24 juillet 2007 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Conférence de presse de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien détenus en Libye, à Paris le 24 juillet 2007.

Mesdames et Messieurs,
Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation dans des délais aussi brefs. Je veux d'abord dire au nom du gouvernement, du Premier ministre François FILLON, du ministre des Affaires étrangères, Bernard KOUCHNER, qui ont bien sûr suivi l'avancée des négociations, pas à pas, et même minute par minute, toute cette nuit et ces derniers jours, et de Rama YADE. Je voulais vous dire quelle était notre joie de voir la fin de ce long calvaire, qui a frappé cinq femmes bulgares, un médecin palestinien et même le mari de l'une des infirmières, qui est également dans l'avion et qui se trouvait assigné à résidence à l'ambassade de Bulgarie à Tripoli. Le mari était naturellement très bouleversé. Il a d'ailleurs été le premier, cette nuit, à gagner l'avion de la République Française.
C'est d'abord un cauchemar qui se termine pour ces femmes et pour cet homme, dont chacun, en Europe, est convaincu de l'innocence et de la bonne foi. Cela faisait huit ans et demi que ces femmes et que cet homme étaient retenus contre leur gré. Ils ont vécu beaucoup de tension, puisqu'ils ont subi deux condamnations à mort et une condamnation à perpétuité. Il était temps que tout ceci se termine.
Je voudrais rendre un hommage particulier au Président de la Commission européenne, qui tient en ce moment même, en plein accord avec nous, un point de presse à Bruxelles. Nous avons, avec le Président BARROSO, essayé de dénouer les fils de cette négociation compliquée en travaillant main dans la main.
Je veux bien sûr remercier Benita FERRERO-WALDNER, qui est venue à Paris pour rencontrer le ministre des Affaires étrangères et moi-même il y a quelques jours, que j'ai eue au téléphone à de nombreuses reprises, et que nous avons été chercher à Bruxelles tôt dimanche matin pour participer à ce dernier voyage qui a permis de débloquer la situation. Mme FERRERO-WALDNER a fait un très bon travail. Elle a été courageuse, et je dois à la vérité de dire que la Commission et la France ont pris toutes les initiatives ensemble. Je veux donc leur rendre hommage.
Je veux également remercier le Premier ministre du Qatar pour sa médiation, son intervention extrêmement importante et le geste humanitaire qui a été le sien. Je veux associer tous ceux qui ont travaillé à cette libération. La Présidence portugaise et tous ceux qui, auparavant, ont oeuvré pour qu'une solution humaine soit trouvée à ce drame humain extrêmement profond.
Mes pensées vont également vers les quatre cent soixante familles libyennes qui ont un enfant atteint du sida. Il y a eu une cinquantaine de morts, et je comprends l'émotion qui règne en Libye autour de ces enfants, qu'il faut soigner, qu'il faut accompagner. Je comprends, pour les familles, la douleur que cela peut représenter. Je voudrais préciser que l'Europe et la France ont fait un travail humanitaire et politique et s'en sont tenus à cela. J'aurai l'occasion demain, avec le ministre des Affaires étrangères, Bernard KOUCHNER, d'effectuer un déplacement politique, cette fois ci, en Libye pour aider la Libye à réintégrer le concert des nations. Je dois à la vérité de dire qu'en tant que ministre de l'Intérieur j'avais pu mesurer, depuis plusieurs années, la collaboration qui était devenue possible dans la lutte contre le terrorisme. Avec la Libye, la France n'était pas, d'ailleurs, le seul pays à le constater. Vous comprendrez que je dise également que Cécilia a fait un travail tout à fait remarquable. Pour être une phrase courte, elle n'en est pas moins très sincère. Pour nous tous cela a été un dénouement très heureux. La nuit a été courte pour nous trois et, bien sûr, pour les négociateurs. Je veux également dire toute ma reconnaissance à Claude GUEANT, le Secrétaire général de l'Elysée, qui a fait un travail tout à fait remarquable, de même que Jean-David LEVITTE qui, à mes côtés, s'est investi comme toute l'équipe du Quai d'Orsay avec qui nous avons travaillé absolument main dans la main.
Si vous avez des questions à nous poser, on essayera d'y répondre le mieux possible.
QUESTION - Bonjour, vous parliez de Cécilia et de Claude GUEANT. Est-ce qu'on s'oriente vers une nouvelle forme de diplomatie ? M. KOUCHNER lui-même disait hier qu'il n'avait pas du tout été associé aux négociations. S'agit-il donc d'un nouveau style de diplomatie ?
LE PRESIDENT - Non. C'est fantastique, cette capacité à théoriser alors même qu'il y avait un problème à résoudre. Avec François FILLON et avec Bernard KOUCHNER, nous travaillons absolument main dans la main. Les initiatives de la diplomatie française sont nombreuses. Bernard KOUCHNER, a tenu une réunion extraordinairement difficile sur le Liban, à la Celle Saint-Cloud. Nous avons organisé avec lui une conférence sur Darfour. Croyez-bien que les dossiers ne manquent pas.
De quoi s'agissait-il ? Il s'agissait d'arracher cinq malheureuses femmes et un médecin palestinien à un sort bien peu enviable. Cela faisait huit ans et demi que chacun essayait de les sortir de la situation dans laquelle ils se trouvaient. Ce n'est pas une nouvelle forme de diplomatie. Il y avait un problème à résoudre, on l'a résolu, point. On ne l'a pas résolu seul, mais on l'a résolu et c'est la seule chose qui compte. Naturellement, avec Bernard KOUCHNER, nous travaillons main dans la main. Il s'agissait de femmes, il s'agissait d'un problème humanitaire, j'ai pensé que Cécilia pouvait mener une action utile. Ce qu'elle a fait avec beaucoup de courage et beaucoup de sincérité, beaucoup d'humanité, beaucoup de brio, en comprenant tout de suite qu'une des clefs résidait dans notre capacité à prendre toutes les douleurs en considération : celle des infirmières, bien sûr, mais celles des cinquante familles qui avaient perdu un enfant. Cela compte. Avec la sensibilité qui est la sienne, elle l'avait parfaitement perçu.
S'agissant de Claude GUEANT, c'est mon plus proche collaborateur depuis bien longtemps, et chacun voit bien qu'un dossier qui durait depuis huit ans et demi, sans trouver de solution, n'est pas exactement une affaire que l'on peut traiter de façon classique. J'ai vu les commentaires des uns et des autres, qui étaient notamment ministres pendant deux ans et demi, au moment où cette affaire s'est déroulée. Mais s'ils avaient tant de bonnes idées, il ne fallait surtout pas qu'ils se gênent pour la résoudre, cette affaire.
En tout cas, moi, j'avais dit aux Français pendant la campagne électorale, et j'avais dit le soir de mon élection, que ces infirmières étaient françaises, pas juridiquement, mais dans mon coeur. Elles étaient Françaises parce qu'elles étaient injustement accusées, parce qu'elles souffraient, parce qu'il fallait les sortir de là. A partir du moment où on a résolu le problème, il n'y a pas à théoriser sur une nouvelle organisation de la diplomatie française, le statut de l'épouse du chef de l'Etat ou je ne sais quel raisonnement. Il fallait les faire sortir, on les a fait sortir, et c'est cela qui compte. De là même façon, nous avons travaillé main dans la main avec la Commission et on a travaillé avec tous ceux qui voulaient bien nous aider. Il faut maintenant mettre du pragmatisme dans les problèmes internationaux comme dans les problèmes nationaux. Que nous demandent les Français ? Ils nous demandent d'obtenir des résultats. Je m'étais engagé sur la libération de ces femmes et de cet homme, nous l'avons obtenue en travaillant tous ensemble. Je dois dire que Madame FERRERO-WALDNER a eu un comportement absolument remarquable de courage et d'intelligence et on ne s'est pas demandé dans l'avion si c'était un avion de la République française, si c'était la place de la Commissaire quand on allait la chercher à Bruxelles ou qui faisait quoi. On a tous avancé ensemble et cette nuit, nous avons travaillé avec M. BARROSO à quatre reprises de façon tout à fait transparente. Il a eu lui-même M. KADHAFI hier, je l'ai eu a plusieurs reprises avant-hier, avant avant-hier et à chaque fois je lui expliquais le contenu de nos discussions. De même avec le Président Bulgare que j'ai eu deux fois hier et une fois encore ce matin. Ce qui compte, c'est que l'on ait des résultats, et pas la théorisation de ce qui ne se fait pas. Ce qui se faisait et qui a conduit à ce que des femmes innocentes restent en prison pendant 8 ans, il faut peut-être se demander si on avait raison de le faire comme cela. Je ne sais pas si notre organisation ne se fait pas, mais à partir du moment où elles sont sorties, il y a au moins des femmes qui sont heureuses. J'ai eu ce matin très tôt l'une des infirmières quand elles sont arrivées à l'aéroport de Tripoli. Elle parle quelques mots d'anglais. Elle m'a dit : « je suis la femme la plus heureuse du monde ». Elle ne m'a pas demandé : « quel est le statut de votre épouse ? », « comment cela se passe-t-il avec Bernard KOUCHNER ? », « avez-vous avez tenu informé François FILLON ? Et à quelle heure l'avez vous eu au téléphone ? ».
BERNARD KOUCHNER - D'ailleurs, je n'ai pas dit cela. J'ai dit que ce n'était pas mon dossier, mais j'ai également dit que j'avais été associé puisqu'un certain nombre de mesures médicales avaient été prises, un voyage avait été prévu avec Madame FERRERO-WALDNER, des rencontres avec Monsieur STEINMEIER, etc.··· tout cela a aussi été préparé par le ministère des Affaires étrangères.
LE PRESIDENT - C'est normal que l'on travaille ensemble d'ailleurs. Et nous irons ensemble à Tripoli.
QUESTION - Vous avez remercié les uns et les autres, en France et en Europe. Est-ce que vous remerciez également le Colonel KADHAFI ? Par ailleurs, vous dites : « on a fait preuve de pragmatisme ». Est-ce que cela veut dire que les diplomates ne sont pas capables de pragmatisme, puisque c'est le Secrétaire général de l'Elysée, en l'occurrence un ancien Préfet, qui a finalisé ces négociations ?
LE PRESIDENT - Mais il y avait des diplomates. Notre Ambassadeur sur place a été associé à toutes les négociations. C'est d'ailleurs lui-même qui avait reçu et accompagné Cécilia et Claude GUEANT il y a dix jours, quand ils sont allés pour la première fois à Tripoli. Et il était encore là jusqu'à une heure avancée de la nuit. C'est l'ensemble du Quai d'Orsay, avec Jean-David LEVITTE, incarnation du diplomate de qualité, qui a été associé à cette négociation et qui prépare notre voyage à Tripoli. Quant au Colonel KADHAFI, je le remercie bien volontiers d'avoir compris qu'il était important que cette décision soit prise. J'avais d'ailleurs indiqué que si elle n'était pas prise, je ne pouvais pas envisager le voyage dans les mêmes conditions.
QUESTION - Monsieur le Président, précisément quelles étaient les exigences libyennes, exigences dont on a compris qu'elles ont rendu la dernière ligne droite des négociations assez dure comme vous l'avez dit hier ? Qu'est-ce la Communauté européenne et la France ont finalement accordé aux Libyens ? Le Réseau « Sortir du nucléaire », notamment, dit que la France a proposé d'aider la Libye à se doter d'un programme nucléaire civil ?
LE PRESIDENT - Cela n'a strictement rien à voir. Je tiendrai des réunions cet après-midi avec Bernard KOUCHNER et le Premier ministre pour préparer mon voyage mais il m'était très difficile de faire un accord alors que je ne savais pas si les infirmières allaient être libérées. L'Europe, Bernard KOUCHNER le sait mieux que moi, s'est beaucoup investie, la France également, pour que l'hôpital de BENGHAZI puisse fonctionner avec un certain nombre de médecins français et européens. Je peux simplement vous confirmer que ni l'Europe, ni la France n'ont versé la moindre contribution financière à la Libye. J'ai eu l'occasion de remercier très chaleureusement les autorités qatariennes pour leur médiation et leur intervention humanitaire. C'est à elles de parler si elles ont quelque chose à dire sur le sujet.
QUESTION - Et que pensent les Libyens de cette libération après des négociations difficiles ?
LE PRESIDENT - Vous les interrogerez. Il n'y a pas que de ce point de vue que c'était difficile. C'était difficile car il y a une opinion publique libyenne, qu'il y a eu beaucoup de souffrance et beaucoup d'incompréhension. C'était très complexe parce que nous, européens, ne voulons pas reconnaître la culpabilité d'infirmières qui à nos yeux sont innocentes et qui viennent d'ailleurs d'être graciées par la Bulgarie, Etat francophone et européen. En même temps, les Libyens ont leur propre vision des choses. Quand on veut essayer de trouver une solution, on essaie d'humilier personne, et de se tourner vers l'avenir plutôt que de refaire le passé. J'ai eu l'occasion d'indiquer à Monsieur KADHAFI que la meilleure façon de se tourner vers l'avenir, de façon apaisée, c'était de régler ce problème qui était à mes yeux un préalable.
QUESTION - Monsieur le Président, se tourner vers l'avenir est-ce que cela veut dire éventuellement aller jusqu'à signer des accords précis avec la Libye, des accords de coopération qui pourraient excéder le cadre simplement économique ?
LE PRESIDENT - Des accords de coopération avec la Libye, j'espère que l'on en signera, bien évidemment. Je ne sui pas le seul, la France n'est pas la seule. Les Etats-Unis l'ont fait, Monsieur BLAIR s'est rendu en Libye, Monsieur PRODI lui-même s'est rendu en Libye, pour signer des accords de coopération avec l'Italie pour la gestion des flux migratoires et la lutte contre l'immigration clandestine. Je ne vois pas au nom de quoi la France serait le seul pays à ne pas signer ce type d'accord. On devrait se réjouir de voir la Libye prendre cette décision. On ne va quand même pas punir la Libye parce qu'elle a pris la décision de libérer des innocents alors que, pendant huit ans et demi, j'ai vu un certain nombre de chefs de gouvernement et de ministres s'y rendre sans que cela ne choque personne. On ne va pas m'expliquer que c'est choquant d'aller en Libye maintenant que ces personnes sont libérées alors que tant de chefs d'Etat et de gouvernement s'y sont rendus alors qu'elles étaient emprisonnées. Je ne porte pas de jugement sur la façon qu'ils ont eue de gérer leurs visites. J'ajoute que lorsque Cécilia et Claude GUEANT s'y sont rendus il y a dix jours, ils ont pris soin - et vraiment c'était très intelligent et très adapté - d'avoir une longue discussion avec les infirmières et d'aller à BENGHAZI pour rencontrer les familles d'enfants malades. Cela a beaucoup compté dans l'intelligence de la compréhension de la situation, beaucoup. C'est toujours un problème, quand on fait face à des questions difficiles, de ne voir que sa propre thèse, que sa propre façon de voir les choses sans jamais se mettre à la place des autres. C'est un problème. Je n'ai fait aucune concession sur la question des droits de l'homme. Nous n'avons rien cédé sur la non culpabilité des infirmières, et elles sont sorties.
QUESTION - Avec le Colonel KADHAFI, on sait bien que rien ne se fait sans compensation, c'est impossible, donc il y a forcément eu des choses sur lesquelles vous vous êtes engagé. Je comprends votre discrétion aujourd'hui mais on aimerait bien en savoir un peu plus quand même. Là, vous ne vous voulez pas, disons, faire perdre la face au Colonel KADHAFI et dire que c'est un beau geste. Mais on voudrait des précisions.
LE PRESIDENT - Madame, d'abord j'essaie de ne jamais faire perdre la face à qui que ce soit parce que ce n'est pas une bonne façon de gérer les affaires nationales ou internationales. Deuxièmement, Madame, je vous ai parlé de la médiation et de l'intervention humanitaire du Qatar mais ce n'est pas à moi de parler au nom de nos amis qataris ou au nom du Colonel KADHAFI. Adressez-vous directement à eux si vous voulez connaître leur point de vue. Si vous me posez la question « la France a-t-elle versé un euro ? », ma réponse est non. Si vous me posez la question « l'Europe a-t-elle versé un euro dans le cadre de cette négociation au-delà du protocole d'accord qui était sur la table » et que vous connaissez, que Monsieur KOUCHNER peut décrire mieux que moi, la réponse est non. Monsieur BARROSO vous le dira. Nous avons convenu, à un moment donné de la négociation, Monsieur BARROSO et moi-même, qu'il fallait faire intervenir un Etat ami. Les discussions qui ont eu lieu par la suite entre le Qatar et la Libye, deux pays arabes, ce sont des discussions qui regardent ces deux pays. S'ils veulent communiquer dessus, ils le feront eux-mêmes. A travers votre question vous suggérez que je ne suis pas un intime de Monsieur KADHAFI. Certes, je ne peux que confirmer cette information. Je ne suis pas un intime de tous les chefs d'Etat avec qui je parle.
QUESTION - Quel a été le rôle concret de votre épouse ces 48 dernières heures ?
LE PRESIDENT - Elle s'est rendue deux fois en Libye en dix jours et sur les 46 heures de présence sur le sol libyen, elle a eu l'occasion de s'entretenir avec Monsieur KADHAFI, de le rencontrer longuement à une reprise et de s'entretenir avec lui à plusieurs reprises. Après, dans le détail des événements, elle-même ne souhaite pas s'attarder sur son rôle et ne fera, sur le sujet, aucune déclaration.
Je vous remercie.