16 décembre 1994 - Seul le prononcé fait foi
Conférence de presse conjointe de MM. François Mitterrand, Président de la République et Silvio Berlusconi, Président du Conseil de la République italienne, sur le bilan du sommet franco-italien, notamment sur la coopération culturelle et militaire et la construction de la ligne de TGV Lyon-Turin, Aix-en-Provence, le 16 décembre 1994.
Mesdames et messieurs,
- Nous venons d'achever le quinzième sommet franco-italien. Nous avons pu discuter avec les responsables italiens des questions que l'actualité impose sur la base de rapports qui avaient été étudiés avec le plus grand sérieux.
- Nous sommes là, M. le Président du Conseil et moi-même, pour vous en rendre compte.
- Je ne vous dirai pas trop de choses car l'attention se disperserait. La discussion a notamment porté sur le volet monétaire et, sur ce sujet, on a pu constater un accord complet entre Italiens et Français et une volonté identique d'aller de l'avant dans la construction européenne. La question de l'Europe centrale et orientale, ainsi que les rapports avec la Russie ont été examinés particulièrement. Il me semble que nos deux pays, l'Italie et la France, ont été d'avis qu'il convenait de prendre garde à reconstituer une division artificielle du continent, ceci à propos, naturellement, du projet d'élargissement de l'Otan.
- Pour l'élargissement de l'Europe, nous sommes convenus que la concertation étroite entre l'Italie et la France sera maintenue pour la préparation de la conférence intergouvernementale de 1996.
- On a parlé de la Yougoslavie. A vrai dire pour en revenir à la même analyse de la situation, de l'action diplomatique et des négociations à mener.
- Au sujet de l'Organisation mondiale du commerce, la France a confirmé sa volonté de soutenir la candidature de M. Ruggero comme directeur général de la future organisation.
- A propos des problèmes de transport, nous nous sommes réjouis de ce qui a été décidé et accompli au cours de ces derniers jours au sujet du TGV Sud-Est et de la liaison avec Turin. D'autre part, nous nous sommes étonnés, et nous espérons que l'on pourra corriger le tir, des décisions unilatérales prises par les autorités turques et américaines à propos de l'ATR 42 qui, comme vous le savez, est une production spécifiquement italo-française.
- Sur les problèmes de défense et de sécurité, particulièrement en ce qui concerne les relations de coopération entre l'Union européenne et ses voisins méditerranéens, nous avons mis l'accent sur ces questions qui nous paraissent capitales.
- Nous avons reparlé de l'accord entre l'Italie et la France pour mener à bien la coopération avec l'Espagne quant à la mise sur pied de forces tripartites, terrestres d'une part, aéronavales de l'autre. La force terrestre d'intervention rapide Euroforce serait appelée à opérer sous commandement de l'UEO pour des missions humanitaires ou de maintien de la paix. A l'origine d'ailleurs cette idée est italienne. La force aéromaritime pourrait effectuer des missions de même type en coopération avec l'Euroforce. Voici deux projets qui contribueront à renforcer la capacité d'action de l'UEO. On a prévu également la constitution d'une agence européenne d'armement née d'une initiative franco-allemande.\
Bien entendu, d'autres sujets très importants ont été traités, notamment dans le domaine de la culture et de l'éducation et si l'on voulait simplifier, on pourrait dire que l'accent a été mis sur l'audiovisuel et sur le plurilinguisme. On a parlé, à cet égard et c'était bien normal, de la directive télévision sans frontière et du programme Média.
- Voilà ce que je peux vous dire. Pour les transports, quand même une précision qui pourrait vous intéresser, le Sommet a pris acte des délibérations des ministres des transports italiens et français et de leurs décisions concernant la ligne Lyon-Turin. Vous savez déjà, mais il n'est pas inutile de le rappeler, qu'elle a été retenue, par le Conseil européen d'Essen, comme l'un des quatorze grand travaux prioritaires. Il a été décidé d'engager un nouveau programme d'étude de 800 millions de francs : la première tranche étant fixée à 220 millions pour 1995, et de préparer la mise en place d'une mission intergouvernementale franco-italienne chargée de préparer le cahier des charges de la concession, ainsi qu'un traité entre nos deux pays.
- Voilà, je vous ai résumé aussi brièvement que possible, les questions traitées. Avant d'engager la conversation avec mesdames et messieurs les journalistes, je tiens à dire que nous devons remercier la municipalité d'Aix-en-Provence pour la façon dont nous avons été accueillis dans cette belle ville, ainsi que la Préfecture des Bouches-du-Rhône et la Sous-Préfecture d'Aix-en-Provence. Je me réjouis qu'indépendamment de toute circonstance politique, les Italiens se sentent accueillis avec amitié lorsqu'ils sont en France. C'est ce que nous avons cherché à faire cette fois-ci comme les autres.
- M. BERLUSCONI.- Merci encore, monsieur le Président. Je n'ai rien à ajouter. Le résumé a été complet. Je dois seulement vous dire que mes collaborateurs et moi-même doivent vous remercier de l'accueil, ainsi que vos collaborateurs et la ville d'Aix-en-Provence. On a traité plusieurs dossiers et on s'est trouvé pratiquement d'accord sur tout. Ainsi sur certains problèmes de la politique internationale d'aujourd'hui, nous avons les mêmes perceptions et cela nous apporte une possibilité de collaboration qui peut augmenter pour le futur vis-à-vis du passé. Encore merci.
- LE PRESIDENT.- Eh bien, après ces remerciements justifiés pour ce qui concerne l'aide de la municipalité conduite par M. Picheral et les services publics qui ont été à notre disposition, nous allons maintenant demander à mesdames et messieurs les journalistes de bien vouloir poser des questions s'il en est. S'il n'en est pas, cela simplifiera l'après-midi. Pour trancher cette question, je vous demande d'abord si quelqu'un veut prendre la parole ?\
QUESTION.- Ma question s'adresse à M. le Président du Conseil italien. Le sommet franco-italien, c'est votre premier, c'est un peu la célébration de l'amitié entre la France et l'Italie. Or, les Français se posent des questions, notamment sur votre avenir politique. Pourriez-vous nous en parler vous-même ?
- M. BERLUSCONI.- Je me permets de vous répondre en italien parce qu'étant donné que je suis le Premier ministre, il faut faire attention aux mots, aux adjectifs, aux virgules, aux points, sinon tout peut susciter des critiques. Alors, je passe à l'italien, je suis plus sûr de l'italien.
- La situation italienne est extrêmement simple en ce qui concerne la volonté de l'électorat italien. En Italie, 65 % de l'électorat est un électorat modéré. 35 % de l'électorat est un électorat de gauche. La situation politique avant les élections du 27 mars était une situation nouvelle pour l'Italie parce que 80 % des Italiens avaient décidé de changer de système électoral qui était la proportionnelle pour passer à un système majoritaire.. En tant que protagoniste de la vie des affaires en Italie, j'ai essayé, puisque je pouvais facilement contacter les hommes politiques, de regrouper les partis modérés. Les anciennes divisions, des haines lointaines ne l'ont pas permis. Pendant trois mois j'ai oeuvré sans succès. Enfin, j'ai considéré qu'il n'y avait pas d'autres solutions que d'aller sur le terrain, et ce n'est qu'avec une nouvelle force du centre que l'on pouvait essayer de gagner les élections, ce qui a eu lieu. Je suis fermement convaincu que, par cette victoire, le destin de l'Italie a changé. J'ai toujours considéré qu'une victoire de la gauche aurait été négative, compte tenu de ce qu'est la gauche italienne, qui est très différente de la gauche française ou des travaillistes, une gauche qui, d'après moi, aurait remis l'Italie dans un destin sans bien-être, sans liberté et sans démocratie. La coalition qui a gagné, a une large majorité à la Chambre et une majorité très limitée au Sénat. Nous avons eu une confiance nettement marquée à la Chambre et assez faible au Sénat jusqu'à ce qu'il y a quelques jours, l'une des composantes de la majorité a estimé, manquant à la mission que lui avaient confiée les électeurs, pouvoir faire l'hypothèse d'une solution différente. Elle a donc eu des entretiens avec les élus catholiques et communistes. Nous avions toujours demandé aux catholiques de venir avec nous dans la majorité. D'après moi, cette perspective ne saurait avoir de suite et ce pour deux raisons très précises. Première raison : ils ne sont pas assez nombreux car, au sein de cette composante qui s'appelle la Ligue du nord de nombreux parlementaires ne souhaitent pas changer par rapport au mandat qu'ils ont reçu de leurs électeurs. Ceci a provoqué une réaction de nombreux parlementaires au sein de ce groupe qui ont rédigé un document dans lequel ils déclarent ne pas vouloir participer à un gouvernement en présence du Parti communiste. A cela, il faut ajouter une autre considération quant à l'avenir : je ne crois pas vraiment qu'un parti de la majorité, la Ligue, puisse se diriger vers sa propre destruction en essayant d'amener au gouvernement les deux partis contre lesquels elle avait déclaré se battre, et ce dès sa naissance la Démocratie chrétienne, qui s'appelle maintenant "Parti Populaire", et le PDS. Ce serait la fin d'un parti qui, aujourd'hui n'atteint plus que 5 % des voix mais qui, compte tenu des concessions que j'ai dû faire, a pour le moment au Parlement, 18 % de parlementaires.\
M. BERLUSCONI.- Donc je crois que tout le bruit qui a été fait sur cette éventualité n'a aucune base, n'a aucun fondement réel. J'estime que l'on peut continuer à gouverner le pays avec la coalition actuelle ou avec une coalition qui pourrait perdre quelques-unes de ses composantes afin d'en trouver d'autres à l'extérieur, (en particulier dans les mouvements catholiques), mais, j'espère aussi que le sens des responsabilités prévaudra en ce qui concerne le sort de notre pays.
- L'Italie est un pays extraordinaire. Nous sommes des entrepreneurs extraordinaires et uniques £ nous avons quatre millions de PME et PMI. Au cours de la campagne électorale j'ai pu promettre un million d'emplois nouveaux car j'avais eu des rapports très précis avec les différentes confédérations industrielles, le patronat, les commerçants, les artisans, les agriculteurs, les professions libérales. J'ai pu constater qu'en adoptant certaines mesures tendant à nous libérer de la bureaucratie, à libéraliser le marché, la réaction qui aurait suivi pour ces petites entreprises aurait été extraordinaire. On aurait pu créer un million, un million huit cent mille postes de travail. Moi, j'ai préféré en promettre un peu moins pour pouvoir tenir cette promesse et je suis convaincu, aujourd'hui encore, que l'on peut la tenir.
- La gauche pensait déjà avoir en main le pays. La gauche avait élaboré une loi électorale sur mesure qui pouvait donner à la minorité le gouvernement de la majorité. La gauche avait mis ses hommes aux postes fondamentaux du pays, dans les universités, les écoles, à la télévision, dans les journaux et dans la justice. Tout était prêt pour une prise de pouvoir qui était contraire à l'histoire. C'est là la situation spécifique de mon pays.\
M. BERLUSCONI.- Une nouveauté est arrivée, tout a changé, et après trois ou quatre mois d'étonnement, de stupeur qui a saisi tous les hommes de gauche, une véritable réaction incroyable est née et il y a eu une espèce d'union de toutes les forces : les grands journaux, les grandes industries, toutes les forces de la gauche qui essayent, aujourd'hui, par tous les moyens d'attaquer le programme du gouvernement. Ce gouvernement a beaucoup travaillé et il a un programme très important et je suis à votre disposition pour vous l'exposer. Ils ont essayé, par des attaques personnelles, dans un style stalinien de diminuer la durée de vie de ce gouvernement et de faire pression sur le Président du Conseil pour qu'il se fatigue de la situation et démissionne.
- Ceci n'a pas été le cas. Ceci n'a pas eu lieu. Ceci n'aura pas lieu. Je crois que l'intérêt de mon pays est très clair. Je crois que mon pays peut continuer dans la direction de l'assainissement de la dette publique. Notre économie fonctionne bien. Il y a eu une augmentation de la production de 7 ou 8 % et tous les indices sont positifs, grâce à l'élan et l'enthousiasme que j'ai communiqués aux entrepreneurs.
- Il y a deux jours la télévision a fait un sondage auquel treize millions d'Italiens ont participé et le résultat de ce sondage a été ce qui suit : voulez-vous un gouvernement - c'était la question - regroupant la Ligue, le PDS, le Parti néocommuniste et les catholiques ? Résultat = 28 %. Est-ce que vous voulez un gouvernement comme celui d'aujourd'hui ou bien voulez-vous un autre gouvernement, mais toujours Berlusconi ? Résultat des deux questions = 71 %. Voilà ce qui ressort de tous les sondages. Les Italiens, les gens qui travaillent, c'est-à-dire 70 % veulent un gouvernement responsable, mené par des experts, qui ne fasse pas la politique des bavardages mais bien la politique réelle. 28 % veulent une Italie différente. Il y a en Italie, comme dans beaucoup de pays une distinction à faire : il y a l'Italie vraie qui travaille, qui produit et il y a l'autre Italie, l'Italie de l'ancienne politique des mots, du théâtre, des bavardages, et des médias. C'est vous les médias, vous êtes un mal nécessaire pour la démocratie ou un bien nécessaire pour la démocratie cela dépend des jours, vous n'êtes ni l'un ni l'autre éternellement.
- L'Italie vraie, celle qui travaille, je suis convaincu qu'elle veut que l'on poursuive l'assainissement des finances publiques, la lutte contre la criminalité organisée.
- Voilà ce que veut faire mon gouvernement, c'est ce que j'ai dit au Président François Mitterrand et au Premier ministre. Voilà ce que je vais faire, avec beaucoup de volonté, je n'en démordrai pas.\
QUESTION.- Monsieur Balladur s'est donné comme règle d'inviter à la démission tous ses ministres impliqués dans des affaires. Que lui conseilleriez-vous s'il était lui-même inquiété ?
- LE PRESIDENT.- C'est une hypothèse que je ne retiens pas. Je ne vois pas pourquoi, à ma connaissance, M. Balladur pourrait être, en quoi que ce soit, impliqué dans ce genre d'affaires. Si l'occasion se présentait, sur la vue pessimiste et noircie qui est la vôtre, eh bien, j'aviserais ! De toute manière, jusqu'au mois de mai, je serai là pour répondre à la question.\
M. BERLUSCONI.- Pendant le Conseil européen d'Essen, M. Mitterrand, avec émotion, nous a raconté presque cinquante ans d'histoire de la construction de l'Europe dont il a été un des protagonistes.
- LE PRESIDENT.- J'avais été bref, quand même !
- M. BERLUSCONI.- Vous étiez bref, mais quand même avec une cordialité qui nous a émus ! M. Mitterrand a raconté que les premières réunions avaient eu comme Président M. Churchill et quand j'ai raconté cela, en disant très clairement que c'était M. Mitterrand qui l'avait raconté, un important journal italien a écrit que j'étais mauvais en histoire. Je voudrais profiter de l'occasion d'avoir le Président Mitterrand, ici, pour lui reposer la question et pour qu'il m'apporte son aide !
- LE PRESIDENT.- Il s'agissait du premier Congrès européen qui a précédé les institutions européennes. C'était une assemblée de volontaires qui avaient dans la tête de construire une unité européenne et d'effacer les traces de la deuxième guerre mondiale. Ce congrès a eu lieu en 1948, il était présidé par M. Winston Churchill, je trouvais là avec beaucoup d'hommes qui sont considérés, aujourd'hui, comme les fondateurs de l'union européenne. A l'époque, je faisais partie des jeunes parlementaires invités à y prendre part, donc je confirme ce que vous venez de dire. Je le confirme d'autant plus que c'est moi qui vous l'avais rapporté.
- M. BERLUSCONI.- Merci, monsieur le Président.\
QUESTION.- La population d'Aix-en-Provence vous a accueilli ce matin avec beaucoup de chaleur. Elle a même applaudi une poignée de mains bien particulière que vous avez échangée avec l'homme que connaît bien M. Berlusconi, il s'agit de Bernard Tapie. S'agit-il là d'un nouveau signe d'amitié vis-à-vis de cet homme qui, hier encore, s'est vu rendu inéligible par la justice française ?
- Ma deuxième question concerne l'entretien qu'a accordé le philosophe Jean Guitton, ce matin au journal Libération. Selon lui, vous lui avez rendu visite, le mois dernier, et vous lui auriez déclaré que vos médecins ne vous donnaient plus que six mois à vivre. Est-ce exact ? Et si c'est le cas, estimez-vous que les Français aujourd'hui peuvent en savoir un peu plus sur vos intentions de continuer à assumer vos fonctions avec le courage que vous reconnaissent Jean Guitton et beaucoup de Français ?
- LE PRESIDENT.- La première question qui concerne M. Bernard Tapie trouve sa réponse dans l'organisation même des cérémonies qui voulaient, et c'était parfaitement normal que je fusse reçu d'abord par le maire de la ville, mon ami M. Picheral et également par les parlementaires des Bouches-du-Rhône. J'ai salué tous les parlementaires des Bouches-du-Rhône parmi lesquels se trouvait M. Bernard Tapie. J'aurais trouvé indigne de ma part de faire une exception pour l'un des parlementaires qui s'était rendu à l'invitation.
- Si vous voulez que je vous raconte le reste de ma vie, il se trouve que nous avons également déjeuné ensemble. Vous voyez ce que l'on peut tirer de cette révélation ! C'était le déjeuner officiel où se trouvaient invitées toutes les personnalités dont je viens de parler plus quelques autres. J'espère que ce déjeuner ne sera pas retenu, par vous, comme un motif de perdition définitive ! Je serre la main des gens que j'invite.\
LE PRESIDENT.- Deuxièmement, je n'ai pas très bien compris votre histoire de prévision de ma durée de vie. Je pense que vous faites allusion à la conversation relatée dans l'interview donnée par Jean Guitton à un journaliste de Libération. Je l'ai parcourue ce matin dans l'avion avant d'arriver ici. Mais, enfin c'est une relation faite par Jean Guitton qui est un ami de longue date, enfin pas de si longue date, c'est pratiquement un ami de trente ans. Nous sommes originaires des mêmes écoles et nous avons habité dans la même maison d'étudiants, mais aujourd'hui, j'en rencontre d'autres y compris M. Balladur, mais lui c'était longtemps après moi et Jean Guitton, malgré tout, c'était longtemps avant moi. Par la suite, nous nous sommes revus dans la Creuse. Je suis allé le voir chez lui, nous avons noué des relations d'amitié et nous nous voyons de temps à autre. C'est dans ce cadre-là que je suis allé lui rendre visite, avec beaucoup de retard, car cela faisait un an que je le lui avais promis.
- Quant au contenu de la conversation, je ne pensais pas qu'il devait être rendu public, donc je n'ai rien à en dire. Mes médecins ne m'ont pas dit cela, remarquez qu'ils me l'auraient dit, je l'aurais pris comme cela vient ! Est-ce que vous savez combien de temps vous avez à vivre ? Non, pourtant vous avez l'air beaucoup plus sain que moi, et je vous souhaite de vivre beaucoup plus longtemps. Ce qui est certain, c'est qu'à partir d'un certain âge, quand on est frappé par certaines maladies, on ne peut pas faire de prévision à très longue distance, mais, je n'ai rien dit de la sorte. Les médecins ne m'ont pas dit cela. Peut-être l'ont-ils pensé, mais il y a quand meme un certain contrat moral entre eux et moi, car je veux savoir où j'en suis et je ne prévois pas une fin si rapide.\
QUESTION.- Je voulais revenir au Sommet lui-même avec deux questions, l'une d'abord à vous, monsieur le Président de la République concernant les questions de défense. Il y a l'Eurocorps plutôt avec l'Allemagne, il y a l'Eurogroupe plutôt avec la Grande-Bretagne, il y a l'Euroforce plutôt avec l'Italie et l'Espagne, cela fait beaucoup de cercles. Ne faudrait-il pas peut-être les regrouper ? Et puis une deuxième question qui est du même ordre, mais sur un autre registre à M. le Président du Conseil, jusqu'à quel point l'objectif 1997 pour la monnaie unique est crédible pour l'Italie et donc à quelle date, dans combien de jours la lire va rejoindre le système monétaire européen pour pouvoir être prête en 1997 ?
- LE PRESIDENT.- C'est à M. le Président du Conseil que vous vous êtes adressé.
- M. BERLUSCONI.- Je peux répondre aussi à la première question. Ces organismes ont été constitués au fur et à mesure, ils ont constitué autant d'étapes pour arriver à une architecture complète et rationnelle de la sécurité en Europe. Il est clair qu'il faut procéder à une révision de tous ces organismes afin de les unifier et afin de donner à l'Europe un système rationnel qui serait le système européen de défense et ceci ressort des conversations d'aujourd'hui, car il n'est pas juste que l'Europe continue, pour sa défense, à compter sur l'aide des Etats-Unis d'Amérique.
- Dans cette perspective, il faudra travailler, la fin est claire pour tous : l'Union de l'Europe Occidentale, l'UEO va devoir entrer dans l'Union européenne et il faudra donner une organisation unique pour la défense et pour la sécurité. Mais, j'ajouterai que dans les autres institutions, mais pas seulement les institutions qui sont destinées à la défense, il faut revoir l'organisation globalement. L'Europe se dirige vers un grand changement - c'est l'Europe des Quinze maintenant, elle pourra devenir l'Europe des vingt-sept dans quelques années - ne serait-ce que pour ce qui a trait aux commissaires. On ne va pas pouvoir avoir une Commission de cinquante-quatre commissaires, donc les institutions doivent être révisées pour donner à l'Union européenne une dimension qui serait une dimension qui corresponde à ces exigences et pour qu'elles puissent entrer dans le prochain siècle avec des structures adaptées.\
M. BERLUSCONI.- En ce qui concerne la monnaie, je dois confirmer, au-delà de certains articles qui ont été publiés ce matin dans les journaux italiens, qu'il n'y a aucune opposition entre ce que pense le gouvernement italien et ce que pense l'Elysée. J'ai pu ce matin même regarder cet article avec le Président Mitterrand et constater avec lui l'identité de vues, qui est très claire. Le gouvernement italien estime que la monnaie unique est un bien pour l'Europe, et que ce qui est établi dans le Traité de Maastricht en ce qui concerne la politique de rigueur et l'amélioration de toutes les économies doit être suivie et ne doit pas être changée : je me réfère explicitement au premier point : le rapport entre la dette publique et le produit intérieur brut et où l'on doit ne pas dépasser un niveau de 60 % £ deuxième point : mentionner la règle selon laquelle le déficit public ne doit pas dépasser 3 % du PIB tandis que l'inflation de chaque Etat ne doit pas dépasser 1,5 %, l'inflation de l'Etat le plus vertueux.
- Nous sommes convaincus que la politique du gouvernement italien dans cette direction doit poursuivre cette voie-là. Nous sommes convaincus que l'on peut obtenir une monnaie unique au-delà des convergences des systèmes économiques. Nous citons un exemple, ou plus d'un exemple : la Belgique a un rapport dette publique sur produit intérieur brut de 160 %, elle a la même monnaie que le Luxembourg, le pays le plus riche qui a la meilleure performance en Europe à cet égard. Il peut y avoir des régions très riches comme celles du nord de l'Italie et des régions plus pauvres comme les régions du sud qui partagent la même monnaie. Nous sommes donc convaincus qu'avec une monnaie unique, cela pourrait accélérer et faciliter le progrès de notre économie vers les critères de Maastricht. Telle est notre pensée. Donc, il n'y a aucune modification des accords de Maastricht de la part de l'Italie. Il y a cette théorie différente, mais nous nous sommes engagés avec la loi de finances qui est une loi rigoureuse qui va être approuvée par le Sénat italien £ nous allons vers la convergence telle que le prescrit Maastricht. En 1997, nous espérons que l'Italie respectera les paramètres indiqués. Si tel n'est pas le cas, ce n'est qu'à ce moment-là qu'on pourra commencer une discussion sur la possibilité pour les pays qui n'auront pas atteint ces objectifs, de profiter de la monnaie unique, car ce serait là quelque chose qui diviserait, le fait que certains pays pourraient utiliser la monnaie unique et d'autres, non. Je voudrais dire aux journalistes italiens qu'à cet égard, il n'y a aucune distance entre nous et la politique française, entre nous et le Président Mitterrand.
- QUESTION.- Je m'adresse au Président du Conseil italien pour lui demander si véritablement il n'y a aucune différence entre l'Italie et la France sur la position de l'Italie par rapport à la monnaie unique, même en présence d'économie divergente ?
- M. BERLUSCONI.- La réponse que je vous ai donnée, ce n'est pas une proposition que nous avons faite, c'est une théorie. Il y a une différence de conviction mais dans l'action, cela n'a aucune influence. Donc nous procédons à une action rigoureuse et ce n'est que si l'on ne parvient pas à atteindre ces 60 % - puisque nous avons hérité d'une situation très négative du passé, nous agirons pour que change cette position - si nous n'arrivons pas aux critères en 1997, eh bien, on verra à ce moment-là ce qu'il faut faire.\
QUESTION.- Au sommet d'Essen, vous aviez dit que vous aviez une petite idée sur la réponse que fournirait Jacques Delors quant à sa candidature ou sa non candidature à la présidence de la République, et vous aviez dit que l'occasion viendrait pour préciser cette petite idée que vous aviez. Est-ce que vous pouvez le dire maintenant ? Est-ce que vous vous doutiez qu'il irait ou qu'il n'irait pas ?
- LE PRESIDENT.- Je ne pense pas que j'écrirai mes mémoires mais enfin je vous le confierai tout à l'heure si vous voulez passer me voir. Cela n'a pas beaucoup d'importance, ni d'intérêt quand même. En général, j'ai beaucoup de défauts mais je suis un assez bon prévisionniste.
- M. BERLUSCONI.- Moi aussi je suis un très bon prévisionniste parce que M. Delors m'avait confié ses intentions... j'ai tenu le secret.
- LE PRESIDENT.- M. le Président du Conseil, vous souhaitez ajouter quelque chose ?
- M. BERLUSCONI.- Non, merci à tous de votre accueil.
- QUESTION.- Une question pour M. Berlusconi : quand vous êtes arrivé ce matin sur la place d'Aix-en-Provence, on vous a sifflé. Pourquoi d'après vous ?
- LE PRESIDENT.- Laissez-moi répondre à cela. Il y a de tout pour faire un monde. La France est un pays libre. Evidemment quand je reçois des personnalités étrangères, je suis plus à l'aise quand c'est l'acclamation générale, mais moi-même, je n'en reçois jamais, donc je ne vois pas pourquoi M. Berlusconi aurait été l'objet d'une marque d'hostilité particulière. Il y a en effet quelques Français qui semblaient mécontents de la présence de M. Berlusconi sur le sol français, mais il y en avait beaucoup d'autres qui avaient un sentiment contraire. Un minimum de courtoisie veut que la France soit satisfaite de recevoir ses hôtes étrangers, surtout lorsqu'elle les invite.
- M. BERLUSCONI.- Je répondrai moi-aussi. Je pense que nous avons donné un bel exemple de masochisme, si vous me le permettez. M. Tapie était à côté de moi, il m'a dit que c'était les fans de l'OM qui avaient un litige avec l'AC Milan, parce que Milan remplaçait l'OM, qui avait été disqualifié. Ce sont les fans de l'OM, c'est tout.\
- Nous venons d'achever le quinzième sommet franco-italien. Nous avons pu discuter avec les responsables italiens des questions que l'actualité impose sur la base de rapports qui avaient été étudiés avec le plus grand sérieux.
- Nous sommes là, M. le Président du Conseil et moi-même, pour vous en rendre compte.
- Je ne vous dirai pas trop de choses car l'attention se disperserait. La discussion a notamment porté sur le volet monétaire et, sur ce sujet, on a pu constater un accord complet entre Italiens et Français et une volonté identique d'aller de l'avant dans la construction européenne. La question de l'Europe centrale et orientale, ainsi que les rapports avec la Russie ont été examinés particulièrement. Il me semble que nos deux pays, l'Italie et la France, ont été d'avis qu'il convenait de prendre garde à reconstituer une division artificielle du continent, ceci à propos, naturellement, du projet d'élargissement de l'Otan.
- Pour l'élargissement de l'Europe, nous sommes convenus que la concertation étroite entre l'Italie et la France sera maintenue pour la préparation de la conférence intergouvernementale de 1996.
- On a parlé de la Yougoslavie. A vrai dire pour en revenir à la même analyse de la situation, de l'action diplomatique et des négociations à mener.
- Au sujet de l'Organisation mondiale du commerce, la France a confirmé sa volonté de soutenir la candidature de M. Ruggero comme directeur général de la future organisation.
- A propos des problèmes de transport, nous nous sommes réjouis de ce qui a été décidé et accompli au cours de ces derniers jours au sujet du TGV Sud-Est et de la liaison avec Turin. D'autre part, nous nous sommes étonnés, et nous espérons que l'on pourra corriger le tir, des décisions unilatérales prises par les autorités turques et américaines à propos de l'ATR 42 qui, comme vous le savez, est une production spécifiquement italo-française.
- Sur les problèmes de défense et de sécurité, particulièrement en ce qui concerne les relations de coopération entre l'Union européenne et ses voisins méditerranéens, nous avons mis l'accent sur ces questions qui nous paraissent capitales.
- Nous avons reparlé de l'accord entre l'Italie et la France pour mener à bien la coopération avec l'Espagne quant à la mise sur pied de forces tripartites, terrestres d'une part, aéronavales de l'autre. La force terrestre d'intervention rapide Euroforce serait appelée à opérer sous commandement de l'UEO pour des missions humanitaires ou de maintien de la paix. A l'origine d'ailleurs cette idée est italienne. La force aéromaritime pourrait effectuer des missions de même type en coopération avec l'Euroforce. Voici deux projets qui contribueront à renforcer la capacité d'action de l'UEO. On a prévu également la constitution d'une agence européenne d'armement née d'une initiative franco-allemande.\
Bien entendu, d'autres sujets très importants ont été traités, notamment dans le domaine de la culture et de l'éducation et si l'on voulait simplifier, on pourrait dire que l'accent a été mis sur l'audiovisuel et sur le plurilinguisme. On a parlé, à cet égard et c'était bien normal, de la directive télévision sans frontière et du programme Média.
- Voilà ce que je peux vous dire. Pour les transports, quand même une précision qui pourrait vous intéresser, le Sommet a pris acte des délibérations des ministres des transports italiens et français et de leurs décisions concernant la ligne Lyon-Turin. Vous savez déjà, mais il n'est pas inutile de le rappeler, qu'elle a été retenue, par le Conseil européen d'Essen, comme l'un des quatorze grand travaux prioritaires. Il a été décidé d'engager un nouveau programme d'étude de 800 millions de francs : la première tranche étant fixée à 220 millions pour 1995, et de préparer la mise en place d'une mission intergouvernementale franco-italienne chargée de préparer le cahier des charges de la concession, ainsi qu'un traité entre nos deux pays.
- Voilà, je vous ai résumé aussi brièvement que possible, les questions traitées. Avant d'engager la conversation avec mesdames et messieurs les journalistes, je tiens à dire que nous devons remercier la municipalité d'Aix-en-Provence pour la façon dont nous avons été accueillis dans cette belle ville, ainsi que la Préfecture des Bouches-du-Rhône et la Sous-Préfecture d'Aix-en-Provence. Je me réjouis qu'indépendamment de toute circonstance politique, les Italiens se sentent accueillis avec amitié lorsqu'ils sont en France. C'est ce que nous avons cherché à faire cette fois-ci comme les autres.
- M. BERLUSCONI.- Merci encore, monsieur le Président. Je n'ai rien à ajouter. Le résumé a été complet. Je dois seulement vous dire que mes collaborateurs et moi-même doivent vous remercier de l'accueil, ainsi que vos collaborateurs et la ville d'Aix-en-Provence. On a traité plusieurs dossiers et on s'est trouvé pratiquement d'accord sur tout. Ainsi sur certains problèmes de la politique internationale d'aujourd'hui, nous avons les mêmes perceptions et cela nous apporte une possibilité de collaboration qui peut augmenter pour le futur vis-à-vis du passé. Encore merci.
- LE PRESIDENT.- Eh bien, après ces remerciements justifiés pour ce qui concerne l'aide de la municipalité conduite par M. Picheral et les services publics qui ont été à notre disposition, nous allons maintenant demander à mesdames et messieurs les journalistes de bien vouloir poser des questions s'il en est. S'il n'en est pas, cela simplifiera l'après-midi. Pour trancher cette question, je vous demande d'abord si quelqu'un veut prendre la parole ?\
QUESTION.- Ma question s'adresse à M. le Président du Conseil italien. Le sommet franco-italien, c'est votre premier, c'est un peu la célébration de l'amitié entre la France et l'Italie. Or, les Français se posent des questions, notamment sur votre avenir politique. Pourriez-vous nous en parler vous-même ?
- M. BERLUSCONI.- Je me permets de vous répondre en italien parce qu'étant donné que je suis le Premier ministre, il faut faire attention aux mots, aux adjectifs, aux virgules, aux points, sinon tout peut susciter des critiques. Alors, je passe à l'italien, je suis plus sûr de l'italien.
- La situation italienne est extrêmement simple en ce qui concerne la volonté de l'électorat italien. En Italie, 65 % de l'électorat est un électorat modéré. 35 % de l'électorat est un électorat de gauche. La situation politique avant les élections du 27 mars était une situation nouvelle pour l'Italie parce que 80 % des Italiens avaient décidé de changer de système électoral qui était la proportionnelle pour passer à un système majoritaire.. En tant que protagoniste de la vie des affaires en Italie, j'ai essayé, puisque je pouvais facilement contacter les hommes politiques, de regrouper les partis modérés. Les anciennes divisions, des haines lointaines ne l'ont pas permis. Pendant trois mois j'ai oeuvré sans succès. Enfin, j'ai considéré qu'il n'y avait pas d'autres solutions que d'aller sur le terrain, et ce n'est qu'avec une nouvelle force du centre que l'on pouvait essayer de gagner les élections, ce qui a eu lieu. Je suis fermement convaincu que, par cette victoire, le destin de l'Italie a changé. J'ai toujours considéré qu'une victoire de la gauche aurait été négative, compte tenu de ce qu'est la gauche italienne, qui est très différente de la gauche française ou des travaillistes, une gauche qui, d'après moi, aurait remis l'Italie dans un destin sans bien-être, sans liberté et sans démocratie. La coalition qui a gagné, a une large majorité à la Chambre et une majorité très limitée au Sénat. Nous avons eu une confiance nettement marquée à la Chambre et assez faible au Sénat jusqu'à ce qu'il y a quelques jours, l'une des composantes de la majorité a estimé, manquant à la mission que lui avaient confiée les électeurs, pouvoir faire l'hypothèse d'une solution différente. Elle a donc eu des entretiens avec les élus catholiques et communistes. Nous avions toujours demandé aux catholiques de venir avec nous dans la majorité. D'après moi, cette perspective ne saurait avoir de suite et ce pour deux raisons très précises. Première raison : ils ne sont pas assez nombreux car, au sein de cette composante qui s'appelle la Ligue du nord de nombreux parlementaires ne souhaitent pas changer par rapport au mandat qu'ils ont reçu de leurs électeurs. Ceci a provoqué une réaction de nombreux parlementaires au sein de ce groupe qui ont rédigé un document dans lequel ils déclarent ne pas vouloir participer à un gouvernement en présence du Parti communiste. A cela, il faut ajouter une autre considération quant à l'avenir : je ne crois pas vraiment qu'un parti de la majorité, la Ligue, puisse se diriger vers sa propre destruction en essayant d'amener au gouvernement les deux partis contre lesquels elle avait déclaré se battre, et ce dès sa naissance la Démocratie chrétienne, qui s'appelle maintenant "Parti Populaire", et le PDS. Ce serait la fin d'un parti qui, aujourd'hui n'atteint plus que 5 % des voix mais qui, compte tenu des concessions que j'ai dû faire, a pour le moment au Parlement, 18 % de parlementaires.\
M. BERLUSCONI.- Donc je crois que tout le bruit qui a été fait sur cette éventualité n'a aucune base, n'a aucun fondement réel. J'estime que l'on peut continuer à gouverner le pays avec la coalition actuelle ou avec une coalition qui pourrait perdre quelques-unes de ses composantes afin d'en trouver d'autres à l'extérieur, (en particulier dans les mouvements catholiques), mais, j'espère aussi que le sens des responsabilités prévaudra en ce qui concerne le sort de notre pays.
- L'Italie est un pays extraordinaire. Nous sommes des entrepreneurs extraordinaires et uniques £ nous avons quatre millions de PME et PMI. Au cours de la campagne électorale j'ai pu promettre un million d'emplois nouveaux car j'avais eu des rapports très précis avec les différentes confédérations industrielles, le patronat, les commerçants, les artisans, les agriculteurs, les professions libérales. J'ai pu constater qu'en adoptant certaines mesures tendant à nous libérer de la bureaucratie, à libéraliser le marché, la réaction qui aurait suivi pour ces petites entreprises aurait été extraordinaire. On aurait pu créer un million, un million huit cent mille postes de travail. Moi, j'ai préféré en promettre un peu moins pour pouvoir tenir cette promesse et je suis convaincu, aujourd'hui encore, que l'on peut la tenir.
- La gauche pensait déjà avoir en main le pays. La gauche avait élaboré une loi électorale sur mesure qui pouvait donner à la minorité le gouvernement de la majorité. La gauche avait mis ses hommes aux postes fondamentaux du pays, dans les universités, les écoles, à la télévision, dans les journaux et dans la justice. Tout était prêt pour une prise de pouvoir qui était contraire à l'histoire. C'est là la situation spécifique de mon pays.\
M. BERLUSCONI.- Une nouveauté est arrivée, tout a changé, et après trois ou quatre mois d'étonnement, de stupeur qui a saisi tous les hommes de gauche, une véritable réaction incroyable est née et il y a eu une espèce d'union de toutes les forces : les grands journaux, les grandes industries, toutes les forces de la gauche qui essayent, aujourd'hui, par tous les moyens d'attaquer le programme du gouvernement. Ce gouvernement a beaucoup travaillé et il a un programme très important et je suis à votre disposition pour vous l'exposer. Ils ont essayé, par des attaques personnelles, dans un style stalinien de diminuer la durée de vie de ce gouvernement et de faire pression sur le Président du Conseil pour qu'il se fatigue de la situation et démissionne.
- Ceci n'a pas été le cas. Ceci n'a pas eu lieu. Ceci n'aura pas lieu. Je crois que l'intérêt de mon pays est très clair. Je crois que mon pays peut continuer dans la direction de l'assainissement de la dette publique. Notre économie fonctionne bien. Il y a eu une augmentation de la production de 7 ou 8 % et tous les indices sont positifs, grâce à l'élan et l'enthousiasme que j'ai communiqués aux entrepreneurs.
- Il y a deux jours la télévision a fait un sondage auquel treize millions d'Italiens ont participé et le résultat de ce sondage a été ce qui suit : voulez-vous un gouvernement - c'était la question - regroupant la Ligue, le PDS, le Parti néocommuniste et les catholiques ? Résultat = 28 %. Est-ce que vous voulez un gouvernement comme celui d'aujourd'hui ou bien voulez-vous un autre gouvernement, mais toujours Berlusconi ? Résultat des deux questions = 71 %. Voilà ce qui ressort de tous les sondages. Les Italiens, les gens qui travaillent, c'est-à-dire 70 % veulent un gouvernement responsable, mené par des experts, qui ne fasse pas la politique des bavardages mais bien la politique réelle. 28 % veulent une Italie différente. Il y a en Italie, comme dans beaucoup de pays une distinction à faire : il y a l'Italie vraie qui travaille, qui produit et il y a l'autre Italie, l'Italie de l'ancienne politique des mots, du théâtre, des bavardages, et des médias. C'est vous les médias, vous êtes un mal nécessaire pour la démocratie ou un bien nécessaire pour la démocratie cela dépend des jours, vous n'êtes ni l'un ni l'autre éternellement.
- L'Italie vraie, celle qui travaille, je suis convaincu qu'elle veut que l'on poursuive l'assainissement des finances publiques, la lutte contre la criminalité organisée.
- Voilà ce que veut faire mon gouvernement, c'est ce que j'ai dit au Président François Mitterrand et au Premier ministre. Voilà ce que je vais faire, avec beaucoup de volonté, je n'en démordrai pas.\
QUESTION.- Monsieur Balladur s'est donné comme règle d'inviter à la démission tous ses ministres impliqués dans des affaires. Que lui conseilleriez-vous s'il était lui-même inquiété ?
- LE PRESIDENT.- C'est une hypothèse que je ne retiens pas. Je ne vois pas pourquoi, à ma connaissance, M. Balladur pourrait être, en quoi que ce soit, impliqué dans ce genre d'affaires. Si l'occasion se présentait, sur la vue pessimiste et noircie qui est la vôtre, eh bien, j'aviserais ! De toute manière, jusqu'au mois de mai, je serai là pour répondre à la question.\
M. BERLUSCONI.- Pendant le Conseil européen d'Essen, M. Mitterrand, avec émotion, nous a raconté presque cinquante ans d'histoire de la construction de l'Europe dont il a été un des protagonistes.
- LE PRESIDENT.- J'avais été bref, quand même !
- M. BERLUSCONI.- Vous étiez bref, mais quand même avec une cordialité qui nous a émus ! M. Mitterrand a raconté que les premières réunions avaient eu comme Président M. Churchill et quand j'ai raconté cela, en disant très clairement que c'était M. Mitterrand qui l'avait raconté, un important journal italien a écrit que j'étais mauvais en histoire. Je voudrais profiter de l'occasion d'avoir le Président Mitterrand, ici, pour lui reposer la question et pour qu'il m'apporte son aide !
- LE PRESIDENT.- Il s'agissait du premier Congrès européen qui a précédé les institutions européennes. C'était une assemblée de volontaires qui avaient dans la tête de construire une unité européenne et d'effacer les traces de la deuxième guerre mondiale. Ce congrès a eu lieu en 1948, il était présidé par M. Winston Churchill, je trouvais là avec beaucoup d'hommes qui sont considérés, aujourd'hui, comme les fondateurs de l'union européenne. A l'époque, je faisais partie des jeunes parlementaires invités à y prendre part, donc je confirme ce que vous venez de dire. Je le confirme d'autant plus que c'est moi qui vous l'avais rapporté.
- M. BERLUSCONI.- Merci, monsieur le Président.\
QUESTION.- La population d'Aix-en-Provence vous a accueilli ce matin avec beaucoup de chaleur. Elle a même applaudi une poignée de mains bien particulière que vous avez échangée avec l'homme que connaît bien M. Berlusconi, il s'agit de Bernard Tapie. S'agit-il là d'un nouveau signe d'amitié vis-à-vis de cet homme qui, hier encore, s'est vu rendu inéligible par la justice française ?
- Ma deuxième question concerne l'entretien qu'a accordé le philosophe Jean Guitton, ce matin au journal Libération. Selon lui, vous lui avez rendu visite, le mois dernier, et vous lui auriez déclaré que vos médecins ne vous donnaient plus que six mois à vivre. Est-ce exact ? Et si c'est le cas, estimez-vous que les Français aujourd'hui peuvent en savoir un peu plus sur vos intentions de continuer à assumer vos fonctions avec le courage que vous reconnaissent Jean Guitton et beaucoup de Français ?
- LE PRESIDENT.- La première question qui concerne M. Bernard Tapie trouve sa réponse dans l'organisation même des cérémonies qui voulaient, et c'était parfaitement normal que je fusse reçu d'abord par le maire de la ville, mon ami M. Picheral et également par les parlementaires des Bouches-du-Rhône. J'ai salué tous les parlementaires des Bouches-du-Rhône parmi lesquels se trouvait M. Bernard Tapie. J'aurais trouvé indigne de ma part de faire une exception pour l'un des parlementaires qui s'était rendu à l'invitation.
- Si vous voulez que je vous raconte le reste de ma vie, il se trouve que nous avons également déjeuné ensemble. Vous voyez ce que l'on peut tirer de cette révélation ! C'était le déjeuner officiel où se trouvaient invitées toutes les personnalités dont je viens de parler plus quelques autres. J'espère que ce déjeuner ne sera pas retenu, par vous, comme un motif de perdition définitive ! Je serre la main des gens que j'invite.\
LE PRESIDENT.- Deuxièmement, je n'ai pas très bien compris votre histoire de prévision de ma durée de vie. Je pense que vous faites allusion à la conversation relatée dans l'interview donnée par Jean Guitton à un journaliste de Libération. Je l'ai parcourue ce matin dans l'avion avant d'arriver ici. Mais, enfin c'est une relation faite par Jean Guitton qui est un ami de longue date, enfin pas de si longue date, c'est pratiquement un ami de trente ans. Nous sommes originaires des mêmes écoles et nous avons habité dans la même maison d'étudiants, mais aujourd'hui, j'en rencontre d'autres y compris M. Balladur, mais lui c'était longtemps après moi et Jean Guitton, malgré tout, c'était longtemps avant moi. Par la suite, nous nous sommes revus dans la Creuse. Je suis allé le voir chez lui, nous avons noué des relations d'amitié et nous nous voyons de temps à autre. C'est dans ce cadre-là que je suis allé lui rendre visite, avec beaucoup de retard, car cela faisait un an que je le lui avais promis.
- Quant au contenu de la conversation, je ne pensais pas qu'il devait être rendu public, donc je n'ai rien à en dire. Mes médecins ne m'ont pas dit cela, remarquez qu'ils me l'auraient dit, je l'aurais pris comme cela vient ! Est-ce que vous savez combien de temps vous avez à vivre ? Non, pourtant vous avez l'air beaucoup plus sain que moi, et je vous souhaite de vivre beaucoup plus longtemps. Ce qui est certain, c'est qu'à partir d'un certain âge, quand on est frappé par certaines maladies, on ne peut pas faire de prévision à très longue distance, mais, je n'ai rien dit de la sorte. Les médecins ne m'ont pas dit cela. Peut-être l'ont-ils pensé, mais il y a quand meme un certain contrat moral entre eux et moi, car je veux savoir où j'en suis et je ne prévois pas une fin si rapide.\
QUESTION.- Je voulais revenir au Sommet lui-même avec deux questions, l'une d'abord à vous, monsieur le Président de la République concernant les questions de défense. Il y a l'Eurocorps plutôt avec l'Allemagne, il y a l'Eurogroupe plutôt avec la Grande-Bretagne, il y a l'Euroforce plutôt avec l'Italie et l'Espagne, cela fait beaucoup de cercles. Ne faudrait-il pas peut-être les regrouper ? Et puis une deuxième question qui est du même ordre, mais sur un autre registre à M. le Président du Conseil, jusqu'à quel point l'objectif 1997 pour la monnaie unique est crédible pour l'Italie et donc à quelle date, dans combien de jours la lire va rejoindre le système monétaire européen pour pouvoir être prête en 1997 ?
- LE PRESIDENT.- C'est à M. le Président du Conseil que vous vous êtes adressé.
- M. BERLUSCONI.- Je peux répondre aussi à la première question. Ces organismes ont été constitués au fur et à mesure, ils ont constitué autant d'étapes pour arriver à une architecture complète et rationnelle de la sécurité en Europe. Il est clair qu'il faut procéder à une révision de tous ces organismes afin de les unifier et afin de donner à l'Europe un système rationnel qui serait le système européen de défense et ceci ressort des conversations d'aujourd'hui, car il n'est pas juste que l'Europe continue, pour sa défense, à compter sur l'aide des Etats-Unis d'Amérique.
- Dans cette perspective, il faudra travailler, la fin est claire pour tous : l'Union de l'Europe Occidentale, l'UEO va devoir entrer dans l'Union européenne et il faudra donner une organisation unique pour la défense et pour la sécurité. Mais, j'ajouterai que dans les autres institutions, mais pas seulement les institutions qui sont destinées à la défense, il faut revoir l'organisation globalement. L'Europe se dirige vers un grand changement - c'est l'Europe des Quinze maintenant, elle pourra devenir l'Europe des vingt-sept dans quelques années - ne serait-ce que pour ce qui a trait aux commissaires. On ne va pas pouvoir avoir une Commission de cinquante-quatre commissaires, donc les institutions doivent être révisées pour donner à l'Union européenne une dimension qui serait une dimension qui corresponde à ces exigences et pour qu'elles puissent entrer dans le prochain siècle avec des structures adaptées.\
M. BERLUSCONI.- En ce qui concerne la monnaie, je dois confirmer, au-delà de certains articles qui ont été publiés ce matin dans les journaux italiens, qu'il n'y a aucune opposition entre ce que pense le gouvernement italien et ce que pense l'Elysée. J'ai pu ce matin même regarder cet article avec le Président Mitterrand et constater avec lui l'identité de vues, qui est très claire. Le gouvernement italien estime que la monnaie unique est un bien pour l'Europe, et que ce qui est établi dans le Traité de Maastricht en ce qui concerne la politique de rigueur et l'amélioration de toutes les économies doit être suivie et ne doit pas être changée : je me réfère explicitement au premier point : le rapport entre la dette publique et le produit intérieur brut et où l'on doit ne pas dépasser un niveau de 60 % £ deuxième point : mentionner la règle selon laquelle le déficit public ne doit pas dépasser 3 % du PIB tandis que l'inflation de chaque Etat ne doit pas dépasser 1,5 %, l'inflation de l'Etat le plus vertueux.
- Nous sommes convaincus que la politique du gouvernement italien dans cette direction doit poursuivre cette voie-là. Nous sommes convaincus que l'on peut obtenir une monnaie unique au-delà des convergences des systèmes économiques. Nous citons un exemple, ou plus d'un exemple : la Belgique a un rapport dette publique sur produit intérieur brut de 160 %, elle a la même monnaie que le Luxembourg, le pays le plus riche qui a la meilleure performance en Europe à cet égard. Il peut y avoir des régions très riches comme celles du nord de l'Italie et des régions plus pauvres comme les régions du sud qui partagent la même monnaie. Nous sommes donc convaincus qu'avec une monnaie unique, cela pourrait accélérer et faciliter le progrès de notre économie vers les critères de Maastricht. Telle est notre pensée. Donc, il n'y a aucune modification des accords de Maastricht de la part de l'Italie. Il y a cette théorie différente, mais nous nous sommes engagés avec la loi de finances qui est une loi rigoureuse qui va être approuvée par le Sénat italien £ nous allons vers la convergence telle que le prescrit Maastricht. En 1997, nous espérons que l'Italie respectera les paramètres indiqués. Si tel n'est pas le cas, ce n'est qu'à ce moment-là qu'on pourra commencer une discussion sur la possibilité pour les pays qui n'auront pas atteint ces objectifs, de profiter de la monnaie unique, car ce serait là quelque chose qui diviserait, le fait que certains pays pourraient utiliser la monnaie unique et d'autres, non. Je voudrais dire aux journalistes italiens qu'à cet égard, il n'y a aucune distance entre nous et la politique française, entre nous et le Président Mitterrand.
- QUESTION.- Je m'adresse au Président du Conseil italien pour lui demander si véritablement il n'y a aucune différence entre l'Italie et la France sur la position de l'Italie par rapport à la monnaie unique, même en présence d'économie divergente ?
- M. BERLUSCONI.- La réponse que je vous ai donnée, ce n'est pas une proposition que nous avons faite, c'est une théorie. Il y a une différence de conviction mais dans l'action, cela n'a aucune influence. Donc nous procédons à une action rigoureuse et ce n'est que si l'on ne parvient pas à atteindre ces 60 % - puisque nous avons hérité d'une situation très négative du passé, nous agirons pour que change cette position - si nous n'arrivons pas aux critères en 1997, eh bien, on verra à ce moment-là ce qu'il faut faire.\
QUESTION.- Au sommet d'Essen, vous aviez dit que vous aviez une petite idée sur la réponse que fournirait Jacques Delors quant à sa candidature ou sa non candidature à la présidence de la République, et vous aviez dit que l'occasion viendrait pour préciser cette petite idée que vous aviez. Est-ce que vous pouvez le dire maintenant ? Est-ce que vous vous doutiez qu'il irait ou qu'il n'irait pas ?
- LE PRESIDENT.- Je ne pense pas que j'écrirai mes mémoires mais enfin je vous le confierai tout à l'heure si vous voulez passer me voir. Cela n'a pas beaucoup d'importance, ni d'intérêt quand même. En général, j'ai beaucoup de défauts mais je suis un assez bon prévisionniste.
- M. BERLUSCONI.- Moi aussi je suis un très bon prévisionniste parce que M. Delors m'avait confié ses intentions... j'ai tenu le secret.
- LE PRESIDENT.- M. le Président du Conseil, vous souhaitez ajouter quelque chose ?
- M. BERLUSCONI.- Non, merci à tous de votre accueil.
- QUESTION.- Une question pour M. Berlusconi : quand vous êtes arrivé ce matin sur la place d'Aix-en-Provence, on vous a sifflé. Pourquoi d'après vous ?
- LE PRESIDENT.- Laissez-moi répondre à cela. Il y a de tout pour faire un monde. La France est un pays libre. Evidemment quand je reçois des personnalités étrangères, je suis plus à l'aise quand c'est l'acclamation générale, mais moi-même, je n'en reçois jamais, donc je ne vois pas pourquoi M. Berlusconi aurait été l'objet d'une marque d'hostilité particulière. Il y a en effet quelques Français qui semblaient mécontents de la présence de M. Berlusconi sur le sol français, mais il y en avait beaucoup d'autres qui avaient un sentiment contraire. Un minimum de courtoisie veut que la France soit satisfaite de recevoir ses hôtes étrangers, surtout lorsqu'elle les invite.
- M. BERLUSCONI.- Je répondrai moi-aussi. Je pense que nous avons donné un bel exemple de masochisme, si vous me le permettez. M. Tapie était à côté de moi, il m'a dit que c'était les fans de l'OM qui avaient un litige avec l'AC Milan, parce que Milan remplaçait l'OM, qui avait été disqualifié. Ce sont les fans de l'OM, c'est tout.\