25 juillet 2003 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Jacques Chirac, Président de la République, aux "Nouvelles de Tahiti" du 25 juillet 2003, sur les relations entre la France et les pays du Pacifique sud et le projet de nouveau statut de la Polynésie française.

I- POSITIONNEMENT DE LA FRANCE ET DE SES TERRITOIRES DANS LA ZONE PACIFIQUE SUD.
QUESTION - Monsieur le Président, votre voyage officiel dans le Pacifique Sud est le premier depuis la reprise en 1995 des essais nucléaires en Polynésie française et leur arrêt définitif en 1996. Quel positionnement de la France dans cette région venez-vous aujourd'hui affirmer ?
LE PRESIDENT - Nous voulons développer un partenariat exemplaire avec la région pacifique. Ce voyage est l'occasion d'affirmer qu'elle est une priorité pour la France. C'est aussi l'occasion d'informer nos partenaires sur les évolutions des collectivités françaises du Pacifique. Leurs nouvelles responsabilités au sein de la République plaident pour l'intégration la plus large de la Nouvelle-Calédonie, de Wallis-et-Futuna et de la Polynésie française dans leur environnement régional.
QUESTION - Ce voyage s'inscrit aussi quelques mois après vos prises de positions fermes contre la guerre en Irak - l'Australie ayant opté pour la position américaine -, et au moment même de l'intervention militaire initiée par le gouvernement australien aux îles Salomon. Quelle est aujourd'hui la teneur des relations franco-australiennes et franco-néo-zélandaises ? Dans quel sens souhaiteriez-vous qu'elles évoluent ?
LE PRESIDENT - La France voit en l'Australie et en la Nouvelle Zélande des partenaires et des amis. Nous pouvons faire beaucoup ensemble pour favoriser le développement du Pacifique Sud. Ce qui nous rapproche de l'Australie, avec qui nous avons eu des différences d'appréciation dans la gestion de la crise iraqienne, est bien plus fort que ce qui nous sépare. Nos échanges commerciaux et la communauté française sont par exemple en pleine expansion.
S'agissant des îles Salomon, la France soutient cette intervention dès lors qu'elle répond à une demande du gouvernement légal de ce pays, même si elle n'entend pas y participer dans les circonstances présentes. L'usage de la force est parfois nécessaire en dernier recours pour permettre le retour à la paix civile.
QUESTION - D'un point de vue géopolitique, quel peut - ou doit - être le rôle de la France, et de l'Europe, dans cette région à dominante anglo-saxonne qui fait l'objet de l'attention des Etats-Unis, mais aussi, et de plus en plus, de la République populaire de Chine depuis son entrée dans l'OMC ?
LE PRESIDENT - Le temps des rivalités stériles entre puissances riveraines du Pacifique est dépassé. La politique française s'inscrit résolument dans une logique de coopération avec les Etats insulaires et avec les grands partenaires régionaux.
La France a la volonté d'oeuvrer au développement de la région. Son action est multiforme : soutien au développement économique, social, culturel, humanitaire et sanitaire, préservation des ressources naturelles, en particulier halieutiques, aide dans les situations de catastrophe naturelle, présence militaire. Ce soutien s'exprime au travers de l'aide bilatérale, européenne et multilatérale.
En apportant son soutien aux Etats du Pacifique Sud, la France réaffirme son engagement en faveur d'un ordre international, fondé sur le droit et la justice, auquel les peuples du Pacifique doivent pouvoir apporter leur contribution.
QUESTION - Quelle est la teneur principale du message que vous souhaitez adresser ce lundi 28 juillet aux représentants des pays de la région au cours de la réunion France/Océanie? Envisagez-vous une implication financière plus importante de la France pour participer au développement de la région ?
LE PRESIDENT - Je suis particulièrement heureux que ce Sommet France-Océanie se tienne à Tahiti et qu'il symbolise ainsi, depuis la Polynésie française, moins de dix ans après une période de tension, la réconciliation définitive de la famille océanienne.
Dans cet esprit, le message principal de cette réunion est " solidarité " : solidarité entre la France et le Pacifique, solidarité entre tous les membres de la famille océanienne. Elle a vocation à être réunie dans une même communauté de destin dans le cadre du "Forum des Iles du Pacifique" et de la "Communauté du Pacifique".
Concernant les nouvelles contributions de la France, vous me permettrez de réserver aux participants à ce Sommet la primeur de ces informations.
QUESTION - Le projet de nouveau statut confère au président de la Polynésie française de nouvelles compétences en matière de représentation et de relations extérieures, et ce au titre de la Polynésie française comme " au nom de la République ". Votre visite vise t elle aussi à réaffirmer la place des territoires français dans la région ? Et comment définissez vous le champ des missions conférées à leurs élus " au nom de la République " : une sorte d'ambassade ?
LE PRESIDENT - Je suis très favorable à l'ouverture de nos collectivités d'outre mer vers l'extérieur et en premier lieu vers les Etats appartenant à leur environnement géographique immédiat. J'estime en outre que leurs élus sont les meilleurs représentants de la France dans les régions du monde où nous sommes présents grâce à nos collectivités d'outre mer. C'est pourquoi j'ai souhaité que la présidence du fonds de coopération soit confiée, alternativement, pour une période de deux ans, au Président du gouvernement de la Polynésie française et au Président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie.
J'ai souhaité réunir les chefs d'Etat et de gouvernement du Pacifique Sud lors de ma visite à Papeete, avec, à mes côtés, le président Gaston FLOSSE, pour réaffirmer cette nécessité d'intégration plus forte de la Polynésie et des deux autres collectivités françaises dans leur environnement régional.
QUESTION - Pour clore le chapitre régional, les 16 pays membres du Forum du Pacifique ont approuvé récemment le principe d'ouvrir aux territoires français le " marché commun du Pacifique ", une zone insulaire de libre échange en cours d'élaboration. La France est elle favorable à cette démarche ? Par ailleurs, à présent que le contentieux nucléaire est révolu, estime t elle nécessaire que la Polynésie française puisse être admise au sein du Forum ?
LE PRESIDENT - Nous en sommes encore à un stade exploratoire. Un rapport, commandé par le Forum des Iles du Pacifique, vient tout juste d'être remis à ce sujet. La France a joué un rôle éminent pour la constitution d'un marché commun en Europe. Elle est également favorable à une zone insulaire de libre-échange dans le Pacifique. Celle-ci serait source de meilleure compréhension mutuelle, de plus de solidarité entre les peuples de la région. Il convient de prendre le temps nécessaire pour s'assurer que ce projet profitera pleinement aux économies insulaires.
Je suis favorable à ce que les collectivités françaises du Pacifique participent pleinement à la coopération régionale. Dans cet esprit, je souhaite que, la Polynésie française puisse, comme la Nouvelle-Calédonie, accéder au statut d'observateur du " Forum des îles du Pacifique ".
QUESTION - Dernier contentieux aujourd'hui, malgré les assurances de l'État, et les rapports officiels publiés, des Polynésiens ayant travaillé sur les sites de Mururoa et Fangataufa reposent la question des conséquences sanitaires des expérimentations. Pensez vous qu'il soit nécessaire d'entreprendre de nouvelles études ? Comment répondre définitivement aux interrogations des "vétérans" des essais et de leurs familles ?
LE PRESIDENT - Cette préoccupation est importante et légitime. La transparence la plus totale s'impose naturellement.
Dès l'été 1995, j'ai demandé qu'une étude de la situation radiologique des deux atolls soit réalisée par une équipe scientifique internationale indépendante. Cette étude a été réalisée par l'Agence Internationale de l'Energie Atomique après que j'ai pris la décision d'arrêter les essais nucléaires et de démanteler les sites d'expérimentations.
Ses principales conclusions ont été positives : il n'y aura pas d'effet sur la santé, à court terme comme à long terme, il n'y a pas non plus d'effets à craindre sur le biotope. Aucune surveillance radiologique et géomécanique des atolls à des fins de protection radiologique n'a été jugée utile.
Cependant, pour appliquer pleinement le principe de précaution, la France a décidé de continuer à assurer la surveillance radiologique et géomécanique des atolls à travers un système permanent de contrôle, complété par des campagnes annuelles de surveillance. Dans l'exigence de transparence, les résultats de cette surveillance sont disponibles sur le site internet du ministère de la Défense.
De même, des études épidémiologiques ont été et sont encore menées par l'INSERM.
Enfin, le suivi médical du personnel ayant participé aux expérimentations nucléaires françaises ainsi que la surveillance de l'environnement radiologique de la Polynésie française n'ont pas permis de déceler des expositions aux rayonnements ionisants s'écartant de la radioactivité naturelle.
L'ensemble de ces études et leurs résultats sont à la disposition des personnes concernées.
Chaque demande de communication d'un dossier individuel est instruite et examinée avec toute l'attention légitime et nécessaire dans la plus totale transparence, conformément à la loi relative aux droits des malades.
Par ailleurs, j'ai demandé que cette question, à laquelle je suis particulièrement attentif, fasse l'objet d'un suivi interministériel. La liaison pourra ainsi continuer à être assurée avec les personnes et les associations concernées.
QUESTION - Quel bilan dressez vous de la reconversion et du développement économique de la Polynésie de l'après CEP ? Les objectifs sont ils atteints ? Quels sont les nouveaux enjeux ?
Suite à la décision de la cessation de l'activité du Centre d'Expérimentation du Pacifique qui constituait le moteur le plus important de l'activité économique, l'Etat s'est engagé pour une période de 10 ans - à partir du 1er janvier 1996 - à maintenir le niveau des flux financiers résultant de cette activité, soit 18 milliards de FCFP.
J'ai souhaité la pérennisation de ces transferts financiers et leur versement sous forme d'une dotation globale de développement économique. Cela signifie que la Polynésie fixera elle-même ses priorités.
Aujourd'hui, la reconversion de l'économie polynésienne est en bonne voie et s'appuie sur trois piliers : le tourisme, la perliculture et la pêche hauturière.
L'agriculture, avec notamment la production de vanille, devrait également constituer dans les prochaines années un secteur prometteur pour l'économie polynésienne.
II- LE PROJET DE LOI ORGANIQUE PORTANT STATUT DE LA POLYNESIE FRANÇAISE.
QUESTION - Concernant le nouveau projet de statut, la réforme de la décentralisation a fixé la Polynésie française dans le cadre constitutionnel des collectivités territoriales de la République, qui s'administrent librement. Mais, " dotée de l'autonomie ", cette collectivité se voit conférer, au niveau de la loi organique, le nom de " pays d'outre-mer ", qui se " gouverne ", et vote des " lois du pays ". Monsieur le Président, sans préjuger des débats parlementaires et du Conseil constitutionnel, dans quelle perspective soutenez-vous cette définition organique de l'autonomie, qui confère la " gouvernance " et la participation au pouvoir de légiférer à une collectivité de la République, donc une véritable autonomie politique ? Dès lors, pourquoi ne pas l'avoir inscrite directement dans la Loi fondamentale de la République, comme le principe en était acquis en 2000 ?
LE PRESIDENT - La révision constitutionnelle du 17 mars 2003 réaffirme solennellement l'ancrage des collectivités d'outre-mer dans la République et ouvre des possibilités d'évolutions statutaires. La Polynésie française, comme les neuf autres collectivités, est dorénavant expressément citée par la Constitution. Le choix d'un statut d'autonomie est l'une des possibilités d'évolution institutionnelle que peut adopter une collectivité d'outre-mer. La Polynésie française est la première à en bénéficier, mais il ne faut pas exclure que d'autres collectivités d'outre-mer puissent un jour souhaiter se doter d'un statut d'autonomie.
QUESTION - Quelles sont, pour vous, les avancées majeures de ce nouveau statut dans la relation entre l'Etat et la Polynésie française ? Comment définiriez-vous aujourd'hui cette relation ?
LE PRESIDENT - Le statut d'autonomie conféré à la Polynésie française renforce les libertés locales sans remettre en cause son appartenance à la République.
La Polynésie française se voit reconnaître de nouveaux champs de compétences dans des domaines importants comme le droit commercial ou le droit civil, à l'exception de l'état des personnes.
Elle pourra également participer, sous le contrôle de l'Etat, à l'exercice de responsabilités que celui ci conserve, qu'il s'agisse de l'audiovisuel ou du droit des étrangers par exemple.
Les compétences de la Polynésie seront également mieux protégées juridiquement.
Le projet de statut d'autonomie rénovée de la Polynésie est la traduction institutionnelle concrète du nouveau rapport de confiance qui l'unit à la République.
QUESTION - Ce projet de loi statutaire créé une nouvelle institution : le président de la Polynésie française. Il renforce et élargit les compétences et pouvoirs du gouvernement et de l'assemblée de la Polynésie. Quelles sont, en contrepartie, outre le contrôle de l'Etat et de la justice, les garanties d'équilibre de ces nouveaux pouvoirs au plan local ?
LE PRESIDENT - Le principe d'équilibre des pouvoirs est au coeur du nouveau dispositif institutionnel de la Polynésie française. En effet, le président de la Polynésie française est élu par l'assemblée, qui peut mettre en cause sa responsabilité. Si le fonctionnement des institutions de la Polynésie française venait à se révéler impossible, l'assemblée de la Polynésie française pourrait être dissoute par décret du Président de la République délibéré en conseil des ministres.
Par ailleurs, comme dans toutes les collectivités de la République, le représentant de l'Etat a la charge du contrôle administratif et du respect des lois. Tout citoyen peut également déférer devant le juge compétent les actes du gouvernement ou de l'assemblée de la Polynésie.
Enfin, la place des communes, collectivités essentielles de la démocratie locale, est explicitement reconnue par le nouveau statut.
QUESTION - Sans parler de " citoyenneté polynésienne ", les textes prévoient désormais que la Polynésie peut " favoriser " sa population en matière d'accès à l'emploi, public comme privé, et d'exercice d'une activité professionnelle, ainsi que " protéger " son patrimoine foncier. N'y a-t-il pas là un début de rupture d'égalité entre les citoyens français ? Et quels sont les principes qui président à l'instauration de cette discrimination positive ?
LE PRESIDENT - Le projet de loi statutaire met en oeuvre le droit reconnu par l'article 74 de la Constitution de prendre des mesures en matière de protection de l'emploi local et du patrimoine foncier.
Il ne s'agit pas de créer une rupture d'égalité entre les citoyens français mais seulement de prendre en compte des nécessités locales, ce qu'a prévu d'ailleurs la Convention européenne des droits de l'homme.
QUESTION - Une partie de l'opposition demande que ce nouveau statut soit soumis, comme en Corse, à referendum. La majorité estime pour sa part que les élections, quelles qu'elles soient, ont valeur référendaire et qu'il n'est donc pas nécessaire d'organiser une consultation populaire directe. Quelle est votre position sur la question du referendum ?
LE PRESIDENT - La réponse à la question que vous posez est dans la Constitution elle-même.
La Polynésie française demeure dans le régime de la spécialité législative prévu par l'article 74 de la Constitution. Le renforcement de son régime d'autonomie ne constitue donc pas un changement statutaire ou institutionnel nécessitant une consultation des électeurs.
QUESTION - Le projet de statut précise que par décret du Président de la République, l'assemblée peut être dissoute à la demande du gouvernement de la Polynésie. Dans le cas où ce dernier vous en ferait la demande, en arguant notamment de l'évolution statutaire, y répondriez vous favorablement ? et pour quelles raisons ?
LE PRESIDENT - Les raisons d'une dissolution de l'assemblée de la Polynésie française sont clairement posées par l'article 153 du projet de nouveau statut. Il réserve au Président de la République le pouvoir de décider, par décret en conseil des ministres, la dissolution de l'assemblée de la Polynésie française dans deux cas £ lorsque le fonctionnement des institutions de la Polynésie française se révèle impossible ou lorsque la demande lui en est faite par le gouvernement de la Polynésie française.
Il s'agit de répondre soit à une situation de crise avérée, soit à une situation politique particulière. Ce n'est pas le cas actuellement.
QUESTION - Le Président Sénateur Gaston FLOSSE n'a de cesse de vous remercier de votre aide et de votre soutien, et notamment sur cette évolution statutaire. Afin de vous signifier la reconnaissance de la Polynésie française, une place doit porter votre nom, et une statue vous être dédiée. Quelle signification donnez vous à ces marques de reconnaissance ? Et quel message principal, Monsieur le Président, venez-vous adresser aux Polynésiens ?
LE PRESIDENT - J'ai pour les Polynésiennes et les Polynésiens une immense affection et je suis bien sûr très sensible à l'attachement qu'ils me manifestent depuis toujours.
Ma visite est placée sous le double signe de la fidélité et de l'amitié. Je suis venu exprimer à la Polynésie française la solidarité de la Nation. Je suis venu dire aux Polynésiennes et aux Polynésiens ma confiance dans leur avenir au sein de la République. Je suis venu mesurer le chemin qu'ils ont accompli, travailler à la réalisation de leurs projets et partager leur enthousiasme.
La Nation est plus que jamais aux côtés de la Polynésie française. L'autonomie n'est pas un éloignement. Elle s'inscrit dans une évolution historique qui enracine notre pacte républicain dans des rapports fondés sur la confiance, l'initiative et l'esprit de responsabilité.
Ensemble, nous allons construire une Polynésie française prospère, sachant jouer de tous ses atouts, ouvrant à chacun la possibilité de bénéficier des perspectives d'épanouissement personnel et d'accomplissement qu'offre la France à tous ses citoyens, quel que soit le lieu où ils résident.