12 juin 2001 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de MM. Jacques Chirac, Président de la République, sur les relations entre la France et l'Allemagne et l'élargissement de l'UE, Fribourg-en-Brisgau, Allemagne, le 12 juin 2001.

LE CHANCELIER - Mesdames, Messieurs, je suis heureux de vous accueillir à Fribourg, à l'occasion de cette conférence de presse de clôture du sommet franco-allemand.
Tout d'abord, nous avons constaté un accueil particulièrement chaleureux de la part de la population de Fribourg. Nous avons tous été extrêmement touchés par cet accueil. On sent bien que partout, pas seulement ici, mais ici en particulier, les relations franco-allemandes ne sont pas non seulement une histoire de tête et de raison mais aussi, véritablement, une question de coeur. Je crois que la population de Fribourg nous l'a montré de manière tout à fait claire et nous nous en sommes réjouis.
Je remercie également le maire et l'ensemble de son équipe qui nous ont facilité l'ensemble de nos travaux, comme l'archevêque, aussi, qui nous a offert une visite de cette magnifique cathédrale et qui nous a également parlé de l'histoire de la ville et de la culture de cette ville. Donc, je voudrais vous remercier pour tout cela.
Nous avons eu une journée de travail très intense, vous pouvez l'imaginer. Au centre de cette rencontre, il y avait la lutte commune contre le racisme et la xénophobie. Je voudrais en particulier évoquer le travail extraordinaire des organisations non gouvernementales. Nous avons toujours dit que la lutte contre l'extrémisme de droite, contre l'antisémitisme, contre la xénophobie, c'est évidemment une mission qui incombe à l'Etat, à la police, à la justice. Mais cela ne peut pas se limiter à cela. C'est aussi aux organismes d'éducation, de l'Etat et du privé que revient cette mission. Mais c'est aussi à la société civile et au groupe actif au sein de cette société civile, de s'engager dans cette lutte.
La coopération qui existe maintenant dans ce domaine, en particulier entre les jeunes, organisés ou non, cette coopération est très prometteuse. Elle devrait nous permettre de lutter contre cette tumeur que représente l'antisémitisme en Europe.
Il ne s'agit pas seulement de la limiter, mais vraiment de la réduire, pour que la qualité de la civilisation et de notre société s'exprime clairement et pour que l'on dise clairement, et que l'on comprenne clairement, que par rapport à un passé historique, l'Etat, aujourd'hui, les responsables économiques, culturels, politiques, les élites économiques, culturelles, politiques, sont maintenant aux côtés des victimes et non des coupables. Je crois qu'il était important de le dire.
Nous avons évoqué toute une série de questions bilatérales, notamment un certain nombre de questions qui concernent cette région. Nous souhaitons que le train à grande vitesse, le TGV-est, de Paris à l'est de la France et à cette région, soit mené à bien. C'est un projet très important. Nous voulons également lancer une étude de faisabilité sur un TGV Rhin-Rhône. Nous voulons étudier les conditions matérielles de la mise en place d'un tel projet. Nous voulons vraiment mettre les choses en mouvement dans ce domaine.
Je crois qu'il serait souhaitable qu'il y ait une coopération, aussi, dans le domaine des aéroports. Il y a une proposition qui viserait à faire de Bâle-Mulhouse-Fribourg un euro-aéroport. Je pense que cette coopération, qui doit émaner de la région, nous ne pouvons que l'approuver et la soutenir.
Nous nous préparons à nous rendre à Göteborg pour le sommet européen. Naturellement, nous avons évoqué longuement notre position commune sur l'Europe. Il y a une déclaration franco-allemande commune qui a été décidée sur le " non " au référendum de l'lrlande. Vous avez cette déclaration. Evidemment, nous regrettons ce " non " de l'Irlande. Nous avons également indiqué que nous considérons que le référendum ne remet pas en question et n'arrête pas le processus. La présidence suédoise, avec qui nous sommes d'accord, a fait un travail excellent. Nous allons veiller à ce que ce processus d'élargissement soit rendu irréversible et obtienne un nouveau dynamisme.
A cet égard, nous avons également dit que nous ne voulons pas que le processus d'élargissement souffre de ce " non " de l'Irlande et que ce que nous avons négocié à Nice ne peut pas être remis en question. Nous considérons que le Traité de Nice reste en l'état.
Vous connaissez le débat sur l'avenir de l'Europe. C'est un débat dont nous parlerons à Göteborg. Là aussi, je voudrais -parce que je suis profondément convaincu-, dire que je suis heureux qu'après que le ministre des Affaires étrangères et le Président de la République, dans l'ordre dans lequel ils ont parlé, se soient exprimés, la direction du SPD ait présenté sa motion, le Premier ministre ait à son tour évoqué l'avenir de l'Europe. Il apparaît, après toutes ces interventions, que la finalité de l'Europe, notre conception de ce que doit être l'Europe à la fin de cette construction, eh bien, que ce débat sur cette finalité, il a été lancé. Les traditions différentes se répercutent évidemment sur nos conceptions différentes. Ceux que cela surprend n'ont pas étudié ces traditions.
Mais ce qui est important, c'est que, par rapport à l'après-Nice, par rapport à ce qui va nous occuper au cours des prochaines années, il existe entre la France et l'Allemagne une immense mesure d'entente, de sorte que la discussion très productive sur les finalités de l'Europe, c'est un aspect des choses. Mais les grandes communautés de vues sur la prochaine étape et les étapes suivantes sont essentielles pour l'Europe puisque nous devons, nous restons le moteur de l'Europe pour faire avancer l'élargissement et l'approfondissement de l'Union.
Dans ce contexte, nous avons également, évidemment, évoqué la politique européenne de sécurité et de défense commune. Cela ne surprendra personne. Nous avons également des projets communs d'équipement de nos forces militaires. La France et l'Allemagne, à l'occasion du sommet de Mayence, et les autres nations participant au projet A 4OOM ont eu l'occasion de le dire lors du Salon de Farnborough. Nous avons fait part de notre volonté de développer des capacités européennes dans le transport aérien, en se fondant sur nos contributions nationales. Nous avons dit clairement que ces décisions, nous voulons et nous allons nous y tenir et que, dans ce contexte, nous sommes également disposés à signer au Bourget les dispositions dans ce sens. Nous attendons aussi que les marchés d'approvisionnement avec les industriels soient passés le plus rapidement possible. Naturellement, en ce qui concerne la partie allemande, je peux faire cette déclaration en pleine conscience, mais je dois poser la réserve nécessaire que m'impose le respect du Parlement, puisque c'est lui qui a la main sur les décisions budgétaires. Mais la volonté que nous avons de mener à bien, efficacement, ce projet commun, elle est irréfutable et irrévocable.
Je m'en tiendrai à cela dans un premier temps et je vais demander au Président de la République d'intervenir à son tour.
LE PRESIDENT - Je voudrais d'abord remercier chaleureusement le Chancelier de nous avoir invités dans une ville aussi agréable et où les Français se considèrent un peu comme chez eux.
Et je voudrais remercier Monsieur le Maire de Fribourg, et à travers lui et au-delà de lui, tous les habitants de cette ville pour cet accueil chaleureux qui nous a été réservé et qui nous a beaucoup touchés.
Un sommet, c'est toujours des difficultés, des contraintes pour les habitants d'une ville, en matière de circulation, d'ordre public, et tout cela n'a pas du tout enlevé le sourire sur les visages des habitants de Fribourg. Alors, Monsieur le Maire, soyez gentil d'une façon ou d'une autre de leur dire combien nous avons été sensibles à leur accueil.
Le Chancelier a rendu compte parfaitement de nos discussions, de nos travaux, mais aussi du contexte dans lesquels ils se sont déroulés. Un contexte qui est marqué par un renforcement de nos relations. Depuis le début de l'année, c'est notre quatrième rencontre, le Chancelier, le Premier ministre et moi, ce qui nous permet d'approfondir naturellement toutes les questions, surtout si l'on imagine que chacune de ces rencontres est préparée par nos ministres des Affaires étrangères, qui se voient au moins deux fois plus. Cela nous permet, naturellement, de préparer des échéances, et dans le cas particulier des échéances importantes, comme ce sommet de Fribourg, mais également le sommet de l'OTAN, demain, en Belgique, et le dîner de jeudi soir où les Quinze rencontreront le Président des Etats-Unis et puis, enfin, vendredi et samedi, le sommet de Göteborg.
Tout ceci faisait naturellement un ensemble qui devait être soigneusement préparé pour que l'Allemagne et la France avancent, je dirais, de façon conjointe, solidaire, vers la solution des problèmes auxquels nous sommes confrontés.
Le premier d'entre eux, naturellement, c'est le " non " irlandais. Je n'ai rien à ajouter à ce qu'à dit le Chancelier. Nous avons regretté, naturellement, ce " non ". Nous avons le sentiment de pouvoir régler ce problème de façon satisfaisante pour la construction de l'Europe et pour l'Irlande. Les ministres des Affaires étrangères, réunis hier au sein du CAG, ont pris une décision commune qui consiste à exclure toute réouverture, naturellement, du traité de Nice, toute renégociation du traité de Nice, et qui consiste aussi à respecter les calendriers convenus, tant en ce qui concerne la ratification du traité qu'en ce concerne le processus d'élargissement, qui est directement lié à la ratification du traité.
Nous avons réaffirmé ce point de vue au niveau franco-allemand, aujourd'hui. Nous avons confiance en la capacité de l'Union à surmonter cet obstacle, notre volonté étant, je le répète, de poursuivre les procédures de ratification, et surtout, nous avons réaffirmé notre détermination que l'élargissement, qui est un enjeu fondamental pour toute l'Europe, ne connaisse aucun retard. Et c'est donc un message de confiance à l'égard des pays qui attendent l'élargissement que nous avons également entendu donner ici, de Fribourg.
Nous avons également évoqué le deuxième point, après l'élargissement, qui sera à l'ordre du jour de Göteborg, c'est-à-dire le développement durable, pour approuver les orientations générales du rapport de la Commission qui nous est parvenu, hélas, un peu trop tard pour qu'il soit étudié tout à fait dans le détail, mais pour dire également notre détermination à maintenir le processus de Kyoto et à refuser de sortir du processus de Kyoto. Nous sommes à un moment où l'ensemble de la communauté scientifique, comme en apporte le témoignage du dernier rapport du GIEC, confirme que l'excès d'émission de gaz à effet de serre a des conséquences graves en matière de réchauffement de la planète et qu'elles peuvent apporter des conséquences également très sérieuses sur l'avenir du monde et que, par conséquent, il est indispensable de réduire ces émissions. Ce qui suppose, évidemment, à la fois des objectifs contraignants et des procédures permettant de vérifier que ces objectifs sont bien atteints, notamment par tous les pays qui sont gros émetteurs de gaz à effet de serre.
Nos ministres de l'Environnement, il y a quelques jours, ont été unanimes pour maintenir cette position. Ce sera, je l'imagine, également la position du sommet de Göteborg. Et nous aurons l'occasion d'en parler avec le Président BUSH et de voir comment, avec lui, on peut réenclencher le processus de Kyoto et, quitte à négocier la mise en oeuvre ou des détails de mise en oeuvre, comment on pourra avoir des objectifs quantifiés et des procédures contraignantes pour les atteindre.
Nous avons également, bien entendu, parlé des problèmes du Moyen-Orient et également des Balkans, notamment de la Macédoine qui nous préoccupe beaucoup.
En ce qui concerne les questions de sécurité, je relèverai rapidement trois points importants. Nous avons réaffirmé notre détermination à faire en sorte que les engagements pris en matière de défense européenne soient tenus, c'est-à-dire que l'Union européenne soit opérationnelle d'ici la fin de l'année.
Deuxième point, le Chancelier en a parlé, je n'ai rien à ajouter, c'est le lancement de l'opération de l'avion de transport militaire européen A 400M. Nous nous réjouissons que la décision de principe puisse être prise à l'occasion du prochain salon du Bourget.
Enfin, nous avons évoqué les problèmes de sécurité mondiale. Chacun sait que nos amis et alliés américains proposent un projet de défense anti-missiles. Nous pouvons avoir un jugement plus ou moins enthousiaste sur ce projet mais nous sommes tout à fait décidés et disposés, naturellement, à engager avec les Etats-Unis le dialogue nous permettant de voir quelles sont les réponses qui doivent être apportées au danger que représente notamment le nombre de plus en plus important de fusées balistiques. Mais nous disons que, si le système de défense doit être étudié effectivement, il y a une autre nécessité, qui ne peut pas ne pas être soulignée, c'est la non-prolifération.
Les efforts en matière de non-prolifération dans le monde d'aujourd'hui sont tout à fait insuffisants. Alors, une chose est de se protéger de fusées qui seraient susceptibles de nous menacer au moment où elles sont parties, une autre chose est de faire en sorte qu'il y en ait le moins possible qui puissent nous menacer. Et donc la non-prolifération est un élément essentiel d'une politique de sécurité. Et nous avons, vous le savez, dans le domaine balistique, convenu de lancer une nouvelle initiative à Göteborg en vue de l'universalisation du code de conduite du régime de contrôle des technologies balistiques du MTCR. Il s'agit là en réalité de créer un nouvel instrument contraignant de lutte contre la prolifération. Si j'ose m'exprimer ainsi, un TNP balistique. C'est évidemment un élément essentiel de l'ensemble d'une discussion stratégique.
Sur le plan, également, de la sécurité, dans un autre domaine, nous avons approuvé et posé les principes d'une initiative franco-allemande pour une police européenne des frontières. Vous savez que le renforcement de l'action européenne en matière de justice et de sécurité est l'un des chantiers prioritaires de l'Union pour les années qui viennent. Nous avions eu l'occasion, vous vous en souvenez peut-être, déjà, d'évoquer ces problèmes en franco-britannique au sommet de Cahors.
Sur le plan bilatéral, en cette année de mobilisation mondiale contre le racisme et la xénophobie, dans la perspective du sommet de Durban en Afrique du sud, nous avions décidé de dédier ce sommet au problème de la lutte contre les discriminations et le racisme.
Cette lutte doit être aujourd'hui une priorité dans nos démocraties. Le rapport qui nous a été fait était un excellent rapport, que nous pourrons utiliser pour la définition d'une politique et d'une dynamique. Les discriminations, en effet, forment le terreau du racisme ordinaire et elles entravent et découragent la volonté de ceux qui veulent tout naturellement s'installer, on disait il y a quelque temps s'intégrer, dans la société dans laquelle ils vivent et dans laquelle ils veulent vivre, je pense naturellement aux personnes issues de l'immigration.
Ces discriminations mettent en cause de manière inacceptable le principe fondamental de l'égalité des droits. Alors, les politiques de lutte contre les discriminations sont diverses, elles passent notamment, cela va de soi, par l'éducation et par l'accès à l'emploi, c'est ce qu'a évoqué tout à l'heure à juste titre le Chancelier.
Mais il y a autre chose qui, à mes yeux, est plus important. Nous avons petit à petit laissé se créer dans nos sociétés de véritables ghettos, et je crois que c'est cela le fond du problème, par une politique, à partir des années 50, un peu folle d'urbanisme et d'architecture. Le développement du grand commerce qui a chassé la vie des villes et des cités, tout cela a conduit tout naturellement à la constitution de véritables ghettos. Alors, naturellement, nous avons tous à un titre ou à un autre dans nos pays des politiques de la ville. Elles sont intéressantes, bien sûr, mais la plupart du temps ce sont un peu des cautères coûteux sur une jambe de bois. Je crois que le fond du problème, aujourd'hui, c'est de lutter contre les ghettos, c'est à dire de " déghettoïser " nos grandes villes, nos grandes cités et de restaurer un tissu urbain qui permette tout naturellement la mixité, comme on dit aujourd'hui sans laquelle il n'y aura pas de solution au problème des discriminations.
Nous avons également, je n'y reviens pas, évoqué les problèmes de l'enseignement de la langue du partenaire et insisté sur la nécessité, reconnue par l'Union européenne, d'un trilinguisme dès le plus jeune âge, c'est à dire l'étude de deux langues étrangères au-delà de sa langue maternelle par chacun de nos enfants.
Nous avons évoqué un problème qui est toujours très délicat et très passionnel, émotionnel, qui est celui des droits de garde et de visite des enfants de couples séparés. Certes, entre la France et l'Allemagne, les choses ont bien avancé à l'initiative de nos ministres de la Justice et aussi grâce à la Commission de médiation parlementaire franco-allemande. Mais on n'a pas encore résolu vraiment ces difficultés. Et nous avons exprimé notre désir de continuer à progresser, notamment grâce à la récente entrée en vigueur de la convention Bruxelles-2 qui devrait limiter les effets des différences entre des jugements rendus de part et d'autre du Rhin.
Dernier point, comme la dit le Chancelier, nous avons évoqué l'étude que nous devons nécessairement lancer, je dis bien l'étude, naturellement, en ce qui concerne le TGV Rhin-Rhône, qui est un élément complémentaire du grand maillage ferroviaire de l'Europe de demain, et notamment de la partie franco-allemande ou germano-française. Et nous avons aussi évoqué avec le Chancelier, il l'a dit, l'importance du développement et de la tri-nationalisation, si j'ose dire, de l'aéroport de Bâle-Mulhouse.
Voilà, je crois avoir fait à peu près le tour des questions que nous avons évoquées. Mais le Premier ministre, probablement, a décelé chez moi quelques lacunes qu'il va compenser.
LE PREMIER MINISTRE - Monsieur le Président, Monsieur le Chancelier, comme le Président, en particulier, j'ai été très touché par la très grande chaleur de l'accueil des habitants de Fribourg, et nous espérons bien que dans le prochain sommet franco-allemand qui se tiendra en France, sans doute dans le midi de la France, comme l'a souhaité le Chancelier, les Français sauront montrer dans la ville que nous choisirons autant de chaleur, de spontanéité et de simplicité. Effectivement, d'une certaine façon, c'était un peuple ou une partie d'un peuple qui parlait aux représentants d'un autre peuple. Et puisque je parle de représentants, je voudrais aussi dire que ce sommet a été l'occasion, de la part du Président de la République, au nom de la France, du Chancelier, -je me suis associé bien sûr à cela- de rendre hommage à un autre acteur de la relation franco-allemande, c'est l'ambassadeur HARTMANN, ambassadeur d'Allemagne en France, qui va quitter son poste. Un très bon ambassadeur est une sorte de double ambassadeur. Il est bien sûr d'abord, ambassadeur de son pays, mais il est, d'une certaine façon l'ambassadeur du pays dans lequel il vit. Et je dirai que lorsqu'il y a tant de relations entre les ministres, les Présidents, Chancelier ou Premier ministre, entre deux pays si proches que la France et l'Allemagne, et que malgré tout, un ambassadeur arrive à réussir pleinement sa mission, cela veut dire que c'est un diplomate exceptionnel, et donc, nous avons voulu le souligner.
Ces sommets franco-allemands tels qu'ils se déroulent maintenant, accompagnés de nos rencontres plus resserrées, plus intimes, si l'on peut dire, du Président, du Chancelier et de moi-même et des deux ministres des Affaires étrangères nous permettent vraiment de bien travailler à la préparation des autres rencontres internationales et en particulier des sommets européens. C'est le cas du sommet de Göteborg, où je peux dire que, sur tous les points essentiels de ce sommet, il y a une approche commune, on peut même pratiquement dire une position commune de la France et de l'Allemagne. Et, nous permettent aussi ces rencontres de réfléchir à l'avenir et à cet égard, je prolongerai la réflexion esquissée par le Chancelier, nous allons continuer à réfléchir ensemble à l'avenir de l'Europe, de l'Europe élargie dans la perspective de 2004. De ce point de vue là, les différentes expressions qui se sont faites jour en Allemagne et en France ont permis en quelque sorte de lancer le débat. Et, ce que je voudrais dire ici, c'est qu'au-delà de nos traditions, notamment de nos traditions étatiques, de nos vies politiques nationales qui peuvent jouer aussi leur rôle. et en prenant en compte aussi le fait que nous ne sommes simplement qu'au début d'une discussion, je crois qu'on peut être frappé, c'est ce qu'on dit plusieurs responsables allemands, en réalité par des points très importants de convergences sur des projets concrets.
De toute façon, il faut maintenant que ce débat se développe à la fois au plan national, nous l'avons décidé en France avec le Président, et au plan européen, bien sûr, et puis, à un moment, il faudra converger. Nous savons que les décisions se prennent par consensus, nous l'avons vu à Nice, il faut donc être d'accord à quinze, et il ne suffit même pas d'être d'accord à quinze pour être sûr d'avoir abouti, puisque le non au référendum irlandais, a montré, en plus, que la non-ratification d'un pays pouvait frapper, au moins potentiellement -nous allons bien sûr, je crois, trouver la solution-, mais pouvait frapper de caducité un texte qui a été longuement négocié et signé par les représentants des Etats. Ce qui est d'ailleurs quelque chose auquel il faudrait peut-être réfléchir pour l'avenir, lorsqu'on parlera du futur de l'Europe, mais je ne veux pas ouvrir ce débat maintenant. Alors, il faudra converger, et ce qui est important c'est de regarder, peut-être, ce qui permettra à un moment ou à un autre de converger.
Sur le sommet de Göteborg, le Président a dit, et le Chancelier a dit, ce qui était, je crois, le plus important, à savoir la réaffirmation du caractère irréversible de l'élargissement, la volonté de mener dans l'ordre, méthodologiquement, le débat sur l'avenir de l'Union, et de ce point de vue là, nos amis belges, leur Présidence, auront des responsabilités particulières, notamment à Laeken. L'apport sur le développement durable, j'y ajouterai peut-être, parce que cela n'a pas été évoqué, le fait que, sur la question des sièges des agences dans l'Union, puisque vous savez que c'est une discussion, nous sommes convenus que si ce sujet était abordé à Göteborg, la France et l'Allemagne auraient des positions communes.
Je ne reviens pas sur l'A 400M, c'est un projet extrêmement important, non seulement pour la défense européenne, mais pour l'industrie européenne, et il est clair que pour avoir travaillé avec nos interlocuteurs allemands à la construction, et les industriels au premier chef, bien sûr, à la construction de cette grande entreprise européenne qu'est EADS, c'est pour nous un objectif tout à fait important, et je crois que nous pouvons être optimistes à cet égard.
En ce qui concerne les sujets bilatéraux, le coeur de la discussion, était la lutte contre le racisme et la xénophobie, nous ne sommes évidemment, dans aucun de nos pays menacés par le racisme et la xénophobie, dans le sens où cela risquerait de menacer nos équilibres démocratiques, mais le poison existe à l'intérieur de nos sociétés et trouve ces traductions, ces traductions diverses, et donc cette action doit être menée. La déclaration commune qui a été préparée et que nous avons approuvé est, à cet égard, extrêmement importante, de même qu'a été importante la participation hier à Fribourg des organisations non-gouvernementales, des personnalités qui ont mené ce débat. Certes, on peut dire que la lente montée du chômage, elle est en train de se retourner en Europe, les situations d'exclusions, les craintes identitaires ont pu jouer un rôle dans la montée de ces courants xénophobes, mais cela ne saurait être en rien une excuse et donc, nous devons mener résolument cette lutte contre la xénophobie. De ce point de vue là, les sociétés civiles seront décisives et la jeunesse qui n'est pas spontanément porteuse d'intolérance et de xénophobie est un enjeu tout à fait important. Mais les Etats aussi doivent se doter des arsenaux juridiques et des moyens d'agir qui relèvent de leur responsabilité.
Au titre d'autres sujets bilatéraux, on peut insister naturellement sur les efforts que nous développons en ce qui concerne l'apprentissage de la langue du partenaire. Vous le savez un accord a été signé à cet égard. Vous l'avez vu tout à l'heure.
Enfin, en ce qui concerne les liaisons entre nos deux pays qui sont à la fois de l'ordre du bilatéral et de l'ordre des réseaux, des relations européennes, la France a beaucoup avancé aussi bien sur le TGV-est. Des décisions ayant été prises, des financements de l'Etat, de l'Union européenne, des collectivités locales ayant été rassemblés, des décisions concrètes ayant été prises par le gouvernement que je dirige aussi bien donc pour le TGV-est que pour le TGV Rhin-Rhône puisque vous le savez, en février 1998, nous avons mis à l'enquête publique la branche est de Dijon à Mulhouse, que cette enquête publique s'est déroulée courant de l'année 2000 et que la Commission d'enquête a depuis rendu un avis favorable sur ce projet.
Sur ces grands dossiers concrets, on avance côté français. C'est d'ailleurs notre responsabilité, mais nous souhaitons naturellement que le mouvement se développe aussi en Allemagne parce que cela sera un enjeu très important que de raccourcir les temps de transport, donc de rendre plus intimes et plus proches les relations entre nos deux pays.. Si la force de la technique, des moyens matériels de l'investissement peuvent venir en soutien à l'élan du coeur et à la responsabilité des chefs d'Etat et des diplomates, eh bien, nous pourrons faire des progrès dans l'intégration européenne comme dans la relation entre la France et l'Allemagne.
QUESTION - Le ministre fédéral de l'Economie, M. Werner MULLER, a menacé hier, par la voie législative, de limiter voire de suspendre l'importation de courant en provenance de France, à savoir d'EDF, si la France n'ouvrait pas son marché de l'électricité comme l'Allemagne. Qu'en pensez-vous ? Et, Monsieur le Chancelier, sous quelle condition seriez-vous prêt à suspendre le projet de loi déjà adopté en Conseil des ministres en ce sens ?
LE CHANCELIER - M. Werner MULLER ne menace personne et surtout pas la France. C'est totalement étranger à sa nature. Il s'agit de mettre en oeuvre ce dont nous sommes convenus à Stockholm, c'est-à-dire la libéralisation des marchés à des rythmes divers et de mettre en oeuvre ce que l'on appelle, dans ce contexte, la réciprocité, c'est-à-dire que les marchés qui sont déjà plus libéralisés ne soient pas mis sous une certaine pression par des entreprises venant de pays moins libéralisés.
A cet effet, le gouvernement fédéral s'est doté d'un certain nombre de mesures. Dans le passé, c'était les entreprises seules qui décidaient des moyens qu'elles mettaient en oeuvre. Il nous a semblé que, dans le contexte bilatéral et multilatéral qu'est l'Europe, les entreprises ne pouvaient plus décider seules. Il ne s'agit de rien d'autre.
LE PREMIER MINISTRE - Je voudrais dire un mot sur ce sujet très rapide. Il est parfaitement légitime que dans le cadre du marché unique, dans le cadre des directives, de libéralisation d'un certain nombre de marchés, notamment de l'énergie, il y ait une réciprocité ou il y ait une égalité dans les mouvements.
Mais, ce que je voudrais dire, c'est qu'il faut regarder la réalité de l'ouverture de la concurrence. Je voudrais dire par-là, qu'il ne faut pas s'en tenir non seulement aux déclarations de principe et comme ce débat existe, et que je le trouve légitime, j'ai personnellement fait la proposition au Président de la Commission, M. Romano PRODI, quand il est venu à Paris nous rendre visite, il y a une quinzaine de jours, je crois maintenant, qu'on examine concrètement qu'il ait l'ouverture réelle des marchés par exemple sur l'électricité en France, en Italie, en Espagne, en Allemagne puisque ce débat a eu lieu.
Donc, cela est une question extrêmement importante. Qu'on regarde concrètement quel est le pourcentage du marché qui est ouvert par rapport à l'opérateur principal. Et, est-ce que ce marché est ouvert à des opérateurs étrangers ?
Je crois que, si l'on regarde la réalité de cette ouverture, l'on pourra sortir, je dirais par le haut, de façon objective de ce débat que je trouve, par ailleurs, parfaitement légitime. Si je dis cela, c'est que si l'on regarde la réalité des choses, elle est peut-être un peu différente de ce que j'entends dire parfois.
LE PRESIDENT - Je voudrais ajouter aussi un mot sur ce sujet. D'abord, je voudrais dire que la France ne s'est pas du tout sentie agressée par les propos du ministre auquel le Chancelier faisait allusion tout à l'heure et avec lequel nous entretenons de très amicales et cordiales relations.
S'agissant de la création de ce grand marché, il ne peut pas ne pas y avoir, à un moment donné, quelques difficultés, quelques problèmes. Ces difficultés et ces problèmes doivent être résolus dans la concertation, le dialogue, la compréhension. Alors, il y a, c'est vrai, le Premier ministre vient d'en tracer le champ, une discussion en ce qui concerne l'énergie électrique. Certains considèrent que la France ne va pas assez vite, assez loin, dans ce domaine. Très bien.
Mais l'économie est un ensemble. Moi, je prendrai un autre sujet, celui du secteur de la radio, de la télévision, de la presse, des industries de communication, où tous les pays sont très loin d'avoir l'ouverture de la France. Donc, là aussi, sans que pour autant nous fassions des agressions vis-à-vis de qui que ce soit, il faut en discuter calmement et tranquillement.
L'ensemble de ces sujets font partie d'une évolution économique. C'est vrai qu'il faudra qu'en matière d'électricité, dans les conditions évoquées à l'instant par le Premier ministre français, la France s'adapte. Il faudra bien aussi que les autres pays s'adaptent dans d'autres domaines. Je pense, notamment, pour ce qui concerne nos amis allemands, à tout le problème de la communication, où il est totalement impossible de pénétrer, alors que la France est largement pénétrée, notamment par les industries allemandes.
Donc, tout cela, vous savez, doit se traiter, je dirais, dans la bonne humeur, dans la compréhension, dans le dialogue et dans l'amitié. Et c'est bien, en tout cas, nos intentions. Je ne doute pas un seul instant que cela ne soit aussi les intentions du Chancelier et du ministre en question.
QUESTION - Monsieur le Chancelier, est-ce que l'Union européenne et l'Allemagne, à Göteborg, vont être très fermes à l'égard des Américains en ce qui concerne le protocole de Kyoto, quand vous allez rencontrer le Président ? D'autre part, est-ce que vous êtes également d'accord en ce qui concerne la prolifération des armes ?
LE CHANCELIER - Nous allons défendre ardemment le protocole de Kyoto à Göteborg parce que cela nous semble absolument une cause à défendre, sur le fond, techniquement et politiquement. Et donc la France et l'Allemagne, ensemble, veilleront à ce que ce processus suive son cours pour aboutir.
Nous espérons ensemble que l'Europe reste unie sur cette question et nous mettrons tout en oeuvre pour que cela soit le cas, quelles que soient les propositions alternatives qui soient faites. A notre avis, il n'existe pas d'autre position, d'autre possibilité de réduire aussi efficacement les émissions de CO2 que celles qu'on a élaborées à Kyoto. Nos positions sont parfaitement conformes et identiques et nous souhaitons que l'Europe des Quinze continue à affirmer cette position qui lui a été commune depuis longtemps.
Deuxième question, sur ce que le Président a dit sur la non-prolifération, nous sommes parfaitement d'accord avec lui. En effet, la prolifération des armements est un vrai problème et nous n'avons donc aucune difficulté à vouloir ensemble lutter contre cela en Europe.
QUESTION - Monsieur le Premier ministre, est-ce que vous avez profité de cette rencontre avec M. SCHROEDER pour lui exposer vos idées récemment exprimées dans votre discours sur l'Europe, notamment une modernisation du conseil européen, un traité social, un gouvernement économique ? Et est-ce que vous pouvez nous dire où précisément vous voyez des points de convergence.
LE PREMIER MINISTRE - Non, nous n'avons pu parler que brièvement de ces sujets dans l'esprit qui a été indiqué par le Chancelier SCHROEDER et que j'ai rappelé aussi. Vous connaissez le déroulement de nos sommets, l'entretien entre le Président et le Chancelier dure environ une heure, il en est de même pour l'entretien que j'ai avec le Chancelier. Nous avions l'ensemble des questions abordées à Göteborg, les thèmes directs de ce sommet, un certain nombre de grands sujets bilatéraux comme l'A 400M ou autres, donc nous n'avons pas ici eu le temps de consacrer beaucoup de développement à cela. Mais j'ai lu les réactions d'un certain nombre de responsables allemands, sans parler de philosophes allemands qui se sont exprimés sur ce sujet. Je connais aussi, parce qu'il me l'a fait savoir, un certain nombre de réactions du Chancelier ou de la Chancellerie à plusieurs aspects de mon discours. Il y a un certain nombre de sujets concrets qui ont été évoqués, dans le domaine de la justice, dans le domaine de la police, par exemple, ou qui touche encore à l'utilité éventuelle de la convention par exemple, comme méthode de travail. je pourrai multiplier les exemples de points sur lesquels à notre sens il y a des positions communes, mais en même temps je ne suis pas sûr qu'il faille les figer dès maintenant, parce qu'il est souhaitable aussi que le débat se développe à la fois au plan national, comme je l'ai dit dans chacun de nos pays, et aussi au plan européen.
QUESTION - Maintenant qu'il a été réélu, est-ce que vous avez un conseil à donner à Tony BLAIR, en ce qui concerne la Grande-Bretagne et l'euro ?
LE CHANCELIER - Non, notamment parce qu'il l'a dit et redit : je sais ce qui est bien pour la Grande-Bretagne, ne me donnez pas de conseils en public sur toutes ces questions. Et nous avons toujours suivi sa demande et sa requête. Nous ne lui avons jamais donné de conseils en public, et comme je tiens à ce que son succès se poursuive, je me garderai bien de lui faire la moindre recommandation quant à l'adhésion de la Grande-Bretagne à l'euro. Parce que je crois qu'il a apporté la preuve qu'il sait quel est l'intérêt de son pays et qu'il continuera à le faire. S'ajoute à cela que les conseils publics se traduisent parfois par des retours de bâton et il ne les mérite pas.
QUESTION - Monsieur le Président, Monsieur le Chancelier, vous êtes passés assez rapidement sur la situation au Proche-Orient et dans les Balkans. Est-ce que vous avez évoqué la possibilité d'une intervention militaire en Macédoine pour protéger les populations civiles ?
LE PRESIDENT - Ce problème n'est pas d'actualité et n'a pas à être évoqué à ce niveau. Et, j'ajouterai, encore moins commenté publiquement. Il n'en reste pas moins que nous sommes très inquiets de la situation en Macédoine et que nous ferons tout ce qui est possible pour empêcher qu'elle ne dégénère.
LE CHANCELIER - Je partage totalement la position du Président sur ce point.
Je vous remercie.