22 février 1997 - Seul le prononcé fait foi

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Dialogue de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur la coopération culturelle et universitaire franco-roumaine, la construction d'un espace politique francophone, la défense du pluriculturalisme et l'élargissement de l'UE et de l'OTAN à la Roumanie, Bucarest le 22 février 1997.

LE RECTEUR.- Merci Monsieur le Président. Chers étudiants, vous avez maintenant la possibilité de vous adresser au Président de la République française. Faites le sans hésiter. Quelques fortunés collègues qui sont assis sur la scène vont poser des questions. J'avoue, Monsieur le Président, qu'on a fait une petite mise en scène que vous n'aimez pas. Je la dénonce maintenant. Mais dans la salle, s'il y a des questions...
- LE PRESIDENT.- Spontanées...
- LE RECTEUR.- Spontanées, vraiment spontanées. Donc, je ne veux pas bouleverser tout le protocole sur lequel on a travaillé les jours auparavant, mais vraiment, si vous avez des questions spontanées, adressez les, même si elles ne sont pas très bien formulées, le Président va comprendre.
- On commence avec une question de la part d'une étudiante du collège franco-roumain de droit de l'Université de Bucarest.
- QUESTION.- Monsieur le Président, j'ai 19 ans et je suis étudiante en 2ème année au collège juridique franco-roumain d'études européennes organisé par l'Université Paris Panthéon Sorbonne, en collaboration avec la Faculté de droit de Bucarest. Cela il y a 2 ans seulement, mais il compte déjà 175 étudiants. Avec votre permission, je vais passer vite à ma question : il y a quelques semaines, vous avez rencontré M. Boris Eltsine à Moscou. Quelle a été sa position sur l'élargissement de l'OTAN ? A-t-elle changée après votre entretien ? Et quel poids a cette position selon vous ? Merci. Ma question est tout aussi spontanée, elle est la mienne, elle n'a été influencée par personne.
- QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez rencontré cette semaine-ci Mme Madeleine Albright, avec qui...
- LE PRESIDENT.- Je ne voulais pas souligner que j'avais des relations mais enfin puisque...
- QUESTION.- ... avec qui vous vous êtes entretenu sur la question de l'élargissement de l'OTAN dans les pays de l'Europe centrale et orientale. Quelles sont les conclusions que vous tirez de cette rencontre ? Merci.
- LE PRESIDENT.- L'élargissement de l'OTAN pose naturellement le problème de la réaction de la Russie, que l'on peut comprendre. Cet élargissement est nécessaire parce que nous avons beaucoup souffert - et le Général de Gaulle a été le premier, je crois, à le dénoncer - de la coupure en deux de l'Europe, à la suite de Yalta. Et ce que nous voulons, c'est effacer cette coupure et refaire l'Europe. En terme d'architecture de sécurité, cela suppose l'élargissement de l'OTAN. La Russie, tout naturellement, doit être directement participante de ce mouvement. Et la paix en Europe, cela suppose que, entre l'OTAN et la Russie, il y ait un véritable accord. Un accord sans arrière-pensée, une coopération. Si bien que la Russie est très soucieuse, non pas tellement à l'égard du principe, mais des modalités d'application et de son rôle dans le fonctionnement de cette architecture de sécurité, et donc elle est concernée par la façon dont l'OTAN s'élargit.
- Ma conviction, c'est qu'un accord peut intervenir entre l'OTAN et la Russie avant le sommet de Madrid, le 7 juillet prochain, qui décidera très probablement du 1er élargissement de l'OTAN. Et la France met toute sa force d'imagination et de conviction pour faciliter la mise en oeuvre le plus vite possible de cet accord. Et j'ai trouvé le Président Boris Eltsine tout à fait ouvert à un élargissement qu'il comprend, mais à condition naturellement que préalablement il puisse y avoir un accord entre l'OTAN et la Russie. Nous avons longuement discuté des modalités de cet accord et je suis reparti avec le sentiment que cet accord était possible, et possible avant la réunion de Madrid.\
LE PRESIDENT.- (suite sur l'élargissement de l'OTAN) Alors à partir de là, je répondrai à votre collègue : élargissement à qui ? Dans un premier temps, me semble-t-il, les alliés, et surtout nos amis américains, avaient pensé à la Pologne, la Hongrie et la République tchèque. Vous le savez, la France a pris une position très forte pour que ce 1er élargissement soit étendu à la Roumanie, et peut-être à la Slovénie. Cela nous semble nécessaire, d'abord parce que c'est justifié. Justifié pour des raisons de sécurité, c'est l'Europe forcément du flanc sud, justifié par des raisons de philosophie politique, la Roumanie a montré qu'elle était une démocratie qui assumait normalement son alternance. Elle a montré également par l'accord historique avec la Hongrie, qu'elle était un pays qui voulait la paix et qui était en mesure de faire ce qu'il fallait, pour que cette paix soit assurée. Dans le même esprit, les discussions avec l'Ukraine sont naturellement très importantes pour l'ensemble de l'Europe, qui ne veut pas importer des conflits potentiels. Il y a donc beaucoup de raisons d'appuyer ce souhait de la Roumanie. J'en ai parlé effectivement avec Mme Albright, de passage à Paris il y a quelques jours. Longuement. Je n'ai pas à me substituer à son propre sentiment, mais enfin elle a en tous les cas compris l'importance que la France attachait à la présence de la Roumanie dans la 1ère vague d'élargissement. Je ne peux pas vous en dire plus, si ce n'est que la France sera dans cette affaire un avocat attentif et fort de votre pays.\
QUESTION.- Monsieur le Président, j'ai 20 ans. Je suis étudiant à la filière francophone de la faculté des sciences politiques et administratives de l'Université de Bucarest en 2ème année. Cette filière compte cette année déjà 240 étudiants. Ma question sera la suivante : comment envisagez-vous le rôle de la France dans l'intégration de la Roumanie dans l'Union européenne ? Merci.
- QUESTION.- Monsieur le Président, pensez vous que la stabilité économique et sociale de la Roumanie est une condition pour attirer d'autres investisseurs français ? Est-ce que ces derniers seront encouragés par une volonté politique française ? Merci.
- QUESTION.- Monsieur le Président, comme vous l'avez déjà dit et comme on le sait tous : la France accorde à la Roumanie un soutien particulier en ce qui concerne l'intégration européenne. Pourriez-vous, Monsieur le Président, nous présenter un peu les raisons économiques de ce soutien ? Merci.
- LE PRESIDENT.- D'abord, l'Union européenne, je l'ai déjà dit, a commencé avec 6 pays, dont la France et l'Allemagne qui ont été un peu le moteur de cette ambition. Elle s'est élargie petit à petit, nous sommes aujourd'hui 15. Et en Europe, il y a 11 pays candidats, candidats potentiels, dont la Roumanie. Alors, naturellement et d'abord, la France a obtenu - car cela a été discuté pour des raisons que je peux d'ailleurs comprendre - que l'Europe ne choisisse pas, c'est-à-dire que les 11 pays candidats soient mis sur pied de stricte égalité pour demander leur adhésion. La France pensait qu'il n'appartenait pas à l'Europe de faire des choix. Ceci a été acquis. Alors naturellement ensuite, les pays ont à faire un certain nombre d'efforts pour remplir les critères permettant sur le plan économique l'adhésion.\
LE PRESIDENT.- (suite sur l'élargissement de l'UE à la Roumanie) Que peut faire la France, me dites-vous, pour l'intégration de la Roumanie dans l'Union européenne. Je crois deux choses : d'abord, par une coopération, par un partenariat exemplaire, c'est ce qu'aujourd'hui le Président Constantinescu et moi souhaitons mettre en oeuvre £ faciliter l'adaptation de la Roumanie, qui exigera des efforts, comme tous les autres pays en ont fait ou en feront, aux règles du jeu communautaire de l'Europe. Et deuxièmement, en étant au sein de l'Union européenne, ce qu'elle est déjà aujourd'hui et ce qu'elle sera davantage demain, là encore l'avocat et l'ami de la Roumanie pour convaincre l'ensemble de nos partenaires du caractère essentiel de la participation le plus vite possible de la Roumanie à l'Union européenne. C'est comme cela, je crois, que nous pourrons faciliter l'intégration.
- Et le dernier orateur a dit : au fond, vous soutenez l'intégration européenne, quelles sont les raisons économiques ? Je vais vous dire : ce ne sont pas pour moi d'abord des raisons économiques qui justifient l'importance que la France attache à l'intégration de la Roumanie dans l'Union européenne, dès que cela sera possible, et le plus vite possible. Nous pensons naturellement que c'est, je pense, l'intérêt de la Roumanie. Et je dirais que ce sont les raisons du coeur, elles ne sont pas suffisantes. Je pense que c'est aussi l'intérêt de la France et de l'Europe bien sûr - de l'Europe, parce qu'elle doit être le plus large possible, si elle veut être la garante de la paix et du développement -, mais surtout de la France. La France souhaite, je le disais tout à l'heure ou hier, être plus présente dans l'Europe centrale et orientale. Or, sur qui peut-elle compter, pour être plus présente dans l'Europe centrale et orientale ? Sur la Roumanie. De même que la Roumanie a tout intérêt à avoir un interlocuteur privilégié dans l'Europe occidentale. Et pour la Roumanie, cet interlocuteur privilégié, c'est la France. Nous avons donc un intérêt commun au-delà du coeur, un intérêt commun à pouvoir nous appuyer l'un sur l'autre, au sein d'une Europe qui se construit et où nous représentons une large part des idéaux et de la civilisation latine.
- Alors, enfin, pour répondre à la jeune fille qui s'est exprimée sur les investissements français. Ils sont insuffisants, c'est évident. Ils doivent donc être développés. Naturellement, la stabilité économique et sociale de la Roumanie est un élément très important pour attirer les investisseurs étrangers. Il y a aussi, et j'ai eu l'occasion de le dire au Président et au gouvernement qui est très sensible à ce point, il y a aussi des efforts à faire sur le plan des conditions qui sont faites aux investisseurs pour garantir leurs intérêts et leur sécurité. Il y a encore des efforts à faire de la part de la Roumanie dans ce domaine. Et vous me demandez s'il y aura une volonté politique française pour faciliter ces investissements français ? Je vous réponds : oui. Et c'est bien là l'ambition de ce projet de partenariat que nous avons mis au point avec le Président roumain, et que nous entendons bien sceller à l'occasion de mon voyage ici à Bucarest.\
QUESTION.- Monsieur le Président, j'ai 23 ans, je représente le département d'études françaises de l'Université de Bucarest, Faculté des Langues et Littérature étrangères £ je fais un DEA d'études culturelles françaises. En Roumanie, 16 départements de l'Université ont des départements de français, ce qui représente 6250 étudiants £ ceux-ci se dirigent principalement vers l'enseignement, ou les carrières de la traduction et de l'interprétation. Il y a actuellement 16000 professeurs de français en Roumanie, dont 9500 titulaires.
- Si vous permettez, Monsieur le Président, je vais vous poser la question suivante. C'est une question que nous avons conçue ensemble, donc pour la mise en scène... Nous avons conçu ces questions ensemble, il faut l'avouer. Comment voyez-vous la francophonie ? Comme un réseau de solidarité ou comme une réponse à une certaine forme d'hégémonie culturelle ? Merci.
- QUESTION.- Je représente la faculté de journalisme et des sciences de la communication de Bucarest et en même temps le journal francophone de cette faculté. Alors la question : Monsieur le Président, est-ce que vous estimez que votre visite en Roumanie, ainsi que la possibilité pour l'équipe des experts qui vous accompagnent d'avoir un contact direct avec les réalités roumaines, seront de nature à améliorer l'image de la Roumanie dans la presse française ?
- LE RECTEUR.- Je vous avais demandé de poser des questions connexes au même sujet pour répondre à la fois à un paquet de questions liées.
- QUESTION.- Monsieur le Président, vu l'importance que les départements d'études françaises ont dans la formation des enseignants de français en Roumanie, quelle sera, selon vous, leur rôle dans la francophonie de demain ? Merci.
- LE PRESIDENT.- C'est le Recteur qui est le chef. Je préfère trouver quelqu'un pour prendre la responsabilité. Vous m'avez posé la question, Mademoiselle : au fond, qu'est-ce que la francophonie et quel est son intérêt aujourd'hui ? Je ne reviendrai pas sur les raisons traditionnelles qui justifient l'existence d'une association internationale francophone qui d'ailleurs va se transformer au prochain sommet de la francophonie à Hanoï au Vietnam, à la fin de cette année, en un espace politique francophone, marquant bien que les pays totalement ou partiellement francophones entendent également partager et promouvoir un idéal culturel et politique au sens noble du terme. Et la francophonie va se doter pour la 1ère fois à Hanoï d'un Secrétaire général. Ce sera donc un grand ensemble de 51 et rapidement de 55 pays qui partagent une certaine conception de la culture. Mais il y a quelque chose de beaucoup plus important.\
LE PRESIDENT.- (suite sur la diversité culturelle) Il y a une très rapide évolution des technologies de l'information et de la communication, des grands réseaux qui se mettent en place. Le support de la pensée est en train de changer, cela a été longtemps l'écriture, c'est devenu, dans une certaine mesure, l'image, et nous arrivons à l'époque où ce support va être constitué de grands réseaux. Cela a beaucoup d'avantages pour l'accès à la connaissance. Mais cela comporte un inconvénient et un grand danger £ ce danger, c'est l'uniformisation culturelle. C'est le fait que si l'on n'y prend pas garde, on peut voir petit à petit disparaître les langues, et par conséquent les cultures, au profit d'une espèce de langue internationale ou de culture unique, ce qui serait sans aucun doute à l'origine du déclin irréversible d'une humanité dont la richesse repose sur le nombre de cultures et donc de langues qui les expriment. Aujourd'hui, en Amérique du Sud où la démocratie s'est imposée et s'est développé le souci d'un nombre croissant des dirigeants de redonner vie par l'enseignement aux langues traditionnelles qui étaient en voie de disparition, aux langues amérindiennes. Pourquoi ? Tout simplement, parce que ces dirigeants ont compris que la richesse, l'identité de leurs différentes nations, reposaient sur la contribution de chaque culture à l'identité nationale. Et nous, au plan du monde, nous courons le très grand risque de voir petit à petit les langues s'éteindre, ce qui, je le répète, serait un recul dramatique de l'humanité et de l'homme. Alors, j'ai eu plusieurs fois, notamment lors du dernier sommet francophone, qui avait lieu en Afrique, à Cotonou, j'ai eu plusieurs fois l'occasion d'appeler les responsables des grandes langues du monde, l'espagnol naturellement, l'anglais bien sûr mais il n'en a pas besoin, mais l'espagnol, l'hindi, l'arabe, le chinois et bien d'autres langues encore, de prendre conscience de ce risque et de s'associer dans un effort commun pour défendre la diversité des cultures et donc des langues. Et la francophonie est la seule langue qui ait déjà une expérience, une organisation, pour défendre ce qu'elle représente, ce n'est pas le cas des autres langues. Donc, la francophonie doit être demain le moteur de la défense du pluriculturalisme dans le monde et elle doit entraîner celles et ceux qui parlent les autres grandes langues à se défendre de la même façon, à maintenir le respect de leur culture, et à partir de là, les autres cultures et langues plus modestes pourront également survivre. C'est ça le grand défi, je crois, de la francophonie, et comme nous sommes en avance dans ce domaine sur le plan de l'organisation, du militantisme, si j'ose dire, nous devons en faire profiter l'ensemble des grandes langues et donc être les champions du maintien du pluriculturalisme dans le monde.
- Vous m'avez demandé, Mademoiselle, si mon voyage permettrait de donner une meilleure image de la Roumanie dans la presse française. Je vous dirai deux choses : la première, c'est que l'image de la Roumanie dans la presse française est bonne, cela ne fait aucun doute. Et je souhaiterais que l'image de la France dans la presse française soit aussi bonne que l'image qu'elle donne de la Roumanie ! Et deuxièmement, je vous dirais que, s'il y a vraiment un domaine où je n'ai strictement aucun pouvoir et aucune influence, c'est bien celui de la presse. Alors je souhaite que la Roumanie ait dans la presse la meilleure image possible, mais je ne suis en rien responsable de cela.
- Enfin, a été posée la question des universités. Il y a déjà un mouvement extrêmement actif au sein de la francophonie des universités francophones et je souhaite et je pense que dans notre nouvelle organisation, ce mouvement de solidarité et d'action communes, coopération d'initiatives de l'ensemble des universités francophones pourra encore être développée. En tous les cas, c'est une des ambitions du sommet de Hanoï cette année.\
QUESTION.- Monsieur le Président, j'ai 22 ans. Je suis étudiant à l'université polytechnique de Bucarest, à la filière francophone de cet établissement qui compte plus de 350 étudiants en génie électrique, en génie mécanique, en génie chimique et science des matériaux. Je suis moi-même étudiant en génie chimique.
- Ma question était un peu liée avec la question que ma collègue avait posée tout à l'heure, donc sur l'attitude des médias français vis-à-vis de la Roumanie. Je ne crois pas qu'ils s'agisse d'une sorte d'hostilité ou d'une mauvaise image de la Roumanie, mais d'un silence, d'une absence de la Roumanie dans la presse française. Comment pouvez-vous expliquer la contradiction entre ce silence et le soutien apporté à la Roumanie par le pouvoir politique français ? Merci.
- QUESTION.- Je suis le représentant de la ligue des étudiants de l'université de Bucarest. Je veux vous prier de préciser une position sur une question discutable chez nous, parce que c'est le problème de la solidarité. Je veux vous prier de préciser la position sur les manifestations anti-communistes de Belgrade. Je vous prie de préciser aussi comment voyez-vous la collaboration entre les Roumains et les minorités roumaines des autres pays - c'est-à-dire l'Ukraine, la République de Moldavie - ? Merci.
- QUESTION.- Monsieur le Président, je suis étudiant à l'école juridique franco-roumaine des études européennes. La question que je veux vous poser, c'est comment vous voyez le rôle de la Roumanie dans cette région ? Parce que, vous savez très bien, c'est une région très délicate et intéressante, vous savez bien cela de l'histoire. Merci beaucoup.
- QUESTION.- Monsieur le Président, puisqu'on est dans un établissement culturel, je voudrais ne pas vous poser une question, mais vous parler d'un événement culturel. Donc je suis chercheur à l'institut des langues orientales de Bucarest. J'ai bénéficié d'une bourse du gouvernement français, et la connaissance du français m'a aidé à la participation d'un projet pour la propagation d'une autre culture £ il s'agit de la culture mongole. Donc, j'ai eu le privilège de traduire avec une équipe de Français une chronique mongole du XIIIè siècle qui a paru en France il y a deux ans, chez Gallimard, et c'est la première traduction intégrale de ce texte. Donc c'est cette partie de votre discours qui parlait justement du fait que parfois les frontières n'existent pas qui m'a fait prendre la décision de vous parler de ce livre. Et je voudrais aussi vous dire que ma collègue française avec laquelle j'ai traduit ce livre, a été votre interprète en France lors de la visite du président mongol à Paris. Et si vous l'acceptez, moi je voudrais vous offrir ce livre, et c'est tout à fait spontané, je n'ai même pas écrit la dédicace.
- QUESTION.- Monsieur le Président de la République, j'enseigne le français à l'Université de Bucarest. Je voudrais avec votre permission vous poser deux questions, deux petites questions qui exigent une réponse très brève. Est-ce que la France vu le bon signe que représente votre arrivée en Roumanie, est-ce que la France pourra accorder plus de bourses aux étudiants roumains ? Est-ce que les Roumains peuvent espérer de circuler en France sans avoir besoin du visa ?
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LE PRESIDENT.- Je vais essayer d'être plus bref, car l'on m'accuse d'être un peu long, le silence que vous ressentez dans la presse française à l'égard de la Roumanie, d'abord n'est pas très exact et ensuite il fait partie d'une culture égocentrique qui a toujours été caractéristique de la France, je le regrette mais c'est ainsi. Nous attachons infiniment plus d'importance à des incidents tout simplement car ils sont proches de nous, que l'on peut y développer ses humeurs, qu'aux grands mouvements politiques, économiques ou culturels qui peuvent intéresser les grands pays et notamment ceux qui sont nos amis, je m'efforce en tous les cas chaque fois que j'en ai l'occasion de donner mon sentiment publiquement sur les liens entre la France et la Roumanie. Je ne ferai pas de commentaire ici à Bucarest sur les événements de Belgrade mais en revanche, je voudrais dire, s'agissant des minorités roumaines que de même que l'accord entre la Roumanie et la Hongrie a été un événement historique et considéré comme tel en Europe, de la même façon, un accord sur les problèmes des minorités de leurs droits, de leurs devoirs avec l'Ukraine et avec la Moldavie, est un souci de l'ensemble des pays européens et je souhaite vivement que dans le même esprit qu'avec la Hongrie ils puissent être réglés.
- Ces problèmes d'affrontement de minorités, de nationalité, au moment où l'on est en train de faire l'Europe sont des problèmes absurdes, des problèmes d'un autre temps et il revient particulièrement aux jeunes qui ne portent pas les racines de ces problèmes d'être les moteurs d'une évolution de compréhension, de tolérance et de fraternité entre les différents peuples de l'Europe quelles que soient les frontières que nous essayons d'effacer. Le rôle de la Roumanie dans cette région, je ne le développerai pas parce que chacun le connaît est un rôle très important, notamment pour ce qui concerne l'ensemble d'une partie difficile de l'Europe que sont les Balkans et il est bien évident que la position géographique et la tradition politique de la Roumanie fait de votre pays un élément d'équilibre essentiel pour l'ensemble de cette partie de l'Europe.
- Je remercie la co-traductrice de la chronique mongole du XIIIème siècle que j'avais eu l'occasion de mentionner, lorsque le Président mongol est venu. Je voudrais la féliciter particulièrement car il s'agit d'un apport historique très important puisqu'il s'agit de l'histoire secrète des Mongols, c'est-à-dire d'un des rares, d'un des deux témoignages écrits sur l'histoire des Mongols, l'histoire du XIIIème siècle et cette traduction en français a été pour les chercheurs français quelque chose de très important d'autant que, je ne suis pas naturellement compétent pour en juger, mais j'ai entendu dire aussi bien du côté des universitaires mongols que du côté des universitaires français que cette traduction était tout à fait remarquable. En tous les cas, elle fait progresser les connaissances en Europe occidentale sur l'histoire du peuple mongol. Très rapidement, comme la question l'était, plus de bourses, je le souhaite mais nous n'avons pas beaucoup d'argent et que notre problème en France aujourd'hui c'est de diminuer les dépenses partout alors que je reconnais qu'il y a les liens du coeur mais enfin nous ferons le maximum pour essayer d'améliorer cette situation, le ministre des affaires étrangères qui est là a certainement entendu.
- Quant aux visas, c'est un problème délicat et qui se réglera avec la construction européenne, la Roumanie n'est pas traitée différemment des autres pays, nous avons des règles européennes, nous sommes très sensibles au flux migratoire et donc c'est avec la construction européenne que tout naturellement et tous ensembles, nous réglerons ces problèmes.\
QUESTION.- Monsieur le Président, j'ai 19 ans et je suis un des deux millions cinq mille élèves qui étudient le français en Roumanie dans le primaire et le secondaire. Je suis actuellement les cours de la terminale qui fait partie des 63 établissements à section bilingue de la Roumanie dans lesquels sont scolarisés environ 6000 élèves. Voilà ma question Monsieur le Président : quel sera à votre avis l'avantage principal d'une Europe élargie et unique ?
- LE PRESIDENT.- Je peux répondre très rapidement. L'avantage principal c'est la paix. L'Europe s'est battue pendant des siècles, elle a perdu ses enfants et son génie de façon stupide. La création de la construction européenne permettra enfin d'avoir une situation où l'on ne pourra plus se battre puisque on s'est obligé à parler en permanence, il vaut mieux parler que de se battre et c'est cela le grand avantage de l'Europe.
- QUESTION.- Je suis étudiante à l'Académie d'études économiques de Bucarest, à la Faculté d'études économiques en langue étrangère filière francophone. Notre filière compte à peu près 300 étudiants de plus de 40 pays et l'enseignement de cette filière est organisé selon le modèle français. En ce contexte, que pensez-vous de la collaboration franco-roumaine par l'intermédiaire de l'enseignement ?
- LE PRESIDENT.- Cette coopération est à la fois traditionnelle, importante et tout à fait indispensable et doit se développer. Il n'y a pas de francophonie active s'il n'y a pas une coopération, une collaboration permanente entre nos deux pays au niveau naturellement de la pratique de l'enseignement mais aussi de la recherche et je souhaite beaucoup que les liens déjà très nombreux et très étroits entre les Universités françaises et les Universités roumaines soient multipliés et développés. J'ai eu récemment l'occasion de le dire aux responsables des Universités de la région Ile-de-France, j'aurai l'occasion de le répéter.
- QUESTION.- Je suis étudiant à l'Université technique de construction de Bucarest. Notre filière, 410 élèves dans les deux sections Génie civil et équipement de construction. Je suis moi-même étudiant à la filière francophone et Génie civil. Comment voyez-vous le développement des collaborations entre les Universités françaises et roumaines dans la perspective de l'intégration européenne donc s'il y aura un développement ou si cela va continuer de la même manière ?
- LE PRESIDENT.- Je crois que la construction européenne suppose d'abord naturellement le développement de la coopération et les échanges universitaires entre tous les pays de l'Europe et je pense par exemple que nous devrions arriver un jour à une situation où dans le cursus universitaire, chaque étudiant ait été dans l'obligation de faire au moins un semestre dans une université européenne d'un autre pays que le sien. Cela c'est la collaboration générale et petit à petit cela se développe doucement mais cela se développe. Dans ce noyau et dans cet ensemble, il y a naturellement des liens privilégiés. La Roumanie et la France ont un lien privilégié, c'est la francophonie et par conséquent il est spontanément naturel que nous développions entre nos universités des liens plus forts que ceux qui peuvent exister avec les autres universités c'est votre intérêt et c'est le nôtre et c'est un mouvement tout à fait naturel. Pour ma part, je souhaite que tous nos responsables universitaires, de même que nos gouvernements soient très attentifs dans le cadre de cette Europe de la formation et de l'esprit, de la culture, que le lien roumano-français soit en permanence renforcé.\
QUESTION.- Je suis étudiante à l'école doctorale en sciences sociales à l'Université de Bucarest. Voici ma question : vous avez parlé d'OTAN, de l'Europe unie, comment concevez-vous le rôle de la France dans les relations internationales en cette fin de siècle ?
- LE PRESIDENT.- Vaste ambition ! Je crois que la France, comme d'autres pays, mais je parle de la France puisque c'est mon pays, doit avoir d'abord pour ambition d'être un porteur de paix et de tolérance, d'être l'un des moteurs d'une certaine conception, une certaine vision de l'homme qui trouve ses racines dans l'humanisme traditionnel et notamment dans celui qui nous est commun à partir de la civilisation gréco-latine. Cela doit être l'ambition de la France, cela doit être probablement l'ambition d'autres pays mais la France régulièrement dans l'histoire a su envoyer des messages forts qui étaient des messages humanistes de liberté, de tolérance. Elle doit le faire au sein de l'Europe, d'une Europe pacifique, d'une Europe unie, d'une Europe qui se développe et d'une Europe qui assume mieux la responsabilité de donner à chacun sa place, selon ses mérites naturellement mais sa place dans la société. Personne n'a vocation à être abandonné et la France je crois doit le faire aussi dans le monde, elle doit dans le monde parler de paix, de droits de l'homme, de liberté, sans agressivité car elle n'a pas de leçon à donner. Elle a commis et elle commet bien des erreurs, elle a beaucoup de choses à se reprocher mais elle doit être porteur de cette idée.
- Et pour terminer, je voudrais simplement dire que d'abord c'est très émouvant pour moi de parler à des jeunes européens en Français et d'être compris, c'est très émouvant pour moi de participer avec le Président de la Roumanie à un nouvel élan fort donné aux relations entre nos deux pays. Ces relations sont celles du coeur, c'est vrai et cette université en est un témoignage. Elles sont aussi celles des intérêts, je le répète aujourd'hui, comme hier et certainement comme demain, les intérêts au-delà du coeur et de l'esprit de la Roumanie et de la France, c'est de se tenir fermement par la main, d'avoir ensemble confiance dans l'avenir et d'être toutes les deux un élément d'équilibre et aussi d'humanisme dans l'Europe de demain. C'est notre aspiration, c'est notre vocation commune et c'est à vous, jeunes Roumaines et jeunes Roumains, et notamment à celles et à ceux qui parlent français, c'est à vous maintenant d'assumer cet avenir. Je vous remercie.\