achat des Français, instauration d'un service minimum dans les transports, et, ma visite en Hongrie en est une des traductions majeures, le retour de la France sur la scène européenne.
QUESTION - Nombreux ont été ceux qui ont été surpris de voir que vous avez fait appel dans votre gouvernement et dans toute une série de groupes de travail à des personnalités politiques de gauche. Jusqu'ici, c'était là chose tout à fait inhabituelle, non seulement en France, mais aussi dans d'autres pays. Pourrait-on dire que la division droite-gauche de la classe politique est caduque?
LE PRESIDENT - Je ne crois pas que la division droite-gauche soit caduque. En effet, le 6 mai dernier, il y a eu un vote clair, qui s'est fait sur un projet que j'ai porté devant les Français sans renier ni les valeurs qui sont les miennes ni mes racines politiques. D'ailleurs, si vous prenez les hommes ou femmes venus de la gauche membres de mon gouvernement, je ne leur ai jamais demandé de renier leurs vues ou de brider leurs analyses. En revanche, j'ai toujours pensé que la partition totale qui existait jusqu'alors dans notre vie politique entre la majorité et l'opposition était stérile puisqu'elle consistait de fait à ignorer l'opposition pendant la durée d'une législature. C'est pour cela que j'ai choisi de reconnaître de véritables droits à l'opposition, telle que la possibilité donnée à un député de l'opposition de présider la commission des Finances de l'Assemblée nationale.
Dans ce contexte, pourquoi avoir initié une démarche d'ouverture ? Je crois que le Président de la République ne peut être ni l'homme d'un parti, ni celui d'un clan. Il est l'homme d'une nation toute entière. Dès lors, il est de mon devoir de ne pas rester enfermé, uniquement avec mes amis. De plus, je n'ai jamais compris le sectarisme qui consistait à imaginer que les meilleurs se trouvaient forcément dans son propre camp politique et que les autres n'avaient rien à apporter. Pourquoi devrais-je priver le pays de talents qui existent dans d'autres familles politiques ? Cela ne me dérange pas de bousculer certaines habitudes car l'enjeu le plus important pour moi, c'est le service de la France.
De plus, vous m'interrogiez il y a quelques instants sur l'originalité de mon programme. Vous avez vu qu'il repose sur la mise en place de nombreuses réformes. Et vous reconnaîtrez avec moi que ces réformes seront d'autant mieux acceptées dans le pays qu'elles seront portées par un gouvernement recouvrant un large spectre politique.
QUESTION - Il y a quelques années de cela, la France a inquiété l'Europe en votant contre le traité constitutionnel - qui avait pourtant été élaboré par un homme politique français, M. Valéry Giscard d'Estaing. Comment voyez-vous l'avenir de l'Europe et quel rôle destinez-vous à la France dans cette Europe en voie de réunification ?
LE PRESIDENT - Il y a quelques mois, je proposais à nos partenaires européens d'adopter un traité simplifié, limité aux questions institutionnelles essentielles au bon fonctionnement de l'Union. Tout en respectant la décision des Français de rejeter le traité constitutionnel, il était important pour moi que notre pays contribue activement à montrer le chemin pour sortir de l'impasse. L'urgence était à mes yeux de redonner à l'Union des institutions qui fonctionnent. Tout le monde expliquait que c'était impossible, que c'était trop tôt. Pourtant, c'est ce que nous nous sommes employés à faire au cours du Conseil européen de juin dernier en adoptant le principe d'un nouveau traité. Je tiens d'ailleurs à saluer la contribution très active du Premier ministre Gyurcsány lors du dernier Conseil européen.
Au-delà du traité lui-même, l'important c'est d'avoir montré que nous pouvions relancer l'Europe. Je crois en effet qu'elle a un rôle essentiel à jouer pour relever les défis du XXIe siècle. Mais elle ne pourra y parvenir que si l'on réconcilie les citoyens avec la construction européenne. Nous avons apporté une réponse à la question institutionnelle mais il faut maintenant que l'Europe entame une réflexion sur son rôle à l'horizon 2020-2030, dans un monde en profonde mutation : c'est pour cette raison que j'ai proposé la création d'un groupe de personnalités de très haut niveau pour réfléchir à l'Europe à l'horizon 2020-2030, qui seront notamment représentatives de la diversité de l'Union.
Cette réflexion, qui est indispensable, ne doit pas nous détourner des problèmes urgents qui se posent et sur lesquels nous devons agir sans tarder. C'est dans cet esprit que la France assumera la présidence de l'Union à partir du 1er juillet 2008. Tout le monde voit bien que ces domaines touchent chacun dans sa vie quotidienne et que l'Europe est devenue le cadre le plus adapté pour mener des actions efficaces dans le contexte d'un monde globalisé. De plus, je souhaite que la France travaille de concert avec l'ensemble de ses partenaires européens : plus que jamais, nous avons besoin de toutes les énergies et de toutes les volontés pour faire vivre les ambitions que je nourris pour l'Union européenne.
QUESTION - Vous vous efforcez de jouer un rôle très actif aussi en matière de politique étrangère. Paris a pris part à la libération des infirmières bulgares., la France semble redécouvrir l'Afrique et elle met également un accent accru sur les relations atlantiques. Peut-on dire que Paris cherche à être de nouveau au premier rang des nations?
LE PRESIDENT - Je m'efforce de jouer un rôle actif dans tous les domaines, car je considère que mon rôle n'est pas dans la contemplation mais bien dans l'action. C'est pour cela que les Français m'ont élu Président de la République. Je crois nécessaire de rester constamment à l'écoute des citoyens et d'expliquer la politique que l'on mène. C'est dans cet esprit que je multiplie les contacts fréquents sur le terrain.
Cela est vrai aussi en politique étrangère. Je veux que la France joue pleinement son rôle. Etre au premier rang des nations n'est pas une fin en soi. Ce qui compte c'est de défendre et de promouvoir ses valeurs et ses intérêts partout dans le monde. J'ai évoqué tout à l'heure les valeurs sur lesquelles repose mon projet. Je pensais notamment à la liberté et à la lutte contre l'oppression. Je considère que ces valeurs nous obligent à l'action.
Dès lors, en matière de politique étrangère, j'entends défendre les valeurs universelles portées par la France aussi souvent que cela est nécessaire. Prenez l'exemple des infirmières bulgares retenues en Libye. Quelle aurait dû être notre attitude vis-à-vis de ces femmes retenues depuis si longtemps ? Observer la situation les bras croisés sans réagir et attendre que tout cela se passe ? Cela n'est pas ma conception des choses. De même, je n'imagine pas la France assister impuissante à ce qui se déroule sous nos yeux au Liban, au Darfour ou au Proche-Orient··· Pour moi, la France est elle-même lorsqu'elle trouve la force d'agir contre l'oppression et le chaos.
QUESTION - Monsieur le Président, c'est la première fois que vous venez en qualité de chef d'Etat dans ce pays dont votre père est originaire. Que ressentez-vous à cette idée, et quelles perspectives voyez-vous aux relations franco-hongroises ? Comment voyez-vous le rôle de la Hongrie dans les affaires touchant l'ensemble de l'Europe?
LE PRESIDENT - Evidemment, vous vous en doutez, c'est avec une réelle émotion que je viens aujourd'hui en Hongrie en tant que chef d'Etat. Au-delà de l'aspect personnel que vous évoquez, je souhaite m'attacher à faire des relations franco-hongroises, anciennes et forgées par l'Histoire, des relations ancrées dans le présent et résolument tournées vers l'avenir, au service de nos peuples et de l'Union européenne toute entière. Cette amitié franco-hongroise est une chance pour nos deux pays et il nous appartient de continuer à enrichir et à renforcer cette relation. Elles reposent d'abord et avant tout sur un attachement commun et indéfectible à la liberté : qu'il s'agisse de 1848, de 1956 ou de 1989, la France et la Hongrie ont su faire souffler sur l'Europe un vent de liberté. Aujourd'hui, des relations économiques et commerciales nous unissent et nombre de coopérations nous rapprochent, par exemple en matière d'enseignement supérieur et de recherche. C'est dans cet esprit de confiance que je veux continuer à inscrire les relations bilatérales entre nos deux pays dans les années à venir et j'aurai l'occasion de m'en entretenir avec le Président de la République M. László Sólyom ainsi qu'avec le Premier ministre M. Ferenc Gyurcsány.
Sur la scène européenne, la Hongrie a un rôle de premier plan à jouer. Le fait que Budapest soit la première capitale que je visite dans le cadre des voyages que je vais effectuer en Europe pour préparer la Présidence française illustre d'ailleurs l'importance que j'attache à la Hongrie. C'est aussi un signe adressé plus largement à l'Europe centrale, pour dissiper les malentendus qui avaient pu s'installer au cours des dernières années. Ce que je viens proposer aux Hongrois aujourd'hui, c'est de poursuivre notre action commune en Europe. Je pense par exemple au domaine énergétique, dans lequel la Hongrie entend tenir un rôle central et constituer une place stratégique concernant les approvisionnements de l'ensemble des acteurs européens. Je pense aussi à l'immigration, domaine dans lequel l'Europe doit se doter d'une véritable politique. Je pense enfin à la politique européenne de sécurité et de défense, qui doit absolument se développer, sans naturellement faire concurrence à l'OTAN mais en développant au contraire les synergies.