26 novembre 1993 - Seul le prononcé fait foi
Conférence de presse conjointe de MM. François Mitterrand, Président de la République, Edouard Balladur, Premier ministre et Carlo Ciampi, Président du Conseil italien, sur la réduction du temps de travail, la proposition française d'emprunt communautaire et les rapports entre l'Union européenne et les pays riverains de la Méditerranée, Rome le 26 novembre 1993.
M. C. CIAMPI.- Je veux tout d'abord remercier le Président de la République française, M. Mitterrand, et le Premier ministre, M. Balladur, ainsi que tous les ministres du gouvernement français qui sont ici présents. Je voudrais leur transmettre les salutations du gouvernement italien.
- Il est très difficile de résumer une rencontre au cours de laquelle on a traité à tous les niveaux, de toute une série de thèmes et de problèmes d'actualité.
- Le processus de changement en Europe qui a suivi la chute du mur de Berlin a fait qu'aujourd'hui les thèmes principaux abordés ont été : la sécurité en Europe dans cette nouvelle optique des problèmes internationaux, les problèmes de l'intégration européenne, c'est-à-dire la poursuite du processus engagé par le Traité de Maastricht, dans ses deux aspects celui de l'élargissement de la Communauté et celui de la réalisation du Traité de Maastricht dans son esprit véritable d'intégration européenne.
- Sur ces thèmes, la France et l'Italie ont des positions vraiment identiques, semblables, en particulier au cours de nos rencontres les implications des développements de la politique internationale et mondiale ont été soulignées en ce qui concerne la réalité méditerranéenne dont la France et l'Italie sont deux composantes importantes au plan économique, politique et démographique.
- Au cours de ces conversations, on ne pouvait pas laisser de côté des thèmes comme les négociations du GATT qui traversent un moment particulièrement délicat, comme vous le savez. Dans ce secteur aussi, les positions des deux gouvernements sont semblables : nous souhaitons pouvoir atteindre et conclure cet accord au cours des prochaines semaines. Nous ne pouvons pas ne pas avoir pris acte aujourd'hui que des aspects importants pour la France et pour l'Italie n'ont trouvé encore de solution satisfaisante.
- Donc, je me limiterai à ces paroles. Je ne sais pas si M. Mitterrand veut ajouter quelque chose ainsi que M. le Premier ministre Balladur, ou s'ils souhaitent plutôt entendre les questions afin d'y répondre.
- LE PRESIDENT.- Je pense qu'il vaut mieux que messieurs et mesdames les journalistes s'expriment.\
QUESTION.- Je voudrais poser une question au Président Mitterrand. La dernière fois que vous êtes venu en Italie à l'occasion du Sommet de Viterbe, c'était il y a deux ans £ depuis beaucoup de choses se sont passées, beaucoup de changements ont eu lieu. Comment jugez-vous, monsieur le Président, ces changements, et quels seraient les risques que ces changements comporteraient pour notre pays ?
- LE PRESIDENT.- Ces changements évidents procèdent de la volonté du peuple italien lorsque cela se traduit dans des épreuves électorales. Je n'ai donc pas l'intention de me substituer aux électrices et aux électeurs de ce pays pour apprécier leur manière d'agir au cours des très prochaines élections municipales et des futures élections législatives. Lorsque tout cela sera accompli, s'il m'est donné d'exprimer un avis, je le ferai peut-être mais d'ici là, je pense que par respect pour ce peuple, je dois attendre ses décisions.\
QUESTION.- Je voudrais demander au Président Mitterrand et au Premier ministre si la France veut imiter le modèle Volkswagen sur la semaine courte comme un premier pas pour sortir de la crise ?
- LE PRESIDENT.- Moi, j'ai observé les travaux des Assemblées parlementaires françaises et j'ai constaté qu'après une discussion intéressante, au demeurant, la plupart des responsables de la majorité parlementaire avait estimé ne pas devoir aller plus loin. On en est là. C'est certainement une discussion qui ne fait que commencer. La réduction du temps de travail depuis le début du XIXème a été une constante préoccupation du monde des travailleurs. Mais, bien entendu, elle doit être assortie d'autres conditions, conditions liées à la compétitivité et à l'absence de perte de salaire pour celles et ceux qui ont des salaires faibles ou moyens. On ne peut pas dire que ces conditions soient pour l'instant réunies.
- M. BALLADUR.- J'ajouterai quelques mots, si vous le permettez. Pour autant que j'ai compris cet accord Volkswagen, il est limité à une période de deux ans et, si je l'ai bien compris également, il ne se traduit pas par des créations d'emplois mais par l'absence de suppression d'emplois. La discussion qui a eu lieu au Parlement français s'est conclue par l'idée que les pouvoirs publics devaient, sans imposer une solution autoritaire, favoriser des expériences. Nous en sommes là comme le Président de la République vient de le rappeler. Pourquoi des expériences ? Parce qu'il est bien évident que dans l'état actuel des choses, en tout cas, dans cinq ou dix ans qui peut le savoir ? une réduction du temps de travail que n'accompagnerait pas une réduction du revenu aurait tendance à créer du chômage plutôt qu'à le diminuer. Mais, ce qui est important, je le crois, c'est d'admettre beaucoup plus l'idée de l'expérimentation dans la période que nous vivons pour éviter des pertes d'emplois que pour en créer. J'espère qu'un jour la situation des économies des pays européens s'étant redressée, on pourra aller plus loin. Voilà ce que je voulais préciser.
- LE PRESIDENT.- J'ai un mot à ajouter, je dirai simplement aussi que c'est une discussion qui doit être d'abord traitée entre les organisations responsables du travail et, sans doute, au plus près de la réalité, c'est-à-dire, branche par branche, avant que ce ne soit une décision qui vienne d'en haut, je veux dire du Parlement.\
M. C. CIAMPI.- Je voudrais ajouter que le sujet du chômage a été l'un de ceux qui ont le plus retenu l'attention au cours de nos conversations tant au niveau des Présidents qu'au niveau des ministres de l'économie. Ce qui est commun à la totalité de l'Europe, c'est non seulement l'importance du chômage, mais aussi les caractéristiques qualitatives de ce chômage qui n'est pas seulement un chômage conjoncturel et cyclique, mais qui présente des aspects de qualité, de répartition territoriale, de répartition entre les classes d'âges, différents du chômage cyclique. Ce chômage a des implications internationales, à cause d'une situation économique mondiale qui tend à aller vers une distribution différente du travail. Inutile de rappeler les problèmes des pays de l'Europe orientale et des pays en voie de développement. Donc, en ce qui concerne la solution à ces problèmes, elle doit être adaptée aux causes et donc il faut voir d'abord quelle est la capacité des pays développés de trouver de nouveaux modes de production et de nouveaux types de produits, c'est la seule voie. Ensuite, à l'intérieur de cette voie obligée pour une solution du chômage structurel il faut qu'on puisse essayer de mettre en place des accords du type de celui qui a été passé en Allemagne. C'est un élément qui doit être envisagé au plan expérimental, en tenant compte des aspects du marché du travail dans les différents pays. Il s'agit bien d'interventions pour essayer de soulager les dégâts provoqués par le chômage.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez, je crois, lancé l'idée d'un large emprunt communautaire, avez-vous aujourd'hui progressé avec vos interlocuteurs italiens ?
- LE PRESIDENT.- Il a été question spécialement pour le développement des communications entre l'Italie et la France, de recourir à l'initiative de croissance qui a été lancée au Conseil européen d'Edimbourg et qui, comme vous le savez, n'a pas été complètement utilisée. Donc on va dans ce sens. J'ai moi-mme indiqué un chiffre qui me paraissait convenable, (un milliard d'ECUS) et dans les capacités de la Communauté. Bien entendu ce montant serait réparti sur plusieurs années. Il me semble que la plupart des pays de la Communauté en exprimeront le besoin dans les mois qui viennent pour réaliser un certain nombre de travaux d'importance collective, nationale et internationale, ce qui permettrait aussi la relance de l'emploi. Donc, ce n'est pas une dispute d'école. Il s'agit de savoir de quoi peut disposer la Communauté. Je connaissais l'opinion de M. Delors, il va dans ce sens. Quant à la fixation du montant de cet emprunt, il appartiendra aux responsables d'en décider.\
QUESTION.- L'Italie est favorable à une accélération du processus d'intégration à l'intérieur de la CEE, avec un noyau dur de pays qui seraient les six pays fondateurs de la Communauté plus l'Espagne, pour relancer le processus d'unification de l'Europe. La France est-elle favorable à cette idée ?
- LE PRESIDENT.- Elle est naturellement favorable au renforcement de la Communauté afin de mettre en application le Traité d'Union européenne. Ce Traité d'Union européenne est assez contraignant. Cela n'a pas été un acte diplomatique timide. Il a été ratifié très récemment par les Douze. Donc, on ne peut pas encore juger de ses effets. Mais la France y est d'autant plus favorable qu'elle est, elle-même, signataire de ces textes depuis le premier jour. Le rôle des pays fondateurs, les six que vous avez évoqués, plus l'Espagne, est une réalité politique, est un choix, mais pas une réalité juridique. Il n'y a pas, à l'intérieur de la Communauté, un cercle étroit dont les décisions prévaudraient sur celles des autres Etats-membres. Il leur appartient simplement de démontrer leur volonté politique et d'entraîner le tout.\
QUESTION.- Peut-on savoir si vous avez parlé des problèmes existant dans les rapports entre notre rive et l'autre rive de la Méditerranée ?
- LE PRESIDENT.- J'ai pris en effet une initiative, il y a une dizaine d'années, elle a été relancée quelques années plus tard par M. Craxi, sous une forme un peu différente, elle a été reprise plus récemment par M. Felipe Gonzalez. L'idée était de réunir dans une conférence à vocation multiple, les pays des deux rives de la Méditerranée, et en raison de la situation extrêmement compliquée que vous connaissez dans le Proche-Orient, au moins ceux de Méditerranée occidentale. Mais si cela n'a pas pu aboutir, c'est parce qu'il y a toujours eu des conflits entre les pays naturellement désignés par la géographie pour participer à cette conférence. Vous n'ignorez pas les difficultés qu'ont connues les relations entre l'Algérie et le Maroc pour ne citer qu'eux. M. le Président du Conseil Ciampi a bien voulu m'entretenir de ce problème tout à l'heure, il a eu la même conversation avec le Premier ministre français, et c'est un sujet de préoccupation qui est nôtre, qui est actuel compte tenu du fait qu'il était très difficile de mettre d'accord, a priori, les pays riverains de la Méditerranée, j'ai parlé du Maroc et de l'Algérie, j'aurais pu parler de la Libye et de l'Egypte. Faudrait-il parler de l'ancienne Yougoslavie ? Faut-il parler de la Grèce et de la Turquie ? Il appartiendra aux responsables et aux diplomates d'apprécier quelle zone géographique, soit la Méditerranée toute entière, soit une partie de la Méditerranée, peut être retenue. Les récents accords entre Israël et les Palestiniens laissent augurer qu'il devrait être possible d'élargir aux deux zones principales de la Méditerranée l'invitation à participer à une conférence de ce type.
- Nous nous disions précisément au cours d'une conversation informelle - ce n'est pas une décision prise par les gouvernements - qu'il conviendrait peut-être aux trois pays initiateurs de ce projet, l'Italie, l'Espagne et la France, d'inviter à une conférence (à quelle date, en quel lieu, sur l'ordre du jour ?) d'ici peu, les pays concernés. Il faudrait donner aux diplomates le temps de consulter chacun des intervenants possibles. Cette conférence étant fixée, y viendra qui voudra. Ce serait déjà un progrès, et puisque celui qui m'interroge en sait tout autant que moi puisqu'il est spécialiste, il n'ignore rien des difficultés, et je pense qu'il approuvera, lorsqu'on lui dira, qu'il s'agit d'avoir maintenant une politique volontaire et pas simplement de consensus. L'initiative que je viens d'évoquer va dans ce sens.
- M. C. CIAMPI.- En accord avec ce qu'a dit le Président Mitterrand, je voudrais ajouter que de mon côté, j'ai estimé opportun d'attirer l'attention sur la Méditerranée, car j'estime que le dialogue en Méditerranée, le fait que l'on traite et que l'on résolve des problèmes qui, en même temps, sont économiques, démographiques et de véritable coexistence entre civilisations différentes sont autant de thèmes fondamentaux pour les prochaines décennies. Je n'ajouterai rien d'autre sur ce point car il s'agit maintenant, comme dans toutes les choses, d'être d'abord conscient de l'existence du problème, de ses dimensions, afin de pouvoir passer ensuite à des propositions concrètes.\
QUESTION.- J'aimerais savoir si au cours des entretiens, vous avez parlé du SME ?
- M. C. CIAMPI.- Nous en avons aussi parlé. M. Balladur, est-ce que vous désirez intervenir sur le SME ? La France est le pays qui au cours des dernières années de fonctionnement du SME par sa politique de rigueur économique, a démontré le mieux comment il faut agir pour que le SME puisse vivre et pour que le SME puisse constituer un instrument important d'intégration en France.
- M. BALLADUR.- Quelques mots simplement, puisque vous m'y invitez, monsieur le Président du Conseil, pour dire qu'effectivement nous avons parlé rapidement des problèmes que pose le fonctionnement du SME, pour nous réjouir de la stabilité que semble avoir retrouvée ce système depuis la crise du début du mois d'août dernier, et pour relever, mais c'est une répétition que l'on fait chaque fois, qu'il est illusoire de prétendre stabiliser un système monétaire si on n'a pas rapproché les économies par un effort de convergence considérable. Cet effort est entamé, je tiens à saluer notamment les efforts du gouvernement italien que le Président Ciampi m'a exposés, d'autres pays l'entament aussi, et il est essentiel pour que l'Union européenne soit consolidée et son système monétaire aussi que ces efforts de rapprochement des politiques économiques soient accentués et accélérés. Je sais bien que cela pose beaucoup de difficultés, compte tenu de la situation économique, sociale et financière dans les pays de l'ouest européen, mais ce n'est qu'à ce prix-là que nous pourrons donner un contenu concret et durable à l'effort de construction économique et monétaire.
- M. CIAMPI.- Je vous remercie, j'aimerais rajouter que ce n'est pas par hasard que cette rencontre a eu lieu dans cet édifice. Il est la démonstration de l'importance que revêtent les problèmes culturels pour la France et pour l'Italie. Au cours de nos conversations d'aujourd'hui, l'un des thèmes auquel nous avons accordé le plus d'importance, c'est le besoin que des pays comme la France et l'Italie aient une collaboration encore plus étroite dans le secteur culturel. Quand je dis secteur culturel, j'entends par cela tous les aspects de la tradition de nos peuples et des besoins de défendre et de transmettre cette civilisation européenne, de la transmettre aux futures générations telle qu'elle existe aujourd'hui dans le dialogue avec les autres civilisations, mais aussi et surtout dans le maintien de ses caractéristiques fondamentales.\
- Il est très difficile de résumer une rencontre au cours de laquelle on a traité à tous les niveaux, de toute une série de thèmes et de problèmes d'actualité.
- Le processus de changement en Europe qui a suivi la chute du mur de Berlin a fait qu'aujourd'hui les thèmes principaux abordés ont été : la sécurité en Europe dans cette nouvelle optique des problèmes internationaux, les problèmes de l'intégration européenne, c'est-à-dire la poursuite du processus engagé par le Traité de Maastricht, dans ses deux aspects celui de l'élargissement de la Communauté et celui de la réalisation du Traité de Maastricht dans son esprit véritable d'intégration européenne.
- Sur ces thèmes, la France et l'Italie ont des positions vraiment identiques, semblables, en particulier au cours de nos rencontres les implications des développements de la politique internationale et mondiale ont été soulignées en ce qui concerne la réalité méditerranéenne dont la France et l'Italie sont deux composantes importantes au plan économique, politique et démographique.
- Au cours de ces conversations, on ne pouvait pas laisser de côté des thèmes comme les négociations du GATT qui traversent un moment particulièrement délicat, comme vous le savez. Dans ce secteur aussi, les positions des deux gouvernements sont semblables : nous souhaitons pouvoir atteindre et conclure cet accord au cours des prochaines semaines. Nous ne pouvons pas ne pas avoir pris acte aujourd'hui que des aspects importants pour la France et pour l'Italie n'ont trouvé encore de solution satisfaisante.
- Donc, je me limiterai à ces paroles. Je ne sais pas si M. Mitterrand veut ajouter quelque chose ainsi que M. le Premier ministre Balladur, ou s'ils souhaitent plutôt entendre les questions afin d'y répondre.
- LE PRESIDENT.- Je pense qu'il vaut mieux que messieurs et mesdames les journalistes s'expriment.\
QUESTION.- Je voudrais poser une question au Président Mitterrand. La dernière fois que vous êtes venu en Italie à l'occasion du Sommet de Viterbe, c'était il y a deux ans £ depuis beaucoup de choses se sont passées, beaucoup de changements ont eu lieu. Comment jugez-vous, monsieur le Président, ces changements, et quels seraient les risques que ces changements comporteraient pour notre pays ?
- LE PRESIDENT.- Ces changements évidents procèdent de la volonté du peuple italien lorsque cela se traduit dans des épreuves électorales. Je n'ai donc pas l'intention de me substituer aux électrices et aux électeurs de ce pays pour apprécier leur manière d'agir au cours des très prochaines élections municipales et des futures élections législatives. Lorsque tout cela sera accompli, s'il m'est donné d'exprimer un avis, je le ferai peut-être mais d'ici là, je pense que par respect pour ce peuple, je dois attendre ses décisions.\
QUESTION.- Je voudrais demander au Président Mitterrand et au Premier ministre si la France veut imiter le modèle Volkswagen sur la semaine courte comme un premier pas pour sortir de la crise ?
- LE PRESIDENT.- Moi, j'ai observé les travaux des Assemblées parlementaires françaises et j'ai constaté qu'après une discussion intéressante, au demeurant, la plupart des responsables de la majorité parlementaire avait estimé ne pas devoir aller plus loin. On en est là. C'est certainement une discussion qui ne fait que commencer. La réduction du temps de travail depuis le début du XIXème a été une constante préoccupation du monde des travailleurs. Mais, bien entendu, elle doit être assortie d'autres conditions, conditions liées à la compétitivité et à l'absence de perte de salaire pour celles et ceux qui ont des salaires faibles ou moyens. On ne peut pas dire que ces conditions soient pour l'instant réunies.
- M. BALLADUR.- J'ajouterai quelques mots, si vous le permettez. Pour autant que j'ai compris cet accord Volkswagen, il est limité à une période de deux ans et, si je l'ai bien compris également, il ne se traduit pas par des créations d'emplois mais par l'absence de suppression d'emplois. La discussion qui a eu lieu au Parlement français s'est conclue par l'idée que les pouvoirs publics devaient, sans imposer une solution autoritaire, favoriser des expériences. Nous en sommes là comme le Président de la République vient de le rappeler. Pourquoi des expériences ? Parce qu'il est bien évident que dans l'état actuel des choses, en tout cas, dans cinq ou dix ans qui peut le savoir ? une réduction du temps de travail que n'accompagnerait pas une réduction du revenu aurait tendance à créer du chômage plutôt qu'à le diminuer. Mais, ce qui est important, je le crois, c'est d'admettre beaucoup plus l'idée de l'expérimentation dans la période que nous vivons pour éviter des pertes d'emplois que pour en créer. J'espère qu'un jour la situation des économies des pays européens s'étant redressée, on pourra aller plus loin. Voilà ce que je voulais préciser.
- LE PRESIDENT.- J'ai un mot à ajouter, je dirai simplement aussi que c'est une discussion qui doit être d'abord traitée entre les organisations responsables du travail et, sans doute, au plus près de la réalité, c'est-à-dire, branche par branche, avant que ce ne soit une décision qui vienne d'en haut, je veux dire du Parlement.\
M. C. CIAMPI.- Je voudrais ajouter que le sujet du chômage a été l'un de ceux qui ont le plus retenu l'attention au cours de nos conversations tant au niveau des Présidents qu'au niveau des ministres de l'économie. Ce qui est commun à la totalité de l'Europe, c'est non seulement l'importance du chômage, mais aussi les caractéristiques qualitatives de ce chômage qui n'est pas seulement un chômage conjoncturel et cyclique, mais qui présente des aspects de qualité, de répartition territoriale, de répartition entre les classes d'âges, différents du chômage cyclique. Ce chômage a des implications internationales, à cause d'une situation économique mondiale qui tend à aller vers une distribution différente du travail. Inutile de rappeler les problèmes des pays de l'Europe orientale et des pays en voie de développement. Donc, en ce qui concerne la solution à ces problèmes, elle doit être adaptée aux causes et donc il faut voir d'abord quelle est la capacité des pays développés de trouver de nouveaux modes de production et de nouveaux types de produits, c'est la seule voie. Ensuite, à l'intérieur de cette voie obligée pour une solution du chômage structurel il faut qu'on puisse essayer de mettre en place des accords du type de celui qui a été passé en Allemagne. C'est un élément qui doit être envisagé au plan expérimental, en tenant compte des aspects du marché du travail dans les différents pays. Il s'agit bien d'interventions pour essayer de soulager les dégâts provoqués par le chômage.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez, je crois, lancé l'idée d'un large emprunt communautaire, avez-vous aujourd'hui progressé avec vos interlocuteurs italiens ?
- LE PRESIDENT.- Il a été question spécialement pour le développement des communications entre l'Italie et la France, de recourir à l'initiative de croissance qui a été lancée au Conseil européen d'Edimbourg et qui, comme vous le savez, n'a pas été complètement utilisée. Donc on va dans ce sens. J'ai moi-mme indiqué un chiffre qui me paraissait convenable, (un milliard d'ECUS) et dans les capacités de la Communauté. Bien entendu ce montant serait réparti sur plusieurs années. Il me semble que la plupart des pays de la Communauté en exprimeront le besoin dans les mois qui viennent pour réaliser un certain nombre de travaux d'importance collective, nationale et internationale, ce qui permettrait aussi la relance de l'emploi. Donc, ce n'est pas une dispute d'école. Il s'agit de savoir de quoi peut disposer la Communauté. Je connaissais l'opinion de M. Delors, il va dans ce sens. Quant à la fixation du montant de cet emprunt, il appartiendra aux responsables d'en décider.\
QUESTION.- L'Italie est favorable à une accélération du processus d'intégration à l'intérieur de la CEE, avec un noyau dur de pays qui seraient les six pays fondateurs de la Communauté plus l'Espagne, pour relancer le processus d'unification de l'Europe. La France est-elle favorable à cette idée ?
- LE PRESIDENT.- Elle est naturellement favorable au renforcement de la Communauté afin de mettre en application le Traité d'Union européenne. Ce Traité d'Union européenne est assez contraignant. Cela n'a pas été un acte diplomatique timide. Il a été ratifié très récemment par les Douze. Donc, on ne peut pas encore juger de ses effets. Mais la France y est d'autant plus favorable qu'elle est, elle-même, signataire de ces textes depuis le premier jour. Le rôle des pays fondateurs, les six que vous avez évoqués, plus l'Espagne, est une réalité politique, est un choix, mais pas une réalité juridique. Il n'y a pas, à l'intérieur de la Communauté, un cercle étroit dont les décisions prévaudraient sur celles des autres Etats-membres. Il leur appartient simplement de démontrer leur volonté politique et d'entraîner le tout.\
QUESTION.- Peut-on savoir si vous avez parlé des problèmes existant dans les rapports entre notre rive et l'autre rive de la Méditerranée ?
- LE PRESIDENT.- J'ai pris en effet une initiative, il y a une dizaine d'années, elle a été relancée quelques années plus tard par M. Craxi, sous une forme un peu différente, elle a été reprise plus récemment par M. Felipe Gonzalez. L'idée était de réunir dans une conférence à vocation multiple, les pays des deux rives de la Méditerranée, et en raison de la situation extrêmement compliquée que vous connaissez dans le Proche-Orient, au moins ceux de Méditerranée occidentale. Mais si cela n'a pas pu aboutir, c'est parce qu'il y a toujours eu des conflits entre les pays naturellement désignés par la géographie pour participer à cette conférence. Vous n'ignorez pas les difficultés qu'ont connues les relations entre l'Algérie et le Maroc pour ne citer qu'eux. M. le Président du Conseil Ciampi a bien voulu m'entretenir de ce problème tout à l'heure, il a eu la même conversation avec le Premier ministre français, et c'est un sujet de préoccupation qui est nôtre, qui est actuel compte tenu du fait qu'il était très difficile de mettre d'accord, a priori, les pays riverains de la Méditerranée, j'ai parlé du Maroc et de l'Algérie, j'aurais pu parler de la Libye et de l'Egypte. Faudrait-il parler de l'ancienne Yougoslavie ? Faut-il parler de la Grèce et de la Turquie ? Il appartiendra aux responsables et aux diplomates d'apprécier quelle zone géographique, soit la Méditerranée toute entière, soit une partie de la Méditerranée, peut être retenue. Les récents accords entre Israël et les Palestiniens laissent augurer qu'il devrait être possible d'élargir aux deux zones principales de la Méditerranée l'invitation à participer à une conférence de ce type.
- Nous nous disions précisément au cours d'une conversation informelle - ce n'est pas une décision prise par les gouvernements - qu'il conviendrait peut-être aux trois pays initiateurs de ce projet, l'Italie, l'Espagne et la France, d'inviter à une conférence (à quelle date, en quel lieu, sur l'ordre du jour ?) d'ici peu, les pays concernés. Il faudrait donner aux diplomates le temps de consulter chacun des intervenants possibles. Cette conférence étant fixée, y viendra qui voudra. Ce serait déjà un progrès, et puisque celui qui m'interroge en sait tout autant que moi puisqu'il est spécialiste, il n'ignore rien des difficultés, et je pense qu'il approuvera, lorsqu'on lui dira, qu'il s'agit d'avoir maintenant une politique volontaire et pas simplement de consensus. L'initiative que je viens d'évoquer va dans ce sens.
- M. C. CIAMPI.- En accord avec ce qu'a dit le Président Mitterrand, je voudrais ajouter que de mon côté, j'ai estimé opportun d'attirer l'attention sur la Méditerranée, car j'estime que le dialogue en Méditerranée, le fait que l'on traite et que l'on résolve des problèmes qui, en même temps, sont économiques, démographiques et de véritable coexistence entre civilisations différentes sont autant de thèmes fondamentaux pour les prochaines décennies. Je n'ajouterai rien d'autre sur ce point car il s'agit maintenant, comme dans toutes les choses, d'être d'abord conscient de l'existence du problème, de ses dimensions, afin de pouvoir passer ensuite à des propositions concrètes.\
QUESTION.- J'aimerais savoir si au cours des entretiens, vous avez parlé du SME ?
- M. C. CIAMPI.- Nous en avons aussi parlé. M. Balladur, est-ce que vous désirez intervenir sur le SME ? La France est le pays qui au cours des dernières années de fonctionnement du SME par sa politique de rigueur économique, a démontré le mieux comment il faut agir pour que le SME puisse vivre et pour que le SME puisse constituer un instrument important d'intégration en France.
- M. BALLADUR.- Quelques mots simplement, puisque vous m'y invitez, monsieur le Président du Conseil, pour dire qu'effectivement nous avons parlé rapidement des problèmes que pose le fonctionnement du SME, pour nous réjouir de la stabilité que semble avoir retrouvée ce système depuis la crise du début du mois d'août dernier, et pour relever, mais c'est une répétition que l'on fait chaque fois, qu'il est illusoire de prétendre stabiliser un système monétaire si on n'a pas rapproché les économies par un effort de convergence considérable. Cet effort est entamé, je tiens à saluer notamment les efforts du gouvernement italien que le Président Ciampi m'a exposés, d'autres pays l'entament aussi, et il est essentiel pour que l'Union européenne soit consolidée et son système monétaire aussi que ces efforts de rapprochement des politiques économiques soient accentués et accélérés. Je sais bien que cela pose beaucoup de difficultés, compte tenu de la situation économique, sociale et financière dans les pays de l'ouest européen, mais ce n'est qu'à ce prix-là que nous pourrons donner un contenu concret et durable à l'effort de construction économique et monétaire.
- M. CIAMPI.- Je vous remercie, j'aimerais rajouter que ce n'est pas par hasard que cette rencontre a eu lieu dans cet édifice. Il est la démonstration de l'importance que revêtent les problèmes culturels pour la France et pour l'Italie. Au cours de nos conversations d'aujourd'hui, l'un des thèmes auquel nous avons accordé le plus d'importance, c'est le besoin que des pays comme la France et l'Italie aient une collaboration encore plus étroite dans le secteur culturel. Quand je dis secteur culturel, j'entends par cela tous les aspects de la tradition de nos peuples et des besoins de défendre et de transmettre cette civilisation européenne, de la transmettre aux futures générations telle qu'elle existe aujourd'hui dans le dialogue avec les autres civilisations, mais aussi et surtout dans le maintien de ses caractéristiques fondamentales.\