19 octobre 1993 - Seul le prononcé fait foi
Conférence de presse conjointe de M. François Mitterrand, Président de la République et Ali Abdallah Saleh, Président de la République du Yémen, sur les relations bilatérales franco-yéménites, sur la situation politique au Yémen, sur l'accord de paix au Proche-Orient, et sur les interventions de l'ONU dans le monde, à Sanaa le 19 octobre 1993.
QUESTION.- Monsieur le Président Ali Abdallah Saleh, le Président Mitterrand a mis en exergue et rendu hommage à l'expérience démocratique au Yémen, la réunification des deux Yémens et le rôle qu'elle joue dans les régions. Il a également parlé des accords de coopération. Etes-vous satisfait de ces accords et quels sont vos espoirs en la matière ?
- PRESIDENT SALEH.- Nous sommes heureux de la visite que rend M. Mitterrand à notre pays. Nous avons parlé hier comme aujourd'hui avec le Président, la délégation et les experts des deux gouvernements qui ont exprimé le voeu de renforcer la coopération entre nos deux pays. Cette visite est un pas en avant pour le renforcement des liens bilatéraux de la coopération entre nos deux pays. Tous les résultats ont été positifs en ce qui concerne la coopération bilatérale entre nos deux pays amis.
- QUESTION.- Monsieur le Président François Mitterrand, ceux qui suivent les relations franco-yéménites remarquent d'année en année l'accroissement des importations de provenance française et en même temps on remarque le peu de rôle joué par la France pour renforcer les infrastructures du développement au Yémen ?
- LE PRESIDENT.- Nous assistons à un progrès continu. J'ai là une liste d'opérations quand même assez significatives dans plusieurs domaines : ainsi, pour des télécommunications, Alcatel réalise presque tout l'équipement du nord du pays tandis qu'elle poursuit ses activités au sud. En ce qui concerne le pétrole, c'est vrai qu'à la fois les accords ont été engagés et qu'il y a un certain ralentissement dans l'action mais ce n'est pas pour des raisons propres uniquement à nos sociétés. Il y a beaucoup d'entreprises de moindre taille que celles que je viens de citer qui sont ici, chez vous, qui travaillent avec vous, l'institut géographique national, la société Sofreavia, (dans l'ingénierie aéroportuaire), et dans le domaine des conserveries. On m'a cité beaucoup d'autres projets, notamment la zone franche d'Aden ou la raffinerie également à Aden. On peut certainement en faire davantage d'autant plus que le Yémen offre des grandes possibilités et favorise les investissements. Est-ce qu'il y a une certaine timidité de nos investisseurs ? C'est possible. Dans ce cas là, il faudra le leur dire mais j'observe quand même que la France est bien située dans ses relations avec le Yémen, dans un bon rang. Elle a été l'année dernière le deuxième fournisseur du Yémen. Ce n'est pas uniquement pour des infrastructures puisque la moitié a été due à des produits agro-alimentaires mais enfin c'est tout de même important.
- Il y a d'autre part des accords financiers qui sont très utiles. L'effort financier, je puis l'annoncer ici sera maintenu au niveau de 1992. En 1993, c'est-à-dire les 70 millions d'aide et des fournitures de farine, à hauteur de 4000 tonnes. Tout est en hausse, rien ne se réduit et s'il faut changer de domaines pour avoir une emprise plus structurelle dans le développement du Yémen cela peu s'examiner naturellement.\
QUESTION.- Monsieur le Président François Mitterrand vous aviez proposé lors de votre discussion avec Monsieur le Président Ali Abdallah Saleh une médiation internationale pour ce qui est de la question des frontières yéméno-saoudiennes. Quelle est votre conception de la question ?
- LE PRESIDENT.- Non, on ne peut pas dire cela. Je n'ai pas proposé de médiation française. Le Président Saleh a bien voulu exposer les différentes solutions possibles pour parvenir à un règlement amiable avec l'Arabie Saoudite sur la zone frontalière contestée. Parmi les hypothèses évoquées ou que comptent évoquer ses collaborateurs, qui participaient à cette discussion, l'un d'entre eux a mentionné l'appel à l'arbitrage international. Comme j'ai assisté à beaucoup de conflits de ce genre, j'ai constaté que cette procédure était généralement assez longue mais efficace, donc je me suis contenté de donner une opinion intéressée. Favorable je n'ai pas à le dire, nous ne sommes pas dans ce débat-là mais elle pourrait être interprétée comme favorable. Comme la France n'est pas médiatrice, j'arrête là mon jugement.\
QUESTION.- Monsieur le Président quelle est votre opinion sur la question de la légalité internationale en Bosnie-Herzegovine, en Somalie à la lumière de la nouvelle situation internationale et du nouvel ordre international ?
- LE PRESIDENT.- Je pense simplement que depuis quelques années, les Nations unies se voient reconnu un droit d'intervention conforme à leurs propres institutions. C'est dans cet esprit là que lorsqu'au lendemain de la deuxième guerre mondiale, L'Organisation des Nations unies a été créée c'était bien pour mettre en pratique le droit tel qu'il serait défini par le Conseil de Sécurité et par l'Assemblée générale. Mais pendant longtemps ce droit ou cette compétence est restée inappliquée sauf dans quelques cas.
- Depuis la fin des blocs militaires et du partage de l'Europe d'abord mais aussi du monde en deux, les Nations unies ont retrouvé un rôle actif et puisqu'il s'agissait de la défense du droit, on a fait appel à elles de tous côtés. Tellement de tous côtés que l'ONU s'est trouvée débordée car elle n'avait pas les moyens d'intervenir partout. Alors, elle s'est adressée à un certain nombre de pays pour demander un volontariat. S'il s'agit de rétablir la paix dans telle ou telle région, il faut des actions humanitaires, des actions d'interposition. Il faut éviter, là où c'est possible, que les combattants se rencontrent. On met donc des soldats, par définition neutres, qui représentent les Nations unies et on fait appel, toujours du côté des Nations unies, aux pays volontaires. La France est un pays particulièrement volontaire puisque c'est celui qui fournit le plus d'hommes à l'heure actuelle sur la surface du globe dans les différents conflits. Pour tenter de régler les conflits qui naissent à tous moments, nous avons des hommes dans les forces de paix, pas dans les forces de guerre. Nous en avons aussi bien en Asie, par exemple au Cambodge, ou en Afrique dans de nombreux endroits. Nous avons, je crois, rempli un rôle très utile en Europe puisque nous représentons la force la plus importante aujourd'hui dans l'ancienne Yougoslavie.
- Je pense donc que c'est une très bonne chose que les Nations unies aient pris une part croissante, au nom du droit, au règlement des conflits. Il est difficile d'estimer que le droit peut-être victorieux et s'imposer sans qu'il puisse disposer de moyens de force, mais les Nations unies ne sont pas une partie belligérante dans les différents conflits qui se sont propagés. J'isole pour l'instant l'analyse que l'on pourrait faire sur l'évolution en Somalie, nous en parlerons dans un instant.
- Partout, les Nations unies, par les soldats qui lui ont été fournis sous son propre commandement, ont été une force de paix, et si elles n'ont pas pu régler les conflits, cela tient aussi au fait qu'un certain nombre de peuples ne veulent pas de la paix ou de moins ne la veulent qu'à leurs conditions. Il est très difficile d'imposer une règle à des peuples qui entendent poursuivre leur combat une règle par d'autres combats, en aggravant en somme les dimensions d'une guerre. Et puis ce n'est pas le rôle des Nations unies, d'où des lenteurs.
- Moi, je crois que le dialogue et la négociations doivent toujours l'emporter et c'est le sentiment des négociateurs des Nations unies et de la Communauté européenne notamment en Bosnie. C'est insupportable quand on voit de quelle manière certaines villes, je pense à Sarajevo et à quelques autres, sont martyrisées. Mais quel est le pays qui serait disposé à faire la guerre en envoyant des armées dans l'ancienne Yougoslavie et pour combattre qui ? Ici ce seraient les Musulmans, là les Serbes, ailleurs les Croates. Ce n'est pas la mission des Nations unies.\
LE PRESIDENT.- `Suite sur l'intervention de l'ONU` Cependant, les Nations unies sont allées plus loin dans leur jurisprudence au cours de ces dernières années puisqu'elles ont décidé de soutenir militairement leurs actions humanitaires. C'est une initiative qui a été prise par la France et défendue par le ministre des affaires étrangères ici présent. On a dit qu'il fallait créer des zones de sécurité ou les populations puissent se réfugier, où elles ne seraient pas massacrées. Dans ce cas là, les forces des Nations unies me faisait observer il y a 48 heures, puisqu'il se trouvait avec nous à l'Ile Maurice pour le sommet de la francophonie, que les neuf-dixièmes du territoire de Somalie étaient calmes et qu'on avait pu procéder à tout ce qui avait été considéré comme souhaitable sur le plan alimentaire et sur le plan de la protection sanitaire. Des centaines de milliers de dons, de médicaments, de piqûres pour soigner les épidémies, tout cela se fait tout-à-fait normalement et la situation interne de la population somalienne s'en trouve très améliorée par rapport à ce qu'elle était avant l'intervention des Nations unies.
- Il reste que des actions ont été menées qui prennent l'allure d'un conflit entre les Nations unies et une fraction des forces somaliennes. Déjà M. Clinton a fait savoir qu'il souhaitait en terminer avec cette façon de faire, et qu'il préférait la négociation puisqu'il a fixé un terme à son action, le cas échéant pour le mois de mars. Du côté français, nous pensons en effet que ce serait une mauvaise direction à prendre que de s'enfoncer dans un conflit, et, au demeurant, la France n'a été mêlée à aucun de ces conflits sinon comme participant aux forces des Nations unies, mais sans jamais avoir l'initiative d'actions belligerantes. Les troupes françaises sont, à ma connaissance, très appréciées. S'il s'agit d'un travail proprement humanitaire, nous sommes toujours disponibles. Si cela prend la tournure d'un conflit armé, nous demandons à réexaminer la question.
- QUESTION.- Est-ce que les points de vues ont été conformes dans toutes les questions débattues et s'il y a divergence, pouvons-nous savoir lesquelles ?
- LE PRESIDENT.- Je crois pouvoir dire que la France par exemple a été pleinement satisfaite des premiers résultats obtenus dans la résolution du conflit entre Israël et les Palestiniens. Je crois pouvoir dire qu'elle a été très satisfaite des résultats remarquables obtenus au Cambodge comme elle avait été naguère tout-à-fait satisfaite des résultats obtenus en Namibie. La France n'a aucun différend avec personne et elle est prête à participer à toutes les opérations de paix, notamment en Angola. Je pourrais continuer comme cela.
- En Bosnie Herzegovine et dans l'ensemble de la Yougoslavie, il n'y a pas de conflit entre la France et la mission des Nations unies. Lorsqu'il y a à choisir une attitude plutôt qu'une autre, nous donnons notre opinion et puis c'est tout. D'ailleurs nous exerçons actuellement le commandement militaire au nom des Nations unies sur l'ensemble du territoire yougoslave. Nous avons également un rôle à jouer dans le commandement en Bosnie. Voilà ce que je peux vous dire.
- Sur la Somalie nous avons en effet quelquefois des divergences d'opinion mais nous restons à la disposition des Nations unies.\
QUESTION.- La crise de la Libye a enregistré un paroxysme après le refus libyen de remettre les suspects. Avez-vous des informations selon lesquelles cette crise pourrait connaître une fin avec le procès des principaux concernés ?
- LE PRESIDENT.- Il y a eu des actes criminels de terrorisme qui ont été commis contre des avions. Il y a mille formes de terrorisme et elles sont toutes condamnables. Mais en l'occurence il s'agit d'avions, notamment d'un avion français, qui ont explosé par action terroriste. Dans ce cas ce n'est plus moi qui parle, ce sont les autorités judiciaires, les juges d'instruction. Après avoir procédé aux recherches qui leur étaient demandées, ils ont estimé qu'à l'origine de plusieurs de ces actes se trouvaient des Libyens. Je ne dis pas la Libye : des Libyens. Il a été demandé que ces personnes considérées comme des criminels soient jugées. Rien de plus normal. A partir de là si la Libye se refuse à toute extradition et à toute conciliation sur la procédure à admettre, elle se rend objectivement complice de l'acte terroriste. C'est là que les affaires s'aggravent et que la Libye est à la merci de sanctions qui sont légitimement demandées par les pays victimes des actes terroristes. Cela peut en effet s'aggraver. Je souhaite que la raison l'emporte. C'est-à-dire que la Libye considère que tout crime doit être puni.\
QUESTION.- Monsieur le Président, sur la Somalie, est-ce que vous pensez que l'échéance du mois de mars est aussi une bonne échéance pour le contingent français ?
- LE PRESIDENT.- Mon sentiment personnel, rejoint le sentiment moyen des responsables français : que c'est un délai un peu tardif. On a examiné la possibilité de ramener nos troupes plus tôt. En effet, soit la paix est revenue et l'action humanitaire a été conduite dans les neuf-dixièmes du territoire à son terme £ soit il s'agit d'une guerre, auquel cas les missions changent de sens. Mais comme nous n'avons pas coutume d'agir en oubliant ceux qui nous ont chargés d'une mission, nous nous retournons vers les Nations unies et vers le secrétaire général et nous en débattrons.\
QUESTION.- Monsieur le Président Saleh, à part le contentieux frontalier avec l'Arabie Saoudite, quelles sont aujourd'hui vos relations avec l'Arabie Saoudite depuis la guerre du Golfe et vos relations avec le Koweit aujourd'hui ?
- LE PRESIDENT SALEH.- Nos relations avec l'Arabie Saoudite sont des relations de fraternité et de bon voisinage mais elles connaissent une certaine tiédeur. Elles ont connu cette tiédeur pendant et après la guerre du Golfe. Il en est de même avec le Koweit et cela unilatéralement. Les Yéménites, pour leur part, essaient que leurs relations soient bonnes avec tous les voisins. Mais ces relations connaissent une certaine tiédeur avec nos frères saoudiens. Comme l'ont dit les autorités saoudiennes ce ne sont pas les raisons du Golfe mais plutôt un cumul des raisons dans le dossier des relations saoudo-yéménites et à leur tête le contentieux frontalier. Le Yémen dès sa réunification, le 22 mai 1990, avait déclaré dans le premier communiqué du gouvernement devant le parlement qu'il était disposé à résoudre les contentieux frontaliers avec ses voisins pacifiquement et à l'amiable dans le cadre des droits internationaux et historiques. En effet, les frontières ont été fixées avec le Sultanat d'Oman. Cette convention a été signée et ratifiée par le parlement et par la direction politique. Il y a des orientations pour la solution du contentieux frontalier avec l'Arabie Saoudite, à savoir la médiation, la négociation directe, l'arbitrage, le recours ou la Cour internationale de justice. Nous espérons ne pas en arriver jusque là. Mais la négociation directe pourrait aider s'il y avait de la bonne volonté et pour ce qui est du Yémen, nous avons décidé de résoudre ce contentieux afin de garantir les droits des deux parties.\
QUESTION.- Monsieur le Président, dans 48 heures, vous-même et le gouvernement français allez recevoir Yasser Arafat à Paris en visite officielle. Est-ce que vous pouvez nous dire en deux mots, qu'est-ce que vous allez dire à Yasser Arafat ?
- LE PRESIDENT.- Pour l'instant, ce qu'on pourrait dire c'est : bonne chance ! Réussissez, c'est une excellente chose et vous avez été très courageux en souscrivant à l'accord de Washington. La France est à vos côtés, elle l'a été dans d'autres circonstances. Elle souhaitait depuis toujours que l'existence d'Israël fût reconnue et que fussent accordés également à Israël (qui s'en sera chargé tout seul) les moyens de sa sécurité et, de l'autre côté, que fût reconnue l'existence d'une terre, la réalité d'une terre où les Palestiniens pourraient d'abord disposer d'une patrie, ensuite créer les éléments d'un Etat. Je répète que c'est ce que j'ai dit dès 1982 à la Knesset. Il n'y a pas de dissimulation. On a tenu le même langage à l'égard des uns et des autres.
- Aujourd'hui on a fait un grand pas en avant. Je m'en réjouis et je regrette qu'on ait mis si longtemps pour parvenir à une solution qui était déjà indiquée par de nombreuses personnes depuis longtemps.
- La suite, si vous voulez bien, on vous la dira jeudi.\
QUESTION.- Monsieur le Président, le Yémen a connu une crise politique et la connaît toujours. Sommes-nous en voie d'une solution et sur quelle base se fera cette solution ?
- Est-ce que vous pensez que monsieur le président yéménite veut convoquer une conférence de réconciliation entre Arafat et les factions qui s'opposent à l'accord de paix ? Pensez-vous que c'est une nécessité pour M. Arafat de réussir cet accord de paix pour qu'il y ait une réconciliation nationale notamment avec les intégristes du Hamas que le président yéménite veut convoquer ?
- LE PRESIDENT.- Les intentions du Président du Yémen, qui est à mes côtés, il vous les dira lui-même. Il ne m'en a pas fait la confidence et ce n'est pas l'affaire de la France. Que M. Arafat ait des oppositions, c'était prévisible et c'est assez normal quand on prend des engagements de cette importance. Je crois savoir que M. Rabin n'en manque pas. Je souhaite en effet que ces différentes factions se réconcilient autour d'une perspective de paix et de reconnaissance mutuelle. Si des forces extrémistes ou intégristes devaient l'emporter, ce serait la continuation de la guerre et le développement du terrorisme ce qui ne me paraît pas souhaitable.
- LE PRESIDENT SALEH.- Pour ce qui est de la première question relative à la crise au Yémen, en fait il n'y a pas de crise au Yémen mais il y a des divergences dans les points de vue entre les diverses factions politiques y compris les trois partis de coalition. Nous sommes au tout début du chemin de la construction, de l'affermissement de la démocratie et ceux qui suivent les affaires du Yémen pourraient penser qu'il y a crise.
- Mais, à y regarder de plus près, on pourrait considérer aussi que le début de la réunification a été une crise, que les législatives ont été également une crise. Nous allons procéder à des présidentielles, on pourrait les qualifier de crises, mais nous ne qualifions pas tout cela de crise simplement de divergence dans les buts entre les diverses forces politiques, ce qui est tout à fait naturel. Une diversité qualifiée de crise c'est un vocabulaire utilisé surtout par la presse anti-démocratique qui fait tout ce brouhaha, et certains politiciens vont même jusqu'à les croire. Alors qu'il n'est est rien. Mais il y a un dicton qui dit : "Celui qui se frappe ne peut que pleurer". En fait ce serait un peu une méthode Coué à force d'entendre des choses on pourrait les croire.
- Nous avons toujours connu de telles divergences donc, il n'y a pas vraiment de crise.
- Maintenant, pour ce qui est de la deuxième partie de la question, l'appel aux diverses factions de l'OLP, nous avons exposé la question à M. Yasser Arafat et aux diverses directions des organisations palestiniennes et nous les avons invitées à Sanaa, si elles le souhaitaient, afin de s'y réunir, de s'y concilier car le Yémen tient à ce qu'aucune goutte de sang palestinien ne soit versée à la suite de l'accord de principe signé à Washington, l'accord Gaza Jéricho d'abord.\
QUESTION.- Monsieur le Président Mitterrand, quelle est votre appréciation de l'expérience démocratique au Yémen, et quel est le rôle que la France pourrait jouer à travers la Communauté européenne afin d'aider le Yémen qui fait face à une situation économique particulièrement difficile après la guerre du Golfe ?
- LE PRESIDENT.- Je considère la démarche démocratique du Yémen comme un événement très important que je crois également nécessaire. Encourager ne veut pas dire grand chose mais enfin si la France, par ses comportements dans les assemblées internationales comme dans ses relations bilatérales avec le Yémen, peut faire comprendre d'abord aux pays de la région, mais aussi à tous les autres, que le Yémen a choisi la bonne voie, elle le fera. Et j'ai commencé de le faire en tout cas depuis hier. C'est un choix courageux, je le dis tout de suite à la personne qui m'a interrogé précédemment. Quand les divergences commencent à être avouées, c'est que la démocratie est déjà là. C'est plutôt bon signe. Et il faut en prendre l'habitude.
- Pour le reste, que peut faire la France ? Il y a le soutien moral, psychologique et politique, c'est ce que nous faisons. C'est vrai que toute démocratie peut être menacée par le sous-développement, par le manque de développement en tout cas, et par les difficultés que peut éprouver un peuple pour se nourrir, se vêtir, pour vivre. Il faut donc que la France et les pays de la Communauté, je parle pour ceux que je connais et de ce sur quoi nous pouvons avoir une action, s'engagent le plus possible aux côtés de ceux qui veulent fonder la démocratie et la développer au Yémen. Je disais tout à l'heure que la France avait été, l'an dernier, le deuxième fournisseur du Yémen. Nous avons déjà accordé nos actes à nos paroles. Et on va continuer, je l'ai dit également tout à l'heure. Si on peut faire plus, on fera plus. La difficulté pour nous, c'est que nous sommes également touchés par la crise économique qui frappe les grands pays industriels d'Occident. Nous sommes obligés de veiller à notre budget. Ce n'est pas toujours très commode, et nous avons déjà des obligations morales et politiques très importantes dans beaucoup de pays du monde, notamment en Afrique. Malgré tout, les relations qui existent avec le Yémen nous incitent à faire de plus en plus.
- QUESTION.- Le Yémen a dû porter une grande part du fardeau en accueillant les réfugiés de Somalie et ce malgré ses propres fardeaux. Actuellement, le Yémen pourrait-il jouer un rôle dans la réconciliation avec la Somalie et l'Ethiopie aux côtés des Nations unies surtout vu les crises que connaissent les Nations unies ?
- LE PRESIDENT.- Pour tout conflit provoquant le départ d'une partie de la population, ce sont les pays voisins qui souvent supportent le poids et parfois un poids très lourd. C'est vrai autour de la Bosnie, c'est vrai autour de la Somalie. Et je pense que les Nations unies devraient examiner cette question plus attentivement encore pour venir en aide à ces pays qui supportent une charge qu'ils ne sont pas toujours en mesure d'assumer. Pour le reste, est-ce que le Yémen peut appeler en consultation d'autres pays pour participer à ce règlement pacifique ? Je ne suis pas chargé de répondre au nom des Nations unies. Mais enfin, cela me paraît tout à fait judicieux. Pourquoi les Nations unies se priveraient-elles des avis des pays voisins particulièrement intéressés et compétents ? C'est une question que je pose.\
QUESTION.- Puisque nous parlons des aspects humanitaires, le moment est-il venu de lever l'embargo que subissent les enfants, les femmes et les vieillards d'Irak ?
- LE PRESIDENT.- Vous me parlez de l'Irak, il y a des blocus, malheureusement un peu partout. J'ai eu l'occasion de rencontrer le Président Clinton il y a quelque temps et je lui ai dit : "mais pourquoi maintenir le blocus sur Cuba ? Il vaudrait mieux cesser cela " Car ce que vous avez dit du peuple irakien peut être dit du peuple cubain. Et depuis la fin des blocs militaires, il ne faut pas que les populations souffrent des conflits nés au temps de la guerre froide. J'ai tenu le même raisonnement à propos du blocus au Vietnam, mais je reconnais qu'il y a là des problèmes de caractère psychologique et moral difficiles à résoudre en raison du litige qui subsiste entre le Vietnam et les Etats-Unis d'Amérique sur le relevé des morts et des blessés. Tant que cette réponse ne sera pas vraiment acquise, il peut y avoir difficultés pour la levée de l'embargo. Il y a d'autres embargos encore dans le monde, autour de la Serbie. Et je considère que lorsqu'un pays s'est placé en dehors de la loi internationale, il est normal qu'il en supporte le poids. Quant à l'Irak, voulez-vous qu'on en finisse ? Eh bien, que le gouvernement et le président irakiens se soumettent à la loi internationale et on n'en parlera plus.
- QUESTION.- Le Vice-Président s'est exilé à Aden depuis août dernier et a vivement critiqué la façon dont la réunification s'effectuait. Estimez-vous qu'un compromis peut-être trouvé pour permettre son retour à Sanaa ?
- LE PRESIDENT SALEH.- Notre frère Ali Salem Al Bid est à Aden dans la deuxième capitale du Yémen. Il y est rentré après une visite de soin qu'il avait effectuée. Il y a des pourparlers pour examiner, au niveau des commissions, diverses questions entre les partis de la coalition, le parti du Congrès, le parti Socialiste et le Rassemblement pour la réforme. Ali Salem Al Bid va revenir dans la capitale, il exercera ses fonctions de Vice-Président et ce dans les plus brefs délais.\
QUESTION.- Pensez-vous qu'il y a une action française dans le monde arabe surtout après votre visite en Arabie Saoudite, au Yémen, et votre rencontre avec M. Moubarak et M. Arafat. Est-ce que la France va reprendre son rôle dans le monde arabe ?
- LE PRESIDENT.- Elle n'a pas besoin de le reprendre. Depuis des siècles elles le poursuit. Et interrogez d'une façon générale les Arabes, par leurs représentants naturels, par les intellectuels, vous verrez que, même si un certain intégrisme peut ne pas être satisfait de l'action de la France, d'une façon générale le monde arabe et la France ont des affinités qui ont été préservées.
- QUESTION.- M. Mitterrand, la France a eu un grand rôle dans la guerre du Golfe. Pourrait-elle jouer un rôle identique dans la paix et dans la restauration des relations entre les pays du Golfe et notamment la partie yéménite qui a beaucoup souffert à la suite de cette guerre du Golfe ?
- LE PRESIDENT.- Nous avons participé à la guerre du Golfe parce que le président irakien s'est refusé à participer à la paix dans le Golfe. La France avait fait un effort particulier pour proposer un plan de paix que j'avais exposé moi-même à la tribune des Nations unies. Nous avons maintenu cette proposition jusqu'au dernier jour, mais en prévenant que si personne ne répondait à notre appel, nous serions logiques avec nous-mêmes et serions solidaires de nos alliés occidentaux qui, en l'occurence ont été accompagnés par de très nombreux pays arabes. Pourrait-on participer à un processus de paix ? Il y a un commencement à tout. Le commencement à tout c'est que le Président Sadam Hussein applique les décisions des Nations unies, les respecte, qu'il n'y ait pas de génocide des Kurdes, qu'il n'y ait pas de répression contre les Chiites du Sud. Bref il est très difficile de demander à M. Sadam Hussein d'établir une démocratie. Je ne pense pas que ce soit tout à fait conforme à son tempérament. Mais au moins que les règles qui touchent aux droits des gens soient respectées, qu'il ne se mette pas hors de la loi internationale. Alors qu'il commence. La France, qui a été pendant longtemps en relation très cordiale avec l'Irak, aidera de son mieux à rétablir l'ordre pacifique des choses.
- QUESTION.- Certains journaux français ont fait campagne contre le Yémen à la suite de ses positions pendant la guerre du Golfe et le Yémen a beaucoup souffert de cette guerre mais certains journaux ont défendu la position yéménite et cette campagne contre le Yémen est tout à fait injuste. Qu'en pensez-vous ?
- LE PRESIDENT.- Nous n'allons pas refaire cette histoire. Je pense et je vais donner une opinion personnelle, que si le Yémen s'est trouvé ainsi accusé c'est sans doute pour quelques raisons. Parmi ces raisons, il y a les rivalités et les oppositions qui existent dans la péninsule arabique et dans le Moyen-Orient. Le Yémen n'était pas très enclin à approuver toutes les attitudes, par exemple, celle du Koweït ou celle de l'Arabie Saoudite. Il s'est trouvé déporté, non pas militairement mais dans la rumeur internationale, du côté de l'Irak. J'ai déjà dit que j'avais préservé les relations de la France avec le Yémen pendant toute cette période. J'ai reçu du Président Saleh pendant la guerre du Golfe alors que nous avions 15000 hommes engagés dans la guerre, une invitation officielle pour faire une visite d'état au Yémen. C'est dire que nous avions préservé l'essentiel. Il y a eu quelque injustice dans la manière dont le Yémen a été attaqué. Je pense que le rapport des forces dans cette région du monde l'a naturellement porté à marquer une réserve à l'égard du Koweit et de l'Arabie Saoudite et c'est comme cela que cette rumeur est née.\
- PRESIDENT SALEH.- Nous sommes heureux de la visite que rend M. Mitterrand à notre pays. Nous avons parlé hier comme aujourd'hui avec le Président, la délégation et les experts des deux gouvernements qui ont exprimé le voeu de renforcer la coopération entre nos deux pays. Cette visite est un pas en avant pour le renforcement des liens bilatéraux de la coopération entre nos deux pays. Tous les résultats ont été positifs en ce qui concerne la coopération bilatérale entre nos deux pays amis.
- QUESTION.- Monsieur le Président François Mitterrand, ceux qui suivent les relations franco-yéménites remarquent d'année en année l'accroissement des importations de provenance française et en même temps on remarque le peu de rôle joué par la France pour renforcer les infrastructures du développement au Yémen ?
- LE PRESIDENT.- Nous assistons à un progrès continu. J'ai là une liste d'opérations quand même assez significatives dans plusieurs domaines : ainsi, pour des télécommunications, Alcatel réalise presque tout l'équipement du nord du pays tandis qu'elle poursuit ses activités au sud. En ce qui concerne le pétrole, c'est vrai qu'à la fois les accords ont été engagés et qu'il y a un certain ralentissement dans l'action mais ce n'est pas pour des raisons propres uniquement à nos sociétés. Il y a beaucoup d'entreprises de moindre taille que celles que je viens de citer qui sont ici, chez vous, qui travaillent avec vous, l'institut géographique national, la société Sofreavia, (dans l'ingénierie aéroportuaire), et dans le domaine des conserveries. On m'a cité beaucoup d'autres projets, notamment la zone franche d'Aden ou la raffinerie également à Aden. On peut certainement en faire davantage d'autant plus que le Yémen offre des grandes possibilités et favorise les investissements. Est-ce qu'il y a une certaine timidité de nos investisseurs ? C'est possible. Dans ce cas là, il faudra le leur dire mais j'observe quand même que la France est bien située dans ses relations avec le Yémen, dans un bon rang. Elle a été l'année dernière le deuxième fournisseur du Yémen. Ce n'est pas uniquement pour des infrastructures puisque la moitié a été due à des produits agro-alimentaires mais enfin c'est tout de même important.
- Il y a d'autre part des accords financiers qui sont très utiles. L'effort financier, je puis l'annoncer ici sera maintenu au niveau de 1992. En 1993, c'est-à-dire les 70 millions d'aide et des fournitures de farine, à hauteur de 4000 tonnes. Tout est en hausse, rien ne se réduit et s'il faut changer de domaines pour avoir une emprise plus structurelle dans le développement du Yémen cela peu s'examiner naturellement.\
QUESTION.- Monsieur le Président François Mitterrand vous aviez proposé lors de votre discussion avec Monsieur le Président Ali Abdallah Saleh une médiation internationale pour ce qui est de la question des frontières yéméno-saoudiennes. Quelle est votre conception de la question ?
- LE PRESIDENT.- Non, on ne peut pas dire cela. Je n'ai pas proposé de médiation française. Le Président Saleh a bien voulu exposer les différentes solutions possibles pour parvenir à un règlement amiable avec l'Arabie Saoudite sur la zone frontalière contestée. Parmi les hypothèses évoquées ou que comptent évoquer ses collaborateurs, qui participaient à cette discussion, l'un d'entre eux a mentionné l'appel à l'arbitrage international. Comme j'ai assisté à beaucoup de conflits de ce genre, j'ai constaté que cette procédure était généralement assez longue mais efficace, donc je me suis contenté de donner une opinion intéressée. Favorable je n'ai pas à le dire, nous ne sommes pas dans ce débat-là mais elle pourrait être interprétée comme favorable. Comme la France n'est pas médiatrice, j'arrête là mon jugement.\
QUESTION.- Monsieur le Président quelle est votre opinion sur la question de la légalité internationale en Bosnie-Herzegovine, en Somalie à la lumière de la nouvelle situation internationale et du nouvel ordre international ?
- LE PRESIDENT.- Je pense simplement que depuis quelques années, les Nations unies se voient reconnu un droit d'intervention conforme à leurs propres institutions. C'est dans cet esprit là que lorsqu'au lendemain de la deuxième guerre mondiale, L'Organisation des Nations unies a été créée c'était bien pour mettre en pratique le droit tel qu'il serait défini par le Conseil de Sécurité et par l'Assemblée générale. Mais pendant longtemps ce droit ou cette compétence est restée inappliquée sauf dans quelques cas.
- Depuis la fin des blocs militaires et du partage de l'Europe d'abord mais aussi du monde en deux, les Nations unies ont retrouvé un rôle actif et puisqu'il s'agissait de la défense du droit, on a fait appel à elles de tous côtés. Tellement de tous côtés que l'ONU s'est trouvée débordée car elle n'avait pas les moyens d'intervenir partout. Alors, elle s'est adressée à un certain nombre de pays pour demander un volontariat. S'il s'agit de rétablir la paix dans telle ou telle région, il faut des actions humanitaires, des actions d'interposition. Il faut éviter, là où c'est possible, que les combattants se rencontrent. On met donc des soldats, par définition neutres, qui représentent les Nations unies et on fait appel, toujours du côté des Nations unies, aux pays volontaires. La France est un pays particulièrement volontaire puisque c'est celui qui fournit le plus d'hommes à l'heure actuelle sur la surface du globe dans les différents conflits. Pour tenter de régler les conflits qui naissent à tous moments, nous avons des hommes dans les forces de paix, pas dans les forces de guerre. Nous en avons aussi bien en Asie, par exemple au Cambodge, ou en Afrique dans de nombreux endroits. Nous avons, je crois, rempli un rôle très utile en Europe puisque nous représentons la force la plus importante aujourd'hui dans l'ancienne Yougoslavie.
- Je pense donc que c'est une très bonne chose que les Nations unies aient pris une part croissante, au nom du droit, au règlement des conflits. Il est difficile d'estimer que le droit peut-être victorieux et s'imposer sans qu'il puisse disposer de moyens de force, mais les Nations unies ne sont pas une partie belligérante dans les différents conflits qui se sont propagés. J'isole pour l'instant l'analyse que l'on pourrait faire sur l'évolution en Somalie, nous en parlerons dans un instant.
- Partout, les Nations unies, par les soldats qui lui ont été fournis sous son propre commandement, ont été une force de paix, et si elles n'ont pas pu régler les conflits, cela tient aussi au fait qu'un certain nombre de peuples ne veulent pas de la paix ou de moins ne la veulent qu'à leurs conditions. Il est très difficile d'imposer une règle à des peuples qui entendent poursuivre leur combat une règle par d'autres combats, en aggravant en somme les dimensions d'une guerre. Et puis ce n'est pas le rôle des Nations unies, d'où des lenteurs.
- Moi, je crois que le dialogue et la négociations doivent toujours l'emporter et c'est le sentiment des négociateurs des Nations unies et de la Communauté européenne notamment en Bosnie. C'est insupportable quand on voit de quelle manière certaines villes, je pense à Sarajevo et à quelques autres, sont martyrisées. Mais quel est le pays qui serait disposé à faire la guerre en envoyant des armées dans l'ancienne Yougoslavie et pour combattre qui ? Ici ce seraient les Musulmans, là les Serbes, ailleurs les Croates. Ce n'est pas la mission des Nations unies.\
LE PRESIDENT.- `Suite sur l'intervention de l'ONU` Cependant, les Nations unies sont allées plus loin dans leur jurisprudence au cours de ces dernières années puisqu'elles ont décidé de soutenir militairement leurs actions humanitaires. C'est une initiative qui a été prise par la France et défendue par le ministre des affaires étrangères ici présent. On a dit qu'il fallait créer des zones de sécurité ou les populations puissent se réfugier, où elles ne seraient pas massacrées. Dans ce cas là, les forces des Nations unies me faisait observer il y a 48 heures, puisqu'il se trouvait avec nous à l'Ile Maurice pour le sommet de la francophonie, que les neuf-dixièmes du territoire de Somalie étaient calmes et qu'on avait pu procéder à tout ce qui avait été considéré comme souhaitable sur le plan alimentaire et sur le plan de la protection sanitaire. Des centaines de milliers de dons, de médicaments, de piqûres pour soigner les épidémies, tout cela se fait tout-à-fait normalement et la situation interne de la population somalienne s'en trouve très améliorée par rapport à ce qu'elle était avant l'intervention des Nations unies.
- Il reste que des actions ont été menées qui prennent l'allure d'un conflit entre les Nations unies et une fraction des forces somaliennes. Déjà M. Clinton a fait savoir qu'il souhaitait en terminer avec cette façon de faire, et qu'il préférait la négociation puisqu'il a fixé un terme à son action, le cas échéant pour le mois de mars. Du côté français, nous pensons en effet que ce serait une mauvaise direction à prendre que de s'enfoncer dans un conflit, et, au demeurant, la France n'a été mêlée à aucun de ces conflits sinon comme participant aux forces des Nations unies, mais sans jamais avoir l'initiative d'actions belligerantes. Les troupes françaises sont, à ma connaissance, très appréciées. S'il s'agit d'un travail proprement humanitaire, nous sommes toujours disponibles. Si cela prend la tournure d'un conflit armé, nous demandons à réexaminer la question.
- QUESTION.- Est-ce que les points de vues ont été conformes dans toutes les questions débattues et s'il y a divergence, pouvons-nous savoir lesquelles ?
- LE PRESIDENT.- Je crois pouvoir dire que la France par exemple a été pleinement satisfaite des premiers résultats obtenus dans la résolution du conflit entre Israël et les Palestiniens. Je crois pouvoir dire qu'elle a été très satisfaite des résultats remarquables obtenus au Cambodge comme elle avait été naguère tout-à-fait satisfaite des résultats obtenus en Namibie. La France n'a aucun différend avec personne et elle est prête à participer à toutes les opérations de paix, notamment en Angola. Je pourrais continuer comme cela.
- En Bosnie Herzegovine et dans l'ensemble de la Yougoslavie, il n'y a pas de conflit entre la France et la mission des Nations unies. Lorsqu'il y a à choisir une attitude plutôt qu'une autre, nous donnons notre opinion et puis c'est tout. D'ailleurs nous exerçons actuellement le commandement militaire au nom des Nations unies sur l'ensemble du territoire yougoslave. Nous avons également un rôle à jouer dans le commandement en Bosnie. Voilà ce que je peux vous dire.
- Sur la Somalie nous avons en effet quelquefois des divergences d'opinion mais nous restons à la disposition des Nations unies.\
QUESTION.- La crise de la Libye a enregistré un paroxysme après le refus libyen de remettre les suspects. Avez-vous des informations selon lesquelles cette crise pourrait connaître une fin avec le procès des principaux concernés ?
- LE PRESIDENT.- Il y a eu des actes criminels de terrorisme qui ont été commis contre des avions. Il y a mille formes de terrorisme et elles sont toutes condamnables. Mais en l'occurence il s'agit d'avions, notamment d'un avion français, qui ont explosé par action terroriste. Dans ce cas ce n'est plus moi qui parle, ce sont les autorités judiciaires, les juges d'instruction. Après avoir procédé aux recherches qui leur étaient demandées, ils ont estimé qu'à l'origine de plusieurs de ces actes se trouvaient des Libyens. Je ne dis pas la Libye : des Libyens. Il a été demandé que ces personnes considérées comme des criminels soient jugées. Rien de plus normal. A partir de là si la Libye se refuse à toute extradition et à toute conciliation sur la procédure à admettre, elle se rend objectivement complice de l'acte terroriste. C'est là que les affaires s'aggravent et que la Libye est à la merci de sanctions qui sont légitimement demandées par les pays victimes des actes terroristes. Cela peut en effet s'aggraver. Je souhaite que la raison l'emporte. C'est-à-dire que la Libye considère que tout crime doit être puni.\
QUESTION.- Monsieur le Président, sur la Somalie, est-ce que vous pensez que l'échéance du mois de mars est aussi une bonne échéance pour le contingent français ?
- LE PRESIDENT.- Mon sentiment personnel, rejoint le sentiment moyen des responsables français : que c'est un délai un peu tardif. On a examiné la possibilité de ramener nos troupes plus tôt. En effet, soit la paix est revenue et l'action humanitaire a été conduite dans les neuf-dixièmes du territoire à son terme £ soit il s'agit d'une guerre, auquel cas les missions changent de sens. Mais comme nous n'avons pas coutume d'agir en oubliant ceux qui nous ont chargés d'une mission, nous nous retournons vers les Nations unies et vers le secrétaire général et nous en débattrons.\
QUESTION.- Monsieur le Président Saleh, à part le contentieux frontalier avec l'Arabie Saoudite, quelles sont aujourd'hui vos relations avec l'Arabie Saoudite depuis la guerre du Golfe et vos relations avec le Koweit aujourd'hui ?
- LE PRESIDENT SALEH.- Nos relations avec l'Arabie Saoudite sont des relations de fraternité et de bon voisinage mais elles connaissent une certaine tiédeur. Elles ont connu cette tiédeur pendant et après la guerre du Golfe. Il en est de même avec le Koweit et cela unilatéralement. Les Yéménites, pour leur part, essaient que leurs relations soient bonnes avec tous les voisins. Mais ces relations connaissent une certaine tiédeur avec nos frères saoudiens. Comme l'ont dit les autorités saoudiennes ce ne sont pas les raisons du Golfe mais plutôt un cumul des raisons dans le dossier des relations saoudo-yéménites et à leur tête le contentieux frontalier. Le Yémen dès sa réunification, le 22 mai 1990, avait déclaré dans le premier communiqué du gouvernement devant le parlement qu'il était disposé à résoudre les contentieux frontaliers avec ses voisins pacifiquement et à l'amiable dans le cadre des droits internationaux et historiques. En effet, les frontières ont été fixées avec le Sultanat d'Oman. Cette convention a été signée et ratifiée par le parlement et par la direction politique. Il y a des orientations pour la solution du contentieux frontalier avec l'Arabie Saoudite, à savoir la médiation, la négociation directe, l'arbitrage, le recours ou la Cour internationale de justice. Nous espérons ne pas en arriver jusque là. Mais la négociation directe pourrait aider s'il y avait de la bonne volonté et pour ce qui est du Yémen, nous avons décidé de résoudre ce contentieux afin de garantir les droits des deux parties.\
QUESTION.- Monsieur le Président, dans 48 heures, vous-même et le gouvernement français allez recevoir Yasser Arafat à Paris en visite officielle. Est-ce que vous pouvez nous dire en deux mots, qu'est-ce que vous allez dire à Yasser Arafat ?
- LE PRESIDENT.- Pour l'instant, ce qu'on pourrait dire c'est : bonne chance ! Réussissez, c'est une excellente chose et vous avez été très courageux en souscrivant à l'accord de Washington. La France est à vos côtés, elle l'a été dans d'autres circonstances. Elle souhaitait depuis toujours que l'existence d'Israël fût reconnue et que fussent accordés également à Israël (qui s'en sera chargé tout seul) les moyens de sa sécurité et, de l'autre côté, que fût reconnue l'existence d'une terre, la réalité d'une terre où les Palestiniens pourraient d'abord disposer d'une patrie, ensuite créer les éléments d'un Etat. Je répète que c'est ce que j'ai dit dès 1982 à la Knesset. Il n'y a pas de dissimulation. On a tenu le même langage à l'égard des uns et des autres.
- Aujourd'hui on a fait un grand pas en avant. Je m'en réjouis et je regrette qu'on ait mis si longtemps pour parvenir à une solution qui était déjà indiquée par de nombreuses personnes depuis longtemps.
- La suite, si vous voulez bien, on vous la dira jeudi.\
QUESTION.- Monsieur le Président, le Yémen a connu une crise politique et la connaît toujours. Sommes-nous en voie d'une solution et sur quelle base se fera cette solution ?
- Est-ce que vous pensez que monsieur le président yéménite veut convoquer une conférence de réconciliation entre Arafat et les factions qui s'opposent à l'accord de paix ? Pensez-vous que c'est une nécessité pour M. Arafat de réussir cet accord de paix pour qu'il y ait une réconciliation nationale notamment avec les intégristes du Hamas que le président yéménite veut convoquer ?
- LE PRESIDENT.- Les intentions du Président du Yémen, qui est à mes côtés, il vous les dira lui-même. Il ne m'en a pas fait la confidence et ce n'est pas l'affaire de la France. Que M. Arafat ait des oppositions, c'était prévisible et c'est assez normal quand on prend des engagements de cette importance. Je crois savoir que M. Rabin n'en manque pas. Je souhaite en effet que ces différentes factions se réconcilient autour d'une perspective de paix et de reconnaissance mutuelle. Si des forces extrémistes ou intégristes devaient l'emporter, ce serait la continuation de la guerre et le développement du terrorisme ce qui ne me paraît pas souhaitable.
- LE PRESIDENT SALEH.- Pour ce qui est de la première question relative à la crise au Yémen, en fait il n'y a pas de crise au Yémen mais il y a des divergences dans les points de vue entre les diverses factions politiques y compris les trois partis de coalition. Nous sommes au tout début du chemin de la construction, de l'affermissement de la démocratie et ceux qui suivent les affaires du Yémen pourraient penser qu'il y a crise.
- Mais, à y regarder de plus près, on pourrait considérer aussi que le début de la réunification a été une crise, que les législatives ont été également une crise. Nous allons procéder à des présidentielles, on pourrait les qualifier de crises, mais nous ne qualifions pas tout cela de crise simplement de divergence dans les buts entre les diverses forces politiques, ce qui est tout à fait naturel. Une diversité qualifiée de crise c'est un vocabulaire utilisé surtout par la presse anti-démocratique qui fait tout ce brouhaha, et certains politiciens vont même jusqu'à les croire. Alors qu'il n'est est rien. Mais il y a un dicton qui dit : "Celui qui se frappe ne peut que pleurer". En fait ce serait un peu une méthode Coué à force d'entendre des choses on pourrait les croire.
- Nous avons toujours connu de telles divergences donc, il n'y a pas vraiment de crise.
- Maintenant, pour ce qui est de la deuxième partie de la question, l'appel aux diverses factions de l'OLP, nous avons exposé la question à M. Yasser Arafat et aux diverses directions des organisations palestiniennes et nous les avons invitées à Sanaa, si elles le souhaitaient, afin de s'y réunir, de s'y concilier car le Yémen tient à ce qu'aucune goutte de sang palestinien ne soit versée à la suite de l'accord de principe signé à Washington, l'accord Gaza Jéricho d'abord.\
QUESTION.- Monsieur le Président Mitterrand, quelle est votre appréciation de l'expérience démocratique au Yémen, et quel est le rôle que la France pourrait jouer à travers la Communauté européenne afin d'aider le Yémen qui fait face à une situation économique particulièrement difficile après la guerre du Golfe ?
- LE PRESIDENT.- Je considère la démarche démocratique du Yémen comme un événement très important que je crois également nécessaire. Encourager ne veut pas dire grand chose mais enfin si la France, par ses comportements dans les assemblées internationales comme dans ses relations bilatérales avec le Yémen, peut faire comprendre d'abord aux pays de la région, mais aussi à tous les autres, que le Yémen a choisi la bonne voie, elle le fera. Et j'ai commencé de le faire en tout cas depuis hier. C'est un choix courageux, je le dis tout de suite à la personne qui m'a interrogé précédemment. Quand les divergences commencent à être avouées, c'est que la démocratie est déjà là. C'est plutôt bon signe. Et il faut en prendre l'habitude.
- Pour le reste, que peut faire la France ? Il y a le soutien moral, psychologique et politique, c'est ce que nous faisons. C'est vrai que toute démocratie peut être menacée par le sous-développement, par le manque de développement en tout cas, et par les difficultés que peut éprouver un peuple pour se nourrir, se vêtir, pour vivre. Il faut donc que la France et les pays de la Communauté, je parle pour ceux que je connais et de ce sur quoi nous pouvons avoir une action, s'engagent le plus possible aux côtés de ceux qui veulent fonder la démocratie et la développer au Yémen. Je disais tout à l'heure que la France avait été, l'an dernier, le deuxième fournisseur du Yémen. Nous avons déjà accordé nos actes à nos paroles. Et on va continuer, je l'ai dit également tout à l'heure. Si on peut faire plus, on fera plus. La difficulté pour nous, c'est que nous sommes également touchés par la crise économique qui frappe les grands pays industriels d'Occident. Nous sommes obligés de veiller à notre budget. Ce n'est pas toujours très commode, et nous avons déjà des obligations morales et politiques très importantes dans beaucoup de pays du monde, notamment en Afrique. Malgré tout, les relations qui existent avec le Yémen nous incitent à faire de plus en plus.
- QUESTION.- Le Yémen a dû porter une grande part du fardeau en accueillant les réfugiés de Somalie et ce malgré ses propres fardeaux. Actuellement, le Yémen pourrait-il jouer un rôle dans la réconciliation avec la Somalie et l'Ethiopie aux côtés des Nations unies surtout vu les crises que connaissent les Nations unies ?
- LE PRESIDENT.- Pour tout conflit provoquant le départ d'une partie de la population, ce sont les pays voisins qui souvent supportent le poids et parfois un poids très lourd. C'est vrai autour de la Bosnie, c'est vrai autour de la Somalie. Et je pense que les Nations unies devraient examiner cette question plus attentivement encore pour venir en aide à ces pays qui supportent une charge qu'ils ne sont pas toujours en mesure d'assumer. Pour le reste, est-ce que le Yémen peut appeler en consultation d'autres pays pour participer à ce règlement pacifique ? Je ne suis pas chargé de répondre au nom des Nations unies. Mais enfin, cela me paraît tout à fait judicieux. Pourquoi les Nations unies se priveraient-elles des avis des pays voisins particulièrement intéressés et compétents ? C'est une question que je pose.\
QUESTION.- Puisque nous parlons des aspects humanitaires, le moment est-il venu de lever l'embargo que subissent les enfants, les femmes et les vieillards d'Irak ?
- LE PRESIDENT.- Vous me parlez de l'Irak, il y a des blocus, malheureusement un peu partout. J'ai eu l'occasion de rencontrer le Président Clinton il y a quelque temps et je lui ai dit : "mais pourquoi maintenir le blocus sur Cuba ? Il vaudrait mieux cesser cela " Car ce que vous avez dit du peuple irakien peut être dit du peuple cubain. Et depuis la fin des blocs militaires, il ne faut pas que les populations souffrent des conflits nés au temps de la guerre froide. J'ai tenu le même raisonnement à propos du blocus au Vietnam, mais je reconnais qu'il y a là des problèmes de caractère psychologique et moral difficiles à résoudre en raison du litige qui subsiste entre le Vietnam et les Etats-Unis d'Amérique sur le relevé des morts et des blessés. Tant que cette réponse ne sera pas vraiment acquise, il peut y avoir difficultés pour la levée de l'embargo. Il y a d'autres embargos encore dans le monde, autour de la Serbie. Et je considère que lorsqu'un pays s'est placé en dehors de la loi internationale, il est normal qu'il en supporte le poids. Quant à l'Irak, voulez-vous qu'on en finisse ? Eh bien, que le gouvernement et le président irakiens se soumettent à la loi internationale et on n'en parlera plus.
- QUESTION.- Le Vice-Président s'est exilé à Aden depuis août dernier et a vivement critiqué la façon dont la réunification s'effectuait. Estimez-vous qu'un compromis peut-être trouvé pour permettre son retour à Sanaa ?
- LE PRESIDENT SALEH.- Notre frère Ali Salem Al Bid est à Aden dans la deuxième capitale du Yémen. Il y est rentré après une visite de soin qu'il avait effectuée. Il y a des pourparlers pour examiner, au niveau des commissions, diverses questions entre les partis de la coalition, le parti du Congrès, le parti Socialiste et le Rassemblement pour la réforme. Ali Salem Al Bid va revenir dans la capitale, il exercera ses fonctions de Vice-Président et ce dans les plus brefs délais.\
QUESTION.- Pensez-vous qu'il y a une action française dans le monde arabe surtout après votre visite en Arabie Saoudite, au Yémen, et votre rencontre avec M. Moubarak et M. Arafat. Est-ce que la France va reprendre son rôle dans le monde arabe ?
- LE PRESIDENT.- Elle n'a pas besoin de le reprendre. Depuis des siècles elles le poursuit. Et interrogez d'une façon générale les Arabes, par leurs représentants naturels, par les intellectuels, vous verrez que, même si un certain intégrisme peut ne pas être satisfait de l'action de la France, d'une façon générale le monde arabe et la France ont des affinités qui ont été préservées.
- QUESTION.- M. Mitterrand, la France a eu un grand rôle dans la guerre du Golfe. Pourrait-elle jouer un rôle identique dans la paix et dans la restauration des relations entre les pays du Golfe et notamment la partie yéménite qui a beaucoup souffert à la suite de cette guerre du Golfe ?
- LE PRESIDENT.- Nous avons participé à la guerre du Golfe parce que le président irakien s'est refusé à participer à la paix dans le Golfe. La France avait fait un effort particulier pour proposer un plan de paix que j'avais exposé moi-même à la tribune des Nations unies. Nous avons maintenu cette proposition jusqu'au dernier jour, mais en prévenant que si personne ne répondait à notre appel, nous serions logiques avec nous-mêmes et serions solidaires de nos alliés occidentaux qui, en l'occurence ont été accompagnés par de très nombreux pays arabes. Pourrait-on participer à un processus de paix ? Il y a un commencement à tout. Le commencement à tout c'est que le Président Sadam Hussein applique les décisions des Nations unies, les respecte, qu'il n'y ait pas de génocide des Kurdes, qu'il n'y ait pas de répression contre les Chiites du Sud. Bref il est très difficile de demander à M. Sadam Hussein d'établir une démocratie. Je ne pense pas que ce soit tout à fait conforme à son tempérament. Mais au moins que les règles qui touchent aux droits des gens soient respectées, qu'il ne se mette pas hors de la loi internationale. Alors qu'il commence. La France, qui a été pendant longtemps en relation très cordiale avec l'Irak, aidera de son mieux à rétablir l'ordre pacifique des choses.
- QUESTION.- Certains journaux français ont fait campagne contre le Yémen à la suite de ses positions pendant la guerre du Golfe et le Yémen a beaucoup souffert de cette guerre mais certains journaux ont défendu la position yéménite et cette campagne contre le Yémen est tout à fait injuste. Qu'en pensez-vous ?
- LE PRESIDENT.- Nous n'allons pas refaire cette histoire. Je pense et je vais donner une opinion personnelle, que si le Yémen s'est trouvé ainsi accusé c'est sans doute pour quelques raisons. Parmi ces raisons, il y a les rivalités et les oppositions qui existent dans la péninsule arabique et dans le Moyen-Orient. Le Yémen n'était pas très enclin à approuver toutes les attitudes, par exemple, celle du Koweït ou celle de l'Arabie Saoudite. Il s'est trouvé déporté, non pas militairement mais dans la rumeur internationale, du côté de l'Irak. J'ai déjà dit que j'avais préservé les relations de la France avec le Yémen pendant toute cette période. J'ai reçu du Président Saleh pendant la guerre du Golfe alors que nous avions 15000 hommes engagés dans la guerre, une invitation officielle pour faire une visite d'état au Yémen. C'est dire que nous avions préservé l'essentiel. Il y a eu quelque injustice dans la manière dont le Yémen a été attaqué. Je pense que le rapport des forces dans cette région du monde l'a naturellement porté à marquer une réserve à l'égard du Koweit et de l'Arabie Saoudite et c'est comme cela que cette rumeur est née.\