9 juillet 2007 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe de MM. Nicolas Sarkozy, Président de la République, et Jean-Claude Juncker, Premier ministre et ministre des finances du Grand Duché de Luxembourg, sur l'engagement de la France de réduire son déficit budgétaire en 2010 ou 2012 en vertu du Pacte de stabilité et de croissance, à Bruxelles le 9 juillet 2007.

M. JEAN-CLAUDE JUNCKER - Nous avons eu ce soir le plaisir, la joie et l'honneur d'accueillir au sein de l'Eurogroupe, un visiteur du soir, comme on dit à Paris et qui a tenu, ce qui souligne son engagement et sa responsabilité européenne, à nous exposer le programme économique et budgétaire français. Nous en avons discuté de façon ouverte et franche. Il avait choisi d'inaugurer cette tonalité-là, ce qui ne m'a guère surpris puisque je le connais depuis très longtemps. Je n'ai pas été surpris par le caractère offensif des idées exposées.
Je lui passe tout de suite la parole pour commenter ensuite, très brièvement, ce qu'il vous aura dit. Vous devez comprendre que le Président est jeune mais travaille beaucoup. Il doit donc regagner ses pénates à une heure convenable.
LE PRESIDENT - Je voudrais remercier Jean-Claude JUNCKER, qui a beaucoup d'expérience et qui a remarquablement présidé cette séance. Je voudrais dire qu'elle est importante pour l'Eurogroupe parce que la démarche que j'ai faite est une démarche profondément européenne : celle qui consiste pour un Président, un chef d'Etat, à aller exposer à ses partenaires de l'Eurogroupe la politique économique que l'on mène. J'ai beaucoup insisté sur les réformes que la France allait mettre en oeuvre, réformes qui correspondent à l'agenda de Lisbonne. La Commission, comme les institutions européennes, attendaient, depuis bien longtemps, que la France les mettent en oeuvre. Je crois pouvoir dire, sous le contrôle de Jean-Claude, que cela a provoqué un consensus assez général de satisfaction de la part de l'ensemble des ministres des Finances qui ont considéré que nous allions mettre en oeuvre ces réformes tout de suite et pas plus tard. De ce point de vue, je crois que cela a été vécu comme une bonne nouvelle.
Deuxième élément : j'ai indiqué que je croyais à un pacte, à la nécessité de ce pacte et que je voulais, bien entendu, m'inscrire dans la logique de ce pacte. Il ne s'agit pas de réduire le déficit pour faire plaisir à la Commission. Il s'agit de réduire le déficit parce que c'est mieux d'avoir un pays qui n'est pas endetté que d'avoir un pays endetté.
Troisième élément : j'ai pris un certain nombre d'engagements. Celui d'être à 2,4 points de déficit en 2007, au lieu de 2,5. Celui d'être en-deçà des 2,4 points en 2008. J'ai indiqué que je n'étais pas sûr de pouvoir être à 1,8. D'ailleurs, ceux qui avaient pris cet engagement, à l'époque, n'étaient pas davantage sûrs de pouvoir l'être.
Quatrième élément : j'ai indiqué que si le seuil psychologique de confiance que nous créons permettait d'avoir une croissance supérieure, alors nous pourrions être au rendez-vous de 2010. Nous ferons tous nos efforts pour cela mais je me devais d'être réaliste, d'être honnête, d'être transparent. Si nous n'y arrivons pas, alors je demanderai à être au rendez-vous de 2012. 2012 n'est pas une date invraisemblable puisque c'est une date qui a été fixée par l'ensemble des ministres des Finances. Voilà très exactement le débat que nous avons eu.
Avec le Commissaire ALMUNIA et en discutant avec Jean-Claude JUNCKER, nous allons voir comment je peux proposer un programme actualisé que l'on déposera au mois de septembre, de façon à ce que cela soit le plus bref possible. J'ai d'ailleurs fait valoir qu'il m'était difficile de prendre des engagements à Bruxelles avant d'avoir rendu les arbitrages sur ces engagements à Paris dans la préparation du budget 2008. Au fond, nous sommes d'accord sur le fait de faire des réformes et, en même temps, de poursuivre l'effort de soutenabilité. La question - et nombreux ont été d'ailleurs les ministres qui l'ont comprise - c'est qu'il faut un peu de temps pour que les réformes génèrent des économies. On ne peut pas me demander des résultats tout de suite avec des réformes faites tout de suite et c'est ce pragmatisme dont j'ai demandé qu'il soit retenu pour apprécier l'esprit du pacte de stabilité. La France se lance dans un mouvement de réformes sans précédent. Je les avais exposées d'ailleurs au Président BAROSO juste avant la réunion avec Jean-Claude. Je ne demande pas des délais pour différer un effort de maîtrise des finances publiques, je demande simplement une application intelligente et dynamique du pacte de stabilité parce que la France va mettre en oeuvre les réformes que l'Europe attend d'elle depuis si longtemps. Je crois qu'il était très important de venir en parler avec les ministres des Finances de la zone. Je vous demande d'excuser Christine LAGARDE qui est restée en séance.
M. JEAN-CLAUDE JUNCKER - J'ajouterai aux propos du Président de la République deux ou trois considérations. Tout d'abord, à l'Eurogroupe - et c'est essentiel - nous sommes contents de voir la France s'engager dans une phase de réformes profondes et de substance. C'est une bonne nouvelle pour l'Europe. La France ne sera plus jamais le pays de l'immobilisme. Je ne dirai jamais qu'elle l'a été mais je constate une dynamisation de toutes les énergies, de tous les talents français pour faire de ce pays le pays des réformes en Europe. En termes de croissance à venir non seulement pour la France mais également pour l'Europe, c'est un facteur d'entrain que nous applaudissons.
Le Président de la République, avec la verve qui est la sienne et la force de conviction dont il sait faire preuve, a expliqué au Président de l'Eurogroupe et à ses collègues que, pour lui, il n'y avait pas de contradiction entre le fait d'engager une démarche de réformes structurelles profondes - celles d'ailleurs qu'il avait expliquées aux citoyens français avant le dimanche décisif de l'élection présidentielle - et la consolidation budgétaire.
Le Président a dit devant mes collègues qu'évidemment, la France restera profondément ancrée dans une philosophie de consolidation budgétaire et que le budget 2008 s'en ressentira par rapport aux comptes prévisibles de 2007. Il n'y a donc pas de pause, d'arrêt général de la consolidation budgétaire en France.
Le Président s'est fait le messager du contraire de ce qui a pu être écrit dans des journaux pas toujours très au fait des intentions exactes des nouvelles autorités françaises et surtout de celles du Président. Nous avons retenu son engagement et celui du gouvernement de tout faire pour arriver à l'objectif de 2010. Pour nous permettre de nous faire une idée exacte sur cette intention, le Président et son gouvernement introduiront, au niveau européen, un programme de stabilité actualisé au mois de septembre, alors qu'il avait été prévu de le faire au mois de décembre. Nous sommes donc reconnaissants au Président français de vouloir se rendre redevable, contrôlable au plan européen de ce qu'il a l'intention de faire après l'avoir annoncé au cours de la campagne présidentielle en France.
C'est la première fois qu'un gouvernement et qu'un chef de l'État sont d'accord pour anticiper les procédures en actualisant le programme de stabilité en cours. L'attente de l'Eurogroupe étant, bien sûr, que suite aux réponses structurelles qui seront engagées par le Président et par son gouvernement d'une façon vérifiable, nous puissions constater que ce programme de réformes conduise à l'augmentation du potentiel de croissance de la France et, en conséquence aux bons résultats du côté des recettes fiscales. Le Président s'est engagé sans que nous ayons à le pousser pour le faire.
J'insiste sur le fait que toutes les recettes supplémentaires conjoncturelles qui seraient réalisées au-delà des prévisions budgétaires seront affectées à la réduction de la dette et à la réduction du déficit. Nous pensons que, d'ici quelques semaines, nous serons à même de réaliser un bon croisement entre la volonté de réformes du Président de la République et du gouvernement français et les attentes de consolidation budgétaire qui sont les nôtres. Ce fut une bonne réunion et, en venant à l'Eurogroupe, le Président de la République a montré son esprit européen, que j'avais d'ailleurs déjà eu l'occasion d'observer lors d'un récent rendez-vous européen à Bruxelles. Il a su démontrer à ses collègues qu'il n'avait pas tout oublié de ce qu'il avait appris du temps où il était le locataire de Bercy ! C'était une bonne réunion tant du point de vue de l'Eurogroupe que du point de vue européen tout court. Nous avons assisté ce soir à une belle leçon de gestion collective et solidaire de la monnaie unique. Je vous rappelle que le Président est jeune, travaille beaucoup et doit rentrer tôt !
QUESTION - Une question pour vous deux. Est-ce que vous pensez que le fait de reporter de deux ans le retour à l'équilibre n'affecte en rien la crédibilité de la France ?
LE PRESIDENT - D'abord, je n'ai pas dit qu'il s'agissait de reporter de deux ans. J'ai dit que nous allions faire un programme actualisé. Si nous avons plus de croissance, on affectera tous les surplus de la croissance à la réduction et on pourra alors y arriver. Mais, j'aurais pu dire " 2010, c'est loin ". Vous savez, la question n'est pas de prendre des engagements à trois ans. La question est de les tenir et j'ai dit également que si on n'avait pas de résultat pour la croissance, alors on serait à 2012. C'était un devoir européen d'honnêteté et de transparence. Donc, je ferai tous les efforts pour être en 2010. En fonction des résultats de la croissance et de l'affectation des recettes de cette croissance à la réduction du déficit, si nous n'arrivons pas à tenir 2010, nous serons alors en 2012, et je serai le premier à le regretter. Ce n'était pas une date absurde puisqu'elle était celle de l'ensemble des ministres des Finances. Voilà ce que nous allons discuter dans le programme actualisé avec un double scénario en fonction des perspectives de croissance. D'ailleurs, que voulait dire le pacte renégocié en 2004 et accepté en 2005 ? Pourquoi l'a-t-on fait ? Plus il y a de croissance, plus on réduit le déficit. Je suis tout à fait dans la logique de ce pacte. J'ajoute un dernier point : il n'y a pas un pays qui peut me dire que l'année où l'on fait les réformes, il n'est pas nécessaire de mettre de l'argent pour accompagner ce processus de réformes. Voilà et la bonne nouvelle - le Président JUNCKER l'a dit - c'est que la France fait des réformes et qu'elle les fait tout de suite. Ce fut d'ailleurs l'un des éléments de la discussion avec M. ALMUNIA sur le thème de l'engagement à mettre dans le programme actualisé la liste des réformes. Naturellement, je m'engage sur cette liste de réformes.
M. JEAN-CLAUDE JUNCKER - Il y a trois éléments importants. D'abord, nous disons oui à ce programme ambitieux de réformes structurelles en France. Nous tenons beaucoup à ce que qu'aucune espèce de contradiction ne soit établie entre la volonté de réformes et la volonté de consolider. Le Président nous a dit que le déficit en 2008 serait inférieur au déficit prévisionnel de 2007. Nous avons dit à Berlin le 20 avril que de grands efforts devaient être faits pour que tous les pays soient à leur objectif de moyen terme en 2010. Le Président nous a dit qu'il allait faire tous les efforts pour y être. Nous voulons penser que le programme des réformes qu'il engagera se traduira par plus de croissance. Si je peux me permettre de citer le Premier ministre français à propos de ce point de croissance qui manque à la France : il avait dit, à l'Assemblée Nationale, que la France serait au rendez-vous au plus tard en 2012. Le Président nous a beaucoup rassurés sur sa volonté d'y être en 2010. L'important, c'est le soulagement qui est le nôtre de voir la France s'engager sur une piste de réformes qui seront au plus grand bénéfice non seulement des Françaises et des Français mais également de l'Europe toute entière. Donc, le message de ce soir est : oui aux réformes, oui à l'intention du Président puisque cela correspond à notre attente d'être à l'objectif à moyen terme en 2010. Il ne faut pas faire des réformes et de la consolidation des concepts contradictoires parce que si on donnait cette impression - chose que le Président n'a pas faite ce soir - il se pourrait très bien que les efforts de consolidation dans d'autres pays soient ralentis. Le Président a explicitement encouragé les autres pays à rester sur le même chemin.
QUESTION - Vous avez évoqué la proposition de faire un Sommet de l'Eurogroupe. Est-ce que vous en avez discuté ce soir, et quelle en sera l'utilité? En deuxième lieu, vous avez aussi évoqué la nécessité de stimuler les exportations européennes par le taux de change de l'euro. Comment allez-vous vous y prendre exactement pour faire cela ?
LE PRESIDENT - Je n'ai pas voulu mélanger tous les sujets. On avait déjà un bon sujet avec ce dont on a discuté ce soir. Pour l'Eurogroupe, au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement, j'en ai parlé avec le Président BAROSO. Il préfèrerait que cela soit un sommet de l'ECOFIN, c'est-à-dire annexe à une réunion d'un Conseil Européen. Je n'y vois que des avantages. Jean-Claude, lui, est, de toute manière, de toutes les réunions. Il s'est bien débrouillé, c'est le multicarte parfait. Il gère cela depuis 1976 avec une science qui m'impressionne toujours ! Le Président BAROSO préférerait que cela soit l'ensemble des chefs d'Etat et de gouvernement qui soient concernés par la réflexion sur la politique économique et je m'y rangerai bien volontiers. S'agissant de la politique monétaire, j'en ai discuté brièvement avec mon ami Jean-Claude TRICHET. Nous ne sommes pas exactement sur la même longueur d'ondes mais je fais confiance à ses grandes capacités de compréhension, d'écoute et d'adaptation. Par conséquent, nous nous sommes donnés rendez-vous à un autre moment, parce que ce n'était pas le sujet. Vous comprenez que l'on ne pouvait pas traiter de sujets aussi importants en même temps que j'expliquais la politique économique de la France. Ce n'était pas raisonnable mais je vous rappelle que je suis élu pour cinq ans et que, si le Bon Dieu me prête vie, j'aurai l'occasion de porter d'autres débats, à d'autres moments.
M. JEAN-CLAUDE JUNCKER - Ayant de bonnes relations, en tant que démocrate-chrétien, avec le Bon Dieu, puisque je m'inscris dans une logique verticale, je peux vous dire que la santé du Président sera telle que nous aurons à revenir à ces sujets. Ceci dit, nombreux étaient nos collègues - le Président n'ayant pas dit le contraire - à dire que, bien sûr, personne ne remettait en cause l'indépendance de la Banque. Cette indépendance ne veut pas dire absence de dialogue ou de controverses, étant entendu que ces controverses peuvent avoir lieu dans des chambres assombries par des volets qui empêchent les autres d'y regarder de près···
QUESTION - Je voudrais savoir si vous avez évoqué le problème du candidat européen au FMI ?
LE PRESIDENT - Je ne l'ai pas évoqué en séance, mais je crois pouvoir dire qu'il y a deux personnes qui sont pour la candidature de Dominique STRAUSS-KAHN : Jean-Claude JUNCKER et moi ! Nous sommes, de ce point de vue, sur la même longueur d'ondes. J'ai fait la tournée de l'ensemble des ministres des Finances et je me suis entretenu de ce sujet, avant de partir à Bruxelles, avec Gordon BROWN. Je confirme que Dominique STRAUSS-KAHN sera, en plein accord avec lui, le candidat de la France d'abord et, ce que je souhaite surtout, le candidat de l'Europe à un poste qui était tenu par un Européen. C'est d'ailleurs un homme de très grande qualité et j'ai toujours soutenu Rodrigo RATO, Jean-Claude peut en porter témoignage. Il est certainement l'un des meilleurs ministres des Finances qu'ait eu l'Europe et je veux lui rendre hommage.
M. JEAN-CLAUDE JUNCKER - Sur ce point, je préciserai que nous sommes d'accord depuis au moins une dizaine de jours. Vous aurez noté que le fait que le Président de la République appuie la candidature de Dominique STRAUSS-KAHN est plus important que l'appui que je peux lui apporter, mais ma contribution modeste a été décisive.
LE PRESIDENT - Ce n'est pas exact : la crédibilité de Jean-Claude JUNCKER va bien au-delà, s'il me le permet, des seules limites de son pays. C'est vrai que nous en avons parlé il y a une dizaine de jours et je veux rendre hommage à Jean-Claude. Nous travaillons sur ce dossier, comme sur d'autres, absolument main dans la main, avec une seule idée : qu'il soit le meilleur candidat européen qui puisse être retenu.
Je vous remercie.