3 octobre 1994 - Seul le prononcé fait foi

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Toast de M. François Mitterrand, Président de la République, sur les relations franco-japonaises, la prochaine création d'une "Maison de la culture du Japon" à Paris et le soutien de la France à la candidature du Japon au Conseil de sécurité de l'ONU, Paris le 3 octobre 1994.

Sire,
- Vous nous faites l'honneur de visiter notre pays, c'est la première fois dans l'histoire des relations entre le Japon et la France que l'Empereur du Japon est accueilli dans ce pays en visite d'Etat.
- J'y suis d'autant plus sensible que je m'étais moi-même rendu en 1982 au Japon dans les mêmes circonstances, une visite d'Etat, première visite d'un Président de la République française au Japon. Vous étiez venu à titre personnel et je crois bien que nous nous étions rencontrés en 1953, lorsque vous étiez venu à Paris en vous rendant au couronnement de la Reine Elisabeth. Voyez le temps s'est raccourci vous voici de nouveau ici et j'en suis très heureux, très honoré d'être précisément celui qui vous reçoit.
- Madame, nous nous sommes réjouis de vous voir accompagner l'Empereur. J'ai déjà rappelé lors des premières paroles d'accueil à l'aéroport quel prix j'avais attaché à votre hospitalité dans les années précédentes, les douze dernières années où plusieurs fois j'ai pu me rendre à Tokyo. Toujours vous m'avez réservé la plus charmante des hospitalités. Je vous en remercie et j'espère que pendant ces six jours la France, là où vous irez la voir, vous fera ressentir à quel point notre population est très fière de votre visite parce que la France se réjouit, je peux employer ce terme sans excès, profondément de vous accueillir dans un jour pareil. Je crois que la région Midi-Pyrénées où vous vous rendrez après, se prépare déjà à vous réserver ce qu'elle vous doit, c'est-à-dire la réception due à un grand peuple et à celui qui l'incarne. Je veux y voir un symbole d'amitié entre deux pays qui ne se connaissent pas assez. Autrefois on avait l'argument des distances mais aujourd'hui tel n'est plus le cas et l'importance du Japon dans la vie internationale, son activité, ses réussites et je peux le dire le travail accompli par la France au cours de ces derniers demi-siècles permet de penser que nous avons encore à construire beaucoup plus que nous ne l'avons fait jusqu'ici.\
Nous portons naturellement une estime particulière au Japon traditionnel dont l'histoire est venue jusqu'à nous : les moeurs, les coutumes, les traditions, la culture mais il faut le dire aussi le Japon moderne représente aujourd'hui une valeur de symbole : de travail, de réussite, de compétence et c'est un des points sur lesquels nous avons le plus à nous dire. Il y a eu un formidable essor de votre économie après tant de drames et nous avons pu admirer les capacités créatrices de votre peuple, elles forcent l'admiration. Vous avez su construire une démocratie, votre société reste cohérente. Enfin chacun le sait le Japon porte de plus en plus d'intérêt aux grandes questions internationales, joue un rôle de plus en plus important sur la scène mondiale et la France ne sera pas le dernier pays à en reconnaître l'évidence.
- La France, elle, est ouverte sur le monde également de longue date, elle participe autant qu'elle le peut, c'est-à-dire beaucoup, à la marche de l'histoire et de l'histoire contemporaine. Je vous prierai de nous en pardonner mais nous aimons rappeler que notre pays dans de grandes circonstances historiques a porté très loin le message de liberté et qu'aujourd'hui encore la France bien que sa population soit moins forte que la plupart de ses rivaux et amis, dispose d'une forte position parmi les puissances les plus influentes de la terre.
- A l'origine de la construction européenne, dont nous avons parlé cet après-midi, Sire, notre pays garde, je crois, un rôle pionnier d'initiatives et son dynamisme déborde désormais largement les frontières traditionnelles. Nous sommes, vous le savez bien, membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations unies, nous essayons de prendre la part que nous croyons correspondre à nos devoirs pour la défense de la paix, de la liberté, le respect des Droits de l'Homme.
- La France est présente, je crois, à peu près sur tous les terrains où ces problèmes se posent. Mais elle sait qu'elle a le privilège d'être la quatrième puissance économique mondiale et nous savons la place que vous-même occupez. Nous souhaitons que s'instaure une plus grande solidarité internationale, en particulier à l'égard des pays les plus pauvres, et je vous disais, cet après-midi, à quel point je n'arrivais pas à comprendre que les pays industriels avancés n'aient pas encore perçu que c'était encore leur propre intérêt de faire accéder les milliards d'êtres humains à un véritable rôle, à la fois de production étant entendu que les besoins de la consommation iraient naturellement en s'accroissant.
- Votre pays à vous - et sur ce terrain on le rencontre de plus en plus souvent lorsque le débat s'engage dans les instances internationales - est un de ceux aussi dont la vocation dépasse le cadre de la région du monde dans laquelle il se trouve. J'ai parlé de vos succès. Chacun de nous les connaît et les reconnaît. Vous devez aussi avoir vos difficultés. Vous participez activement au développement et à la croissance de nombreux pays dans le monde de l'Asie en particulier par des investissements multiples et puissants. Votre aide publique au développement dans le monde compte parmi les plus importantes. La prospérité économique de votre région, - celle au coeur de laquelle vous vous trouvez -, est je crois sans égale. Elle constitue, je le pense, si on le comprend bien, un puissant facteur de stabilité.\
Compte tenu de l'influence acquise par votre pays, nous pensons - cela a déjà été exprimé par M. le Premier ministre et par M. le ministre des affaires étrangères en plusieurs circonstances - qu'il était devenu souhaitable que, dans le cadre d'une réforme du Conseil de Sécurité, qui reste à approfondir, le Conseil de Sécurité des Nations unies, le Japon y dispose d'un siège de membre permanent à quoi le destinent naturellement son rang, son activité et ses moyens. C'est un débat difficile £ il aura lieu. La France y prendra part comme elle doit le faire. Un sentiment de justice l'occupe. On a besoin du Japon £ le Japon a besoin du reste du monde. Et nous espérons que sur ce plan notre travail en commun s'approfondira.
- Je ne vais pas répéter une fois de plus ce que chacun sait : c'est-à-dire que la France participe éminemment, au premier rang, aux opérations de maintien de la paix des Nations unies et met à la disposition de l'organisation internationale le contingent le plus important. Eh bien, je dois vous dire que nous sommes sensibles au fait que le Japon ait assuré sa participation dans les forces japonaises d'auto-défense dans des opérations humanitaires, que ce soit en Asie ou en Afrique, continent pour lequel la France, plutôt le Japon, montre aujourd'hui un très grand intérêt. Je ne vous cacherais pas que cet intérêt est partagé depuis longtemps par la France.\
Sire, Madame, il y a douze ans, je l'ai rappelé, au début de mon premier septennat, j'avais tenu à honorer l'invitation des autorités japonaises à me rendre dans votre pays. Je souhaitais alors déjà témoigner de la haute estime où nous tenons le Japon. Mais surtout, je tenais personnellement dans la mesure où l'on peut employer cet adverbe à donner un nouveau souffle à nos relations politiques, économiques et culturelles, qui sont à mon avis au-dessous de ce qu'elles pourraient être. A travers les expositions internationales, les livres, les articles etc., on adresse à la France un salut amical assaisonné de quelques paroles bienveillantes sur notre culture, sur notre rayonnement mais généralement ces compliments me paraissent un peu courts car je voudrais bien qu'on prît conscience que la France est un grand pays moderne et que si elle entend bien rester fidèle à son passé qui est, en effet, pour elle une source considérable de prestige, elle entend aussi être considérée comme l'un des grands partenaires du moment. Alors, nous avons déjà avec les gouvernements responsables approfondi, intensifié, notre dialogue. Nous avons appris bien des choses - c'est la vie internationale ! - par exemple que la sécurité ne se divise pas. Celle du continent asiatique nous intéresse comme la sécurité de l'Europe vous intéresse. La France et le Japon, lorsqu'ils agissent de concert, peuvent contribuer de façon déterminante à la stabilité du pays. Si je prends le seul exemple du Cambodge, où il reste beaucoup à faire, je crois que c'est l'action résolue de nos deux pays qui a particulièrement conduit les Nations unies, en accord avec les autorités légales de ce pays, à ouvrir de nouvelles voies pour la paix civile et la reconstruction et de notre solidarité dépend une large part de l'avenir de pays encore troublés.\
Nos relations culturelles se sont diversifiées. Je note, par exemple, l'intérêt croissant des étudiants français qui apprennent la langue japonaise dans nos lycées, nos grandes écoles, nos universités. Je crois que c'est le chiffre le plus élevé en Europe, ce qui est de bon augure pour l'avenir.
- Nos échanges scientifiques se sont accrus - et je le répète - même s'ils ne me paraissent pas à la hauteur de nos capacités, il faut favoriser les contacts entre nos chercheurs et nos laboratoires universitaires. Ils pourront progresser dans des domaines de lutte pour la santé publique : je pense en particulier au sida, pour la préservation de l'environnement, le sida mais aussi le cancer où déjà nous nous étions engagés, il y a une dizaine d'années, dans une campagne commune qui a été retenue par les Nations unies. Ce sont des domaines dans lesquels la recherche française est de très bonne qualité.
- Nous pouvons apporter les uns aux autres des concours utiles à l'ensemble du monde. C'est vrai que nos chercheurs, nos artistes et d'une façon plus générale nos deux peuples dans leur ensemble se connaissent peu, enfin pas suffisamment. L'image que l'on se fait les uns des autres est souvent en décalage avec la réalité, gardons ce qu'il y a de bien, préservons l'essentiel mais commençons à construire ensemble ce qui devra être le prochain siècle, il est là, il est devant notre porte.
- Le lancement en avril 1996 d'une "année de la France au Japon" contribuera je l'espère à donner à mon pays une image plus complète et plus moderne. De façon réciproque la construction de la "Maison de la culture du Japon" à Paris au pied de la Tour Eiffel - je crois que c'est une première en Europe comme l'on dit maintenant dans le langage médiatique - tout cela nous permettra d'avoir une meilleure connaissance, une vrai compréhension de ce qu'est ce grand pays : le vôtre.
- Sire, Madame, nous allons travailler et votre voyage y contribuera beaucoup, à établir ce plus haut niveau de connaissance mutuelle dont je parlais. Ce soir nous sommes réunis, vous avez à vos côtés bon nombre de vos compatriotes que je suis très heureux de recevoir, beaucoup de Françaises et de Français heureux d'être reçus en ce jour. Notre pensée va d'abord vers vous, vers votre famille, vers votre peuple. Les souhaits que l'on forme dans ces circonstances peuvent paraître toujours de pure forme, ce n'est pas le cas. Nous vous souhaitons tout le bonheur possible. Pendant quelques jours cela vous sera dit par les Français que vous rencontrerez. Ils vous diront ce qu'ils pensent, le plus grand bonheur au peuple japonais, à vous même Sire, à vous Madame, à ceux que vous aimez et excellent séjour en France. C'est notre tradition, je lève donc mon verre à l'amitié des peuples du Japon et de France, vive le Japon, vive la France.\