16 mars 2003 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Message de M. Jacques Chirac, Président de la République, aux participants du 3ème forum mondial sur l'eau à Kyoto, sur la gestion écologique et sociale de l'eau au niveau mondial, Paris le 16 mars 2003.

Altesse Impériale,
Altesses Royales,
Monsieur le Premier Ministre,
Messieurs les Chefs d'État et de Gouvernement,
Mesdames, Messieurs
La situation internationale me retient à Paris, alors que je comptais ouvrir avec vous les travaux du IIIème Forum mondial de l'eau. Je souhaite vous dire mes vifs regrets de ne pouvoir être des vôtres. Pour témoigner de mon attachement au Japon, grand pays ami, et pour aborder avec vous la question de l'eau, vitale pour l'humanité.
Les chiffres sont accablants. Plus d'un milliard de personnes vivent sans accès à l'eau potable. Deux milliards et demi ne bénéficient d'aucun assainissement. Des millions d'hommes, de femmes et d'enfants souffrent de maladies de l'eau sale. Sur huit milliards d'habitants de la planète dans vingt ans, les deux tiers risqueront d'affronter la pénurie.
La France refuse cette fatalité. Accueillant en juin le Sommet du G8, elle fait du développement durable et de l'avenir du continent africain la priorité de ce rendez-vous. L'eau en constitue un chapitre essentiel.
Voilà six ans, à Marrakech, votre premier Forum mondial marquait une prise de conscience. L'été dernier, à Johannesburg, nous nous sommes fixé un objectif : réduire de moitié, d'ici à 2015, le nombre d'hommes privés d'accès à l'eau potable et à l'assainissement. Notre mission est simple : réaliser cette ambition.
Pour y parvenir, la France propose que l'accès à l'eau soit reconnu comme un droit fondamental. Que soit adopté, dans chaque pays, un programme d'action d'envergure. Que l'on encourage des partenariats impliquant davantage les industriels et les investisseurs. Que soit mis en place un observatoire mondial, chargé de suivre la réalisation des objectifs de Johannesburg.
Votre Forum va aborder six questions cruciales pour une bonne gestion écologique et sociale de l'eau.
Celle de l'agriculture, principale consommatrice d'eau dans le monde. Comment la rendre plus économe sans affecter ses rendements, grâce à des méthodes d'irrigation appropriées et à la sélection de productions adaptées ?
Celle, consternante, du gaspillage de l'eau. Il n'est pas rare que les pertes des réseaux de distribution atteignent 60 % alors que les procédés modernes permettent de les réduire à 20 %.
Celle de l'accès à l'eau des populations rurales. Prenons garde de ne pas les négliger. Appuyons-nous sur des techniques que le tissu économique local maîtrise, sur des financements adaptés à des opérations de petite taille, sur les solidarités locales.
Celle de la qualité. Il faut cesser de traiter les cours d'eau comme des égouts à ciel ouvert et les océans comme les poubelles de l'humanité. Nous devons faire adopter et respecter partout des normes de rejets, afin de limiter les résidus de l'activité humaine.
Il faudra aussi poser la question du prix juste, politiquement et socialement si délicate. L'eau est par nature un bien public. Nul ne saurait se l'approprier. C'est à la collectivité d'en définir l'usage pour assurer un bon approvisionnement et un bon assainissement, pour limiter les gaspillages, dans un esprit de justice sociale, de saine économie et de respect de l'environnement.
Enfin, qu'il s'agisse des fleuves ou des eaux souterraines, comment aborder la question de la gestion transfrontalière des ressources ? Face aux risques de conflits, je souhaite que Kyoto progresse dans l'identification de principes internationaux.
Une politique de l'eau efficace nécessite des moyens considérables. Ils viendront de l'aide publique, à condition de renforcer la solidarité internationale, les coopérations décentralisées, l'appui aux associations. Mais ils viendront surtout du secteur privé. La France invite les investisseurs à développer leur présence. Faisons le pari de l'avenir. Trouvons des formules innovantes et attractives, aptes à protéger l'investissement. Je souhaite que le G8 d'Evian s'inspire des remarquables recommandations du groupe de travail qu'a présidé M. Michel Camdessus, autour de deux mots clés : confiance et responsabilité.
La confiance que fait naître un bon cadre juridique et financier. La France propose qu'une Charte énonce les principes généraux d'une bonne gouvernance des ressources en eau et les droits et devoirs de chacun.
La responsabilité. Il est impératif de décentraliser la gestion de l'eau, de mobiliser l'épargne locale, de s'en remettre aux populations concernées. Nous gagnerons la bataille de l'eau avec elles, dans le respect de leurs besoins, de leurs traditions et de leurs cultures.
Telles sont, Mesdames et Messieurs, les ambitions que la France nourrit au moment où débutent vos travaux. Le XXIème siècle sera-t-il celui des tensions et des guerres pour l'eau ? Sera-t-il au contraire celui de la solidarité internationale et d'une plus grande justice ? La réponse dépend de notre sagesse et de notre engagement.
Je vous remercie.