4 février 2003 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe de MM. Jacques Chirac, Président de la République, et Tony Blair, Premier ministre britannique, sur les relations et la coopération franco-britanniques, notamment pour la construction en commun de porte-avions et la coopération avec l'Afrique, et sur la question d'une guerre éventuelle en Irak, Le Touquet le 4 février 2003.

LE PRESIDENT - Mesdames, Messieurs,
Je voudrais tout d'abord dire quelle a été notre joie, du côté français, d'accueillir le Premier Ministre Tony BLAIR et cinq membres, parmi les plus éminents, de son gouvernement.
Je voudrais aussi remercier chaleureusement, en son nom et au mien, les autorités françaises et en particulier Léonce DEPREZ, le Député-Maire du Touquet, qui est une ville hautement symbolique de l'amitié entre nos deux pays, les autorités départementales, qui étaient également présentes et que je remercie, et puis, surtout, les habitants du Touquet qui nous ont reçus avec beaucoup de gentillesse.
Un mot d'abord pour souligner, nous avons l'un et l'autre une longue expérience des réunions bilatérales ou multilatérales, le caractère particulièrement positif et chaleureux de notre rencontre. Je le dis parce que certains commentateurs de l'ordre médiatique ou politique ou culturel pouvaient s'interroger sur ce point. J'ai rarement observé une entente cordiale comme celle qui s'est spontanément dégagée de nos entretiens, aujourd'hui. Je le souligne simplement parce que c'est la vérité.
Nous avons évoqué beaucoup de choses. D'abord les problèmes d'actualité internationale, en commençant par l'Iraq, sur lequel notre approche n'est pas la même. Mais je voudrais tout de suite souligner un point parce que j'ai entendu un certain nombre de commentaires, notamment chez les responsables politiques.
Nous représentons l'un et l'autre deux vieilles civilisations, deux vieilles nations, deux vieilles cultures. Pendant des siècles, nous nous sommes côtoyés et souvent combattus. Nous avons, au fil du temps, forgé des traditions, des intérêts, qui n'étaient pas les mêmes, forcément. Et aujourd'hui, il faut, dans le cadre européen, avoir suffisamment de détermination et d'imagination pour gommer les divergences et pour renforcer les convergences. Naturellement, cela ne se fait pas avec une baguette magique, du jour au lendemain, et il est naturel que nous enregistrions aujourd'hui des progrès très substantiels dans notre coopération et que nous constations qu'il y a encore des divergences qui subsistent, le problème étant de gérer ces divergences de façon amicale et non pas agressive, évidemment.
Pour ce qui concerne l'Iraq, nous avons une approche différente mais nous avons d'abord deux convictions essentielles et communes. La première conviction, c'est qu'il faut désarmer l'Iraq. Et la deuxième conviction, c'est que cette action doit être conduite au sein du Conseil de Sécurité de l'Organisation des Nations Unies. Cela, c'est l'essentiel, et nous sommes sur ce point tout à fait d'accord. A partir de là, nous pouvons avoir sur la réalité des choses, sur les conséquences qu'il convient d'en tirer, des approches différentes. Elles le sont moins qu'elles n'apparaissent. Je vous donnerai le point de vue de la France et le Premier Ministre britannique vous donnera son point de vue.
Nous, nous considérons que, les choses étant ce qu'elles sont aujourd'hui, l'essentiel c'est de laisser les inspecteurs poursuivre leur travail, prendre en considération les éléments nouveaux qui pourraient leur être apportés, notamment par les déclarations attendues, demain, du Secrétaire d'Etat Colin POWELL. Nous entendons attendre les conclusions qu'en tireront Messieurs BLIX et EL BARADEI, qui s'exprimeront au Conseil de Sécurité le 14 février prochain et nous estimons, pour ce qui nous concerne, que tout doit être mis en oeuvre pour donner aux inspecteurs tous les moyens dont ils peuvent avoir besoin afin d'aboutir au résultat recherché, qui est le désarmement de l'Iraq. Et nous pensons que, les choses étant ce qu'elles sont, il est possible d'atteindre cet objectif par cette voie.
Nous avons évoqué le Proche-Orient, le Premier Ministre ayant eu des entretiens importants avec le Président américain, il y a deux ou trois jours, et ils ont évoqué ensemble le problème du Proche-Orient. Nous avons simplement souligné que nous faisons-là une analyse tout à fait identique, à savoir la nécessité impérieuse de reprendre un processus politique qui, seul, permettra d'améliorer la situation et peut-être de revenir à la paix.
Nous avons évoqué les problèmes de l'Afghanistan, pour constater notre accord pour un soutien aussi efficace que possible aux autorités afghanes actuelles, c'est-à-dire au Premier Ministre, Monsieur KARZAI. Notre accord est complet.
Puis, nous avons évoqué un autre grand sujet qui, pour moi, est essentiel et pour le Premier Ministre Tony BLAIR également, et qui est celui de l'Afrique. C'est un domaine où, à partir de positions historiquement divergentes, il y a quelques années, nous sommes arrivés à une totale convergence de vues. Ce qui montre d'ailleurs, aussi, le progrès de la relations franco-britannique. Nous sommes en totale convergence de vues sur la nécessité de lutter contre la misère, contre le sous-développement, d'aider l'Afrique à se redresser et à prendre son destin en mains. C'est dans cet esprit que nous avons apporté un soutien total, l'un et l'autre, à la procédure du NEPAD, notamment au dernier G8 à Kananaskis. Et au prochain G8, ce sera le cas aussi, à Evian.
Nous avons pris à Kananaskis une initiative financière commune d'aide à l'Afrique qui est mise en oeuvre maintenant. Et, sur la proposition du Premier Ministre britannique, nous envisageons une deuxième initiative plus importante, pour le partenariat public-privé et l'incitation aux investissements, notamment dans les domaines essentiels, en particulier celui de l'eau. Et nous pensons mettre au point cette nouvelle initiative dans les semaines qui viennent, de façon à pouvoir la présenter et, je l'espère, la faire adopter au G8 d'Evian.
Nous avons évoqué les problèmes de défense et de sécurité. Ca aussi, c'est un domaine où il y avait de fortes divergences de vues entre l'Angleterre et la France, des divergences de vues fondées sur une histoire différente. Je rappelle que c'est à Saint-Malo que nous avons l'un et l'autre engagé le processus conduisant à la création d'une Europe de la défense. Après Saint-Malo, nous avons réussi à convaincre, les uns après les autres, les treize autres membres de l'Union européenne et à arriver à un stade où, maintenant, l'Union européenne a une politique commune de défense qui se développe de façon efficace. Naturellement, les progrès doivent se poursuivre et, dans la déclaration que vous allez avoir ou que vous avez eue, vous verrez que nous avons, dans trois domaines essentiels, fait d'importants progrès, dans ce domaine sensible et nécessaire. C'est, d'une part, notre accord complet sur les opérations dans les Balkans. Nous avons réglé le problème des relations entre l'Union européenne et l'OTAN et, maintenant, nous avons un accord complet sur les opérations dans les Balkans. Nous nous sommes mis d'accord sur la reconnaissance du principe de solidarité entre les Etats membres, c'est-à-dire la solidarité en cas d'attaque dans les domaines hélas nouveaux qui sont ceux du terrorisme, solidarité totale, et enfin sur création d'une agence européenne de l'armement de façon à rendre plus efficace notre équipement dans le domaine militaire.
De ce point de vue, j'ai exprimé au Premier Ministre la grande satisfaction des autorités françaises pour ce qui concerne la décision des autorités britanniques concernant la construction des deux porte-avions britanniques, puisque c'est un accord entre BAe et Thales qui permettra de réaliser ces porte-avions, et un accord où Thales a une part importante puisque cela représente le tiers de l'ensemble des marchés, ce qui est là-aussi une preuve que la coopération en matière d'armement et en matière militaire n'est pas un vain mot mais une réalité quotidienne. Du coup, naturellement, cela ouvre la porte à une perspective nouvelle pour la France, s'agissant de la construction de son deuxième porte-avions. Nous allons immédiatement engager les études permettant de voir si nous ne pourrions pas nous associer à cette construction des deux porte-avions, étant entendu que construire trois unités est naturellement plus intéressant sur le plan économique et financier qu'en construire deux ou une.
Nous avons évoqué les problèmes des institutions européennes, c'est-à-dire la Convention présidée par Monsieur GISCARD d'ESTAING. Là, je serai bref puisque nous avons la même approche des choses et nous sommes pratiquement d'accord sur les réformes qui s'imposent au niveau du Conseil européen.
Nous avons évoqué le prochain Conseil européen de Bruxelles qui sera consacré, vous le savez, au processus dit de Lisbonne, c'est-à-dire aux affaires économiques, sociales et environnementales. Et, là-encore, nous avons constaté une très grande convergence de vues et la volonté de travailler ensemble et de faire des propositions ensemble pour ce prochain Conseil européen qui aura lieu les 20 et 21 mars prochain.
Nous avons naturellement évoqué les problèmes qui sont appréciés de façon différente en Angleterre et en France, non pas dans un esprit d'affrontement mais dans un esprit de recherche de solution qui implique que, naturellement, chacun fasse un pas important vers l'autre. C'est notamment le problème de l'agriculture sur lequel nous avons des visions différentes et où nous n'acceptons pas d'être condamnés indéfiniment à nous regarder en chiens de faïence ou à nous disputer. Donc, naturellement, nous rechercherons des solutions qui soient acceptables pour les deux parties étant entendu que, pour qu'elles soient acceptables, il faut que chacune des parties fasse un pas vers l'autre.
Nous avons dans le même esprit évoqué certaines divergences qui existent encore, mais c'est essentiellement celles qui sont liées à l'agriculture, pour les négociations à l'OMC.
Enfin, nous avons évoqué les problèmes bilatéraux. Nous nous sommes réjouis, grâce à la détermination et à la volonté d'aboutir, dans un dossier très difficile, que les deux ministres de l'Intérieur aient pu surmonter les obstacles et arriver à un accord, s'agissant de la fermeture du centre de Sangatte. Et nous avons chaleureusement remercié nos deux ministres de l'Intérieur.
Nous avons aussi évoqué la fin d'un contentieux douloureux, qui était celui de l'embargo sur la viande, pour nous réjouir que cette épine nous ait été enlevée du pied.
Nous avons également signé des accords importants, quatre accords, vous les connaîtrez, je ne rentre pas dans le détail, sur la sécurité et la police, sur la défense maritime. Et surtout, pour la première fois, ce qu'il faut souligner pour des pays de vieilles cultures très attachés à leurs traditions dans le domaine de l'éducation comme les nôtres, nous avons pour la première fois signé un accord en ce qui concerne l'éducation et notamment l'enseignement des langues. Imaginez que nous voulons faciliter l'enseignement du français en Angleterre ! C'est un vrai défi ça, u n vrai défi ! De l'anglais en France, aussi, il faut bien le reconnaître, mais enfin cela traduit une vraie volonté.
Et, enfin, nous avons naturellement évoqué la commémoration du centième anniversaire de l'entente cordiale, en 2004. Nous voulons le faire avec tout le respect que l'on doit à une date historique et tout l'espoir que nous mettons dans l'esprit qui, à l'époque, avait animé les signataires de ce Traité. Et donc, nous avons confié à nos deux ambassadeurs le soin de nous faire, dans les mois qui viennent, toutes les propositions nécessaires pour que nous puissions commémorer ce centenaire, pas seulement parce qu'il s'agit d'un centenaire mais par ce qu'il doit nous inciter à faire pour l'avenir et dans le même esprit.
M. TONY BLAIR - Merci beaucoup. Tout d'abord, je souhaiterais exprimer à quel point j'ai apprécié ce qu'ont fait les gens du Touquet. Je les remercie de leur gentillesse, de leur accueil, et je souhaite également remercier le Président CHIRAC et le Premier Ministre RAFFARIN et leurs collègues pour ce sommet qui a fait preuve d'un très fort esprit de coopération et d'amitié.
Comme le Président l'a dit, bien sûr, il y a des divergences de vues sur certaines questions mais je crois que ce qui a été tout à fait remarquable, c'est la façon dont nous sommes en mesure de nous rapprocher sur toute une série de sujets et d'entreprises communes et ceci, je pense, augure très bien de l'avenir. Le Président nous disait, pendant le Conseil, que la salle de l'Hôtel de ville dans laquelle nous avions tenu notre réunion était la salle des mariages et que, tout près de la table où nous nous tenions, il y avait une peinture du mariage de Louis XII et de la fille d'Henri VIII d'Angleterre. Donc, je crois que c'est une véritable bénédiction donnée par les rois à notre sommet. Et, sans répéter tout ce qui a déjà été dit par le Président Chirac, je crois que certaines des avancées que nous avons réalisées sur certains des dossiers sont tout à fait remarquables.
Dans le domaine de la défense, comme vous le savez, cela fait maintenant quatre ans que Saint-Malo a eu lieu et que la négociation a été très franchement difficile au départ pour que l'Union européenne et l'OTAN se mettent d'accord. Mais, aujourd'hui, tout ceci est résolu et je crois qu'il est important maintenant de faire avancer davantage cette initiative.
Nous sommes convenus d'ailleurs d'un certain nombre de choses, comme le Président nous l'a dit tout à l'heure. D'abord, le lancement des opérations de défense européenne en Macédoine et je me félicite de l'offre française de diriger l'opération en Macédoine.
Deuxièmement, il y a également un engagement formel et très important des deux pays à mettre tous les moyens nationaux à la disposition l'un de l'autre dans la lutte contre les menaces terroristes ce qui, je pense, est extrêmement important pour tous nos citoyens.
Troisièmement, il y a également l'élaboration d'une démarche très complète sur les capacités de défense, avec la mise en place d'une nouvelle agence pour nous assurer que nous répondons véritablement aux aspirations de la défense européenne, aux capacités en matière de moyens militaires et en matière d'acquisition.
Ensuite, nous avons un accord sur le concept de capacité de réaction rapide, pour nous assurer que nous avons la possibilité de réagir rapidement et de nous déployer rapidement dans les circonstances nécessaires. Et, enfin, comme le Président vous l'a indiqué, dans le domaine de la défense, je crois qu'il y a également un pas en avant très important qui a été fait récemment en matière d'acquisition avec une coopération entre Thales et British Aerospace dans la construction des nouveaux portes avions et, là, je crois aussi qu'il s'agit d'un domaine où très certainement l'avenir nous réserve beaucoup d'espoir.
Donc, je crois que le processus qui a démarré à Saint-Malo a été très fortement poussé vers l'avenir et vers l'avant aujourd'hui.
Pour ce qui concerne l'Afghanistan et encore une fois sans répéter ce que le Président CHIRAC vient de dire, nous sommes convenus des objectifs à atteindre. Ce matin, j'ai parlé effectivement avec le Président KARZAI et nous sommes convenus qu'il était très important de faire tout ce que nous pouvons pour assurer la stabilité et la sécurité de l'Afghanistan.
Et pour ce qui concerne l'Afrique, je voudrais également souligner l'ampleur de notre travail conjoint dans ce domaine. Tout d'abord, nous sommes engagés l'un et l'autre sur le concept du NEPAD. Deuxièmement, nous souhaitons que ceci soit véritablement une de nos priorités lors du sommet du G8 qui sera en France cette année. Nous avons donc cette initiative que nous avons lancée ensemble, conjointement, à Johannesburg, et nous avons parlé des perspectives d'un dispositif, d'une organisation internationale financière pour combler l'écart entre les ressources qui ont déjà été engagées en matière d'aide au développement et les ressources qui sont nécessaires pour atteindre les objectifs du millénaire, d'ici à 2015. Une proposition a été faite par le Ministre des finances britannique et je suis très heureux de la réaction du Président CHIRAC à cet égard
Et si je peux ajouter un point à ce stade, je souhaiterais exprimer ma pleine et entière solidarité à la France pour le traitement d'une situation extrêmement difficile en Côte d'Ivoire. C'est une situation très complexe, très difficile, pour des raisons qui sont aujourd'hui bien connues, mais je crois que la façon dont la France traite ce problème est intelligente et très habile.
Je crois, encore une fois, que nous sommes parvenus également à tout une série d'accords très importants entre les deux Ministres de l'Intérieur, David Blunkett et Nicolas Sarkozy. Et j'aimerais souligner l'importance de tout ceci, pas en soi, simplement, mais de toute cette question de Sangatte, des relations entre la France et le Royaume Uni dans ce domaine qui était un problème très important au cours des dernières années. Même dans ces circonstances très difficiles, les deux Ministres ont réussi à résoudre le problème. Nous avons signé un accord sur les contrôles juxtaposés qui vont être mis en place afin de contrôler, de maîtriser l'immigration de façon plus satisfaisante. Il y a également un accord pour étendre l'utilisation d'équipements de détection à d'autres ports en plus de Calais. Et nous sommes également convenus de travailler en plus étroite coopération avec l'Europe parce que ces questions, évidemment, ne concernent pas simplement la France et le Royaume Uni mais tous les autres pays d'Europe. Et, effectivement, il y a toujours une limite à ce que chacun des Etats peut faire individuellement. Il faut s'assurer, bien sûr, au niveau européen, que l'on travaille en très étroite coopération.
Dans le domaine de l'éducation, comme le président Chirac l'a dit également, ce qui est important, ce n'est pas simplement la signature du mémorandum d'accord mais c'est aussi le fait que c'est la première fois que les deux pays se rejoignent sur une initiative de ce type, et je m'en félicite très vivement.
Sur l'avenir de l'Europe, nous avons déjà exprimé notre satisfaction sur les idées définies dans le document franco-allemand qui a été publié lors du 40ème anniversaire du Traité de l'Elysée et, encore une fois, nous avons des vues très similaires sur cet aspect. Nous souhaitons qu'il y ait davantage de coopération, mais ceci sur la base de l'Europe des Nations.
Pour ce qui concerne le processus de Lisbonne et la réforme économique, nous travaillons conjointement, pas simplement les Français et les Britanniques, mais aussi les Allemands, et nous espérons que nous serons en mesure d'élaborer un certain nombre d'idées fortes dans les jours à venir sur cette question.
Enfin, sur la question de l'Iraq, bien sûr il y a certaines divergences que vous connaissez, mais je crois qu'il est important encore une fois de souligner les points communs, les deux points communs dont le Président Chirac a parlé. D'abord, le fait que nous appuyons cette idée de désarmer l'Irak et de lui enlever ces armes de destruction massive. Et l'idée, aussi, que ceci se fait pour le mieux par l'intermédiaire des Nations Unies. Et, comme le Président l'a indiqué, il y a cet exposé qui sera fait par Colin POWELL demain. Nous avons également le rapport du Docteur BLIX, Inspecteur principal, qui sera rendu public le 14 février. Nous pourrons ensuite juger de la situation.
Et je souhaiterais conclure en disant juste un petit mot sur l'entente cordiale. Il y aura, comme vous le savez, une commémoration à cet égard l'année prochaine. Il y aura tout un aspect symbolique à cette célébration mais je crois que ce que nous avons réussi à obtenir aujourd'hui montre très clairement que nous nous rejoignons sur le fond. Il y a toute une série de questions que vous allez nous poser, vous allez peut être nous poser des questions sur les divergences, mais je crois qu'il est encore très important de souligner une chose, le fait, d'une part, que nous sommes convenus de toute une série de choses aujourd'hui, mais que ceci a aussi été marqué par un esprit tout à fait particulier et j'en suis très heureux.
QUESTION - Sur le curseur de l'entente cordiale, la lettre des huit initiée par le Premier ministre Tony BLAIR, est ce que c'est de l'ordre de la démarche amicale ou de l'agression verbale ?
M. TONY BLAIR - Ce que nous avons dit dans la lettre allait de soi. Mais vous savez également que l'Europe s'est réunie sur une position commune, le 27 janvier, au sein du Conseil Affaires générales. Et, dans l'esprit de l'entente cordiale, c'est tout ce que je dirai.
LE PRESIDENT - J'ajouterai simplement que, comme vient de le dire le Premier ministre, l'Europe s'est réunie le 27 janvier, elle a pris au niveau du Conseil Affaires générales une position à l'unanimité, c'est la position de l'Europe.
QUESTION - M. le Président , je suis le correspondant de "L'Humanité" à Londres. Vous avez fait quelques remarques sur l'Iraq. Je vous rappelle qu'un des grands penseurs de notre époque, M. Donald RUMSFELD, a déclaré que la France fait partie de la vieille Europe, l'Europe périmée et tombée en désuétude. A cause, évidemment, de votre réticence à soutenir une guerre au Moyen Orient. Je vous demande donc si vous allez pouvoir garder cette position après ce sommet et rester ainsi en accord avec la majorité de l'opinion publique en France et en Grande-Bretagne, qui n'a pas le même point de vue que M. RUMSFELD.
Et, pour M. BLAIR, une petite question. Nelson Mandela, un homme pour qui vous avez la plus grande estime, a laissé entendre que vous remplissez maintenant la fonction de Ministre des Affaires étrangères des Etats Unis d'Amérique. Comment réagissez-vous à cette observation ? Et si cela devait être vrai, ne serait-ce pas en mesure d'entraver ceux qui souhaitent vous voir comme futur Président de l'Europe ?
LE PRESIDENT - Sur la première question, je dirai simplement que, lorsqu'il y a des sujets très sérieux, il est essentiel d'avoir une conviction, mais aussi de respecter l'autre. Si bien que vous n'attendez pas de moi que j'ouvre je ne sais quelle polémique avec quiconque outre-atlantique.
M. Tony BLAIR - En ce qui me concerne, je suis très content en tant que Premier ministre britannique, merci.
QUESTION - Monsieur le Président, pensez-vous qu'il faut qu'il y ait une limite de temps posée pour les inspections des Nations Unies ? Parce que dans un pays comme l'Iraq, avec une centaine d'inspecteurs et avec une coopération insuffisante de la part de SADDAM, l'opération pourrait durer ad vitam aeternamà
LE PRESIDENT - Vous savez, ce que je constate, c'est que le système des inspections est un système qui a prouvé dans le passé son efficacité. Je vous rappelle tout de même que, pendant les années où il y a eu inspections, il y a eu plus d'armes détruites par les inspecteurs que par la guerre du Golfe. Ce qui veut simplement dire que les inspections peuvent être efficaces.
Deuxièmement, me demander un jugement sur l'efficacité des inspecteurs, je ne suis pas en mesure de donner ce jugement. C'est à eux de dire s'ils ont les moyens ou s'il faut des moyens nouveaux et également quel est le degré de coopération et quelle est l'aide qu'ils demandent à cet égard. Je leur fais toute confiance. Et je peux vous dire, en tous les cas, que la France approuvera sans réserve toute demande de moyens, en personnels ou en moyens matériels, qui pourrait être formulée par M. BLIX ou M. EL BARADEI. Sans réserve.
QUESTION - Monsieur le Premier Ministre, vous avez souvent dit que vous ne vouliez pas choisir entre l'Amérique et l'Europe. La semaine dernière, lorsque vous avez signé la lettre des huit, avez-vous choisi l'Amérique par rapport à l'Europe ?
M. TONY BLAIR - Tout d'abord, force est de constater que chacun s'est réuni autour de la résolution 1441 qui exige le désarmement total et complet de l'Iraq en armes de destruction massive.
Je voudrais simplement dire que la lettre a été signée par des dirigeants européens. Mais la position commune de l'Europe, comme je l'ai dit à l'instant, a été exposée le 27 janvier lors du Conseil affaires générales.
QUESTION - Est ce qu'il est encore possible que la France accepte ou soutienne une intervention militaire en Iraq et, si oui, à quelle condition ?
LE PRESIDENT - Notre position, je le répète, est bien connue. Nous estimons qu'il y a encore beaucoup à faire sur le plan du désarmement par les moyens pacifiques. Et, donc, nous ne prendrons position qu'au terme d'une période où nous estimerions que plus rien ne peut être fait. Nous en sommes bien loin.
QUESTION - Monsieur le Président, vous avez parlé de votre accord sur l'Afrique. Pourrait on vous demander quelque chose à propos du Zimbabwe ? Vous avez beaucoup parlé du multilatéralisme. Il semble à beaucoup, au Royaume Uni, que votre invitation au président Mugabe est en violation de l'esprit, sinon de la lettre, de la position de l'Union européenne sur les sanctions sur les déplacements du Président. Que pouvez-vous espérer gagner, à un moment où le dirigeant de l'opposition est en procès et risque sa vie, en accueillant et en célébrant le Président MUGABE à Paris ?
LE PRESIDENT - Nous ne voulons rien prouver et nous ne voulons être agressifs à l'égard de personne. C'est un sommet bilatéral, nous avons estimé devoir inviter tous les Présidents, ce que nous avons fait, et nous avons ouvert bien entendu des discussions à Bruxelles, qui se déroulent, pour voir quelle est la décision définitive que nous prendrons.
QUESTION - Une question qui s'adresse aux deux dirigeants. J'en reviens donc au calendrier des inspecteurs. Le Président CHIRAC a dit qu'ils devaient poursuivre leur travail. S'agit-il d'une question de semaines ou de mois ?
LE PRESIDENT - Si c'est adressé à moi, je ne mets pas, naturellement, de délais. C'est à eux de le dire, je leur fais toute confiance.
M. TONY BLAIR - Le rapport des inspecteurs est prévu le 14 février et nous devons en tenir compte soigneusement.
QUESTION - Monsieur le Président, est-ce que la position de la France ne serait pas plus forte si, parallèlement à toutes ces négociations diplomatiques, elle ne faisait pas elle-aussi une montée en puissance de ses moyens militaires sur l'Iraq ?
LE PRESIDENT - Ce n'est certainement pas, semble-t-il, dans la région, les moyens militaires qui manquentà
QUESTION - Monsieur le Président, les Britanniques et les Américains ont dit que c'est une question de semaines et non de mois pour obtenir la coopération de l'Iraq avec les inspecteurs. Et cela semble impliquer que la guerre est à quelques semaines plutôt qu'à quelques mois d'ici, à moins qu'il n'y ait un miracle. Est-ce que vous utiliseriez le droit de veto de la France pour mettre un veto à cette résolution, dans ces circonstances ?
LE PRESIDENT - Tout d'abord, je considère que la guerre, c'est toujours la plus mauvaise des solutions. J'ajoute que, dans cette région, on n'a pas besoin d'une guerre supplémentaire. Ceci étant dit, je le répète, je considère que nous devons attendre. Nous avons adopté une stratégie, c'est l'inspection, nous devons faire confiance aux inspecteurs. C'est mon cas. C'est d'ailleurs le cas de tout le monde et nous devons les laisser libres des délais dont ils ont besoin. Voilà ma position.
Pour ce qui concerne le reste, la France prendra ses responsabilités comme elle estimera devoir les prendre, le moment venu et compte tenu des circonstances.
QUESTION - Vous n'avez jamais complètement exclu la possibilité que, dans certaines circonstances, au bout du compte, la France soit prête à aller vers une action militaire contre Saddam HUSSEIN. Vous avez simplement dit que, pour l'instant, on doit reporter cette décision jusqu'à la fin du travail des inspecteurs. Est-ce que vous pourriez nous dire dans quelles circonstances vous seriez prêts à rejoindre une action militaire et est-ce que la réunion d'aujourd'hui va changer votre perspective d'une façon ou d'une autre ?
LE PRESIDENT - Je n'ai aucun commentaire à faire sur cette question, et vous le comprendrez. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité, je ne vais pas prendre, préalablement à une décision éventuelle, une position publique. Donc je n'ai pas de commentaire particulier à faire sur ce point.
QUESTION - Vrai ou faux, il se dit beaucoup que les Américains sont en train d'exercer sur la France et la Russie des menaces de représailles économiques au cas où nous ne souhaiterions pas emboîter le pas de Monsieur BUSH, représailles économiques en Iraq, bien entenduà
LE PRESIDENT - Je me permets de vous dire que cela paraît être du domaine de l'utopie et du rêve. Je n'ai jamais entendu parler de quelconques représailles de la part des Etats-Unis. La nature de nos relations avec les Etats-Unis, même si nous n'avons pas le même point de vue sur ce point particulier, la nature de nos relations exclut l'idée-même de représailles. Cela est tout à fait dépourvu de tout fondement.
QUESTION - Monsieur le Président, est-ce que vous êtes d'accord avec les gouvernements britannique et américain pour dire que Saddam HUSSEIN a déjà violé la résolution des Nations Unies ? Et, si vous êtes d'accord avec cela, est-ce que vous en acceptez les conséquences, à savoir qu'il faut utiliser la force contre lui ?
LE PRESIDENT - C'est une autre manière de poser indéfiniment la même question et je me demande si c'est un jeu ou si on me prend vraiment pour quelqu'un qui ne comprend rien et à qui il faut poser la question de différentes manières pour qu'enfin, peut-être, cela puisse arriver jusqu'à son cerveau. Eh bien, cela n'arrive toujours pas. Je vous ai dit ce que j'avais à vous dire et je n'ai rien de plus à ajouter, quelle que soit la manière dont vous formulerez la questionà
Une petite conclusion, avant de laisser la conclusion finale au Premier Ministre britannique. Je comprends très bien, naturellement, que le problème d'actualité c'est celui de l'Iraq puisque, aussi bien, il implique la guerre ou la paix. C'est donc un problème considérable et je comprends parfaitement que cela soit celui qui préoccupe tous les esprits. Je ne vous cache pas qu'il préoccupe le mien. Il préoccupe celui de Monsieur Tony BLAIR au même titre.
Je voudrais néanmoins souligner que, lorsqu'on regarde les choses avec un peu plus de perspective, perspective du passé, perspective surtout de l'avenir et de la construction européenne, qui est un lourd défi et que pas à pas nous assumons, il suffit de voir les progrès qui ont été faits depuis trente ans, quand on regarde les choses avec la perspective nécessaire, nous nous apercevons que ce qui nous réunit au niveau européen, et en particulier la Grande Bretagne et la France, devient de plus en plus important par rapport à ce qui peut nous diviser. Et c'est cela la voie que l'on vient de souligner.
Dans dix ans, dans vingt ans, nos successeurs ne s'interrogeront pas sur les problèmes que nous évoquons aujourd'hui, en tous les cas j'espère qu'ils ne s'interrogeront pas sur les problèmes de guerre ou de paix que nous évoquons aujourd'hui, en revanche, ils porteront un jugement sur la capacité que nous aurons eue, ou que nous n'aurons pas eue, de progresser vers l'entente entre les peuples, le dialogue entre nous, la concertation, l'effort commun au bénéficie de ce qui est le plus important, au total, dans le monde, c'est-à-dire la paix, la démocratie et le développement.
C'est à cela que nous nous sommes attelés ensemble. Et, ma foi, à partir d'un attelage qui avait tout pour tirer un peu à hue et un peu à dia, eh bien, nous nous apercevons que, petit à petit, l'attelage poursuit sa route dans la bonne direction. Alors, de temps en temps, il y a un petit mouvement qui est incohérent avec la voie, mais ces mouvements sont de plus en plus rares et de mieux en mieux maîtrisés. Et c'est cela, notre ambition. C'est maîtriser par le respect de l'autre ce qui peut nous séparer et amplifier ce qui peut nous unir, nous, Grande Bretagne et France, et dans le cadre d'une ambition européenne déterminée.
La réunion d'aujourd'hui, de ce point de vue, a été à mes yeux très positive. J'en suis heureux et je remercie le Premier Ministre britannique, ses Ministres, ses collaborateurs, je remercie également mes Ministres et mes collaborateurs qui ont fait dans ce sens du bon travail. Et c'est cela qui, historiquement, restera.
M. TONY BLAIR - Ce que j'ai appris aujourd'hui, c'est qu'il y a beaucoup plus de choses qui nous unissent que de choses qui nous divisent.
LE PRESIDENT -
Merci