6 janvier 1995 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur l'exclusion sociale, la nécessité de développer le logement social et le dialogue social, Paris le 6 janvier 1995.

Mesdames et messieurs,
- Je suis heureux de vous accueillir, une fois encore, dans ce Palais de l'Elysée. C'est une initiative que j'avais prise en 1982. Elle s'est perpétuée et je me suis réjoui d'avoir eu, d'année en année, - oh, c'est une bien bref contact, entretenu en cours d'année avec tel ou tel groupe particulier, telle ou telle association, tel ou tel syndicat - l'occasion de partager ensemble des voeux pour notre pays et des voeux pour les Français que vous représentez.
- Nous allons pouvoir parler un peu ensuite mais je n'entends pas résumer, en quelques mots, des aspirations qui sont très diverses dans leur expression même si elles se ressemblent, en fin de compte. L'année dernière, j'ai remarqué une préoccupation particulière, et je peux dire que cette année j'en ferai autant, pour la situation des salariés et pour la situation des plus démunis. D'autres que moi ont déjà fait cette observation et je n'ai rien à ajouter, car elle est évidente. La reprise s'amorce, c'est vrai : tant mieux. Chacun va s'en réjouir. Mais il ne faut pas seulement que cela soit l'occasion d'un gain du capital. Il faut que cela soit aussi l'occasion, pour ceux qui sont les véritables producteurs, qui assument l'essentiel de l'effort, de recevoir ce qui leur est dû, et donc de voir leurs salaires s'améliorer.
- Quant aux plus démunis, eh bien, vous les connaissez mieux que moi ! Vous êtes ici nombreux à vous en occuper, avec beaucoup de soin et de dévouement. Il n'empêche que répéter toujours la même chose, chaque année, sur le manque de logements, c'est un peu lassant, un peu lassant à entendre, un peu lassant à dire. Mais il ne faut pas répondre par une question posée sur un ton sceptique : que faire ? On peut toujours faire quelque chose et on peut faire mieux. Je crois qu'il va falloir s'y attacher au cours des mois et des années qui viennent, car il y a une sorte de contradiction entre les voeux sincères qui s'élèvent de tous les milieux de la société pour ne plus voir le spectacle terrible de ces gens sans logis, sans domicile, qui meurent dans la rue, de toutes ces familles obligées de devenir squatters, d'une part, et d'autre part, les chiffres du budget qui montrent la diminution régulière de ce qu'on appelle le logement social, bien que ce mot, ces deux mots réunis, n'aient pas beaucoup de sens : tout logement devrait être social - mais enfin, on comprend ce que cela veut dire. Cela signifie que les logements à bon marché, voire meilleur marché que les autres, soit ne sont pas accessibles, soit ne sont pas disponibles - je vais dire une vérité de la Palice - parce qu'il n'y en a pas. Alors, je crois que l'Etat, les collectivités locales, et particulièrement les communes, devraient enfin vraiment s'entendre sur un vaste plan qui permette, dans les années futures, de laisser derrière nous ce problème inconcevable dans un grand pays civilisé.\
J'ai vu que des contacts avaient été pris très récemment par le nouveau président du CNPF, que je remercie, pour prendre langue avec les dirigeants des syndicats ouvriers, et les autres. C'est une bonne chose, que je réclame - je ne suis pas le seul non plus - depuis longtemps. Je crois à la nécessité du dialogue et je ne crois pas beaucoup à la vérité des textes imposés. Il faut qu'il y ait un contrat. Il faut qu'il y ait un dialogue. Il faut que les lois résultent du rapprochement des gens qui sont qualifiés, parce que représentants élus des grandes masses du travail. J'insiste à nouveau auprès de vous pour que vous puissiez enfin commencer un tel dialogue - vous l'avez fait dans certains domaines, il faut le dire, mais ce n'est pas assez systématique - et en tout cas la grande réforme sociale que les Français attendent ne sera que le résultat de ce dialogue et ne pourra pas être imposée par un gouvernement ou une majorité. D'ailleurs, le ferait-il ? C'est très difficile à faire, il ne faut pas se tromper. Avec les meilleures intentions du monde, nous avons souvent fait des lois sociales qui ne correspondaient pas, au fond, aux voeux de ceux à qui ils étaient destinés. Donc, il faut s'adresser à ceux qui vivent cette vie-là, qui entendent et qui connaissent les autres.\
Mais il y a ici beaucoup de représentants d'associations qui se situent sur d'autres plans. On ne peut pas faire le tour des choses : c'est impossible car vous êtes, non pas de plus en plus nombreux en terme de personnes, mais de plus en plus nombreux en tant que groupes d'associations. Et cela exigerait de moi un tour d'horizon qui serait insupportable à entendre.
- Je vous apporte mes voeux : mes voeux pour votre travail, pour la réussite de vos efforts, pour le climat dans lequel vous agirez, et mes voeux pour vous-mêmes. Je connais beaucoup d'entre vous à titre personnel : donc, j'y ajouterai cet aspect humain et direct qu'implique toute relation. Quant aux autres, que je ne connais pas, je sais leurs responsabilités et je veux qu'ils se sentent ici les bienvenus. J'ai déjà eu l'occasion de le dire : les voeux, c'est une habitude qui pourrait paraître étrange puisque nous ne pesons pas sur notre destin. Mais cela exprime, tout simplement, l'espérance, l'espérance des hommes, des femmes et de tout être humain. L'espérance !
- Eh bien, cette année, souhaitons qu'elle soit bonne. Et à partir de là, on se rejoint : c'est un des terrains sur lesquels on s'aperçoit qu'il y a une communauté profonde. Nous avons à faire face aux mêmes périls, aux mêmes difficultés, en même temps, individuels et collectifs. Et donc souhaiter bonne année aux uns, c'est souhaiter bonne année aux autres ! Ayons une bonne année pour la France, la meilleure possible ! Et ensuite, eh bien, qui décidera ? On verra bien.. L'essentiel est que l'on aborde cette année 1995 avec la volonté, surtout au travers d'un certain nombre de péripéties politiques qui ne seront pas aisées, d'apporter un mieux à notre pays, un mieux aux Français qui en ont grand besoin.
- Je vous exprime ces voeux avec le plus grand plaisir, et maintenant je vais vous saluer - si vous le voulez bien - avant que nous nous séparions. Mais nous ne sommes pas pressés !\