6 septembre 2007 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, dans "Les Dernières nouvelles d'Alsace" du 6 septembre 2007, notamment sur sa pratique de la présidence, les politiques d'enseignement, d'immigration et de l'emploi, et sur l'avenir de la construction européenne.

Q - Au delà du symbole, quel est le sens du conseil des ministres décentralisé de ce vendredi à Strasbourg ?
R - Cela fait 31 ans qu'un conseil des ministres n'a pas eu lieu en province. Enfin ! Il n'y a pas que Paris ! Strasbourg est une grande capitale régionale, la capitale d'une région frontalière, face à l'Allemagne qui est si importante pour nous. C'est la capitale de l'Europe ! Comment pourrait-elle le rester si la France ne la considérait pas comme telle ? Pour moi, aller à Strasbourg c'est un rendez vous incontournable, parce que Strasbourg est une ville incontournable.
Q - Vous n'arrivez pas les mains vides...
R - J'annoncerai l'accélération de la prolongation du TGV-Est jusqu'à Strasbourg. Les travaux des 120 km qui restent seront entamés en 2010. L'accélération du contournement ouest de Strasbourg, aussi, qui doit être achevé sans délai. Et dans le domaine environnemental, je n'oublie pas non plus le plan de sauvegarde du grand hamster ! Cette visite en Alsace symbolise pour moi ce que doivent être les conseils des ministres dans les capitales régionales.
Q - Quel bilan tirez-vous de vos cent premiers jours ?
R - Quel bilan ? Ca ne m'intéresse pas du tout! Je n'ai pas été élu pour cent jours mais pour cinq ans. Je n'ai pas le temps de faire un bilan... Mon objectif, c'est de remettre la France au travail. D'en faire le pays de l'innovation. Alors, les commentaires, je les laisse aux commentateurs, mais je sais ce que nous avons fait: les peines planchers sont entrées en vigueur £ les condamnations des multirécidivistes sont devenus la règle £ les droits de succession ont été abrogés £ personne ne pourra être imposé à plus de 50 % de ses revenus £ les heures supplémentaires ont été défiscalisées £ les universités sont enfin dotés d'une véritable autonomie, d'une nouvelle gouvernance avec de vrais chefs d'équipe. Et regardez l'international: le traité simplifié a été mis en place. Nous agissons au Liban et au Darfour. Nous agissons pour le règlement de la crise iranienne. Partout, c'est le retour en force de la France.
Q - Votre popularité résiste à l'usure habituelle de l'état de grâce A quoi l'attribuez vous principalement ? A votre personnalité ou à votre action ?
R - Ma popularité, ce n'est qu'une conséquence, pas une cause. Je suis là pour agir et j'ai une équipe pour m'y aider. Alors, tous ces commentaires qui disent que j'en fais trop...
Q - Mais, c'est un fait: vous êtes sur tous les fronts. La question est légitime...
R - Une partie des élites française est dans la contemplation. Moi je veux la mettre dans l'action. C'est ça le vrai clivage. Ce n'est plus le clivage droite gauche.
Q - Comment réagissez vous à toute la littérature, volontiers hagiographique, qui vous est consacrée dans les médias et vont parfois jusqu'à parler de la fascination que vous exercez ?
R - Tout cela est aussi ridicule que superficiel! Je ne suis pas réductible à mes caricatures et j'assume totalement ma complexité. Qui n'a pas plusieurs facettes dans sa personnalité ? Mon élection, elle, est la conséquence de l'évolution de la société française et les journalistes feraient mieux de s'intéresser à la mutation du pays qu'à ma personne... Moi, je ne fais que mon travail. Et ce n'est qu'un début. D'autres chantiers immenses m'attendent. Le plan Alzheimer, une maladie qui touche toutes les familles£ la franchise médicale pour financer le cinquième risque (ndlr : la dépendance), la fusion de l'ANPE et de l'Unedic pour qu'un chômeur ait une réponse en un mois, les retraites, évidemment. Je vais aussi m'attaquer à la lutte contre toutes les fraudes et le gaspillage, intolérables, même pour un euro !
Q - Le pouvoir d'impulsion de décision et de correction est bel et bien concentré, ici, entre vos mains. Est-ce une nouvelle pratique de la Vème République ?
R - Pensez vous vraiment que De Gaulle était un arbitre silencieux ? Il a décidé et piloté la décolonisation. Avec le plan Armand-Rueff, il a rétabli les finances. Et Debré puis Pompidou prolongeaient ses décisions. Le même Pompidou qui, devenu président, n'apprécia guère les velléités de Chaban... L'esprit de la Vème République veut que celui qui est élu président assume les responsabilités, toutes les responsabilités. J'ai la chance de m'appuyer sur François Fillon, premier ministre, qui fait très bien son travail.
Q - Et voilà que vous partez à l'assaut de l'école! Vous ne craignez pas de prendre des coups dans ce dossier explosif ?
R - Si j'en juge par les réactions à ma lettre aux éducateurs, vous voyez bien que ce n'est pas aussi explosif que ça. Il ne faut pas avoir peur. On ne peut pas laisser l'enseignement comme il est ! Quand on laisse entrer un enfant de l'école primaire au collège sans qu'il sache lire et écrire correctement, on le laisse se noyer ! Quand on laisse entrer un collégien au lycée sans qu'il en soit capable, on le laisse aussi se noyer ! Il faut absolument tirer l'école vers le haut.
Q - Mais est ce vraiment le rôle du président de la république d'intervenir partout ?
R - Il est quand même extraordinaire qu'on me pose ce genre de questions ! Si ce n'est pas le président qui prend en charge les problèmes de l'éducation, qui va le faire? J'ai aussi été élu pour ça. Je fais pleinement confiance à Xavier Darcos pour faire bouger les choses. Nous voulons redonner toute son importance à la culture générale qui fait des hommes libres. Qui pourrait reprocher au président de la république de faire avancer un débat qui tourne en rond depuis trente ans ? Trente ans qu'on débat sur le statut des enseignants et pas sur les programmes. Il faut avoir le courage de dire aux enseignants ce qu'on attend d'eux, et l'ambition de revaloriser leur mission, c'est le sens de ma lettre.
Q - Etes vous favorables à l'autonomie des établissements, en particuliers dans le primaire, avec des directeurs et des directrices de plein exercice, de vrais chefs d'établissements ?
R - Oui. Complètement. Et ce n'est pas contradictoire avec l'indispensable égalité républicaine. Il est temps de s'adapter aux réalités. Et je veux qu'on arrête d'embêter les enseignants avec des circulaires multiples qui voudraient leur apprendre comment enseigner. Qu'on leur fasse confiance ! Une institutrice qui a vingt ans d'expérience sait très bien ce qu'elle a à faire.
Q - Travailler moins longtemps à l'école pour travailler mieux, c'est un principe inattendu de votre part. Aurions-nous mal compris ?
R - Non, vous avez bien compris. Les enfants ont trop d'heures de cours. Je suis pour la suppression des classes du samedi matin - sans report sur les autres jours de la semaine.
Q - Parmi les autres grandes préoccupations figure le pouvoir d'achat...
R - Il convient de commencer par baisser les prix, par la concurrence, par la suppression de la loi Galland qui interdit la ristourne des marges arrière. Ces mesures devraient profiter au consommateur.
Q - Les perspectives de croissance décevantes contrarient votre stratégie. Que fait-on si la croissance reste molle ?
R - La croissance, je ne l'attendrai pas, j'irai la chercher ! Si elle n'est pas assez forte, eh bien, j'irai encore plus loin dans l'allégement du coût du travail, dans la création des emplois de service et dans la réforme des 35 heures. Je suis pour tout ce qui peut libérer la force du travail et l'innovation. Et je ne crois pas à la fatalité. Pourquoi neuf pays européens sont-ils parvenus au plein emploi, c'est-à-dire au taux de chômage incompressible de 5% ? Si cela a été possible chez eux, pourquoi pas chez nous ? Ils ont réussi à coup de réformes. Mon mandat est de faire de réformes.
Q - La politique de l'immigration, l'insistance sur l'identité nationale doivent-elles vraiment figurer parmi ces réformes indispensables ?
R - J'affirme qu'il y a une identité nationale française et qu'il fallait qu'on en parle. Avec ma victoire, le score du Front national a été divisé par trois, et en Alsace, l'UMP est redevenu le premier parti. Un beau résultat, non ? Il nous enseigne que si on délaisse ces problèmes, les extrémistes en profitent. Et pourquoi serions-nous les seuls au monde à ne pas avoir le droit de réfléchir sur l'immigration ? La France aussi a le droit de choisir ses futurs citoyens. Je rappelle que, jusqu'à présent 95% de l'immigration était familiale... Et maintenant, on me fait des procès en sorcellerie, sur des idées reçues. Mais si on ne maîtrise pas les flux migratoires, on fait exploser le modèle social... et les banlieues. Voilà la vérité j'assume la politique qui a été validée par les Français et j'affirme qu'elle est parfaitement républicaine.
Q - L'Europe est votre grande priorité. Vous voulez un comité des sages pour redéfinir la construction européenne. Pourquoi ?
R - Je crois profondément à l'Europe mais la question se pose : faut-il poursuivre la vision des pères fondateurs ou faut-il une autre Europe pour 27 États ? Avec quelle intégration politique, quelles frontières, quelles préférences communautaires ? La réflexion s'impose pour nourrir ce nouveau rêve européen. L'Union ne peut pas se limiter aux seuls domaines économiques. Par exemple, il faut une politique européenne de l'immigration.
Q - L'Europe du futur sera-t-elle à plusieurs vitesses ?
R - Un vieux débat. Il devrait se résumer assez simplement : ceux qui ne veulent pas avancer ne doivent pas empêcher ceux qui le désirent... Je rappelle aussi qu'un cercle très avancé existe, celui des États de l'euro. Là, je plaide pour un gouvernement économique de l'eurogroupe. On ne peut pas en rester au point où la Banque centrale européenne se contente de gérer l'inflation alors que toutes les banques centrales du monde soutiennent leur commerce extérieur...
Q - La Turquie, candidate depuis 1964, sera-t-elle dans un des «cercles» de l'Europe ?
R - Elle était, en 1964, candidate au Marché commun, à ne pas confondre avec l'Union européenne. Évidemment, j'approuve toute idée d'association avec l'UE. Mais l'intégration de la Turquie, qui ferait de ce pays le premier de l'UE, n'est pas mon choix politique. D'ailleurs, les habitants de Cappadoce se sentent-ils Européens ?
Q - L'Union méditerranéenne, en revanche, c'est un de vos rêves ?
R - C'est une grande priorité de mon quinquennat. La France ne peut pas oublier la Méditerranée. Elle est la liaison entre le Nord et le Sud. Un partenariat entre ses riverains permettra de faire face aux défis sécuritaires et à la gestion des problèmes de migration. En tournant le dos à la Méditerranée, l'Europe a cru laisser son passé derrière elle mais en réalité elle a tourné le dos à son avenir.
Q - Quels dangers extérieurs menaceraient nos sociétés ?
R - La crise iranienne en premier lieu. La crise la plus dramatique serait l'affrontement entre l'Orient et l'Occident, deux mondes qui doivent apprendre à se parler et à se comprendre. Le troisième danger dépend de la réussite ou de l'échec d'un défi contemporain : comment intégrer les géants que sont la Chine, l'Inde ou le Brésil et d'autres pays émergents, leur faire comprendre qu'ils ont le droit d'être des grandes puissances mais avec les devoirs qui en découlent.
Q - Parlons de vous, pour finir. Avez vous lu le livre que Yasmina Reza vous a consacré ?
R - Non. Yasmina Reza est un grand écrivain. J'admire et respecte son talent. Elle a porté un regard littéraire sur une partie importante de mon itinéraire. Ce regard là ne se commente pas.
Q - Elle écrit que votre élection ne vous a pas procuré de joie. Vous seriez simplement «content». Vous n'avez pas dit «heureux»...R - Le bonheur, c'est l'univers privé, la sphère personnelle. Dans l'action politique, on ne peut guère trouver plus que de la satisfaction. Je porte désormais la destinée de 64 millions de Français sur les épaules, c'est un poids considérable.