18 novembre 1993 - Seul le prononcé fait foi
Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée à "Télérama" le 18 novembre 1993, sur ses goûts en matière d'architecture et de peinture, la politique des grands travaux, l'inauguration du Grand Louvre.
QUESTION.- Une des premières décisions de votre premier septennat a été la mise en oeuvre du Grand Louvre. Y avez-vous pensé avant votre élection à la président de la république ? Aviez-vous une idée personnelle concernant ce projet ? Quelle a été pour vous la signification politique, citoyenne de cette décision ?
- LE PRESIDENT.- Mon idée du "Grand Louvre" est antérieure à l'élection de 1981. Elle s'était nourrie à plusieurs sources. Je songe à ce qu'écrivait Georges Salles, ancien directeur des Musées de France en 1950 : "Au XIXème siècle un musée n'était qu'une scène qui ne comportait pas de coulisses. Depuis lors, on s'est aperçu que celles-ci devaient occuper une place au moins égale sinon supérieure à celles affectées au spectacle. Or cet aménagement ne pourra être réalisé dans les conditions qu'exigent la bonne ordonnance d'un musée moderne que le jour où nous aurons annexé à notre musée un bâtiment voisin, ou plutôt, bien que ce souhait soit dans la conjoncture actuelle sans doute chimérique, cette aile du Palais du Louvre occupée par le ministère des finances". Mais c'est à mon ami Louis-Gabriel Clayeux, que je connais depuis mes années d'étudiant et qui a consacré sa vie à toutes les formes d'art que je dois d'avoir décidé, dès mai 1981, de réaliser ce projet. J'ai voulu rendre le Louvre, tout le Louvre, à sa destination muséographique. Il ne s'agissait pas seulement d'améliorer les conditions d'accueil du public, encore que cela fût nécessaire. Il ne s'agissait pas seulement de déployer les collections, encore que leur enrichissement exigeât de nouveaux espaces de présentation. Il s'agissait de parachever la volonté, deux fois séculaire, des fondateurs.\
QUESTION.- Vous aviez confié vous-même la réalisation de ce projet à M. Peï. Voudriez-vous nous raconter les circonstances de cette décision, vos conversations avec cet architecte, ce qui chez lui vous a séduit ?
- LE PRESIDENT.- Transformer le Louvre exigeait d'exceptionnelles précautions. C'est le coeur de la cité, le coeur de notre histoire. J'ai souhaité une architecture de pureté et de rigueur qui sut allier l'audace et le respect. Il fallait aussi à travers mille contraintes, une architecture fonctionnelle, répondant aux exigences des publics d'aujourd'hui. I.M. Peï alliait à ces qualités une expérience acquise notamment lors de la construction de la nouvelle aile de la National Gallery à Washington que j'avais visitée et beaucoup admirée. C'est Emile Biasini qui m'a suggéré le nom de I.M. Peï. Il avait consulté, dans plusieurs pays, des conservateurs de musées. De tous les noms d'architectes évoqués dans ces consultations, celui de Peï avait été le plus souvent cité. J'ai demandé de le rencontrer. La première entrevue a eu lieu en 1982. Peï formula deux souhaits : effectuer une première étude avant toute décision de sa part £ ne pas participer à un concours car il avait renoncé, depuis longtemps, à toute compétition. Je l'ai reçu au début de 1983 avec Jack Lang. Par la suite, nous avons eu de nombreuses conversations. J'ai été frappé d'emblée par la clarté, la simplicité et la précision de ses propositions. En juillet 1983, je lui ai confié le projet en association avec l'architecte en chef du Louvre, M. Duval.
- QUESTION.- Après un moment de fièvre, votre choix a fait pratiquement l'unanimité. D'une certaine manière vous avez agi comme François 1er, Louis XIV, les Conventionnels, Bonaparte, Napoléon III. Pensez-vous que cette décision que vous avez prise était la seule bonne ? Ou bien avez-vous eu parfois des doutes ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas eu de doute. Car les idées de Peï me semblaient s'imposer. Et tout d'abord l'idée de joindre les trois pavillons. Il fallait creuser sous la Cour Napoléon pour créer l'infrastructure d'accueil et de communication nécessaire, les fondations de l'édifice principal étant trop fragiles. La cour était lépreuse, peuplée d'arbres étriqués et servait de parkin sauvage. L'endroit le plus logique pour l'entrée était au centre de la cour. C'était si évident que j'étais surpris qu'on n'y eût pas pensé plus tôt. Jusque-là les gens arrivaient dans la Cour Napoléon en se demandant où se trouvait l'accès du Louvre. Il fallait une entrée qui fût visible. Nous étions préoccupés par le bon fonctionnement du musée. C'était l'objectif principal de l'architecte et c'était le mien. Il n'y avait pas d'autres réponses à ces exigences fonctionnelles que celles qu'il me proposa. Quant à la pyramide, Peï l'a conçue lorsque nous avons été convaincus que, pour éviter d'avoir en sous-sol une sorte d'immense gare de métro, on devait faire entrer la lumière du jour.\
QUESTION.- La résistance du gouvernement de M. Chirac entre 1986 et 1988 à abandonner l'aile Richelieu - siège du ministère des finances - vous a-t-elle irrité ? Et comment l'avez-vous interprétée : comme un signe du conservatisme ? Ou comme le poids d'un grand corps de l'Etat ?
- LE PRESIDENT.- Les résistances furent à la mesure de l'ambition. Je les prévoyais, elles ne m'ont pas irité. Il était naturel que les hauts fonctionnaires des finances n'abandonnent pas de gaîté de coeur le plus prestigieux bâtiment de France, et le mieux situé. Mais un autre grand corps de l'Etat soutenait le projet : celui des conservateurs de musée qui ne firent pas preuve, en la circonstance, de "conservatisme".
- QUESTION.- En juillet 1989, à l'occasion du bicentenaire de la Révolution, vous avez inauguré la Pyramide avec plusieurs chefs d'Etat. Quel souvenir gardez-vous de ce jour ?
- LE PRESIDENT.- En fait, j'ai souhaité que l'ouverture de la Pyramide se fît sans inauguration officielle et que, dans l'esprit que j'évoquais tout à l'heure, le grand public y pénétrât en même temps que moi. Ce fut en mars 1989. Je garde de cet instant un souvenir intense. Une véritable foule m'accompagna dans cette première visite. Celle que je fis, en juillet, avec les chefs d'Etat réunis à l'occasion du bicentenaire, par nature plus formelle, eut aussi une grande force symbolique.\
QUESTION.- De tous les grands travaux que vous avez lancés, quel est celui dont vous êtes le plus heureux ?
- LE PRESIDENT.- Tous les grands travaux, à Paris ou en province, répondent à des nécessités de fait : mauvais état ou exiguïté des bâtiments, médiocres présentations de collections, insuffisant accueil du public. Songez, par exemple, à la grande galerie du muséum fermée depuis tant d'années et qui renferme tant de trésors. Ou bien on devait répondre à des besoins nouveaux, déjà repérés par mon prédécesseur, M. Giscard d'Estaing, (Orsay, la Villette, la Défense, l'Institut du Monde Arabe) ou que j'ai moi-même arrêtés (Opéra-Bastille, Louvre, Bibliothèque de France, Museum d'Histoire naturelle, nouveau ministère des Finances sans oublier une trentaine de grands projets répartis sur le territoire : rénovation du musée Saint-Pierre à Lyon, médiathèque de Chambéry, site archéologique du Mont-Beuvray, aménagement du Marais poitevin, Centre culturel canaque à Nouméa, etc.). Deux projets me tenaient particulièrement à coeur. Celui du Louvre, on vient de le dire. Celui de la Bibliothèque de France, parce que c'est le livre et que, pour moi, tout commence par la lecture. Ces deux projets ont suscité d'âpres débats. Face à des transformations d'une telle ampleur, il était naturel que des avis contraires s'expriment. Je les ai tous entendus. Certains permirent de préciser ou d'infléchir des choix complexes et lourds de conséquences. Aujourd'hui les querelles sont apaisées. Au Louvre comme à la Bibliothèque, les travaux se poursuivent dans le respect des objectifs, des budgets et des échéances fixés par l'Etat.\
QUESTION.- Quand êtes-vous allé pour la première fois au Louvre ? seul ? Avec vos parents ? Avec des amis ?
- LE PRESIDENT.- Au cours de mon premier voyage à Paris, venu de ma Charente natale, lors de l'Exposition coloniale, en 1931. J'avais 15 ans. J'étais avec des amis de mes parents.
- QUESTION.- Votre première impression, bonne ou mauvaise £ votre premier souvenir d'enfant ou d'adolescent, qu'est-ce qui vous a le plus frappé : le Palais ? Les oeuvres ? Lesquelles ?
- LE PRESIDENT.- Des oeuvres, archiconnues, fixées à cette époque dans mon esprit par une culture un peu livresque et un enseignement très classique.
- QUESTION.- Après cette visite, êtes-vous allé fréquemment seul au Louvre ? Pour contempler quelles oeuvres ?
- LE PRESIDENT.- De temps à autre. Je trouvais l'endroit poussiéreux, fatigant, mal organisé, incommode et merveilleux.
- QUESTION.- Vous avez fait vos études supérieures à Paris. Est-ce que le Louvre, à l'époque, était une visite obligée ?
- LE PRESIDENT.- Oui, pour le milieu dans lequel je vivais. J'y ajoutais mon goût personnel. Mais mon intérêt se dispersait aussi bien du côté du Vel'd'hiv que des ballades dans le Marais.
- QUESTION.- Dans vos essais et dans vos entretiens, vous parlez volontiers de littérature, mais peu de peinture ou de sculpture. Quelle relations avez-vous avec les arts plastiques ? Avez-vous des périodes, des artistes préférés ?
- LE PRESIDENT.- J'écris plus volontiers sur ce que je crois connaître assez bien. J'aime la peinture et la sculpture en amateur qui ne prétend à rien d'autre que son plaisir. L'architecture me passionne. Quels sculpteurs ? Quels peintres ? J'aime les portraits : Fouquet, Clouet, Champaigne, Dürer, Le Titien, David £ les natures mortes : Chardin, Zurbaran £ les paysages de campagne : Ruysdaël, Corot, Le Lorrain £ les paysages de ville : Canaletto, Carpaccio. Quelles sculptures ? Les archers de Darius, le tombeau de Philippe Pot, les bustes de Houdon, les esclaves de Michel-Ange... Mais je vous réponds de façon arbitraire parce que vous me le demandez. Je pourrais vous dire tout autre chose. Comment choisir ?
- QUESTION.- Si un jeune adolescent d'Angoulême visitait aujourd'hui le Grand Louvre, qu'aimeriez-vous lui dire ?
- LE PRESIDENT.- Qu'il a bien de la chance. Qu'il pourra s'asseoir, se rafraîchir, prendre son temps, choisir sans être coincé dans un engrenage infernal ! Bref, il pourra regarder.
- QUESTION.- Quelle est l'oeuvre du Louvre dont vous aimeriez faire partager à un ami l'émotion ? Et que lui diriez-vous ?
- LE PRESIDENT.- Un Guardi. Par exemple, l'église et la place de San Zani e Polo à Venise, le Charles VII de Fouquet. Les hasards de la vie me les ont fait rencontrer comme on reçoit un choc. Je n'essaierais pas spécialement de faire partager mes émotions. Il découvrirait lui-même les siennes.\
- LE PRESIDENT.- Mon idée du "Grand Louvre" est antérieure à l'élection de 1981. Elle s'était nourrie à plusieurs sources. Je songe à ce qu'écrivait Georges Salles, ancien directeur des Musées de France en 1950 : "Au XIXème siècle un musée n'était qu'une scène qui ne comportait pas de coulisses. Depuis lors, on s'est aperçu que celles-ci devaient occuper une place au moins égale sinon supérieure à celles affectées au spectacle. Or cet aménagement ne pourra être réalisé dans les conditions qu'exigent la bonne ordonnance d'un musée moderne que le jour où nous aurons annexé à notre musée un bâtiment voisin, ou plutôt, bien que ce souhait soit dans la conjoncture actuelle sans doute chimérique, cette aile du Palais du Louvre occupée par le ministère des finances". Mais c'est à mon ami Louis-Gabriel Clayeux, que je connais depuis mes années d'étudiant et qui a consacré sa vie à toutes les formes d'art que je dois d'avoir décidé, dès mai 1981, de réaliser ce projet. J'ai voulu rendre le Louvre, tout le Louvre, à sa destination muséographique. Il ne s'agissait pas seulement d'améliorer les conditions d'accueil du public, encore que cela fût nécessaire. Il ne s'agissait pas seulement de déployer les collections, encore que leur enrichissement exigeât de nouveaux espaces de présentation. Il s'agissait de parachever la volonté, deux fois séculaire, des fondateurs.\
QUESTION.- Vous aviez confié vous-même la réalisation de ce projet à M. Peï. Voudriez-vous nous raconter les circonstances de cette décision, vos conversations avec cet architecte, ce qui chez lui vous a séduit ?
- LE PRESIDENT.- Transformer le Louvre exigeait d'exceptionnelles précautions. C'est le coeur de la cité, le coeur de notre histoire. J'ai souhaité une architecture de pureté et de rigueur qui sut allier l'audace et le respect. Il fallait aussi à travers mille contraintes, une architecture fonctionnelle, répondant aux exigences des publics d'aujourd'hui. I.M. Peï alliait à ces qualités une expérience acquise notamment lors de la construction de la nouvelle aile de la National Gallery à Washington que j'avais visitée et beaucoup admirée. C'est Emile Biasini qui m'a suggéré le nom de I.M. Peï. Il avait consulté, dans plusieurs pays, des conservateurs de musées. De tous les noms d'architectes évoqués dans ces consultations, celui de Peï avait été le plus souvent cité. J'ai demandé de le rencontrer. La première entrevue a eu lieu en 1982. Peï formula deux souhaits : effectuer une première étude avant toute décision de sa part £ ne pas participer à un concours car il avait renoncé, depuis longtemps, à toute compétition. Je l'ai reçu au début de 1983 avec Jack Lang. Par la suite, nous avons eu de nombreuses conversations. J'ai été frappé d'emblée par la clarté, la simplicité et la précision de ses propositions. En juillet 1983, je lui ai confié le projet en association avec l'architecte en chef du Louvre, M. Duval.
- QUESTION.- Après un moment de fièvre, votre choix a fait pratiquement l'unanimité. D'une certaine manière vous avez agi comme François 1er, Louis XIV, les Conventionnels, Bonaparte, Napoléon III. Pensez-vous que cette décision que vous avez prise était la seule bonne ? Ou bien avez-vous eu parfois des doutes ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas eu de doute. Car les idées de Peï me semblaient s'imposer. Et tout d'abord l'idée de joindre les trois pavillons. Il fallait creuser sous la Cour Napoléon pour créer l'infrastructure d'accueil et de communication nécessaire, les fondations de l'édifice principal étant trop fragiles. La cour était lépreuse, peuplée d'arbres étriqués et servait de parkin sauvage. L'endroit le plus logique pour l'entrée était au centre de la cour. C'était si évident que j'étais surpris qu'on n'y eût pas pensé plus tôt. Jusque-là les gens arrivaient dans la Cour Napoléon en se demandant où se trouvait l'accès du Louvre. Il fallait une entrée qui fût visible. Nous étions préoccupés par le bon fonctionnement du musée. C'était l'objectif principal de l'architecte et c'était le mien. Il n'y avait pas d'autres réponses à ces exigences fonctionnelles que celles qu'il me proposa. Quant à la pyramide, Peï l'a conçue lorsque nous avons été convaincus que, pour éviter d'avoir en sous-sol une sorte d'immense gare de métro, on devait faire entrer la lumière du jour.\
QUESTION.- La résistance du gouvernement de M. Chirac entre 1986 et 1988 à abandonner l'aile Richelieu - siège du ministère des finances - vous a-t-elle irrité ? Et comment l'avez-vous interprétée : comme un signe du conservatisme ? Ou comme le poids d'un grand corps de l'Etat ?
- LE PRESIDENT.- Les résistances furent à la mesure de l'ambition. Je les prévoyais, elles ne m'ont pas irité. Il était naturel que les hauts fonctionnaires des finances n'abandonnent pas de gaîté de coeur le plus prestigieux bâtiment de France, et le mieux situé. Mais un autre grand corps de l'Etat soutenait le projet : celui des conservateurs de musée qui ne firent pas preuve, en la circonstance, de "conservatisme".
- QUESTION.- En juillet 1989, à l'occasion du bicentenaire de la Révolution, vous avez inauguré la Pyramide avec plusieurs chefs d'Etat. Quel souvenir gardez-vous de ce jour ?
- LE PRESIDENT.- En fait, j'ai souhaité que l'ouverture de la Pyramide se fît sans inauguration officielle et que, dans l'esprit que j'évoquais tout à l'heure, le grand public y pénétrât en même temps que moi. Ce fut en mars 1989. Je garde de cet instant un souvenir intense. Une véritable foule m'accompagna dans cette première visite. Celle que je fis, en juillet, avec les chefs d'Etat réunis à l'occasion du bicentenaire, par nature plus formelle, eut aussi une grande force symbolique.\
QUESTION.- De tous les grands travaux que vous avez lancés, quel est celui dont vous êtes le plus heureux ?
- LE PRESIDENT.- Tous les grands travaux, à Paris ou en province, répondent à des nécessités de fait : mauvais état ou exiguïté des bâtiments, médiocres présentations de collections, insuffisant accueil du public. Songez, par exemple, à la grande galerie du muséum fermée depuis tant d'années et qui renferme tant de trésors. Ou bien on devait répondre à des besoins nouveaux, déjà repérés par mon prédécesseur, M. Giscard d'Estaing, (Orsay, la Villette, la Défense, l'Institut du Monde Arabe) ou que j'ai moi-même arrêtés (Opéra-Bastille, Louvre, Bibliothèque de France, Museum d'Histoire naturelle, nouveau ministère des Finances sans oublier une trentaine de grands projets répartis sur le territoire : rénovation du musée Saint-Pierre à Lyon, médiathèque de Chambéry, site archéologique du Mont-Beuvray, aménagement du Marais poitevin, Centre culturel canaque à Nouméa, etc.). Deux projets me tenaient particulièrement à coeur. Celui du Louvre, on vient de le dire. Celui de la Bibliothèque de France, parce que c'est le livre et que, pour moi, tout commence par la lecture. Ces deux projets ont suscité d'âpres débats. Face à des transformations d'une telle ampleur, il était naturel que des avis contraires s'expriment. Je les ai tous entendus. Certains permirent de préciser ou d'infléchir des choix complexes et lourds de conséquences. Aujourd'hui les querelles sont apaisées. Au Louvre comme à la Bibliothèque, les travaux se poursuivent dans le respect des objectifs, des budgets et des échéances fixés par l'Etat.\
QUESTION.- Quand êtes-vous allé pour la première fois au Louvre ? seul ? Avec vos parents ? Avec des amis ?
- LE PRESIDENT.- Au cours de mon premier voyage à Paris, venu de ma Charente natale, lors de l'Exposition coloniale, en 1931. J'avais 15 ans. J'étais avec des amis de mes parents.
- QUESTION.- Votre première impression, bonne ou mauvaise £ votre premier souvenir d'enfant ou d'adolescent, qu'est-ce qui vous a le plus frappé : le Palais ? Les oeuvres ? Lesquelles ?
- LE PRESIDENT.- Des oeuvres, archiconnues, fixées à cette époque dans mon esprit par une culture un peu livresque et un enseignement très classique.
- QUESTION.- Après cette visite, êtes-vous allé fréquemment seul au Louvre ? Pour contempler quelles oeuvres ?
- LE PRESIDENT.- De temps à autre. Je trouvais l'endroit poussiéreux, fatigant, mal organisé, incommode et merveilleux.
- QUESTION.- Vous avez fait vos études supérieures à Paris. Est-ce que le Louvre, à l'époque, était une visite obligée ?
- LE PRESIDENT.- Oui, pour le milieu dans lequel je vivais. J'y ajoutais mon goût personnel. Mais mon intérêt se dispersait aussi bien du côté du Vel'd'hiv que des ballades dans le Marais.
- QUESTION.- Dans vos essais et dans vos entretiens, vous parlez volontiers de littérature, mais peu de peinture ou de sculpture. Quelle relations avez-vous avec les arts plastiques ? Avez-vous des périodes, des artistes préférés ?
- LE PRESIDENT.- J'écris plus volontiers sur ce que je crois connaître assez bien. J'aime la peinture et la sculpture en amateur qui ne prétend à rien d'autre que son plaisir. L'architecture me passionne. Quels sculpteurs ? Quels peintres ? J'aime les portraits : Fouquet, Clouet, Champaigne, Dürer, Le Titien, David £ les natures mortes : Chardin, Zurbaran £ les paysages de campagne : Ruysdaël, Corot, Le Lorrain £ les paysages de ville : Canaletto, Carpaccio. Quelles sculptures ? Les archers de Darius, le tombeau de Philippe Pot, les bustes de Houdon, les esclaves de Michel-Ange... Mais je vous réponds de façon arbitraire parce que vous me le demandez. Je pourrais vous dire tout autre chose. Comment choisir ?
- QUESTION.- Si un jeune adolescent d'Angoulême visitait aujourd'hui le Grand Louvre, qu'aimeriez-vous lui dire ?
- LE PRESIDENT.- Qu'il a bien de la chance. Qu'il pourra s'asseoir, se rafraîchir, prendre son temps, choisir sans être coincé dans un engrenage infernal ! Bref, il pourra regarder.
- QUESTION.- Quelle est l'oeuvre du Louvre dont vous aimeriez faire partager à un ami l'émotion ? Et que lui diriez-vous ?
- LE PRESIDENT.- Un Guardi. Par exemple, l'église et la place de San Zani e Polo à Venise, le Charles VII de Fouquet. Les hasards de la vie me les ont fait rencontrer comme on reçoit un choc. Je n'essaierais pas spécialement de faire partager mes émotions. Il découvrirait lui-même les siennes.\