16 septembre 1997 - Seul le prononcé fait foi
Allocution de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur la coopération cuturelle, économique et commerciale entre la France et Andorre, son rôle de garant de la souveraineté d'Andorre et sur les rapports entre Andorre et l'Union européenne, Andorre-la-Vieille le 16 septembre 1997.
Monsieur le Chef du Gouvernement,
Monsieur le Syndic Général,
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis d'Andorre,
Au milieu du XIIème siècle, un poète occitan qui passa sa jeunesse
dans une forteresse imposante et austère perchée sur une hauteur
abrupte et superbe de la Corrèze, commence ainsi la plus célèbre
de ses chansons : " J'ai le coeur plein de joie... "
Si j'évoque sur cette place del Poble, au coeur
d'Andorre-La-Vieille, votre capitale, l'attachante figure de Bernard
de Ventadour, c'est pour exprimer ce que je ressens
aujourd'hui. La beauté de vos vallées, la chaleur de votre accueil se
conjuguent pour donner à ces instants, pour moi, une intensité
particulière. Je vous en remercie du fond du coeur, comme j'en
remercie naturellement toutes les autorités de la Principauté.
Votre accueil me touche d'autant plus que j'ai souhaité cette
rencontre. J'ai voulu, à l'occasion de la première visite que
j'effectue en Andorre depuis mon élection à la Présidence de la
République, vous témoigner personnellement l'intérêt que je porte à
la Principauté, l'intérêt que je porte, avec estime et respect, avec
amitié aussi, à ses habitants. Oui, je suis heureux de vous saluer,
Andorranes et Andorrans, vous qui êtes l'âme de ces vallées £ vous
aussi, résidents en Andorre, Français ¿mes autres compatriotes¿ ou
citoyens d'autres pays, amis plus généralement, qui avez choisi de
vous établir et de travailler dans cette enclave de paix, de sérénité,
de démocratie et de prospérité que constitue l'Etat d'Andorre.
L'entretien que j'ai pu avoir hier, dès mon arrivée, avec le
Co-Prince épiscopal, m'a donné l'occasion d'apprécier notre
entente dans l'exercice de la responsabilité conjointe que nous
confère la Constitution dont vous vous êtes dotés le 14 mars 1993.
C'est la même qualité de relation que j'avais ressentie dans les
nombreux contacts que j'ai eus à Paris avec vos dirigeants depuis
mon accession à la Présidence, et que je peux mesurer aujourd'hui,
de façon concrète et directe.
Ce respect mutuel, cette compréhension, cette reconnaissance du
rôle dévolu à chacun, mais aussi ces relations empreintes de
simplicité et de cordialité donnent à ma visite un agrément
particulier et renforcent l'intérêt que j'éprouve à découvrir votre si
belle Principauté.
J'avais exprimé le souhait de me rendre, au cours de ces deux
jours, dans chacune de vos paroisses. Si j'ai voulu connaître
Canillo, Encamp, Ordino, La Massana, Andorre-La-Vieille,
Sant-Julia-de-Loria et Les Escaldes, c'est parce que j'ai tenu, à
l'occasion de ce premier voyage, à mieux comprendre, à mieux
saisir la véritable réalité andorrane, une réalité qui se laisse
approcher uniquement si l'on va à sa rencontre. Rien ne vaut le
contact personnel et direct pour aller au-delà des images toutes
faites. Ce que je découvre me confirme combien j'ai eu raison
d'aller vers votre pays, d'aller vers ses habitants.
Je découvre en effet un très vieux pays dont les habitants sont
porteurs de traditions et de valeurs solidement ancrées dans une
histoire millénaire £ avec une forte culture, une grande identité,
je découvre un tout jeune État, le plus jeune d'Europe, dont la
population est ouverte sur l'avenir et sur l'extérieur £ je découvre un
pays et un peuple, fier de son passé, qui ont choisi de faire évoluer
de façon originale un héritage multiséculaire de coutumes et de
règles, pour entrer de plain-pied dans la modernité.
Toute de clairvoyance, de sagesse et de lucidité, cette démarche,
votre démarche, que les Co-Princes, alors souverains, ont
encouragée et soutenue, a été parachevée par l'adoption de la
Constitution qui fait aujourd'hui d'Andorre un Etat de droit, une
démocratie dont le peuple est souverain, en même temps qu'une
co-principauté parlementaire véritablement indépendante.
Bien intégré dans un environnement régional très ouvert et amical,
Andorre est désormais un État pleinement reconnu par la
communauté internationale où il joue le rôle qui doit être le sien,
puisqu'il est présent dans les plus hautes instances mondiales et
qu'à ce jour, un grand nombre de pays ont tenu à nouer avec
Andorre des relations diplomatiques.
Voilà déjà quatre ans qu'a été adoptée la Constitution. Ces quatre
années représentent une durée suffisante pour porter un jugement,
pour en apprécier le fonctionnement. Elles ont mis en évidence la
pratique harmonieuse et efficace qu'il en était fait et qui répond aux
souhaits des Andorrans et qui répond aussi, sans aucun doute, aux
espoirs des Co-Princes.
Ce jugement, votre jugement, confirme qu'il était non seulement
opportun, mais aussi bienvenu de franchir cette étape historique
qui, du cadre institutionnel hérité des Paréages du XIIIème siècle, a
permis à Andorre d'accéder sans crise et sans heurt, à une
souveraineté pleine et entière.
Il est naturel qu'une telle réussite emplisse les Andorrans d'une
légitime fierté. Je la comprends et je m'en réjouis.
Mais, mes chers amis andorrans, cette nouvelle situation
institutionnelle vous confère aussi, au côté de droits nouveaux, des
responsabilités nouvelles dont seul l'exercice rigoureux assiéra dans
la durée l'image d'Andorre et sa crédibilité internationale. Je sais
que vous en avez une conscience vive et exigeante. Ces
responsabilités s'exercent à l'égard des Andorrans de souche, à
l'égard des étrangers qui résident en Andorre, mais aussi à l'égard
des États voisins et de la communauté internationale tout entière.
Elles s'exercent de façon constante, au plus près des réalités
quotidiennes. Elles exigent une vigilance particulière. Au cours de
ces quatre années, vos dirigeants ont montré de manière
exemplaire que vous aviez toutes les qualités nécessaires pour
assumer parfaitement l'ensemble de ces responsabilités.
Vous savez aussi que la souveraineté ne s'exerce pas au travers
des seules capacités politiques et juridiques dévolues à un État,
mais qu'elle s'appuie également sur des réalités économiques et
culturelles. Celles-ci évoluent très vite dans le monde actuel et leur
maîtrise n'est pas très facile. Elle est néanmoins indispensable pour
que cette souveraineté s'exerce de façon pleine et entière. Vous
êtes aussi très sensibles à cela, je le sais et je l'ai remarqué dans les
entretiens que j'ai avec vos dirigeants. J'en veux pour preuve le
choix que vous avez fait : accéder à la souveraineté en maintenant
l'institution si particulière des Co-Princes constitue un arrangement
subtil qui souligne le souci réel avec lequel vous veillez à garder une
parité et un juste équilibre entre les influences qui, depuis mille ans,
ont irrigué vos vallées.
J'ai l'honneur d'être Co-Prince d'Andorre depuis mon élection à la
Présidence de la République Française. Ce titre est pour moi un
témoignage de la confiance que vous voulez bien porter au Chef de
l'Etat Français. Il m'impose à moi aussi des obligations auxquelles
je ne me déroberai pas : au premier rang de celles-ci figure la
responsabilité de veiller au traditionnel équilibre dans les relations
entre Andorre et ses voisins.
J'ai pour ma part une conception forte de cette responsabilité dans
laquelle je vois la nécessité de renforcer les liens de toutes natures
qui existent entre la Principauté et la France. Je suis en effet
convaincu de leur bien-fondé et de l'intérêt mutuel que nous
pouvons y trouver. Des liens qui se sont exprimés de tous temps,
comme en témoigne la présence en Andorre de la langue, de la
culture et de l'enseignement français, et qui continuent à se
manifester au travers d'échanges nombreux entre les hommes et les
économies £ mais des liens qui méritent aujourd'hui d'être resserrés,
qui doivent aller au-delà des références historiques, si anciennes et
si nobles soient-elles. Ils doivent trouver une traduction concrète
dans des projets communs et dans une coopération économique
active et équilibrée.
C'est d'ailleurs à ce prix que sera préservée l'identité si spécifique
et si riche d'Andorre, une identité qui doit aujourd'hui s'affirmer
face aux évolutions démographiques.
Les Andorrans sont actuellement les seuls maîtres de leur destin et
il leur appartient de manifester eux-mêmes leurs aspirations, leurs
attentes, et de prouver leur volonté.
Ils sont aussi maîtres de leur destin dans tous les autres domaines et
doivent faire face à toutes sortes de questions. Qu'elles concernent
le modèle de société que vous souhaitez, les options que vous
retiendrez en matière de développement, ou encore la nature des
rapports que vous adopterez avec l'Union Européenne, -simple
partenariat, association ou intégration-, vos choix seront
déterminants. Ils le seront pour votre avenir et pour celui de votre
jeune État qui entrera ainsi dans la " société de confiance " qui,
selon la belle expression d'Alain Peyrefitte, fonde les États
modernes et règle leurs relations.
Mes chers amis Andorrans, j'ai la certitude que vous saurez trouver
des réponses adaptées aux exigences de l'avenir, comme vous avez
su en donner une preuve magistrale en matière institutionnelle. Vous
avez clairement montré à cette occasion combien vous savez tirer
parti de ces atouts irremplaçables que représentent votre souplesse
et votre esprit d'initiative. Et je sais que ces mêmes qualités vous
permettront de traiter, avec le sens des responsabilités, la
clairvoyance et la sagesse que vous avez toujours manifestés, des
enjeux à long terme qui s'imposent à votre État. Parmi ceux-ci, me
semblent être aujourd'hui prioritaires pour Andorre, la défense sans
faiblesse de son environnement grandiose, l'amélioration du cadre
de vie urbain, la poursuite de son désenclavement, -votre projet de
percement du tunnel de l'Envalira est à cet égard une bonne
chose-, mais aussi la préservation, par des pratiques rigoureuses,
inattaquables, de la grande réputation commerciale et bancaire de
la Principauté.
Soyez sûrs qu'en ce qui me concerne, je serai toujours à vos côtés
par le coeur comme par l'esprit, prêt à favoriser les solutions qui
permettront à la Principauté d'Andorre de trouver la place, une
place éminente, qui lui revient dans le concert européen. En y
participant, à son rang, avec l'exemple de démocratie qu'elle est
capable de donner à tous, en bonne intelligence avec ses voisins,
qui sont aussi ses amis, l'Espagne et la France, la Principauté
donnera à sa devise : " Virtus, Unita, Fortior " une nouvelle
dimension, et cette fois-ci à l'échelle européenne. Et je m'en
réjouis.
Visca Andorra !