23 juin 2007 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur les défis et priorités de la politique industrielle, Le Bourget le 23 juin 2007.

Monsieur le Ministre d'Etat,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Et notamment le Ministre de la Défense,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Je voudrais commencer mon intervention devant vous en exprimant un regret : celui de n'avoir pas pu essayer en vol les engins que je viens d'admirer. Les propositions ont été multiples. Mais j'ai le sens du ridicule. Il est inutile de vous dire que mes compétences techniques sont très notoirement insuffisantes, pour ne pas dire inexistantes, quant aux appétences physiques, il y aurait beaucoup à dire dans cette période de transparence, j'ai préféré ne pas tester les exploits de vos pilotes. En regardant vos machines, je peux vous dire que j'imaginais ce que cela demandait, pour vos collaborateurs, de condition physique et, en même temps, de compétences techniques. Peut-être, ce qui m'a le plus touché, c'est le regard des spectateurs. Croyez-moi, j'ai vu une petite Mathilde, que la vie n'avait pas gâté, qui était très heureuse d'être ici. Vous êtres à la pointe de la technique. D'après ce que je lis, les commandes ont été bonnes. Mais, moi, ce que j'ai noté, c'est que vous avez donné du bonheur à des femmes et des hommes qui n'achèteront jamais le premier de vos matériels et qui pourtant étaient fiers d'être ici, de se sentir appartenir à une communauté nationale capable de fabriquer ce que vous fabriquez. Peut-être est-ce quelque chose dont vous ne vous rendez pas compte, mais vous êtes capables de faire rêver, et cela compte.
Alors plutôt qu'en semaine, parce, j'ai voulu venir, en ce jour, le samedi, de ferveur populaire. Il y avait l'inauguration sans ouverture au public. Moi, je préfère faire la fermeture avec le public, parce que je crois que la ferveur populaire illustre le rapport profond qu'a notre pays avec l'industrie.
Vous savez, pour moi, c'est extrêmement important. Durant la campagne, j'ai beaucoup fait sourire dans mon obsession à me rendre dans les usines. Je pense qu'un pays qui abandonne ses usines et ses industries, c'est un pays qui perd son identité. Un pays sans ouvriers, un pays sans paysans, un pays sans artisans, c'est un pays qui perd sa civilisation. Il y a une culture industrielle. Il y a des rapports dans les usines qui sont, nulle part ailleurs, de la même nature. Je me souviens de cette remarque que l'on me faisait -un grand chef d'entreprise- : "pourquoi vas-tu dans les industries ? Il y a de moins en moins d'ouvriers dans les usines et il y a de plus en plus de bureaux". Bien sûr, mais il y a quelque chose que sentent profondément nos compatriotes, c'est que si on laisse tomber les usines, ce sont les bureaux que l'on laissera tomber ensuite. Si on laisse tomber les ouvriers, c'est le cadre que l'on laissera tomber ensuite.
C'est un ensemble, un pays. Moi, je veux me battre. C'était l'objet, d'ailleurs, de nombreuses discussions, ces deux dernières nuits, avec nos partenaires européens. Il ne faut pas laisser tomber notre culture industrielle. Il y a un savoir faire. Il y a une expérience accumulée qui est l'apanage des grandes nations industrielles. C'est un atout stratégique. Il y a la détention de technologie et puis, il y a les outils de production. La responsabilité que nous avons, vous, industriels et nous, gouvernants, c'est de préserver cet héritage.
Je me disais cela en visitant -je l'ai fait plusieurs fois-, les chantiers de l'Atlantique. Je me disais qu'il a fallu des décennies pour créer un savoir faire industriel. Il suffit de quelques mois pour tout mettre par terre.
L'industrie qui est la vôtre, Monsieur le Président, savoir construire des avions, il y a des décennies d'expérience derrière. On ne peut pas laisser partir cela, parce que le goodwill, le tour de main que cela représente, c'est l'apanage des grandes nations qui ont une tradition industrielle.
Il faut regarder en face la réalité. La réalité, c'est une érosion progressive de notre industrie. Nos exportations industrielles stagnent en valeur, chère Christine, depuis 2000. La valeur ajoutée industrielle, qui augmentait de 7% par an jusqu'en 1990, ne progresse quasiment plus depuis 2000. L'investissement industriel est revenu en 2006 à son niveau de 1995, onze années où l'on n'a pas progressé.
L'investissement trop faible nourrit à son tour la perte de compétitivité, qui est la cause de 730 000 destructions d'emplois industriels entre 1995 et 2003. Il y a des causes bien identifiées. Je refuse de mettre en cause le niveau des salaires, car si la France doit avoir une industrie performante, c'est précisément pour pouvoir verser des salaires conformes à son niveau de vie tout en restant compétitive. Moi, je vais prendre mes responsabilités. J'en ai un peu assez de ces spécialistes en laboratoire qui vous expliquent qu'il y a un problème de compétitivité de l'entreprise et qu'il n'y a pas de problème de pouvoir d'achat des salariés. Parce que je pose la question : "est-ce que cela arrange la compétitivité d'une entreprise que d'avoir des salariés qui ne se sentent pas rémunérés à la hauteur du travail qu'ils investissent dans l'entreprise ?". C'est quand même une question centrale. Je me suis battu sur le travail. J'ai dit à la France que son problème, c'était que la France ne travaillait pas assez quand les autres pays travaillaient trop. Mais ce n'est pas n'importe quel travail et ce n'est pas n'importe quelle rémunération.
Alors, en revanche, cela est sûr que les 35 heures ont beaucoup contribué à la destruction de notre tissu industriel. Voilà une affaire étrange. Nous sommes les seuls pays au monde à nous être dotés d'une législation pour empêcher les gens de travailler. D'ailleurs, c'est assez rassurant sur l'équilibre du monde que de voir que personne ne nous a imité. Soit, nous sommes très, très en avance, soit, il y a quelque chose qui n'a pas marché. Je pense qu'il y a quelque chose qui n'a pas marché. Il y a un deuxième sujet, que les choses soient claires, nous le ferons, c'est la réforme du marché du travail. Jamais le droit du travail français n'a été aussi protecteur et en même temps jamais les salariés ne se sont sentis aussi exposé à la précarité. Système magique où tout le monde perd et on vient m'expliquer qu'il ne faut rien toucher aux équilibres comme si une injustice partagée était moins choquante, comme si le problème de la France, ce n'était pas de lutter contre les injustices mais que tous vous soyez en retard pour être sûr que personne ne soit à l'heure. Les salariés sont inquiets ? Oui, mais ce n'est pas grave, parce qu'ils sont tous dans la même situation. Ce n'est pas cela l'égalité. La réforme du marché du travail, tous les autres pays l'ont fait et tous les autres pays ont obtenu des résultats. Nous le ferons.
Je plaide pour une approche simple et, oserai-je le dire, décomplexée des rapports entre politique industrielle et concurrence. Je crois la concurrence indispensable pour assurer le meilleur rapport qualité/prix, pour stimuler le service et l'innovation. Mais je vais prendre mes responsabilités. Je récuse une approche théologique, idéologique qui fait de la concurrence une fin en soi. Quand la concurrence est utile, je suis pour. Quand elle va à l'encontre d'une politique économique efficace, je veux que l'on se pose la question. Qui peut m'expliquer les bienfaits de la concurrence dans le secteur de l'électricité si elle fait monter les prix très au-dessus des coûts de revient à long terme ? En économie, ma seule idéologie, c'est le pragmatisme.
Je pense d'ailleurs que la grande diversité des déclarations de nos partenaires européens sur ces questions masque en réalité une grande unité d'action. Si nous pouvons reconnaître la grande proximité de nos intérêts, plutôt que se faire des procès réciproques en ultra-libéralisme ou en protectionnisme, nous pourrons mettre en place une vraie politique industrielle, européenne.
Quand il y a fallu, en 2004, sauver ALSTOM, on peut regarder cela de loin, mais il y avait 25 000 collaborateurs. Mais imaginez, ici, ce que vous auriez dit si vous aviez été un collaborateur d'ALSTOM. Je me souviens de la note qui m'a été faite par un de mes collaborateurs de l'époque, à Bercy : parfaite. Parfaite la note. Conclusion parfaite. Il n'y a rien à faire. Il faut brader. Cela ne sert à rien. C'est fini. D'abord, c'est de l'industrie. J'ai fait venir ce jeune collaborateur brillant. Je lui ai dit : "vous me refaite la note en imaginant juste un détail : c'est votre père qui est salarié de l'entreprise. Est-ce que vous écrirez la même chose ?" Personne ne m'a cru à l'époque. Personne. Les ministres qui sont ici peuvent en témoigner, il a fallu racheter sur fonds publics -c'était le gouvernement de Jean-Pierre RAFFARIN-, 22% d'ALSTOM, pas par idéologie, mais parce que personne ne voulait le faire. L'État l'a racheté 800 millions d'euros et c'était la condition pour les banques, dont vous savez l'enthousiasme qu'elles mettent à prêter à une entreprise dont tout le monde dit qu'elle est fichue. Il fallait lever 10 milliards d'euros, c'était la condition. L'État qui a racheté 800 millions les 22% d'ALSTOM, les a revendu deux années après 2 milliards 400 millions et l'investisseur privé, qui est devenu l'actionnaire de référence d'ALSTOM, a donc payé plus de 2 milliards ce que nous avions acheté 800 millions. Ce n'est pas si souvent que l'État fait une bonne affaire. L'actionnaire qui a racheté à ce prix là, a encore quasiment doublé la mise depuis, et ALSTOM est une des sociétés qui a la meilleure performance boursière en 2006. Fallait-il que j'écoute ceux qui me disaient à l'époque : "il n'y a rien à faire, c'est fichu au nom de la concurrence, il fallait faire un joint ventrue avec Siemens.
Comprenez-moi, je ne dis pas que l'État a toujours raison, bien évidemment, mais je veux décomplexer la question de la politique industrielle. Si le général de GAULLE, en son temps, n'avait pas fait le choix du nucléaire, est-ce le marché qui nous l'aurait donné ? On m'a présenté Ariane Espace. On a présenté ici un certain nombre de grands projets. Si l'État n'avait pas joué son rôle, est-ce le marché qui l'aurait joué ? Est-ce que les pays spontanément deviennent des spécialistes pour la construction d'avions, de trains, de voitures, possédant le nucléaire, alors que les autres ne l'ont pas ? Ou est-ce que, à un moment donné, le rôle d'hommes politique et d'hommes d'État, c'est de se dire : "attention, regardons à plus long terme". Le marché n'est pas le meilleur, en tout cas, pas le seul conseiller pour le long terme. Est-ce que l'on a le droit de dire cela sans être immédiatement taxé de vouloir nationaliser ou de ne pas être libéral ? Le libéralisme, cela ne veut pas dire qu'un ministre des Finances doit rester les bras croisés ou qu'un Président de la République n'a pas aussi la responsabilité d'imaginer à vingt ans ce que sera l'appareil industriel de son pays. Une politique industrielle, ce n'est pas un gros mot. Je veux d'ailleurs dire, de ce point de vue, que ce n'est pas un droit d'avoir une politique industrielle pour un pays, c'est un devoir. Cela ne veut pas dire que l'on peut tout faire, que l'on doit investir dans tous les domaines. Au contraire, il faut faire des choix et, si possible, des choix de long terme.
Il y a une deuxième remarque que je voudrais faire toujours sur la concurrence. Bien sûr, je suis pour la concurrence, l'ouverture des marchés et la mondialisation. Mais je dis les choses de la façon la plus claire, j'ai eu l'occasion de le dire à M. LAMY, à M. MANDELSON et au dernier G8 en formation G24, à un certain nombre de nos grands partenaires : l'Inde, le Brésil, la Chine, l'Argentine. Je ne veux plus que l'Europe fasse preuve de naïveté.
Pour moi, la bonne concurrence, je vais vous dire, c'est très simple, c'est la concurrence réciproque. Je dis à nos partenaires à travers le monde : "vous voulez que nous ouvrions nos marchés. Très bien. Nous les ouvrirons à la minute où vous ouvrirez les vôtres. Vous voulez que nous abaissions nos barrières tarifaires. Très bien. Nous les abaisserons à la minute où vous abaisserez les vôtres". Mais, de ce point vue encore, je pense que l'on ne peut plus continuer à imposer à nos industries et à nos entreprises le dumping environnemental, le dumping social, le dumping fiscal, et voici maintenant le dumping monétaire.
Peu m'importe que cela ne plaise pas, je le dis parce que je le pense, nous n'avons pas créé la deuxième monnaie du monde pour que si cela continue, on ne puisse plus construire un seul avion sur le territoire de l'Europe. Quand même dire cela, ce n'est insulter personne. Je me souviens d'un homme politique qui avait dit drôlement : "qu'un homme politique qui parlait de la monnaie était un irresponsable". Et au nom de quoi ? Y aurait-il donc des sujets tabous ? Qu'est-ce que je demande ? Je demande qu'on fasse avec l'euro, ce que les Américains font avec le dollar, ce que les Chinois font avec le yuan, ce que les Japonais font avec le yen et, pardon de le dire, ce que les Anglais font avec la livre sterling. Comment nos industriels peuvent-ils encore être compétitifs si le dollar se dévalue de 34% par rapport à l'euro. Est-ce que nous avons fait la deuxième monnaie du monde pour ne pas pouvoir s'en servir ? J'ai posé la question au Président chinois, à Rostock, l'autre jour : "allez-vous réévaluer le yuan ? L'homme est courtois, il m'a souri. J'en ai tiré des conclusions absolument définitives. Je souhaite que l'on puisse construire des avions en Europe. Je ne le dis pas simplement, Cher Louis GALLOIS, pour Airbus. Chaque fois que l'euro s'apprécie de dix centimes, Arbus a un milliard d'euros à trouver. Quelle entreprise peut-elle résister ? Je pourrai multiplier les exemples, de ceux qui fabriquent en zone euro et qui vendent en dollars. Comment peut-on fonctionner comme cela ?
J'ajoute, pour être sûr de m'être bien fait comprendre dans cette salle puis ailleurs, on présente les Etats-Unis d'Amérique, dont je me sens si proche, comme un grand pays libéral. Eux, cela ne les gêne pas de faire une fiscalité différentielle selon que le produit est fabriqué aux Etats-Unis ou ailleurs. Ce que font les Etats-Unis, je demande qu'on le fasse. Prenez le Small Business Act : dans le cadre de l'OMC, les Etats-Unis ont une dérogation. Il n'y a aucune raison que l'Europe n'en ait pas une ! Cela s'appelle la réciprocité. Ni plus, ni moins. Cela n'est pas agressif de dire cela. Je me rendrai en Chine où le Président chinois m'a invité. J'ai beaucoup d'admiration pour cette Chine extraordinaire qui a une histoire multiséculaire, et qui embrasse l'avenir comme un pays jeune. Mais enfin, que ceux qui sont ici, qui vendent à la Chine, nous expliquent comment spontanément on leur propose un associé ? Je suis émerveillé parfois quand je vois des industriels français ou européens, me présenter leurs associés chinois. Je me demande comment ils les ont rencontrés ? Cela doit un coup de foudre de sympathie. L'on pourrait parler également des transferts de technologies. Comment cela se passe t-il ? L'Europe et la France, nous n'avons aucune leçon à recevoir en matière de libéralisme. Mais que les choses soient claires. La naïveté, c'est fini. La réciprocité, cela commence. Pareil pour le Protocole de Kyoto. Comment peut-on imaginer que nous allons imposer à nos entreprises, et cela est normal pour préserver les équilibres de la planète, de produire propre et continuer à importer dans notre pays des produits venant de pays qui se moquent du tiers comme du quart du Protocole de Kyoto ? Voilà pourquoi, je suis pour la taxe sur le carbone, des produits importés pour rééquilibrer les conditions de la concurrence. Ou alors, on a décidé de renoncer à tout. Moi, je le dis. Je ne renoncerai à rien.
Bien sûr que dans la politique industrielle, c'est d'abord le développement de l'innovation, le nucléaire, l'aéronautique, l'espace. On vous aidera à investir massivement. Mais la France, pour préserver son rang, doit impérativement faire partie des pays qui défrichent, pas de ceux qui suivent ceux qui défrichent. Notre mouvement historique de rattrapage est arrivé à son terme. Jusqu'en 1995, la productivité horaire industrielle de la France progressait deux fois plus vite que celle des Etats-Unis. Depuis 1995, elle progresse deux fois moins vite. Il faut désormais trouver, en nous-mêmes, les ruptures technologiques qui vont nous permettre de compenser cela. C'es la raison pour laquelle j'ai indiqué que je proposerai au gouvernement d'augmenter d'un quart le financement de la recherche publique, Chère Valérie PECRESSE, en concentrant sur le financement sur projet, et non pas sur structure. Oui, parce qu'il faut que je vous dise quelque chose. On va mettre de l'argent, beaucoup d'argent, mais on va le mettre sur des projets cet argent, et pas sur des structures. Parce que l'on veut les meilleures équipes et je crois nécessaire d'appliquer la même logique au niveau européen. Plutôt que de laisser cinq équipes nationales, dont trois de niveau moyen, travailler séparément sur même thème avec leurs financements nationaux, créons une fondation scientifique européenne qui rassemblera les moyens et les allouera aux meilleures équipes du continent.
Nous avons aussi un énorme gisement d'innovation inexploité avec l'achat public. La logique de l'achat public aujourd'hui est assez simple, la minimisation absolue du risque. S'il y en a qui se sentent visés, ils ont parfaitement raison. Parce que, évidemment, dès que l'on prend un risque, il y a tout un tas de choses qui vous tombent sur la figure. Donc, le gestionnaire avisé, n'est plus celui qui prend des risques, c'est celui qui en prend le moins. Ce n'est pas comme cela que l'on va progresser. Il ne faut pas éviter les PME, il ne faut pas éviter les produits innovants. Je souhaite inverser cette logique, développer une véritable politique d'achat précurseur. Un achat public doit être l'occasion de lancer un produit ou un procédé nouveau et d'être son premier client d'envergure. L'achat public doit être un tremplin et non pas un verrou. Pour cela, chère Christine, il va falloir sensibiliser les acheteurs publics.
En matière d'innovation, la création des pôles de compétitivité a été une étape importante. Le dispositif actuel de soutien dure jusqu'en 2008. Il m'apparaît indispensable de le pérenniser et de le renforcer après une évaluation précise de l'action de chaque pôle. Mesdames et Messieurs, on ne fera plus rien de nouveau sans qu'il y ait évaluation. Le soutien public sera reconduit, sur les pôles qui auront obtenu des résultats tangibles.
Deuxième priorité stratégique, élargir la base industrielle de notre pays. Le secteur de l'aéronautique représente à lui seul les deux tiers des exportations technologiques haut de gamme de la France. Ces chiffres sont à la fois un formidable hommage, Hervé, et, en même temps, une terrible fragilité. Alors l'exemple en est donné avec la hausse de l'euro, qui frappe plus durement la France parce que l'aéronautique est particulièrement sensible à cette question. Nous ne pouvons plus miser tout sur la performance de quelques grandes entreprises. Il faut diversifier la base de nos exportations et de l'innovation industrielle. Pour nous, le coeur de notre politique économique sera d'avoir davantage d'entreprises moyennes, moyennes car elles doivent avoir une taille suffisante pour exporter et mener la recherche technologique de haut niveau nécessaire.
Le manque d'entreprises moyennes, c'est la faiblesse industrielle de la France. Nous créons, depuis 2002, beaucoup d'entreprises. Mais les petites deviennent rarement moyennes et les moyennes deviennent jamais grandes. Sur 1000 entreprises créées au Royaume-Uni, dix ans plus tard, 7 font plus de 15 millions d'euros de chiffre d'affaires. En France, deux.
Je propose de recentrer l'action de l'Agence de l'innovation industrielle sur les entreprises moyennes, sur des projets ambitieux. Je ne veux plus que l'on trouve des entreprises trop grandes pour prétendre au soutien du fonds de compétitivité des entreprises ou d'Oséo, et trop petites pour prétendre au soutien de l'AII.
Il manque à la France un acteur du capital risque et du capital investissement qui soit à la fois doté d'une réelle expertise technologique, d'une vision, d'un attachement au territoire national et d'une surface financière suffisante, c'est-à-dire un acteur capable d'investir en fonds propres 10, 20, 50 Meuros d'un coup. Je n'en vois pas dans notre pays qui réponde aux critères que je viens d'évoquer. Je souhaite que l'on engage une réflexion approfondie sur les raisons d'une telle absence. Que les choses soient claires. On ne peut pas continuer à avoir un système bancaire. On vous prête facilement de l'argent, spécialement quand vous n'en avez pas besoin. Et là, je suis de ceux qui pensent que l'on ne souffre pas d'un manque de projets, mais qu'on souffre d'un manque de financements. Je souhaite qu'un tel fonds émerge de la place financière de Paris, et dans l'immédiat, je le dis à Augustin de Romanet, je crois nécessaire de réorienter l'action de la Caisse des Dépôts. France Investissement doit désormais réorienter son action vers l'intervention directe, en doublant au minimum les moyens qu'elle y consacre.
Troisième grande action, c'est adapter les qualifications des jeunes à la nouvelle donne de la mondialisation et du progrès technologique. Nous avons des filières universitaires, même si cela fait de la peine, qui sont devenues des pièges. Des pièges où les étudiants, vos enfants, mal informés, mal préparés affrontent des taux d'échec massifs et où ceux qui obtiennent leur diplôme font l'amère expérience de la précarité et du déclassement. Nous n'en sortirons qu'en refondant les principes de fonctionnement de l'université française pour fixer à chaque université des objectifs d'insertion professionnelle de ses étudiants, et lui donner l'autonomie, des moyens et une gouvernance.
Alors on dit -mais cela c'est extraordinaire- : "Monsieur Sarkozy, vous voulez vous occuper de tout". Je n'avais pas compris que j'avais été élu pour m'occuper de rien. Mais si s'occuper de tout, c'est penser que l'Europe a un problème, qu'il n'est pas normal que la 5e puissance du monde, la France, ait des universités qui peinent à émerger dans le classement des grandes universités. C'est quand même mon devoir d'essayer de donner à vos enfants les meilleures universités du monde. Qui pourrait oser dire que le problème de la gouvernance dans l'université ne se pose pas ? Qui pourrait oser dire que le problème de l'autonomie des universités ne se pose pas ? Bien sûr qu'il y a des affaires de moyens. Mais alors, je vais proposer un raisonnement. Les moyens financiers supplémentaires, dont a besoin Valérie PECRESSE, seront programmés. Je le dis très clairement, il ne peut pas y avoir de réforme sans moyens. Mais, il n'y aura pas de moyens sans réformes. Parce qu'en France, en première partie, souvent, on le dit : "non, non, Monsieur le Président, il faut des moyens pour qu'il y ait des réformes. On sera au rendez-vous". Mais pas de moyens, s'il n'y a pas de réformes. Parce que des moyens sans réformes, c'est le trou sans fond. Et on déverse, et on déverse, et on déverse. A l'arrivée, on a rien.
Aucun pays n'aura une industrie compétitive sans un enseignement supérieur et un appareil de recherche performant et attractif. C'est le travail que nous avons engagé avec le Premier ministre et Valérie PECRESSE. On ira jusqu'au bout. Une recherche avec plus de moyens, mieux organisée, et des universités avec davantage d'autonomie. Le blabla habituel sur "on a peur". Les Gaulois, ils avaient peur que le ciel leur tombe sur la tête. Ils ont rapidement compris de bouger ou de rester cernés. Le sempiternel discours sur "attention, c'est dangereux l'université ! Attention, ne pensez rien, ne dites rien, ne faites rien, il ne faut pas compter sur nous".
Et la formation professionnelle fera face au même défi. Notre système n'arrive pas aujourd'hui à concentrer ses efforts sur les salariés des secteurs fragiles pour les préparer, cher Jean-Louis, aux métiers des secteurs en croissance. Si vous voulez faire l'INSEAD, et que vous êtes dans une boîte qui gagne très bien sa vie, c'est possible. Si vous êtes salarié dans une entreprise qui délocalise son activité dans une région où il n'y a rien d'autre, la formation professionnelle ce n'est pas pour vous. C'est dommage, parce que c'était justement là, où on en avait besoin. Il y aura une réforme de la formation professionnelle. Je la mènerai en concertation très étroite avec les partenaires sociaux, mais nous aurons des résultats. On me dit, vous voulez faire en même temps la réforme des universités, la réforme de l'Education nationale et la réforme de la formation professionnelle. Oui, bien sûr, en même temps. Parce que c'est lié. Parce que dans les systèmes complexes que sont devenues nos sociétés, si vous faites l'un sans faire l'autre, vous déséquilibrez totalement le système. C'est donc bien pour cela, quand même, d'ailleurs que cela ne doit pas être gênant de le faire en même temps. Puisque jusqu'à présent la stratégie, c'était de ne rien faire en même temps. On ne peut pas m'en vouloir de faire tout en même temps. Au fond, il n'y a que le rien et le tout qui change. Mais si c'était tellement logique de ne rien faire dans tous les secteurs, je garde le même raisonnement. Sauf, que nous, on va le faire. Pourquoi ? Parce que si on ne réforme que l'enseignement supérieur sans réformer la formation professionnelle, celui qui a moins de chance, celui qui n'est pas fait pour faire des études, celui qui n'est pas né dans la bonne famille, celui qui n'a pas de moyens, celui-là, est-ce que vous croyez qu'il a le temps d'attendre encore ? Attendre quoi ? Que cela aille plus mal ? Et qui paiera la chance de s'en sortir. L'immobilisme, c'est toujours les mêmes que cela va pénaliser.
Alors, en matière de fiscalité, le problème est assez simple. La France a l'exclusivité européenne, et peut-être mondiale, du seul impôt idéalement conçu pour pénaliser l'industrie :j'ai cité la taxe professionnelle. Nous avons deux spécialités nationales, les 35 heures obligatoires et la taxe professionnelle. Voilà un impôt qui taxe les immobilisations, donc les investissements productifs, précisément ceux qui permettent à notre pays d'être compétitif avec des salaires élevés. Fantastique, avoir un impôt pour taxer les investissements. Voilà un impôt qui frappe de manière disproportionnée l'industrie, exposée à la menace des délocalisations. Voici un impôt qui sera payé quels que soient les résultats et surtout quels que soient le carnet de commandes. Combien y a-t-il en France de sites industriels qui perdent de l'argent parce que la taxe professionnelle est calculée ainsi ?
Ce n'est pas parce que ce problème est ancien qu'il est sans importance, ni insoluble. L'industrie française ne doit plus être la variable d'ajustement de la décentralisation. Une étape positive a été franchie par le précédent Gouvernement sur la taxe professionnelle. Je souhaite désormais une réflexion globale sur la réforme de notre fiscalité, en mettant un accent particulier sur la taxe professionnelle, car je crois qu'une nouvelle étape ambitieuse est nécessaire. On la préparera en concertation avec les collectivités locales, avec pour échéance le projet de loi de finances 2009. Cette réforme c'est un vrai remède anti-délocalisations. Deux objectifs : alléger la charge qui pèse sur l'industrie et prendre en compte la santé financière de l'entreprise.
Je voudrais terminer en m'adressant spécifiquement au secteur de l'aéronautique et de la défense. 25 milliards d'euros d'exportations, 92 000 emplois, c'est l'acteur principal de la haute technologie dans notre pays. C'est pour cette raison que les difficultés qu'a connues récemment Airbus retentissent dans l'ensemble de notre tissu industriel . Qu'est-ce qu'ils disent les gens et pourquoi avec Jean-Louis BORLOO, nous avons été chez Airbus ? Je vais vous l'expliquer. Parce que je me dis que si je suis moi-même un ouvrier de l'industrie et que je vois qu'Airbus a des difficultés, je me dirai : "si Airbus a des difficultés, exemple de la technologie et de la performance, qu'est ce que cela va être pour la mienne !". Voilà pourquoi, je n'ai pas voulu lâcher prise.
J'ai rencontré à quatre reprises les salariés d'Airbus, je suis retourné à Toulouse les voir le surlendemain de mon investiture. C'était d'ailleurs, je le dis à Louis GALLOIS, quelque chose de bouleversant. Je peux vous dire que ce n'est pas rien de voir, dans le regard de quelqu'un, qu'il a confiance. Je mesure cela tous les jours comme lorsque je passe dans les allées, ici. Je n'ai pas l'intention de trahir cette confiance. Je suis totalement déterminé à tout faire pour que cette extraordinaire réussite de l'industrie européenne se consolide et s'amplifie. J'ai proposé à la chancelière d'Allemagne Angela MERKEL de tenir notre prochain sommet bilatéral à Toulouse le 16 juillet prochain, au siège d'Airbus. J'ai convaincu Angela MERKEL. Je lui ai dit par honnêteté que j'irai à Hambourg avec elle dans les mêmes usines d'Airbus. Parce que pour nous, la question n'est pas d'une rivalité franco-allemande qui n'a aucun sens, la question, c'est de faire d'Airbus une entreprise performante que l'on peut diriger.
Nous inviterons les actionnaires stratégiques d'EADS, Daimler et Lagardère, à nous rejoindre à ce sommet pour une réunion de travail. Mon souhait est que ces actionnaires et les deux États parlent chacun dans son rôle mais d'une seule voix autour d'une stratégie commune pour l'entreprise. Je pense à la gouvernance qui doit désormais faire primer l'efficacité de la prise de décision. Airbus, ce n'est pas un organisme international, c'est une entreprise. Une entreprise, cela se dirige, par comme l'ONU, dont j'ai le plus grand respect, naturellement, ou même comme l'Europe, même si on a fait quelques progrès récents. On aurait pu faire plus vite quand même. EADS doit devenir une entreprise normale, où les dirigeants ont la marge de manoeuvre nécessaire pour agir vite et bien, où les lignes hiérarchiques sont claires, et où les actionnaires assument leur rôle en fonction de leurs intérêts économiques, ni plus, ni moins. Tout ceci est parfaitement compatible avec la préservation des intérêts stratégiques des États. Il faut devenir mature maintenant. Ce n'est pas une bagarre franco-allemande. Il y a une entreprise derrière cela. Il y a des hommes. Vous avez fait une entreprise extraordinaire. On va vous donner les moyens de vous battre à armes égales.
Je pense aussi, je le dis à Jean-Louis BORLOO et à Christine LAGARDE, au financement des nouveaux modèles, l'A350 a fait à l'occasion de ce salon une remarquable percée commerciale, dont je félicite chaleureusement Louis GALLOIS et les équipes d'Airbus, mais l'enjeu d'un développement rapide et performant de cet avion n'en est que plus essentiel. Nous devons réfléchir à une nouvelle approche, intégrant l'ensemble de la filière, et je ferai à ce sujet des propositions à Toulouse dans quelques semaines.
Je voudrais affirmer une conviction profonde sur EADS. Je ne veux pas qu'on se méprenne sur la signification de ma préoccupation sur ce dossier. Si j'ai la ferme volonté de faire évoluer la situation de cette société, c'est parce que je veux démontrer que les fondamentaux de cette entreprise sont remarquables et qu'un groupe franco-allemand peut fonctionner. C'est cela qui est en cause.
Je le dis devant Hervé MORIN, notre ministre de la Défense, l'Europe ne peut plus se payer le luxe, avec des budgets de défense dont l'addition demeure nettement inférieure aux budgets américains, d'avoir 5 programmes de missiles sol-air, 3 programmes d'avions de combat, 6 programmes de sous-marins d'attaque et une vingtaine de programmes de blindés. Heureusement que l'on a fait l'Europe. Nous avons fait un premier pas avec l'A400M. Mais l'avenir est à des programmes communs et à une intégration européenne de l'industrie, les deux allant je crois de pair. Et je serai vigilant, mon général, en tant que chef des armées, à ce que le partage européen du travail consiste pour chaque pays à apporter ses meilleures technologies plutôt qu'à consolider ses points faibles. La logique du « juste retour » au niveau de chaque pays, avec les crispations nationales qu'elle engendre, est un poison qui entrave et affaiblit la mise en oeuvre des programmes européens dans les domaines industriel, technologique et scientifique. Trop de programmes européens d'armement et plus récemment Galiléo en ont fait les frais. C'est là l'une des conditions indispensables à une meilleure maîtrise de l'effort d'équipement des armées, qu'il s'agisse de leur calendrier ou de leurs coûts réels. Nous aurons à en reparler. Il est de ma responsabilité que nos armées disposent des équipements dont elles ont besoin pour remplir leurs missions et satisfaire aux engagements internationaux de notre pays.
Je m'y suis engagé. Notre effort de défense sera maintenu, sera conforté. Mais à l'évidence, notre effort d'équipement, malgré le salutaire redressement opéré par Jacques CHIRAC, continue de souffrir d'un déficit d'adéquation avec les missions et les besoins. Je souhaite donc que la préparation de la prochaine loi de programmation militaire soit l'occasion d'une remise à plat des modalités de définition et de pilotage des programmes engagés, y compris dans la conception et la présentation de la loi de programmation elle-même. On n'est pas obligé de reprendre un processus qui n'a pas produit que des réussites. Je souhaite qu'on réfléchisse vraiment à partir d'une expression hiérarchisée des besoins capacitaires, plutôt que de se lancer bille en tête dans un catalogue d'équipements. Je sais pouvoir compter pour cela sur la haute hiérarchie militaire dans notre pays.
Je souhaite également que l'on progresse sur la voie d'une plus grande rigueur et d'une plus grande transparence dans l'évaluation des coûts tout au long de la vie des équipements. Cela doit amener chacun à remettre en cause sa façon de travailler : l'Etat, le ministère de la défense, la délégation générale de l'armement qui doit poursuivre et accélérer sa réforme, mais aussi les industriels avec qui nous avons le bonheur d'être en relation. Il appartient à chacun de faire un effort pour fiabiliser les engagements respectifs qui sont pris. La nation est prête à consentir les investissements nécessaires pour sa défense et sa sécurité, mais, si vous m'autorisez cette expression, la communauté nationale doit en avoir pour son argent.
Si je dois conclure cette visite par un message, c'est que l'idée que la France peut se doter d'une politique industrielle et lui fixer des objectifs ambitieux, et ne doit pas craindre l'avenir, c'est une réalité. J'ai voulu dire cela devant les industriels de l'aéronautique, parce qu'ils ne connaissent d'autre limite que le ciel et devant ceux de l'espace car eux ne connaissent pas de limite du tout. Je m'en tiendrai pour ce qui me concerne à la maxime de ce grand aviateur français qu'était Guynemer : « Il y a une limite à toute chose, il faut toujours la dépasser. ». Honnêtement, si j'avais su cela avant, j'aurais sans doute perdu moins de temps et été plus rapide.
Je vous remercie.