27 avril 1998 - Seul le prononcé fait foi

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Discours et point de presse de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur les relations économiques et culturelles franco-japonaises, la réalisation de l'Union économique et monétaire européenne, la crise financière en Asie du sud-est, le redressement de la situation économique au Japon, Tokyo le 27 avril 1998.

Monsieur le Président,
Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs,
et chers amis,
Je vous remercie du fond du coeur, Monsieur le Président, pour votre accueil et pour votre invitation à venir m¿exprimer devant les chefs d¿entreprise de votre pays. Et merci de m¿offrir cette occasion nouvelle de retrouver beaucoup de mes amis japonais.
Déjà, il y a un peu plus d¿un an, j¿étais votre invité. Ici même, j¿avais souhaité partager avec vous ma passion pour la France et ma confiance en l¿avenir. J¿avais appelé à un rapprochement entre nos deux pays, et notamment entre nos entreprises, japonaises et françaises.
L¿heure n¿est pas encore aux bilans, mais on peut déjà mesurer les progrès accomplis dans les relations entre le Japon et la France. Depuis ma visite et l¿adoption de notre plan ¿ 20 actions pour l¿an 2000 ¿, nos relations sont entrées dans une ère nouvelle.
350 entreprises françaises sont désormais présentes chez vous. Et nos entreprises, je le sais, veulent s¿investir sur le grand marché japonais qui a vocation à s¿ouvrir davantage.
Une puissante dynamique d¿association et de coopération a été initiée par nos plus grands groupes et ceci dans tous les domaines : les microprocesseurs avec Hitachi et SGS-Thomson, les services urbains avec Marubeni et la Compagnie générale des Eaux. La recherche et le développement avec NEC et Thomson Multimédias qui ont lancé un ambitieux programme pour les écrans de télévision de demain.
Ce ne sont là que quelques exemples, je pourrais en citer beaucoup d'autres, mais ils montrent bien la complémentarité de nos savoir-faire, l¿étendue, la diversité, la richesse de nos relations économiques. Cette dynamique doit encore s¿amplifier. Et je suis heureux que de plus en plus d¿entreprises françaises, parmi lesquelles beaucoup de petites et moyennes entreprises, se tournent maintenant vers le Japon.
Mais, Monsieur le Président, en un an, que de bouleversements aussi ! Aujourd¿hui, votre région se relève d¿une crise financière grave qui a touché de nombreux pays d'Asie. Crise douloureuse pour les peuples d'Asie. Mais crise dont le meilleur peut sortir, si nous savons en tirer, tous ensemble, les enseignements.
Nous avons en France un proverbe sur les épreuves et leurs leçons. ¿ A chaque chose, malheur est bon ¿ disent mes compatriotes. Et si la secousse a été terrible, si le contexte demeure difficile, la crise est aussi le révélateur de mauvais fonctionnements. Elle doit être l¿occasion salutaire de bâtir plus solidement l¿avenir.
D¿abord, gardons confiance. Ne cédons pas au pessimisme. Sachons voir les extraordinaires capacités de l¿ensemble du continent asiatique.
Bien sûr, je mesure les contraintes de la situation. J¿en mesure pleinement les conséquences sociales, hélas, le drame vécu par les populations frappées de plein fouet par le chômage et par la baisse de leur niveau de vie.
Pour autant, les clés des succès exceptionnels de l¿Asie depuis 20 ans demeurent les mêmes : un taux d¿épargne élevé, des budgets en équilibre, des populations remarquablement formées et qualifiées, une véritable culture du travail et de la réussite.
Les perspectives de croissance demeurent fortes, une fois passée la période d¿ajustement inévitable. C¿est le moment d¿intensifier nos échanges et nos investissements.
La santé, dans ce contexte, de l¿économie japonaise est très importante. Elle est importante pour l¿Asie et elle est importante pour le monde.
Deuxième puissance économique, premier créancier de la planète, le Japon dispose de très solides atouts. Il doit les mettre au service de sa croissance.
Pour ma part, j¿ai toute confiance dans la sagesse et dans la parole de vos dirigeants pour mener à bien les réformes qui s¿imposent. Je connais la volonté de beaucoup de chefs d'entreprise japonais. Je connais la volonté du Premier ministre du Japon, mon ami Ryu Hashimoto, volonté de sortir de la crise, de renforcer le système financier et de redonner à l¿économie japonaise le dynamisme nécessaire. Déjà, des mesures très importantes ont été prises. D¿autres viennent d¿être annoncées. Je souhaite la pleine réussite des actions entreprises par les autorités japonaises. J'ai toute confiance dans l'avenir de l'économie japonaise. J'ai toute confiance dans le Japon.
Vous comprendrez que nous, Français et Européens, portions une attention particulière aux efforts engagés dans votre pays. Car, de la croissance du Japon, de ses capacités à relancer son économie, dépendent aussi, pour une part importante, notre propre vigueur et notre vitalité.
Oui, le monde a besoin que l¿Asie retrouve équilibre et stabilité. Le monde a besoin d¿un Japon fort, mais aussi d¿une Chine puissante, d¿une ASEAN solidaire, d¿une Corée prospère. \
Aujourd¿hui, l¿interdépendance des économies du monde est totale. La mondialisation, avec l¿ouverture des frontières et des marchés, avec la libre circulation des hommes, des capitaux et des produits, est une chance. C¿est un formidable moteur de croissance.
Cette interdépendance a une conséquence logique : aucun pays, aucun ensemble, quelle que soit sa taille, quelle que soit sa force, n¿est à l¿abri des chocs qui frappent ses partenaires, proches ou lointains.
Voilà pourquoi c¿est toute la communauté des nations qui doit se mobiliser et s¿unir face aux difficultés. Voilà pourquoi la solidarité internationale a pleinement joué aux premières heures de la crise asiatique. Voilà pourquoi les financements nécessaires ont été réunis immédiatement, pour des montants jamais, jamais égalés dans l¿Histoire.
Je rends hommage au Japon qui a très largement contribué au financement des programmes du FMI. L¿Europe a, elle aussi, pris une part décisive dans les plans de financement et de soutien.
L¿Europe est parfois trop discrète. Je voudrais rappeler que les pays de l¿Union européenne représentent 30% du capital du Fonds monétaire international, alors que les Etats-Unis ne représentent que 18% de ce capital. De plus, plusieurs Etats européens, en particulier la France, ont ajouté à cela des contributions bilatérales considérables. Les grandes banques européennes, et notamment françaises, ont joué un rôle essentiel pour éviter une grave crise de liquidité en Asie.
Ainsi, l¿Europe s¿est elle massivement engagée aux côtés de ses partenaires asiatiques. Le récent Sommet euro-asiatique de Londres a réaffirmé fortement la confiance des Européens et leur solidarité à l¿égard de l¿Asie.
Permettez-moi également de saluer la sagesse et le courage des dirigeants chinois. En maintenant son taux de change, la Chine a joué un rôle majeur pour aider à stabiliser la situation. Elle donne l¿exemple d¿une grande puissance, qui assume pleinement ses responsabilités mondiales.
C¿est donc ensemble que nous devons renforcer le système financier mondial car le premier enseignement de cette crise, c¿est la nécessité de bâtir une nouvelle architecture du système financier international, une architecture adaptée au nouvel environnement économique mondial.
Il ne s¿agit pas de réglementer le système monétaire international. Nous aurions tous à y perdre. Il s¿agit de le renforcer et de lui assurer plus de stabilité. Pour mieux prévenir les crises, et donc leurs conséquences sociales, souvent dramatiques. Pour mieux bénéficier des avantages de la libéralisation des marchés financiers. Il s¿agit aussi d¿assurer plus de transparence dans un monde où les flux financiers internationaux sont désormais libres et massivement privés.
Il y a deux ans, lorsqu¿elle présidait le G7-G8, la France avait appelé au renforcement de la stabilité du système international. Depuis, des progrès ont été accomplis. Mais le système reste fragile. Les règles du jeu demeurent insuffisantes.
Sur cette question, le Japon et la France partagent depuis longtemps des vues convergentes. Nous devons réfléchir ensemble aux moyens d¿améliorer les choses et nous devons faire des propositions communes. Nos ministres des Finances viennent d¿évoquer ces problèmes à l'occasion des réunions du FMI à Washington. Nous en discuterons au niveau des chefs d¿Etat et de Gouvernement au prochain Sommet du G7-G8 à Birmingham dans une quinzaine de jours.
Nous devons, bien sûr, accroître l¿efficacité du contrôle bancaire et prudentiel et augmenter la transparence de notre système financier. C¿est-à-dire d¿abord la transparence de l¿information.
Mais nous devons aussi conférer plus de justice et de solidarité au développement économique de la planète. Réfléchissons ensemble à la question des transferts financiers vers les pays en difficulté. Aucun pays, aucun peuple, aucun homme ne doit être exclu de la croissance et du progrès. Voilà pourquoi l¿aide publique au développement demeure une nécessité. Ensemble, Japonais et Français, deux des tout premiers contributeurs du monde n¿ont cessé d¿appeler la communauté des nations à ses responsabilités, à son devoir de solidarité.
Nous devons ensemble travailler à la modernisation et au renforcement des institutions financières internationales. La mondialisation accorde une importance grandissante aux décisions de ces institutions, et d'abord du Fond monétaire international, qui est, en faite, la pierre angulaire de la coopération internationale. Son rôle s'est avéré déterminant dans la gestion des crises. Nous devons d¿urgence lui donner les moyens financiers d¿assumer ses missions.
Nous devons enfin renforcer la coopération entre les institutions internationales afin que l¿ensemble des problèmes financiers soient traités de manière globale et adaptée, qu¿il s¿agisse des bourses, des assurances ou des banques.
Faisons preuve d¿imagination. La tâche est difficile. Mais il est temps d¿aller plus avant.\
Plus de stabilité du système financier international : voilà précisément l¿un des enjeux de l¿euro.
Le 2 mai prochain, à Bruxelles, l¿Union européenne donnera le coup d¿envoi de l¿euro. Et le 1er janvier 1999 verra la naissance d¿une nouvelle monnaie.
Pour les Européens, c¿est un rendez-vous historique. L¿euro scellera l¿union de nos vieux pays. Elle ancrera la solidarité des nations qui se sont si souvent déchirées dans le passé. Le siècle qui s¿achève aura vu les Européens s¿affronter au cours des guerres les plus meurtrières que l¿humanité ait jamais connues. Champ de batailles millénaire, l¿Europe est devenue, en seulement un demi siècle, et par la volonté de quelques hommes, un continent de paix et de démocratie.
Mon ami, le Chancelier Helmut Kohl, rappelait récemment, au Bundestag, cette belle phrase de Konrad Adenauer, je le cite ¿ l¿unité européenne, ce rêve caressé jadis par une poignée d¿hommes, ce rêve devenu pour beaucoup une espérance est pour nous tous désormais, une nécessité ¿ et permettez-moi d'ajouter aujourd'hui cette nécessité est devenue une réalité.
L¿euro est bien plus qu¿un simple moyen de paiement. Il a une portée symbolique. Avec lui les Européens seront plus forts et plus solidaires dans un monde qui affirme chaque jour, sa volonté, sa vocation multipolaire.
Aujourd¿hui, toutes les conditions sont réunies pour que l¿Europe réussisse son passage à la monnaie unique le 1er janvier prochain.
Pour réussir, pour emporter la confiance des opérateurs économiques nationaux et internationaux, une monnaie doit être crédible. C¿est à dire fondée sur des réalités économiques tangibles. Il fallait que nos économies soient ¿ compatibles ¿. C¿est tout l¿objet des fameux critères de Maastricht. Critères de bonne gestion et critères de rapprochement, de convergence de nos économies.
En cinq ans, que de progrès accomplis. Il y a cinq ans, les économies européennes tiraient à hue et à dia. Les déficits publics minaient la croissance. Les taux d'inflation et les taux d'intérêt étaient très différents d'un pays à l'autre, en Europe.
Certes les difficultés n¿ont pas manqué. Mais les Européens ont relevé le défi. Et le succès est là.
Onze pays participeront à la monnaie unique. Je me félicite de la force d¿attraction de l¿euro et des efforts de tous les pays pour figurer sur la ligne de départ. Je souhaite que, très vite, l¿euro soit la monnaie de l¿Union tout entière d'aujourd'hui et de l'Union européenne de demain.
La performance de la France mérite d¿être soulignée. Engagée avec détermination dans ce grand projet, elle fait partie des trois seuls pays de l¿Union économique et monétaire avec le Luxembourg et la Finlande, qui respectent strictement la totalité des critères fixés à Maastricht.
Ainsi, le 1er janvier prochain, l¿Europe achèvera l¿unification de son marché, le plus grand du monde, et l¿un des plus puissants et des plus prometteurs. Un marché fort de 350 millions de femmes et d¿hommes. Demain l'Europe qui s'élargit comptera 500 millions d'habitants.
Avec l¿euro, disparaîtront les incertitudes monétaires et les crises de change qui ont fait tant de mal à nos économies dans le passé. Avec l¿euro et l¿unification du grand marché européen, l¿horizon de nos entreprises s¿élargit. Leur compétitivité s¿améliore, aiguillonnée par la concurrence qui bénéficie également au consommateur européen. L¿efficacité de notre outil de production se renforce, dynamisant notre croissance et demain nos emplois.
Déjà, la seule perspective de l¿euro, vous l'avez noté, a protégé l¿Europe des turbulences de la crise financière asiatique. Avec l¿euro, l¿Europe, première puissance économique du monde, devient une grande puissance monétaire. L¿euro sera, à côté du dollar, un stabilisateur du système monétaire international.
Mais la monnaie unique a ses exigences. Elle doit inspirer la confiance à ceux qui la détiennent. Elle doit être solide et stable. Voilà pourquoi il nous faut poursuivre la restauration de nos finances publiques et réduire notre endettement. On ne fonde pas une monnaie solide sur des dettes. Voilà pourquoi nous devons mieux coordonner nos politiques économiques et mener ensemble des politiques pour l¿emploi adaptées. Voilà pourquoi nous avons défini, entre nous, un cadre de croissance et de stabilité.
Mon ambition est celle d¿une Europe forte et ouverte. Une Europe en croissance. C¿est l¿intérêt de tous. L'Europe ne sera jamais une forteresse. Elle ne se refermera pas sur elle-même. Elle est déjà l¿ensemble le moins protectionniste du monde.\
Vous, entrepreneurs japonais, prenez une part active au développement de l¿Europe et, au c¿ur de l¿Europe, il y a la France. La France qui a les atouts pour être votre partenaire privilégié. Sa situation géographique, la qualité de ses infrastructures et de ses transports, celle de sa formation et de son éducation, les performances de sa main d¿oeuvre, sa recherche parmi les meilleures du monde. Faire le choix de la France, c¿est faire le choix de l¿Europe.
Mon ambition pour la France est qu¿elle soit forte dans l¿Europe. Pour qu¿elle demeure elle-même. Pour qu¿elle y fasse entendre sa voix, sa vision de l¿homme, sa conception du monde. Voilà pourquoi elle doit être au premier rang des nations européennes. Voilà pourquoi elle doit continuer à s¿adapter et à se moderniser.
Ce n¿est pas un hasard si la France est, en Europe, l¿une des premières destinations de l¿investissement étranger. Et notamment de l¿investissement japonais. Beaucoup d¿entre vous ont déjà fait le choix de la France. Récemment, Toyota, Canon, Mitsui Toatsu, Shiseido et d¿autres encore ont fait confiance à la France. J¿espère que beaucoup d¿autres entreprises japonaises s¿y engageront à leur tour.
De même, la France entend affirmer sa présence aux côtés de ses amis japonais. Vous le savez, j¿ai fait du Japon une priorité pour la France. Avec mon amitié pour votre pays, c¿est la raison de ma présence parmi vous. Et c¿est l¿une des vocations de cette ¿ Année de la France au Japon ¿ que je suis venu lancer et qui est l¿occasion pour vos compatriotes de mieux connaître mon pays. L¿occasion d¿en apprécier la force et les promesses. L¿occasion aussi de découvrir tout ce qui rapproche nos deux peuples.
L¿¿ Année du Japon en France ¿ a connu un immense succès en 1997. Je suis sûr qu¿à son tour, cette ¿ Année de la France ¿, que beaucoup d¿entre vous ont soutenue financièrement, et je les en remercie, va conquérir le c¿ur des Japonais.
Vous le savez, j¿ai de grandes ambitions pour nos relations. Parce que, pour bien connaître votre pays, j¿ai depuis toujours le sentiment que le Japon et la France peuvent accomplir ensemble de grandes choses. Et que le moment n¿a jamais été meilleur pour se rapprocher. Il revient maintenant aux entrepreneurs de nos deux pays de porter cette ambition. Certains d¿entre vous ont montré le chemin. Je souhaite que d¿autres les suivent. J¿espère vous en avoir convaincus. Et je salue le Japon éternel, le Japon de demain. Je souhaite une amitié nippo-française toujours plus confiante et toujours plus forte.
Mesdames et Messieurs, je vous remercie.\
QUESTION - Tout d'abord, Monsieur le Président, je voudrais vous remercier pour vos propos. C'était un exposé qui m'a énormément impressionné car vous connaissez bien la situation économique japonaise et vous connaissez aussi bien tout ce qui s'est passé en Asie durant la crise financière. Avec toutes ces connaissances, vous nous avez bien encouragés et vous nous avez bien montré le chemin que nous devons suivre. Il faut garder confiance. Il ne faut pas être pessimiste. D'autre part, vous avez aussi reconnu la capacité exceptionnelle des pays asiatiques, c'était cela votre message. Je pense que ceci va énormément nous encourager et va donc nous redonner confiance.
Il y a un an et demi, en novembre 1996, vous nous avez donné une conférence comme aujourd'hui et, à cette occasion là, j'ai eu le plaisir de vous poser une question. Je vous demandais : "est-ce que la majorité des gens était encore sceptique quant à l'euro pour le 1er janvier 1999 ?". Mais les Français et les Européens ont fait énormément d'efforts et, aujourd'hui, vous êtes vraiment à 100 % sûrs du démarrage de l'euro le 1er janvier.
Vous avez évoqué la situation qui nous entoure, qui est très difficile, non seulement depuis la crise asiatique. Il y a des flux qui sont partis de l'Asie, le taux de change chute et nous avons beaucoup de dommages dans le domaine économique. La Thaïlande et l'Indonésie sont des exemples notables, et c'est dans ce contexte que je voudrais vous poser cette question.
Est-ce que l'euro va devenir une devise de référence ? D'ailleurs, je sais que vous faites des efforts pour que l'euro devienne une devise forte. Justement le problème c'est de savoir quel sera le rapport entre cet euro et le dollar. Quelle sera la parité ? Quel sera le taux de change de l'euro et du dollar ?
Vous avez, en Europe, le système monétaire européen. Vous avez jusqu'ici contrôlé les fluctuations dans certains marchés. Avec le système vous n'aurez plus de fluctuation à l'intérieur de l'Union mais par rapport au dollar. L'euro va coexister avec le dollar américain, entre ces deux devises, quelle sera la parité et quel sera le taux de change ? Il faudra que cette parité soit stable, même si le Président l'a bien mentionnée Il y aura le Sommet de Birmingham au mois de mai prochain, de quelle manière allez-vous discuter ces problèmes de parité ? Voilà ma première question.
Deuxième question, il y a l'euro et le dollar, deux monnaies de référence, face à cela, il y a l'Asie avec le yen. Bien sûr certains disent qu'il faut que le yen soit la monnaie de référence dans cette zone, et c'est vrai que certains font des efforts dans ce sens, mais ce n'est pas encore évident et là le problème est le suivant : en Asie quelle devrait être la devise asiatique ? Le système monétaire asiatique pourra-t-il être constitué et dans ce cas-là de quelle manière ? Vous qui avez déjà l'expérience du système monétaire européen, quelles seront les suggestions que vous allez pouvoir nous donner, à nous les Asiatiques, quant à l'éventuel système monétaire asiatique ?
Je crois qu'il faut aussi penser à établir le système monétaire global mondial et, dans ce cadre, peut-être pourra-t-on penser à des fluctuations de taux de change pour le XXIème siècle. Je me demande si ces systèmes monétaires ne seront pas plus cruciaux sur le plan politique, économique et social. La stabilité des devises sera essentielle, c'est donc dans ce sens que je voudrais vous poser la seconde question.
Quelles sont vos suggestions par rapport à un éventuel système monétaire asiatique ?
LE PRESIDENT - Vous avez d'abord évoqué l'euro. Les doutes, que l'on a pu avoir dans le passé sur la capacité des Européens à faire cette grande réforme, je crois, ont disparu et que l'euro est déjà un élément de stabilité. Vous aurez observé que la crise asiatique, contrairement à ce qui aurait dû se produire, n'a pas eu de conséquence en Europe, pourquoi ?
Tout simplement parce que les marchés ont anticipé l'existence de l'euro, ce qui leur a donné confiance et ce qui a permis à l'Europe de ne pas être bousculée par la crise asiatique. J'ajoute que le fait de ne pas avoir été frappé par cette crise a permis à l'Europe, grâce à l'euro, d'apporter, du côté du Japon, une contribution importante pour la maîtrise de la crise asiatique. Contribution qu'elle n'aurait pas pu apporter si elle avait été elle-même touchée par cette crise.
Donc, déjà, la seule perception de l'arrivée de l'euro est, à l'évidence, un élément de stabilité. Ceci va naturellement se confirmer. Pour nous c'est un élément de stabilité interne qui est également très important. Nous avons beaucoup souffert des crises de change à l'intérieur de l'Europe et de leurs conséquences économiques et sociales.
Vous dites la parité entre l'euro et le dollar. Nous aurons à en discuter. Les choses se passeront en fonction de la confiance que ces monnaies, et notamment l'euro, inspireront. Je crois qu'une monnaie doit être forte pour être crédible, pour ne pas être vulnérable et pour participer réellement à la stabilité du système monétaire international,.elle ne doit pas être trop forte mais elle doit être crédible.
Pour ce qui concerne le système asiatique, je n'ai jamais pensé que l'Europe avait vocation à donner des leçons à l'Asie en matière économique ou financière, et d'ailleurs dans tous les autres domaines aussi.
L'Asie comprend les plus anciennes civilisations du monde. L'Asie a fait l'histoire du monde pour une large part, sa culture, sa sagesse, son dynamisme économique, ses résultats exceptionnels. Le Japon est la deuxième puissance économique du monde. Les pays asiatiques, malgré la crise, représentent, sans aucun doute, un élément essentiel de la croissance du monde de demain. Tout cela fait qu'il faut faire confiance à l'Asie. Moi, je n'ai rien à lui conseiller, je conseille simplement à tout le monde d'être optimiste et non pas pessimiste.
Il appartient donc à l'Asie de s'organiser sur le plan monétaire. Le yen, et, je dirai, un yen qui ne se déprécie pas, est un élément important de la stabilité monétaire du monde. Le yen joue, à l'évidence, un rôle pilote essentiel dans le système monétaire asiatique et dans le système monétaire mondial. Je souhaite que ce rôle continue à être joué. Il s'appuie sur une puissance économique, une épargne, des réserves, des actifs qui sont considérables et donc on ne peut pas être réellement ou sérieusement pessimiste.
Je souligne d'ailleurs le danger du pessimisme parce que nous sommes dans un monde où les marchés sont extrêmement susceptibles, où leurs décisions ne sont pas toujours fondées sur les réalités. Ces décisions sont fondées sur la perception qu'ils ont de la réalité. Une perception qui n'est pas toujours conforme à cette réalité si bien que les jugements pessimistes, qui peuvent être portés ici ou là en Europe, en Amérique, en Asie, ont immédiatement une influence et une mauvaise influence. Donc, je crois que tout le monde doit être conscient, lorsqu'il s'exprime, du tort qu'il peut faire, notamment à la croissance, en affichant un pessimisme qui n'est pas justifié. Il faut affirmer clairement la confiance.
Lorsque nous étions au Sommet de Londres, je le disais tout à l'heure, ce qui a été le plus clair dans les conclusions de ce Sommet qui comprenait les quinze chefs d'Etat et de Gouvernement européens et dix chefs d'Etat et de Gouvernement asiatiques, la conclusion essentielle du sommet a été le témoignage de confiance de l'Europe pour l'Asie, le témoignage de solidarité de l'Europe à l'égard de l'Asie et réciproquement.
Je rappelle également que l'une des conclusions du sommet a été un message de confiance à l'égard du Japon. Ce n'était pas un geste diplomatique, c'était l'expression de la conviction de l'Europe qui a confiance dans le Japon, même si celui-ci, comme tout autre pays, peut avoir telle ou telle difficulté.
Voilà, Monsieur le Président, mes commentaires.\
QUESTION - Vous venez de nous parler de l'euro. Monsieur le Président, vous venez de dire qu'il faut que ce soit une devise solide et stable et vous nous avez donné des explications très détaillées.
Pour ma part, quel que soit le pays, pour que la monnaie soit stable, il faut que la Banque centrale du pays en question soit bien forte. Dans ce sens, l'euro de la Banque centrale européenne sera essentiel et c'est sous cet angle que je voudrais vous poser une question, Monsieur le Président : quel sera, d'après vous, le rôle de la Banque centrale européenne ? Quelles sont vos idées et quelles seront les moyens pour renforcer cette Banque centrale ?
LE PRESIDENT - La Banque centrale européenne aura pour l'Europe les missions que les Banques centrales nationales ont, aujourd'hui, dans la plupart des pays européens.
Il y a eu une grande évolution depuis dix ans dans les principaux pays européens. Cette évolution s'est faite dans le sens de l'indépendance croissante et, aujourd'hui, complète des instituts d'émission.
La Banque centrale, la Banque de France, la Bundesbank, sont des organismes indépendants et le pouvoir politique n'a pas d'influence sur elle. Elles ont pour vocation la gestion de la monnaie et la fixation des taux d'intérêt, pas de la valeur de la monnaie qui reste une compétence des Etats, mais des taux d'intérêt. Elles ont pour vocation de fixer librement les taux d'intérêt, pas la valeur de la monnaie mais les taux d'intérêt.
La banque centrale européenne aura la même mission. Alors, nous avons eu un grand débat en Europe parce que beaucoup se sont inquiétés du caractère technocratique de la Banque centrale et se sont demandés si ce système, si puissant de gestion d'une monnaie aussi importante, ne pourrait pas être trop indépendant par rapport à la vie économique, sociale des pays et de l'Europe.
C'est la raison pour laquelle, notamment à l'initiative de la France, il a été décidé de créer une structure économique face à la Banque centrale et l'obligation pour la Banque centrale de dire ce qu'elle fera, tout en lui laissant naturellement une très grande indépendance. Mais il est normal qu'un dialogue soit organisé et que la Banque centrale puisse connaître les préoccupations, notamment dans le domaine social, qui sont celles des Gouvernements des autorités politiques.
Je pense que la Banque centrale, qui sera naturellement une banque totalement indépendante, exercera normalement cette fonction. Je ne suis pas, sur ce plan, inquiet mais j'insiste sur le fait que la Banque centrale sera une banque totalement indépendante.\