9 novembre 1994 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe de MM. François Mitterrand, Président de la République, et Omar Bongo, Président de la République du Gabon, sur le bilan de la politique de coopération française en Afrique et sur la prévention des conflits interafricains, Biarritz le 9 novembre 1994.

La XVIIIème conférence des chefs d'Etat de France et d'Afrique vient de s'achever. Il avait été prévu de la tenir en France, selon la règle de l'alternance retenue il y a quelques années. Elle a eu lieu, et vous nous retrouverez la fois prochaine dans un pays d'Afrique qui sera le Burkina Faso, ce qui explique la présence du Président Compaore à mes côtés puisqu'il me succède désormais à la tête de cette organisation, alors que je succédais moi-même au Président Bongo, qui nous avait réunis à Libreville.
- Vous avez vous-mêmes remarqué à la fois les présences et les absences. J'ai noté surtout que vous aviez souligné l'absence du Rwanda. Certains d'entre vous ont souligné la présence de l'Afrique du Sud, de l'Erythrée, de l'Ethiopie, du Zimbabwe.
- Il y a eu un échange de vues, naturellement. Sur les trente-six participants, quelque vingt-cinq sont intervenus. L'accord est général, car les difficultés ne sont pas entre les Etats généralement francophones et la France. Les difficultés sont d'un autre ordre et se situent sur un autre plan. Nous cherchons, nous, simplement à nous entraider, à faciliter notre tâche. La France, seul grand pays industriel de cet ensemble, cherche à se faire l'avocat le plus persuasif possible des justes intérêts de ces peuples qui ont dû construire en si peu de temps leur indépendance, leur souveraineté, réaffirmer leur identité, et ceci coïncidant avec une crise économique dont ils ont été les premières victimes. Il faut donc ne pas mésestimer la qualité de leur effort comme on a tendance parfois à le faire.
- Vous avez entendu mon exposé initial, j'ai insisté sur trois points : le premier d'entre eux touchait la démocratie. C'était une façon de reprendre à distance les thèmes du discours que j'avais prononcé à la Baule, thèmes controversés, mais seules les positions importantes sont controversées. Finalement, j'ai constaté que dans la plupart des pays auxquels je m'adressais, un début et quelquefois même une forte avancée d'institutions démocratiques et d'habitudes démocratiques s'est mise en place.
- Mais il ne faut pas oublier que ces Etats africains sont des Etats indépendants. Beaucoup de Français continuent d'avoir des sortes de réflexes coloniaux, comme s'il suffisait de claquer dans nos doigts, pour que ces populations soient à notre disposition. Tel n'est pas mon sentiment. Je porte trop de respect aux peuples africains pour avoir ce type de réaction. Mais j'observe qu'au nom de ce retour au colonialisme, on nous reprocherait de ne pas avoir obtenu à cent pour cent les demandes que j'adressais aux peuples africains, il y a quelques années. C'est un long travail, d'autant plus que les lois doivent traduire les moeurs et les moeurs évoluent plus rarement et moins rapidement que les lois. Il faut donc avoir une vue à la fois réaliste et compréhensive, our saisir le problème dans son ensemble.\
J'ai été très flatté et très reconnaissant de la motion de remerciement qui a été adoptée à la demande du Président Compaoré par l'ensemble des pays d'Afrique. Nous avons mené une longue action pendant de longues années, qui a précédé mon élection à la présidence de la république. J'ai déjà eu l'occasion de dire que mon premier voyage en Afrique date de 1946. On aurait pu en célébrer le cinquantenaire ! Rassurez-vous, ce n'est pas mon intention. Les célébrations d'anniversaire, ça va. De ce point de vue, 1994 m'aura plus que comblé. Je veux simplement dire - les plus anciens d'entre vous que j'aperçois ici, s'en souviennent - que c'est un terrain que j'ai toujours aimé. J'ai donc connu plusieurs générations de dirigeants africains. Je les ai connus chez eux. Ce n'est pas parce que le moment arrive où l'on va se séparer, que l'on va verser des pleurs. C'est la loi de la vie et de la nature. Si cela durait tout le temps, cela ferait souffrir trop de gens. Et soi-même.
- Je garderai de mes relations avec la plupart des Etats d'Afrique de fortes impressions, de grands souvenirs et un réel attachement pour beaucoup de personnalités remarquables que j'ai eu l'occasion d'y connaître.\
Le deuxième thème développé a été celui de la prévention des conflits et de leur règlement. Comment organiser la sécurité collective ? Ce débat a eu lieu £ je ne veux pas le reprendre là. Ce débat s'est fixé autour de l'idée d'une force nouvelle qui aurait pour mission d'intervenir à temps avant, et de façon utile, après, pour panser les blessures et contenir les violences. C'est un problème très difficile. Nous tenons, par exemple, à ce que soient toujours respectées les règles de droit, et le droit ne vient pas spécialement d'une décision de la France. Le droit international tel que nous le reconnaissons, émane des Nations unies. Il faut donc que les Nations unies s'expriment de même que l'Organisation de l'unité africaine. Et puis, si on en arrive là, comme je le souhaite, ensuite il y aura des problèmes d'organisation et de mise en oeuvre. Nous sommes donc au début d'un processus assez complexe mais qui me paraît très positif. Quand on a vu les délais qu'il a fallu dans les récents conflits et génocides pour que l'ONU se mette en branle, on est obligé de constater que le droit ne vient pas toujours contrecarrer la force. Or, c'est bien son objet, tout droit démuni de moyens de force est vite nié par ceux qui précisément bâtissent leur fortune contre le droit.
- J'ai suggéré que les ministres des affaires étrangères, et les autres ministres compétents puissent se réunir entre deux sommets pour essayer de faire le point, et faire avancer les choses. Ce n'est pas tous les deux ans qu'on va ajouter une pierre à l'édifice. Dans ce cas là, il faudrait un millénaire pour y parvenir !\
Quant à la croissance et au développement, thèmes qui nous sont chers, nous avons fait un nouveau bilan. D'abord, celui de la dévaluation qui, d'une façon générale a bien correspondu à ce que nous souhaitions : elle a même réussi, mais pas partout. Donc, nous avons un devoir de solidarité à l'égard des pays qui se sont trouvés en état de choc du fait d'une dévaluation dont nous avons eu l'occasion de parler, y compris à Yamoussoukro, il y a quelques mois. Nous avons parlé d'intégration économique régionale. Nous avons décidé de mener une bataille sérieuse pour que la répartition des crédits, tels qu'elle avait été décidée à Lomé la dernière fois, soit pour le moins maintenue sinon renforcée £ en tout cas qu'elle ne soit pas diminuée comme cela pourrait se produire si l'on ne nous écoutait pas. Chacun a continué d'insister sur le traitement de la dette. La France a toujours été à l'avance sur ce plan et elle a, elle-même, renoncé à un certain nombre de ses créances publiques. Elle ne peut pas renoncer aux créances privées. Elle a abandonné cent pour cent de ses créances publiques à l'égard de nombreux pays, en tout près de trente-cinq. Cela représentait d'abord 27 milliards de francs, ensuite 25 milliards. Je ne dis pas cela pour faire valoir nos services mais pour que vous vous rendiez compte qu'il ne s'agissait pas de quelques propos verbaux. C'est une réalité financière importante et nos amis Africains l'ont parfaitement comprise, d'autant plus que d'autres pays sont convenus de contribuer à notre effort : le Canada, l'Allemagne etc.
- La croissance est variable selon les pays. L'Afrique apparaît comme le continent qui a le plus perdu de terrain au cours de ces dernières années. Les statistiques nous montrent tout de même qu'il pourrait y avoir un cran d'arrêt à cette décroissance et que l'on peut espérer un indice de croissance supérieur au développement démographique. C'est en tout cas dans ce sens que vont les indications scientifiques qui nous sont procurées. Et puis, il y a les hommes et les hommes se battent, luttent contre l'infortune, les difficultés de la vie, les climats etc. Il faut compter sur eux. Tout est toujours possible. Rien n'est jamais perdu d'avance. Je suis même plus optimiste que cela : je crois que ce continent finira par gagner la bataille sur lui-même dont il a le plus grand besoin.\
QUESTION.- Monsieur le Président, à propos de cette force interafricaine de maintien de paix, est-ce que vous quittez Biarritz avec des structures ou un schéma qui a été proposé ou est-ce que vous laissez les ministres des affaires étrangères s'en occuper ?
- LE PRESIDENT.- Il y a tout de même un certain nombre de principe qui ont été définis. d'abord, l'origine des droits : les Nations unies, l'OUA. Cela ne peut pas être une initiative d'une pays. Mais il faut un accord aussi général que possible. En tout cas des accords régionaux. Ensuite, des problèmes de structure et de commandement. Ce n'est pas un pays, la France qui va dire : "Eh bien voilà, j'organise une troupe armée. J'en prends le commandement et j'expédie cette troupe armée là où je veux". Ce serait un retour à des procédures qui ont laissé de mauvais souvenirs. Telle n'est pas notre intention. Il faut donc qu'il y ait une décision collective. C'est ce point dont nous avons commencé de parler que les ministres devront mettre au net. Donc, je vous répondrai à la fois : "On a avancé" et, d'autre part, "c'est en effet aux ministres de traduire en termes tout à fait concrets une idée dont vous apercevez la difficulté".\
QUESTION.- Vous avez évoqué l'absence du Rwanda. J'en profite pour savoir si vous avez le sentiment que cette absence du Rwanda au sommet est une occasion perdue pour essayer d'obtenir un nouveau dialogue avec Kigali ?
- LE PRESIDENT.- Non, je ne le crois pas. Tout contact est bon £ c'est certain. Et si l'évolution des faits s'était produite plus rapidement, cela aurait été une excellente chose que le Rwanda ait pu prendre part à la conférence d'aujourd'hui, certainement. Il n'y a pas d'objection de principe, loin de là. Le Rwanda est un pays souverain, reconnu par l'ensemble des nations et sa présence parmi nous, - d'autant plus qu'il s'agit d'un pays francophone - s'impose et s'imposera. Là, nous sommes simplement dans une situation de transition. Est-ce que le désir de venir à Biarritz a été clairement exprimé ? Pas devant moi en tout cas. Nous sommes encore dans les séquelles d'un conflit qui reste douloureux. Et le premier souci des nouvelles autorités du Rwanda n'est pas de se précipiter à une conférence des chefs d'Etat de France et d'Afrique. La France a rétabli ses relations diplomatiques avec le Rwanda. Elle a même été l'un des premiers pays à avoir une représentation, aujourd'hui, à Kigali. Tout cela se met en place et la conférence de Biarritz est arrivée à un moment où cette mise en place n'était pas achevée. Et je répète qu'il n'y a aucune objection de principe à la présence du Rwanda parmi nous.\
QUESTION.- Monsieur le Président, dans le discours que le président Omar Bongo a prononcé à l'ouverture de ce sommet, il a dit en des termes on ne peut plus voilés qu'il fallait un effort supplémentaire de la communauté internationale pour alléger le fardeau de la dette des pays africains. Est-ce que vous avez pris en compte ce problème de traitement de la dette de l'Afrique et le second volet de ma question serait de savoir en ce qui concerne le plan Marshall que le Président Bongo a proposé, est-ce que vous n'avez pas comme impression que ce plan Marshall est indispensable aujourd'hui pour le continent africain et qu'il serait intéressant, à la veille de votre départ de la scène politique internationale, de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour que l'Afrique puisse avoir son plan Marshall et sortir du sous-développement, de la mendicité et de tous les autres maux ?
- LE PRESIDENT.- Pour la dette, mon attitude a été constante. J'ai rappelé mais il fallait que cela soit rapide, quelques éléments des décisions dont j'ai pris l'initiative à Toronto, puis à la tribune des Nations unies, décisions reprises par d'autres pays, qui ont allégé considérablement la dette publique dans la plupart des pays africains. Il y avait les pays franchement pauvres, et je me souviens que nous avions créé une catégorie intermédiaire à laquelle appartenait le Gabon qui était un petit peu au-dessus de la ligne que nous avions fixée, mais pas tellement riche non plus. On a quand même négocié, on est arrivé à des résultats. Nous n'avons pas établi des règles impératives au-dessous desquelles on pouvait trouver réponse au problème de la dette et au-dessus desquelles c'était interdit. Donc on a été extrêmement souple. On a touché comme cela quelque trente-cinq pays. Je ne demande qu'à continuer et j'ai bien l'intention de saisir les prochaines occasions qui me seront données, groupe des Sept ou des Huit ou les conférences européennes pour continuer de poser ce problème de l'aide par le désendettement et par des initiatives unilatérales des pays les plus riches, afin d'en finir avec ce problème qui continue de peser sur le redressement des pays africains. Ne nous perdons pas dans les problèmes de droit mais politiquement, par rapport aux exigences de l'avenir, c'est un point insupportable. Toutes ces générations ont besoin de vivre, et si on les oblige à payer actuellement des intérêts qui sont plus lourds que leurs propres revenus, c'est les vouer à une ruine à travers le siècle qui commence. Donc c'est une bataille que je poursuivrai autant que le pouvoir m'en sera donné.
- Quant au plan Marshall, c'est une belle comparaison, facile à comprendre pour un pays occidental. J'espère que l'on fera beaucoup mieux, parce que le plan Marshall a correspondu à des sommes, qui étaient à l'époque considérées comme très importantes et qui aujourd'hui seraient très insuffisantes. Il faut faire beaucoup plus, mais enfin, l'idée est là, c'est une bonne idée.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez lancé hier un appel à vos successeurs pur qu'ils ne bradent pas la politique africaine de la France. Alors nous imaginons que vous avez quelques craintes pour avoir lancé cet appel. Pourquoi ces craintes ?
- LE PRESIDENT.- Ecoutez, vous avez des souvenirs personnels qui ne coïncident pas avec les miens. Ai-je parlé de "braderie" ? Je n'ai pas dit : "Eh bien M. Balladur, vous allez brader ? Il va y avoir la statue du commandeur qui va apparaître pour vous faire des reproches" ! Non, je ne soupçonne pas le gouvernement de la France de vouloir renoncer à une grande politique qui figure parmi les axes essentiels de nos choix internationaux. Simplement, je répète mes avertissements : attention, c'est une priorité pour la France. Donc je ne crois pas qu'on puisse traduire mes propos sous forme de mise en garde, d'angoisse et d'affirmation de méfiance. En tout cas, si tel a été votre sentiment, j'aimerais le corriger.\
QUESTION.- A M. Bongo et M. Compaore - Que pensez-vous de cette idée d'une force africaine de maintien de la paix ? Et spécifiquement qu'est-ce que vous demandez à la France comme aide pratique, soutien logistique ou formation militaire ?
- LE PRESIDENT BONGO.- Je crois que vous avez entendu ce que le Président Mitterrand a dit de la force d'intervention africaine. C'est une idée qui a beaucoup germé dans la tête des Chefs d'Etat de l'OUA et nous ne sommes jamais arrivés à faire quelque chose de bon pour des raisons que j'ai eu à évoquer. D'abord, des raisons financières, matérielles, logistiques, mais cette fois-ci nous avons repris l'idée, parce que la dernière partie qui s'est jouée au Rwanda a fait en sorte qu'il faut qu'on fasse quelque chose.
- Vous avez pu constater qu'au Rwanda, il y a eu un temps mort, n'eût été le courage de la France qui a volé au secours du Rwanda. Et puis si nous n'avions pas continué par la suite, on n'aurait rien fait. Mais dans ce que le Président Mitterrand vous a dit hier, nous nous sommes aussi posé des questions. On a dit : "est-ce qu'on va reprendre cette histoire sous la bannière de l'ONU ou de l'OUA" ? Finalement, je crois que la question a semblé germer tout simplement dans l'esprit des chefs d'Etat des pays francophones qui ont dit : "nous allons essayer de bâtir quelque chose, à la mesure des pays francophones, et puis les autres qui voudront adhéreront. Ensuite, nous aurons, soit la couverture de l'OUA, soit la couverture de l'ONU". Donc, c'est une idée qui s'est construite. Je pense que, comme l'a dit aussi le président, les ministre des affaires étrangères vont se réunir avec les chefs militaires de nos pays respectifs pour trouver voies et moyens pour que cette force voit le jour.
- LE PRESIDENT COMPAORE.- Je voudrais ajouter ceci à la suite de ce que le Président Mitterrand a dit tout à l'heure : il s'agit d'une question qui a quand même un certain nombre de contours de droit, de géopolitique et bien sûr de moyens. De droit parce que nous avons la question de l'ONU, les mécanismes de l'OUA, et cela se déroule sur un continent africain. La France doit apporter son concours en tenant compte de tous ces facteurs. Si vous prenez la région ouest-africaine, nous ne pouvons pas traiter de la sécurité de la sous-région sans le Nigéria qui n'est pas là aujourd'hui, ou le Ghana. C'est dire que c'est une réflexion qui va nous permettre de préciser les dimensions d'ensemble de la question, afin de mieux structurer les dispositions pour servir la sécurité sur le continent, avec l'appui de la France, de l'Europe et de l'Amérique, en ce qui concerne les moyens logistiques et même d'instruction.\
QUESTION.- Monsieur le Président, dans la version écrite de votre discours, il est fait mention à propos du Rwanda de la guerre civile et des génocides qui s'en sont suivis. Quels sont ces génocides ? Les génocides au pluriel ?
- LE PRESIDENT.- Par écrit, c'était au pluriel et oralement c'était au singulier. Ce sont les mystères de l'éloquence. Vous voulez dire qu'il y avait un génocide qui s'est subitement arrêté avec la victoire des Tutsis...
- QUESTION.- Je m'interroge sur la bonne version ?
- LE PRESIDENT.- Je m'interroge aussi.\
QUESTION.- Monsieur le Président, au bout de quatorze ans, est-ce que vous avez l'impression que vous avez fait assez pour la démocratie en Afrique ou est-ce que vous avez trop souvent dû sacrifier à la raison d'Etat, en voyant, par exemple, ce qui s'est passé concernant le président Mobutu, qui est redevenu un interlocuteur valable après l'affaire du Rwanda notamment ?
- LE PRESIDENT.- Mais, madame, est-ce que vous arriverez - et je vous connais depuis longtemps et j'ai beaucoup d'estime pour vous - à sortir de l'Etat colonial ?
- Où avez-vous pris que les habitants, que les peuples d'un Etat donné allaient demander la permission au président de la République française de voir tel chef d'Etat plutôt qu'un autre, si vous jugez que celui-ci ou celui-là n'est pas un bon chef d'Etat ? Mais ce n'est pas vous qui finalement déciderez, ni moi non plus. Donc, le problème est, permettez-moi de vous le dire, mal posé. Quand j'ai énoncé les principes de La Baule, c'était d'ailleurs le résultat d'une politique beaucoup plus ancienne, il n'étaient quand même pas possible pour la France de se brouiller avec un certain nombre de pays amis, parce qu'elle avait une mésentente avec tel ou tel chef d'Etat. Il n'y a pas eu de complaisance. Il y a même eu des moments difficiles. Mais j'ai essayé de concilier précisément cet art des compromis, pas sur les principes mais sur les faits, avec la patience indispensable. Les événements ne nous obéissent pas au doigt et à l'oeil. Et finalement, dans tous les pays en question, des procédures démocratiques ont été mises en place £ avec plus ou moins de bonne volonté, avec plus ou moins de rapidité. C'est selon ! Mais dans ces dix-sept pays, il y a des élections. Ces élections sont contrOlées, généralement de façon internationale. Il y a pluralisme des partis £ il y a liberté de la presse !Mais on peut me dire : "Oui, mais tout cela n'a pas fait disparaître, d'un seul coup, un certain nombre de moeurs antérieures"> C'est vrai, avec des différences selon les pays. Mais c'est vrai que c'est une oeuvre de longue haleine. Donc, je ne pense pas avoir été complaisant. D'ailleurs, mes partenaires africains ne me prennent pas pour cela. Certains même ont trouvé que je ne l'étais pas assez. Il y a eu des plaintes, des récriminations, des regrets, quelques difficultés politiques. Mais c'est une ligne que j'ai continuée et que je continuerai jusqu'au bout. Je n'ai pas cherché la disparition des chefs d'Etats. Moi, je n'ai pas le réflexe colonial mais je souhaite que des pays africains puissent passer au stade, que je crois supérieur, d'une vie démocratique, et s'engagent sur cette voie. Regardez autour de vous et vous verrez que sur ces dix-sept pays, j'en cite dix-sept, parce que je parle des francophones proprement dits, quatorze ont changé de constitution, de chefs d'Etat, d'équipes, de gouvernements ! Aux peuples d'apprécier s'ils ont gagné au choix ! Ce n'est pas mon affaire. Et ceux qui ont eu pour eux la durée, qui ont su assurer la transition et donc continué d'exercer leurs fonctions avant et après, c'est parce qu'ils ont montré une aptitude particulière à s'adapter tout en faisant valoir leurs propres mérites aux yeux de leur peuple. Mais, je ne partirai pas avec le sentiment d'un échec en Afrique. Pas du tout, contrairement à ce que j'ai lu sous certaines plumes, ce matin encore, qui ont discerné dans mes propos je ne sais quelle amertume, peut-être à cause du singulier ou du pluriel. Mais, non pas du tout ! Je sais ce que sont les hommes. Je sais combien toute entreprise politique de cette envergure est difficile. Je sais combien il est difficile d'aller contre le poids de l'histoire. Mais il faut toujours essayer £ on a essayé et je ne me plains pas du résultat. Idéalement, naturellement, on pouvait faire mieux. Alors, idéalement, on peut faire tous les contre-sommets que l'on veut.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que la France a l'intention de demander à ses partenaires européens de contribuer à la constitution de cette force de paix ?
- LE PRESIDENT.- Oui, nous allons de plus en plus mener notre action dans le cadre de l'Union européenne. Pour certains des pays membres, c'est un ordre de préoccupation assez éloigné. D'autres sont quand même très proches de nous. Il y a même certains pays qui ne sont pas de grands pays industriels européens, qui adhèrent à l'Union européenne, c'est assez remarquable, je pense aux Pays scandinaves, je pense aux Pays-Bas par exemple, qu'on oublie généralement dans le cadre des statistiques, leur effort individuel en remontre à bien des grands emprires. Donc, nous trouverons des concours. Nous, notre soutien naturellement sera logistique.\
QUESTION.- Vous posez la question sur la manière de prévenir les conflits et de gérer les guerres larvées et déclarées. Quelles suggestions faites-vous pour le Maghreb en crise d'identité, s'il vous plaît ?
- LE PRESIDENT.- Le Maghreb pose des problèmes très particuliers avec cette densité de population. Ce sont des pays dont l'histoire est quand même différente, très particulière. Nous ne possédons pas de solutions pour prévenir le conflit algérien, par exemple. On le voit bien, les autres pays connaissent des poussées d'intégrisme contenues différemment selon les cas, et aucun n'a atteint ce déchirement de guerre civile qui, aujourd'hui, frappe si douloureusement l'Algérie. En tout cas, c'est un conflit dont les racines sont si lointaines que pour prévenir le malheur d'aujourd'hui, il aurait sans doute fallu agir beaucoup plus tôt et bien avant que je sois moi-même en cause à partir de 1981. Il y a eu des élections. Elles n'ont pas été suivies d'effets. A partir de là, chacun s'est muré dans sa vérité. Je pense que le règlement de ce conflit ne peut qu'être le résultat d'un effort considérable de chacune des deux parties, pour essayer de développer leur pays dans le respect des règles communes. Mais quand une guerre est engagée de cette façon, c'est beaucoup plus difficile. C'est pourquoi il vaut mieux prévenir.\
QUESTION.- A votre avis, quelles sont les grandes lignes de la nouvelle forme de coopération franco-africaine ?
- LE PRESIDENT.- Je ne vais pas recommencer tout. Vous m'en demandez trop. Je dirais simplement que la dévaluation a été une décision très difficile à prendre. Elle a été vivement recommandée par le directeur général du Fonds monétaire international, qui a fini par nous convaincre. Pendant plusieurs années, j'avais dit non, puis j'ai fini par lui dire oui. Ses arguments étaient forts. La comparaison avec les pays voisins imposaient certaines réponses, et cela s'est fait. Mais cela s'est fait avec des compensations £ c'étaient des compensations bilatérales extrêmement importantes, puisqu'était multipliée par un fort coefficient l'aide antérieure. C'étaient aussi des contributions internationales, appuyées sur le Fonds monétaire international. Pour ce qui concerne la France, les engagements ont été tenus, et continueront de l'être. Je n'ai pas lieu de mettre en cause je ne sais quelle suspicion à l'égard des institutions internationales, mais il faut qu'elles tiennent la route, et nous y veillons. Mais pour ce qui concerne la dévaluation, elle est en train de réussir. Cette opération si difficile qui a posé aux chefs d'Etat des questions vraiment très lourdes est en train de réussir. J'entends encore ce que disait le Président Compaoré à Yamoussoukro. Je sors d'une conversation avec M. Konan Bedie pour la Côte d'Ivoire qui me disait qu'un concours de circonstances heureux faisait qu'aujourd'hui la Côte d'Ivoire se trouvait dans une position meilleure qu'elle n'était. Ce n'est pas vrai de tous. Ceux qui souffrent encore de la dévaluation doivent être aidés particulièrement. Mais de là à me faire dire ce que vous dites sur un changement de cap, ce n'est pas exact.
- QUESTION.- Il a été beaucoup question du Rwanda, mais aussi de la prévention et de l'idée qu'il valait mieux intervenir à temps. QUESTION. - Mais qu'avez-vous fait à ce sommet concrètement pour le Burundi qui était parmi vous, qui est un pays qui chemine depuis plusieurs mois au bord d'une très grave crise, et qui est peut-être un bon objet de prévention ?
- LE PRESIDENT.- Le Burundi est très exposé, pour les raisons qu'a vécues le Rwanda. A présent ce sont des ethnies rivales, des ambitions concurrentes, des souvenirs historiques cruels. C'est vrai que le Burundi en est en six mois à son troisième président, les deux autres ayant été assassinés. Nous en avons beaucoup parlé, mais entre l'idée de cette force de prévention et sa mise en place, il faut du temps. Je ne peux donc pas dire que ces deux jours de Biarritz aient suffi pour mettre en place la force de prévention que je souhaite. Simplement, une longue intervention intéressante du président du Burundi nous a permis de mettre nos idées en place. Entre le moment où l'on lance le projet et le moment où on le réalise, il se passe un certain délai dangereux. Ce n'est pas aussitôt dit, aussitôt fait.\
QUESTION.- Quelle est la prochaine potion pour servir ce développement économique et, à mon avis, l'essentiel ne serait-il pas de renégocier tous les accords bilatéraux pour qu'ils soient un peu plus justes ?
- LE PRESIDENT.- S'il s'agit d'être plus juste, il faut le faire. Les négociations, ce n'est pas commode.
- LE PRESIDENT BONGO.- Je ne demande pas l'aumône au Président Mitterrand. Il ne faut pas non plus qu'après trente quatre ans d'indépendance que nous soyons là à pleurer. Il faudrait qu'on essaie de faire les choses par nous-mêmes et pour nous-mêmes. Alors, je prends le cas du Gabon. Nous pensons que les prêts d'ajustement structurel sont une bonne chose pour le Gabon, même si le remboursement coûte cher parce qu'il faut rééchelonner et quand on paye, on rembourse l'intérêt plus le capital.
- Bien, mais il faut s'y faire. Autant avoir cela que rien. La dévaluation est arrivée. J'étais l'un de ceux qui étaient contre la dévaluation parce que j'estimais que nous n'étions pas encore bien préparés. Pour la première fois, quand on nous a parlé de la dévaluation, j'étais avec mes collègues Compaoré, Diouf, et le défunt Houphouët-Boigny, nous avons été voir le Président Mitterrand. Le Président Mitterrand nous a compris. La dévaluation n'a plus eu lieu mais, par la suite, ces messieurs qui sont là-bas, ils ont forcé, forcé, forcé : j'ai dit "non". Finalement, nous nous sommes trouvés tous ensemble. On a dit : "Bon, essayons de dire "oui". Et nous avons essayé de dire : "oui". Nous avons exigé aussi qu'il y ait un canevas sur les mesures d'accompagnement.
- Mais, pour moi, dans cette histoire de dévaluation, ce qui a été important, c'est que le Gabon a été longtemps considéré comme un pays riche, auquel la Banque Mondiale ne pouvait plus faire un prêt. Mais nous sommes redevenus éligibles à la Banque mondiale. Donc, tout se passe très bien. L'essentiel, c'est qu'on tienne bon ! C'est qu'on se serre la ceinture. Je crois que dans un an, dans deux ans, le problème de la dévaluation sera oublié. Mais il faut le dire ! QUESTION.- Entre l'aide économique et la démocratisation, est-ce que cela veut dire qu'après cette instabilité, la France est beaucoup moins attentive maintenant, peut-être moins agressive sur la démocratisation ?
- LE PRESIDENT.- Pas du tout. Ce sont des interprétations. J'évite de répéter la même chose. Il m'arrive aussi de ne pas lire strictement mes notes. Très souvent, les papiers, je les mets-là, et puis je dis ce que je pense sur le moment. Donc, cela déroute quelquefois les journalistes qui se réfèrent au papier originel et qui entendent autre chose. Ce qui m'engage, c'est ce que je dis. Mais je pourrai redire intégralement ce que j'ai dit à La Baule. Et j'en maintiens tous les termes.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que vos interlocuteurs africains ont montré un certain intérêt pour l'élection présidentielle, la campagne en France qui commence actuellement pour savoir qui sera leur prochain interlocuteur à l'Elysée ?
- LE PRESIDENT.- Aucun d'entre eux ne m'en a parlé, peut-être ont-ils voulu me ménager, je ne le pense pas. Mon successeur, c'est le peuple français qui le désignera en temps utile. Donc, on ne m'a pas consulté spécialement de la part de nos amis africains qui ne manquent pas de délicatesse et qui n'ont pas voulu sans doute régler l'ordonnancement de mes obsèques politiques. Non, personne ne m'en a parlé, strictement personne. Je ne dis pas que cela ne les intéresse pas, mais je n'en sais rien, vous leur poserez la question.\