20 mai 2003 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur l'importance de la famille et la politique de la famille notamment la garde des enfants, l'aide aux parents de jeunes enfants interrompant leur activité professionnelle, l'adolescence, la modernisation du droit de la famille et l'évolution de la Médaille de la famille française, Paris le 20 mai 2003.

Monsieur le ministre,
Monsieur le président,
Mesdames et messieurs,
Je suis heureux, Monsieur le Président, de vous accueillir à nouveau dans la maison de la République.
La médaille de la famille récompense des qualités essentielles, vous l'avez à juste titre souligné : la générosité, la volonté de transmettre des valeurs, le courage face aux difficultés de la vie. Mais elle récompense aussi et peut-être surtout l'amour donné. Cet amour qui rassure, qui réconforte. Cet amour souvent indéfectible qui est le socle sur lequel les enfants peuvent se reposer, grandir, se construire, avant de s'engager, à leur tour, dans leur vie d'adulte.
Ces qualités, Monsieur le Président, mesdames et messieurs, vous les incarnez, notamment vous les récipiendaires, de façon tout à fait exemplaire. Mais à travers vous, c'est aussi à toutes les familles que la République rend hommage.
Je vous remercie, Monsieur le Président, d'avoir rappelé les valeurs qui fondent l'action du mouvement familial et que l'institution que vous présidez incarne dans l'unité. Ces valeurs, vous le savez, j'y suis, comme vous, profondément attaché comme je suis pleinement conscient du rôle essentiel de l'union nationale des associations familiales. Depuis sa création en 1945, l'UNAF a oeuvré inlassablement pour sensibiliser la Nation à la cause des familles et faire progresser la politique familiale, qui est un des fondements de notre pacte social.
Vous venez une fois encore de témoigner de votre engagement dans le cadre de la préparation de la récente conférence de la famille. Grâce au travail que vous avez réalisé avec notre ministre, Christian Jacob, que je tiens à féliciter, la Conférence qui s'est déroulée autour du Premier ministre a permis d'engager une politique ayant une ambition au service de toutes les familles.
Les décisions importantes qui ont été prises pour faciliter l'accueil du jeune enfant marquent une première étape dans le renouveau de notre politique familiale. Un renouveau, Monsieur le Président, que vous incarnez. Notre action doit maintenant se concentrer sur deux nouvelles priorités : mieux prendre en compte la question de l'adolescence, vous l'avez dit, et moderniser notre droit de la famille.
Conforter le modèle familial, aider les familles à surmonter leurs difficultés et à réaliser leur projet de vie : il y a peu d'exigences qui soient aussi fondamentales. Car la famille est au croisement de toutes les politiques publiques, qu'elles visent la cohésion sociale, la solidarité ou le dynamisme économique.
La famille joue un rôle irremplaçable dans la transmission des valeurs. Certes, elle évolue, elle s'adapte et se renouvelle. Mais sous toutes ses formes, elle reste le lieu essentiel de l'apprentissage de la vie en société. C'est là que se forge la confiance en soi et la confiance dans les autres. L'accomplissement de soi, la capacité à s'ouvrir au monde, le respect des autres et aussi le respect de la règle, le sens du partage et de l'effort sont souvent les fruits du bonheur familial.
Dans cette maturation de la personnalité, aucun service public, pas même l'école, ne peut se substituer à la famille. Quand elle est absente, quand elle est défaillante, l'enfant manque de repères. Il risque de basculer dans l'incivilité ou la violence. Il devient une proie pour les influences les plus néfastes. Face à ces dangers, face à ces dérives, la réponse de la société, qui a le devoir de faire respecter la loi, est une réponse nécessairement tardive et insatisfaisante.
Toute politique sociale commence donc par la famille. C'est pour cela qu'il est essentiel d'aider les familles à surmonter leurs difficultés. Personne ne peut à leur place construire les adultes de demain. Il faut donc tout faire pour mettre les parents en mesure d'exercer aussi pleinement que possible leur responsabilité. J'attache, à ce titre, la plus grande importance au développement des actions de prévention et de médiation en faveur des familles. Les décisions qui viennent d'être prises en matière de surendettement vont aussi dans le bon sens. Elles offriront un nouveau départ aux familles les plus en difficulté.
La famille, c'est aussi le coeur de notre système de solidarité.
Combien de femmes et d'hommes confrontés au chômage, à la maladie ou à la détresse ont trouvé auprès de leur famille l'amour et le soutien qui leur ont permis de s'en sortir ?
Combien de parents âgés ont-ils trouvé auprès de leurs enfants l'aide, le réconfort et la chaleur humaine dont ils ont besoin ?
Cette puissance de solidarité a servi de modèle pour la construction de notre système de protection sociale. Mais celui-ci trouverait bien vite ses limites si la famille ne continuait pas à jouer tout son rôle.
La famille est enfin l'un des moteurs essentiels du dynamisme économique et culturel. Elle fait à la société un don irremplaçable : celui de la jeunesse, avec tout ce que cela suppose d'engagement, d'espérance, de liberté et de capacité de renouvellement. Un pays qui compte une forte proportion d'enfants et de jeunes, c'est un pays qui progresse, c'est un pays qui s'adapte, c'est un pays qui innove et qui prépare l'avenir avec confiance.
Ce dynamisme a évidemment une traduction économique : parce qu'elle nourrit la consommation et l'investissement, la famille est au coeur du cycle de la croissance et de l'emploi. L'histoire le montre : les pays qui connaissent les plus forts taux de croissance sont ceux qui sont portés par l'élan démographique. Comment ne pas établir de lien entre la croissance spectaculaire qu'a connue la France entre 1960 et 1975, quand le nombre de jeunes de moins de vingt ans augmentait de près de deux millions, et son ralentissement ensuite quand le nombre de jeunes régressait dans les mêmes proportions ?
Grâce à notre politique familiale, notre situation démographique, sans être, vous avez raison de le souligner Monsieur le Président, satisfaisante, est néanmoins meilleure que celle de nos voisins européens. Cependant, nombreuses sont les familles qui voudraient avoir davantage d'enfants mais qui finalement y renoncent parce qu'elles ne se sentent pas suffisamment soutenues et parce qu'un tel choix exigerait d'elles des sacrifices trop importants.
Notre priorité est d'aider les parents à satisfaire leurs aspirations, en leur donnant les moyens nécessaires, en facilitant la vie des familles et en répondant à la diversité de leurs besoins.
Il nous faut dessiner une société où les enfants et les jeunes, comme les personnes âgées, seront en plus grand nombre. Elle sera plus dynamique et plus prospère. Elle assumera d'autant plus facilement le poids de l'âge. En permettant aux familles d'avoir aujourd'hui le nombre d'enfants qu'elles souhaitent ou qu'elles souhaiteraient, nous conforterons aussi l'équilibre futur de nos régimes de retraites par répartition.
C'est pour toutes ces raisons d'équilibre de la société, de solidarité et de dynamisme qu'un nouvel élan devait être donné à notre politique familiale.
Comme je I'avais souhaité, le Gouvernement vient de donner la priorité à l'accueil des jeunes enfants. Il l'a fait de manière forte : un milliard d'euros supplémentaire sera consacré à la petite enfance grâce à la création de la prestation d'accueil du jeune enfant. Je sais bien que l'on peut, on doit pouvoir mieux faire. Je crois que c'est la bonne direction que nous avons empruntée.
L'objectif est de toucher toutes les familles : pour la première fois, avec cette prestation, quatre-vingt-dix pour cent des couples, recevront une aide financière pour préparer la naissance, puis une allocation qui leur permettra de faire face aux dépenses liées à l'arrivée d'un enfant, et cela jusqu'à trois ans.
Il faut aussi respecter la liberté de choix des familles, et en particulier les choix de vie des femmes.
Trop longtemps, les femmes se sont vu imposer des choix fermés et souvent définitifs : travailler, ou bien se consacrer entièrement et toute sa vie à sa famille. Aujourd'hui, I'immense majorité des femmes ne souhaite pas se laisser enfermer dans des choix irréversibles. Les femmes veulent s'engager dans la vie active. EIIes veulent aussi, imitées en cela par de nombreux pères, être libres de se consacrer pendant un temps à l'accueil et à l'éveil de leur petit enfant.
Désormais, les parents qui interrompent leur activité recevront, dès le premier enfant, en plus de l'allocation de base, un complément visant à compenser la perte de revenus.
Il fallait enfin respecter le choix des familles quant au mode de garde des enfants.
Actuellement, Ies familles à revenus modestes, ou même moyens, ne sont en réalité pas libres de choisir leur mode de garde. Le coût de la garde par une assistante maternelle demeure trop élevé. De nombreuses mères sont contraintes de s'arrêter de travailler pour s'occuper de leur enfant jusqu'à I'entrée en maternelle.
A revenu égal, la participation des familles au financement de la garde du petit enfant doit être équivalente, quel que soit Ie mode de garde retenu, afin que des considérations financières ne viennent pas interférer avec les choix éducatifs des parents. A compter du 1er janvier prochain, pour tous Ies ménages modestes, iI ne sera désormais pas plus coûteux de choisir, plutôt la crèche, ou plutôt une assistante maternelle.
Nous devons également créer les conditions effectives de cette liberté de choix en favorisant le développement de l'offre de garde, notamment collective. Elle demeure insuffisante au regard des besoins. Il est également de notre responsabilité d'améliorer le statut de celles qui exercent le très beau métier d'assistante maternelle, et d'encourager les vocations pour l'avenir. Comme I'indique un récent rapport du Commissariat généraI au pIan, Ies métiers de la petite enfance seront probablement, dans dix ans, parmi les premiers secteurs créateurs d'emplois. En revalorisant le statut des assistantes maternelles, en professionnalisant les métiers de service à la personne, nous aidons Ies familles à satisfaire leur désir d'enfant et nous favorisons l'emploi. A double titre, nous préparons l'avenir.
Les entreprises doivent participer à ce renouveau de notre politique familiale. C'est une ambition qui avait été clairement affirmée et à juste titre par l'Union, je l'en remercie. EIIes ont, ces entreprises, tout intérêt à aider les parents à concilier vie familiale et vie professionnelle : elles y gagnent des collaborateurs plus disponibles, plus à l'aise dans leurs projets professionnels et dans leur travail. C'est pourquoi je me félicite que les entreprises puissent désormais bénéficier d'un crédit d'impôt pour leurs actions en faveur des familles et il faudra mais, je sais que vous le ferez, Monsieur le Président, donner un large écho aux possibilités et aux raisons de ces choix.
La politique familiale que, pour ma part, je souhaite pour la France ne s'arrête pas à la petite enfance. Je la souhaite également à l'écoute de l'adolescence, l'âge, vous l'avez dit, de toutes Ies espérances, mais un âge trop souvent délaissé.
Nous appréhendons maI Ies problèmes et parfois Ies souffrances auxquels Ies adolescents sont confrontés, notamment à l'école. Nous ne Ies aidons pas assez à faire l'apprentissage de la responsabilité et à faire vivre leurs ambitions. Ils nous demandent une meilleure information sur les risques qu'ils peuvent encourir£ je pense à I'alcool, au tabac, au cannabis, qui font des ravages, mais aussi aux contaminations par le virus du SIDA. Les adolescents nous demandent aussi des repères. Trop souvent, les réponses aux provocations, aux conduites à risque, aux transgressions, hésitent entre le laisser-faire et la seule répression. Ni l'un, ni l'autre, ne sont des réponses appropriées.
II nous faut d'abord conforter la famille, en appeler à la responsabilité des parents et aider ceux qui en ont besoin à exercer leur autorité parentale.
Je souhaite aussi que, dans chaque département, une maison de l'adolescent soit ouverte. C'est une idée de l'Union, Monsieur le Président. En toute confiance, les adolescents pourront y trouver une écoute et des réponses à leurs soucis de santé, mais aussi à leurs problèmes familiaux ou scolaires.
Pour dessiner les contours d'une véritable politique de l'adolescence, les Rencontres de l'adolescence se dérouleront à l'automne. Elles réuniront les spécialistes de l'adolescence et des professionnels qui oeuvrent au quotidien en leur faveur. La confrontation des connaissances et des expériences et une meilleure écoute de leurs aspirations contribueront à orienter l'action des pouvoirs publics. Comme nous l'avons souhaité, c'est donc de l'adolescence que traitera la prochaine Conférence de la famille, à votre initiative et avec notre pleine adhésion.
La modernisation du droit de la famille est une autre tâche essentielle. Je souhaite que les réformes engagées par le Gouvernement aboutissent avant la fin de l'année prochaine. Car quand Ie droit est en décalage avec la réalité, il n'assure plus une protection suffisante et sa légitimité s'affaiblit.
La réforme du droit de la famille doit se faire au terme d'une réflexion d'ensemble. Trop de textes parcellaires sont intervenus, avec les meilleures intentions mais créant la confusion et sans que leurs effets sur la cohérence de notre droit aient toujours été mesurés.
Dans ce cadre, trois objectifs me paraissent prioritaires.
D'abord l'évolution des régimes matrimoniaux. Notre droit est encore trop rigide. La situation respective des époux peut se modifier au cours d'une vie, notamment sur le plan patrimonial. Il faut faire en sorte que la loi puisse prendre en compte, avec souplesse, ces évolutions en simplifiant les modalités de changement des régimes matrimoniaux.
Il faut aussi se préoccuper des conditions de la séparation des époux. Le divorce est souvent vécu comme un échec. Il correspond toujours à une période difficile et souvent douloureuse. Il faut réformer le droit du divorce pour le rendre plus simple et plus apaisant.
Il n'est certes, ni possible, ni sans doute souhaitable que notre droit ignore totalement les raisons de la rupture. Le divorce pour faute doit demeurer dans les cas les plus graves, quand des violations des devoirs et obligations du mariage rendent intolérable le maintien de la vie commune. Je pense bien sûr principalement aux situations, hélas de violence conjugale. Mais il est essentiel que les procédures n'enveniment pas les conflits, qu'elles ne rajoutent pas de la douleur à la douleur. En outre, il ne faut pas exaspérer les tensions par des procédures trop longues et des passages inutilement nombreux chez le juge.
Il est aussi plus que temps d'adapter notre droit des tutelles aux évolutions liées au vieillissement de la population et aux nouveaux besoins des personnes handicapées. Il faut mieux impliquer les personnes susceptibles d'être concernées dans la détermination du régime de protection et le choix du tuteur. Il faut aussi faire en sorte que les mesures de protection dont doivent bénéficier les personnes sous tutelle ne les enferment pas mais contribuent à leur meilleure insertion dans la société.
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Comme chaque année, je suis particulièrement heureux de remettre ces médailles de la famille française.
Même si les pères de famille sont peu nombreux aujourd'hui, cette distinction les récompense aussi. Je ne crois pas en effet à la réussite d'un modèle familial au sein duquel les pères n'assumeraient pas suffisamment leur rôle éducatif, ou se tiendraient à l'écart des contraintes quotidiennes et des tâches matérielles qu'implique une vie partagée. Fonder une famille est une responsabilité commune.
Avec la médaille de la famille, ce sont les qualités éducatives et affectives des parents qui sont récompensées.
Je me réjouis que le Président Brin ait contribué à dégager les bases consensuelles d'une évolution de la médaille de la famille. Elle pourra bientôt être décernée aux pères de famille dans les mêmes conditions qu'aux mères. Afin que le décret qui régit cette institution soit enrichi, j'ai demandé au ministre délégué à la Famille de poursuivre les consultations nécessaires. C'est une condition de la vitalité de cette distinction à laquelle nous sommes tous si profondément attachés.
Les familles doivent toujours rencontrer une reconnaissance qui honore leurs capacités à vivre ensemble, à préparer l'avenir, à construire des liens qui permettront aux enfants d'aujourd'hui d'être fiers de leurs parents et d'être à leur tour des adultes engagés dans la société.
Le moment est maintenant venu, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, de remettre à chacune et à chacun d'entre vous la médaille de la famille française. Au nom de la République, je vous adresse mes plus vives, mes plus sincères félicitations et je vous remercie.