10 septembre 2007 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, et de Mme Angela Merkel, Chancelière de la République fédérale d'Allemagne, sur les actions communes de la France et de l'Allemagne, notamment en faveur de la construction européenne, de la moralisation de la vie économique et de la paix en Afghanistan, à Meseberg (Allemagne) le 10 septembre 2007.

MME ANGELA MERKEL - Mesdames, Messieurs, nous sommes réunis pour l'une de ces rencontres « Blaesheim » à Meseberg. Je suis heureuse d'accueillir le Président de la République, Nicolas SARKOZY. Dans la première partie de nos discussions, nous avons abordé un certain nombre de projets très concrets que nous allons soutenir et engager ensemble.
Tout d'abord, au mois de novembre, se tiendra le Conseil des ministres franco-allemand, à Berlin. A cette occasion, nous voulons nous engager sur une voie nouvelle. Nous ne voulons pas simplement discuter, mais nous souhaitons que les ministres soient impliqués concrètement dans la question de l'intégration sur des projets très concrets. Nous voulons aller au-devant des hommes et des femmes, de la population. Quant à nous deux, nous irons, sans doute, rencontrer des élèves dans une école pour parler d'intégration.
Sur un autre sujet, en Afghanistan, où nos deux pays sont présents dans la lutte contre le terrorisme et pour la reconstruction du pays, nous voulons engager des projets communs. Et, notamment, un projet logistique ainsi qu'une école de sous-officiers destinée à former des militaires afghans.
Aujourd'hui, nous avons, bien sûr, discuté de la situation économique. Nous avons adopté une déclaration commune qui parle de l'accompagnement de la stratégie de Lisbonne, en matière de politique économique internationale. C'est notre volonté commune, comme nous le disions au G8, d'obtenir plus de transparence sur les marchés financiers. Il faut que l'Union européenne sache clairement comment s'articuler dans l'appareil financier international et dans la conjonction des marchés internationaux, pour défendre ses intérêts. Nous nous en entretiendrons avec la présidence portugaise à l'occasion du Conseil informel d'octobre et nous suggérons qu'elle définisse un mandat clair pour qu'au prochain Conseil de Lisbonne, au mois de mars, on puisse améliorer la position internationale de l'Union sur le plan économique.
Nous devons cela aux hommes et aux femmes de nos pays. Nous devons assurer des conditions commerciales et concurrentielles justes et loyales, garantissant la transparence des instruments financiers internationaux. Cela doit participer d'une démarche européenne commune. L'Allemagne et la France entendent prendre l'initiative en la matière.
Par ailleurs, nous avons parlé de la proposition du Président français concernant la mise en place d'un groupe des Sages qui doit réfléchir aux perspectives futures de l'Europe, à moyenne échéance. L'Allemagne soutient ce projet. Nous allons en proposer la mise en place à l'Union européenne. A échéance de deux ans, ce groupe fera des propositions sur les structures futures de l'Union européenne. C'est, là encore, un projet engagé au travers d'une étroite coopération franco-allemande.
De façon générale, je peux vous dire que nous avons eu un échange très clair sur des mesures concrètes. C'est ce que les gens attendent de nous, que nos rencontres apportent des améliorations, des réponses concrètes. Nous allons poursuivre la discussion, pendant le déjeuner, sur un certain nombre de thèmes de politique étrangère que nous n'avons pas encore abordés. Nous nous sommes, pour l'instant, concentrés sur les questions financières et économiques.
Bienvenue à Meseberg. Je pense que cette rencontre donnera une bonne impulsion à notre coopération.
LE PRESIDENT - Merci Angela. Je voudrais remercier la Chancelière de son accueil, de la qualité de nos conversations et lui dire combien je suis heureux, du travail que nous menons en commun depuis quatre mois.
J'ai eu l'occasion de dire à Madame MERKEL, à d'innombrables reprises, combien son rôle en tant que Présidente de l'Union avait été déterminant pour faire avancer le Traité simplifié et combien son rôle en tant que Présidente du G8, à Heiligendamm, avait été déterminant pour faire avancer la question environnementale.
Je crois que, parmi toutes les décisions que l'on a prises, trois d'entre elles sont particulièrement importantes. Il y a d'abord le soutien de l'Allemagne à la constitution d'un groupe des Sages pour réfléchir, à un horizon de trente ans, à ce que doit devenir l'idée européenne. C'est absolument essentiel et le soutien d'Angela MERKEL est capital. Nous allons approfondir encore cette proposition pour voir comment ce groupe va fonctionner et quels seraient les profils des gens qui pourraient le constituer.
Deuxième proposition commune : il faut moraliser le capitalisme financier. On ne peut plus laisser quelques dizaines de spéculateurs mettre par terre tout un système international, emprunter dans n'importe quelles conditions, acheter à n'importe quel prix. Ne pas savoir qui prête, c'est-à-dire cette absence de transparence, soulignée par Madame MERKEL, ne peut plus durer. C'est la raison pour laquelle, nous demandons que nos ministres des Finances puissent en débattre dans une prochaine réunion du Conseil Ecofin et que cela soit l'un des sujets de la discussion du Conseil européen. Nous en avons déjà saisi le Président SOCRATES.
Nous voulons de la transparence. Nous voulons de la régulation. Nous voulons un capitalisme pour les entrepreneurs et non pas pour les spéculateurs. Nous n'acceptons pas que les travailleurs, les salariés d'Europe paient pour l'imprudence de quelques dizaines ou de quelques centaines d'acteurs économiques qui sont mobilisés par la spéculation.
Enfin, troisième initiative, l'Afghanistan. Nous allons renforcer notre collaboration. Nous voulons travailler avec nos amis allemands pour aider à la reconstruction du pays, pour aider à la formation des cadres de l'Etat afghan et pour apporter un peu de paix et de sécurité dans ce pays qui en a bien besoin.
QUESTION - Est-ce que vous avez parlé de Siemens et de la question énergétique en Europe ?
MME ANGELA MERKEL - Nous avons eu un bref échange à ce propos. Je vais dire les choses dans l'optique allemande. Nous sommes intéressés par une profonde coopération franco-allemande. Siemens a un grand savoir-faire, un grand know-how. Je crois que Nicolas Sarkozy est un homme qui fera tout ce qu'il peut pour maintenir les projets franco-allemands, chaque fois que cela sera possible. Nous ne sommes pas dans la situation de prendre une décision. Ce n'est d'ailleurs pas de notre responsabilité mais, politiquement, je dis clairement que nous souhaiterions que la coopération entre Siemens et les entreprises françaises, notamment Areva, puisse se poursuivre.
LE PRESIDENT - Je n'ai pas à m'immiscer dans le débat politique allemand et je dirais simplement deux choses. La première, c'est que la France a fait le choix, il y a bien longtemps, du nucléaire. Et ce choix, la France n'a jamais eu à le regretter. Le nucléaire, c'est l'énergie du futur. La France est prête à collaborer naturellement avec des groupes comme Siemens qui est déjà dans Framatome. Un jour se posera, pour l'ensemble des pays européens, la question de la définition d'une politique commune de l'énergie. J'entends bien proposer, d'ailleurs, qu'au moment de la présidence française, cette question d'une politique européenne de l'énergie soit posée.
Pour autant, j'ai dit à la Chancelière que, si nous avons fait le choix du nucléaire et que nous allons développer de grandes ambitions en la matière, nous voulons également faire le choix des énergies renouvelables. Ce n'est pas soit le nucléaire, soit les énergies renouvelables. Dans mon esprit et je crois également dans celui de la chancelière, ce sont les deux. Les marges de progression de la collaboration et de la coopération entre l'Allemagne et la France sur l'énergie, c'est bien sûr le nucléaire -une fois que le peuple allemand aura tranché définitivement cette question- mais c'est aussi les énergies renouvelables. Nous sommes tout à fait prêts à en parler. En tout cas, je pense qu'on ne peut pas rester en Europe face à une situation où, dans un siècle, il n'y aura plus de gaz, dans 30 ou 40 ans, il n'y aura plus de pétrole. Personne ne peut imaginer que les éoliennes serviront à faire tourner toute l'Europe. C'est une question qu'il faut poser. C'est le devoir de l'Europe et je souhaite une politique européenne de l'énergie. Doit-on acheter ensemble du gaz ? Quels sont les projets industriels que nous pouvons avoir en commun ? A l'évidence, j'aimerais beaucoup que l'Allemagne et la France aient des ambitions en matière énergétique qui aillent dans le même sens. Je dis d'ailleurs à nos amis allemands que nous sommes de l'autre côté de la frontière. Et donc, il est difficile d'avoir un choix, d'un côté, en France et un autre, différent, de l'autre côté, en Allemagne. Je ne rentrerai pas plus dans le débat. Dans un souci de tendre la main, nous disons : collaborons sur le nucléaire et sur les énergies renouvelables. Pourquoi choisir l'un et abandonner l'autre ? C'est les deux qu'il faut faire.
QUESTION - Vous avez dit que vous souhaitiez davantage de régulation dans les marchés financiers. Pouvez-vous être plus précis sur ce que vous voulez ? M. Sarkozy a dit qu'il voulait plus de réglementation, de régulation. Est-ce que vous êtes d'accord ?
MME ANGELA MERKEL - J'ai parlé de plus de transparence sur les marchés financiers. Le gouvernement fédéral s'y attache depuis des mois, à la présidence du G8 et toujours avec le soutien français. Et, compte tenu de la situation financière actuelle, c'est encore davantage d'actualité. Voilà pourquoi nous allons proposer une approche coordonnée pour les réunions du FMI de l'automne et celles de l'Union européenne. Chaque Etat membre peut prendre ses propres mesures : il y a, par exemple, une législation française. En Allemagne, nous réfléchissons à la nécessité faire quelque chose en ce qui concerne notre loi sur le commerce extérieur.
Mais, de façon générale, il faut que l'Union européenne affiche un comportement cohérent pour défendre ses intérêts. Voilà pourquoi nous avons adopté cette déclaration. Je pense que nous pouvons oeuvrer dans ce sens. Nos ministres des Finances vont en parler et nous en avons également discuté avec la présidence portugaise pour en faire une affaire dont la responsabilité doit être au plus haut niveau. Il ne s'agit pas de régulation économique, il s'agit de réciprocité. Nous sommes pour les marchés ouverts mais il faut que les règles du jeu s'appliquent partout. D'autre part, certaines questions, comme la transparence des fonds spéculatifs, la transparence des agences de notation, doivent être renforcées parce que nous ne pourrons pas expliquer que personne n'était au courant alors que nombreux sont ceux qui, actuellement, souffrent.
LE PRESIDENT - Je partage pleinement l'avis d'Angela. Je prendrais quatre exemples très rapides : les agences de notation ont-elles fait leur travail ? Comment peut-on mieux faire ce travail ? Angela en avait parlé et c'est une question qui se pose.
Deuxième question, qui emprunte et dans quelles conditions ? C'est absolument fascinant. Avec le système de réassurance, on ne sait pas à qui on emprunte. Au final, qui est responsable du juste prix ?
Troisièmement, quels sont les engagements de nos banques, avec quels risques ? Nos épargnants doivent le savoir. Tout le monde ne lit pas les contrats de 18 pages écrits en tout petit.
Quatrièmement, comment peut-on protéger nos industries, non pas de leurs concurrents mais des prédateurs ? C'est-à-dire ceux qui vont lever des fonds considérables, qui vont commencer par licencier 25 % du personnel, qui vont vendre le groupe par appartement et qui, à l'arrivée, se remboursent. Le capitalisme et l'économie de marché n'ont pas été faits pour accepter cela. Qu'un concurrent achète un autre concurrent avec un projet industriel, c'est la vie des affaires mais nous n'avons pas à accepter que des prédateurs dont on ne connaît ni l'existence, ni l'origine des fonds, se payent sur la bête comme on dit. Derrière, il y a des centaines de milliers d'emplois.
Je suis pour l'économie de marché, je suis pour la mondialisation mais je ne suis pas pour une économie de la spéculation. La véritable économie de marché est basée sur la transparence, comme l'a dit Angela, et sur la réciprocité. Il n'y aucune raison que l'Europe soit la seule zone où le monde entier vienne se servir, l'Europe respectant les règles pour les autres et les subissant pour elle-même. Quand il y a des délocalisations sauvages, des gens restent sur le carreau et le devoir des chefs d'Etat et de Gouvernement, est de défendre leurs concitoyens. Et il ne s'agit pas de faire du protectionnisme. La réciprocité est un engagement politique fort.
Quand je regarde la législation dans certains pays, les Etats-Unis, la Chine, je pense que nous n'avons pas beaucoup de leçons de liberté ou de libéralisme à recevoir. Que les choses soient parfaitement claires : nous sommes déterminés à moderniser nos économies mais aussi à ne pas être naïfs non plus. Ce qui s'est passé est parfaitement inadmissible parce que derrière, les braves gens payent pour des choses dont elles ne sont absolument pas responsables.
QUESTION - Pour en revenir au groupe des Sages, qui en fera partie ? Doit-il s'agir de responsables politiques en fonction ou ayant été en fonction ? D'autre part, est-ce que les négociations d'adhésion avec la Turquie doivent être suspendues jusqu'aux résultats de ce groupe ou doivent-elles être limitées ?
MME ANGELA MERKEL - En ce qui me concerne, nous n'avons pas encore discuté de la composition de ce groupe. Je pense qu'il ne devrait pas s'agir d'acteurs directs du Conseil, de la Commission ou du Parlement. Il devrait s'agir de personnalités qui affichent une certaine sagesse, une certaine distance. Nous voulons avoir un examen indépendant sur lequel les institutions européennes pourront s'exprimer librement, bien sûr.
Pour ce qui concerne sa taille, sa composition précise, nous sommes convenus que nos collaborateurs en discuteraient. Nous y réfléchirons, nous en parlerons avec nos partenaires européens. Je l'ai déjà fait avec la présidence portugaise qui s'y associe.
Pour ce qui est du calendrier, nous avons dit que ce devrait être un projet à moyen terme, après l'élection européenne. Par ailleurs, il ne s'agit pas d'en faire une alternative aux négociations d'adhésion avec la Turquie. Il doit s'agir d'une prise de position sur l'avenir de l'Union européenne dans son ensemble et cela inclut, bien sûr, la question de l'élargissement mais cela ne se limite pas à la Turquie.
LE PRESIDENT - Nous allons débattre ensemble de sa meilleure composition. Nous ne sommes pas les seuls à décider. Deuxièmement, je crois que la perspective de ces deux années pour faire un vrai travail d'éclairage de l'avenir, constitue la bonne décision. Je n'ai jamais demandé qu'il y ait une suspension des négociations d'élargissement. Parce que, si on le demandait, cela voudrait dire que l'on ne peut pas aboutir. J'ai dit ma position sur la Turquie. Je suis opposé à l'adhésion de la Turquie. Je l'ai d'ailleurs déjà dit à M. ERDOGAN. J'ai fait une autre proposition pour que l'on concentre les discussions sur les trente chapitres compatibles avec l'association, et que l'on ne discute pas des cinq chapitres qui ne sont compatibles qu'avec l'adhésion. Je pense que si chacun veut être raisonnable, on peut trouver la voie pour réfléchir à ce que doit être l'évolution de l'Europe dans les trente ans qui viennent.
QUESTION - Hier, le Premier ministre disait que la réforme des régimes spéciaux de retraites était prête et attendait votre signal. Quand allez-vous le donner ? Est-ce que cela sera un signal de concertation ou de réglementation ?
LE PRESIDENT - En tout cas, ce n'est pas un signal que j'enverrai de Berlin. Je ne veux pas associer Angela à toutes les difficultés que nous avons à gérer. Je l'ai dit à la Chancelière quand nous avons parlé en tête-à-tête. J'ai été élu pour mettre en oeuvre des réformes profondes, pour moderniser la France. Ces réformes se feront. J'ai un rendez-vous très précis, le 18 septembre, et c'est ce jour-là que je dirai ce qu'il en est.
MME ANGELA MERKEL - Dans nos entretiens, nous avons souvent parlé de la nécessité qu'il y a, dans notre pays, d'entreprendre des réformes pour préserver la prospérité, assurer la croissance. J'ai toujours dit clairement que chacun a une situation spécifique dans son pays. Il y a cependant un soutien mutuel, réciproque de ne pas rester dans l'immobilisme mais de réformer les structures pour qu'elles puissent résister à la pression concurrentielle sur une planète mondialisée.
Je suis heureuse de voir que la France prend des mesures courageuses. J'écouterai avec grand intérêt ce qui sera proposé le 18 septembre. Mais il convient, naturellement, de respecter les décisions de politique intérieure. Il y a un soutien de principe mais chacun prend, naturellement, ses décisions. Merci.