18 mai 1998 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Tribune de M. Jacques Chirac, Président de la République, dans "Al Ahram" le 18 mai 1998, sur la fragilité du processus de paix au Proche-Orient et sur la coopération culturelle et économique avec l'Egypte, intitulé "La France et l'Egypte, partenaires et unies pour la paix".

Quand le Proche Orient demeure au bord de l'explosion, usé, lassé et déchiré par 50 années de conflits fratricides, l'Egypte et la France sont unies par la même volonté de paix. La fragile lumière de la paix allumée à Madrid en 1991 et qui avait su grandir paraît aujourd'hui vaciller. Elle ne doit pas s'éteindre. La France déplore les reculs de ces derniers mois et regrette l'attitude du Gouvernement d'Israël. Mais les hommes de paix ne doivent pas se décourager. La paix, c'est le sens de l'Histoire, c'est l'intérêt de tous. Elle l'emportera. Sans paix, il ne peut y avoir de développement. Sans paix, il n'y a pas de sécurité. Sans paix, le risque de la violence subsiste.
Aujourd'hui, il nous faut ensemble réagir avec détermination pour sauver ce processus. L'Egypte a su la première, avec le Président Sadate, montrer le chemin d'un Proche Orient réconcilié. Depuis 20 ans, elle joue avec persévérance un rôle-clé pour faire progresser toutes les négociations en vue d'une paix durable qui préserve les droits légitimes des Palestiniens en même temps que la sécurité d'Israël.
De son côté, mon pays ne cesse de demander la voie du droit et de la justice pour l'ensemble des peuples de cette région dont il se sent si proche à tous égards. Je l'ai dit en avril 1996, dans un discours prononcé devant la jeunesse arabe à l'Université du Caire. Je le redirai lundi prochain en recevant à Paris mon ami Hosni Moubarak pour sa visite d'Etat en France. Je souhaiterais le rappeler ici.
Des principes fondent notre action. Pour être durable, la paix doit être juste et globale£ le droit des Palestiniens à l'autodétermination, ce qui signifie leur droit à disposer d'un Etat, comme tant de femmes et d'hommes responsables du monde le disent haut et fort aujourd'hui£ l'échange des territoires contre la paix qui seul peut permettre d'aboutir. La sécurité, enfin, qui passe par la paix, c'est-à-dire par l'application des accords signés et le respect des engagements pris.
S'agissant des Palestiniens, cela signifie notamment qu'Israël, dont je comprends la volonté de sécurité et avec lequel mon pays entretient les meilleures relations, doit prouver sa volonté de paix et donc respecter les échéances du redéploiement. Il y a urgence à agir. Il faut faire baisser la tension. Il faut tendre vraiment la main. Cela signifie aussi, et je dois le rappeler, que toute action visant à remettre en cause le statu quo à Jérusalem et préjugeant du résultat des négociations sur le statut définitif est à proscrire, et notamment les implantations. N'oublions pas les principes qui ont fondé Oslo. N'oublions pas que cette négociation sur les sujets les plus difficiles que sont le retour des réfugiés, le statut de Jérusalem, les frontières, devra tôt ou tard être abordée dans un esprit de justice et d'ouverture.
S'agissant de la Syrie et du Liban, ma conviction est que la paix ne peut être fondée que sur un accord global. Israël doit se retirer du Liban, conformément à la résolution 425. La Syrie est en droit d'obtenir la restitution du plateau du Golan. Le Liban a droit à sa pleine indépendance, à sa sécurité, et à sa souveraineté recouvrée sur l'ensemble de son territoire. Mais en retour, la pleine sécurité d'Israël doit être garantie. La France est prête à participer avec d'autres, si les parties le lui demandent, et dans le cadre d'un accord global, à un système de garanties. C'est dans cet esprit, sur la base de ces principes, que la France ne cesse de déployer ses efforts avec ses partenaires de l'Union européenne, avec les Etats-Unis, avec l'Egypte et toutes les parties régionales. Ensemble, nous devons continuer à faire entendre raison à tous ceux qui, par leur extrémisme et leur intransigeance contribuent à tuer sciemment, directement ou indirectement, la dernière étincelle de vie, le dernier espoir de paix. C'est dire que nous devons mobiliser nos forces pour gagner la paix. Cette préoccupation sera au coeur des discussions que nous aurons, le Président Moubarak et moi-même à l'occasion de sa visite d'Etat.
Car c'est un grand honneur pour mon pays de recevoir en visite d'Etat un des grands dirigeants du monde. Notre proximité de vues et d'action sur le processus de paix, dans l'ensemble du monde arabe comme sur les grandes questions internationales, n'est pas un hasard de l'Histoire. Pendant deux ans, au Conseil de Sécurité, dans les crises, nos deux pays ont travaillé la main dans la main.
L'Egypte et la France sont unies par des liens d'une nature et d'une force particulières que cette visite vient souligner et couronner de manière solennelle. L'Egypte, au coeur du monde arabe, méditerranéen, véritable pont vers l'Afrique, est un partenaire stratégique. Mais au-delà, l'Egypte fascine la France. Elle est sa part de rêve. Elle est au coeur de Paris, comme elle est au coeur des Français. Que serait notre capitale sans la pyramide du Louvre ou l'obélisque de la Concorde ? De son côté, en Egypte la France a porté et porte le meilleur d'elle-même. C'est un Français qui, en perçant le mystère des hiéroglyphes, a fait parler les pierres de la vallée du Nil murées dans leur silence millénaire. Au siècle dernier, des Français ont participé avec enthousiasme aux projets d'industrialisation et de modernisation de l'Egypte dans tous les domaines, qu'il s'agisse d'agriculture, de médecine, d'enseignement.
Aujourd'hui, avec notre coopération archéologique sans équivalent, les fouilles entreprises en commun aboutissent à découvrir des richesses sans égal. Les grandes expositions organisées à Paris dans le cadre de "France-Egypte : horizons partagés" connaissent déjà un immense succès. La France souhaite, elle en a les capacités, accompagner l'effort fait par l'Egypte, son peuple, sa jeunesse, qui aspirent à un meilleur avenir. La technologie française se veut au service de tous. Les réalisations exemplaires que sont le métro du Caire, dont j'avais pu inaugurer une nouvelle ligne lors de ma visite d'Etat, ou tout récemment le satellite Nilesat, qui fait entrer l'Egypte dans le petit club des nations spatiales, en témoignent. De même, la construction du double tunnel devant relier le beau quartier d'Al Azhar au centre ville du Caire comme la création d'un SAMU égyptien, se feront avec le concours de la France. Au-delà, nos échanges sont en plein essor dans les domaines économique, technologique, militaire, culturel. La construction du partenariat euro-méditerranéen, malheureusement ralenti à cause du recul de la paix dans la région, nous ouvre de plus larges perspectives encore.
Les investisseurs français sont toujours plus nombreux à être attirés par une Egypte en croissance, bien gérée, qui s'ouvre, se libéralise, impressionne. Les échanges culturels et linguistiques, essentiels pour souder la fraternité entre les peuples des deux rives de la Méditerranée, connaissent un épanouissement sans pareil. Nous savons aussi coopérer pour l'avenir, pour nos enfants, en matière d'éducation et d'enseignement supérieur. Je ne citerai que les filières francophones créées dans les universités du Caire et d'Ain Shams, qui sont de grandes réussites.
Enfin, l'Egypte, membre associé de la francophonie, a donné à ce mouvement l'un des plus brillants de ses fils pour devenir le premier Secrétaire Général de cette Organisation. Nos deux pays, partenaires d'exception, sont capables, avec volonté et confiance, de contribuer à faire prévaloir l'esprit de modération, de dialogue, de concorde, de réconciliation et de modernité dont les peuples de cette région ont tant besoin pour construire ensemble dans la stabilité et le développement, l'avenir et d'abord la paix.
Bienvenue en France au Président Hosni Moubarak, que nous sommes fiers et heureux d'accueillir en visite d'Etat dans notre pays.