7 octobre 1993 - Seul le prononcé fait foi
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur les relations franco-autrichiennes, la construction européenne, l'élargissement de la CEE et l'action de l'Europe face au conflit yougoslave, Vienne le 7 octobre 1993.
Monsieur le Président,
- mesdames et messieurs,
- mes premiers mots seront pour vous remercier de votre accueil et pour vous dire le plaisir que j'éprouve à me retrouver à Vienne, au coeur de l'Europe, au confluent des cultures, des traditions, des histoires qui font tout à la fois l'extraordinaire richesse de notre continent et sa fragilité.
- Je ne pense pas forcer l'expression célèbre de Barrès en disant que Vienne est l'un des lieux mêmes où l'esprit n'a jamais cessé de souffler. Dans ce pays, les artistes, les écrivains ont marqué de manière si durable et profonde leur époque, vous avez pris une telle part à la culture de notre siècle que je veux commencer par rendre cet hommage.
- Etre ici ce soir, c'est aussi pour moi l'agrément de retrouver des amis. Je n'oublie pas qu'en 1982, vous avez bien voulu le rappeler, j'effectuais cette première visite officielle en Autriche d'un chef de l'Etat français et je n'oublie pas non plus, monsieur le Président, qu'il y a un an, presque jour pour jour, vous étiez chez nous, en France, pour votre première visite officielle à l'étranger.\
Les circonstances d'un passé encore récent n'ont pas voulu que l'Autriche fût présente lorsque s'engagea la construction de la Communauté, puis lorsque celle-ci, progressivement, s'élargit. L'ordre européen de l'époque ne le permettait pas. Depuis ce temps-là, les choses ont fondamentalement changé. La puissance qui avait figé le destin de la moitié de l'Europe s'est effondrée sur elle-même et des nations, naguère asservies, ont retrouvé leur liberté.
- Mais la société des hommes ne restera jamais tranquille. L'Europe, ébranlée par ce séisme, doit maintenant faire face à la résurgence de nombreux démons, attisés par la crise économique, l'excès du nationalisme, la montée de l'intolérance et du racisme, la tentation du repli sur soi. On sait en Autriche comme en France, les témoignages en sont partout, où cela nous a menés. En somme, une fois de plus, le meilleur et le pire se présentent en même temps devant nous : liberté et désordre, nation et tribalisme, souveraineté et xénophobie, esprit d'entreprise et mafia, que sais-je encore ?
- Il ne faut pas s'y tromper, cela ne nous fera pas regretter la période précédente. La liberté est un bien irremplaçable, essayons seulement d'en faire le meilleur usage. Une réponse s'impose à mes yeux. Si l'on veut assurer à notre continent la place qui lui revient, conforter la paix et donner plus de force aux jeunes démocraties, il faut poursuivre et réussir l'organisation de l'Europe.
- On nous propose parfois une sorte de fuite en avant. Déjà, à peine est-ce fait - et ce n'est pas fait - foin de l'Europe communautaire ! Oublions le Traité de Maastricht, dépassé avant même d'avoir été mis en oeuvre ! Bref, la Communauté devrait s'élargir sans attendre que se soient formés, sur le continent, les moyens d'une coopération utile.
-Gardons-nous de forcer les étapes, de prétendre unifier brutalement, dans un grand marché continental, des pays très différents dans leurs structures économiques et sociales, dans leurs niveaux de développement, dans leur mode de vie, dans leur comportement. On risquerait de provoquer des ruines nouvelles : spoliation chez les uns, désorganisation chez les autres et je ne pense pas que l'affaiblissement de la Communauté puisse servir aucun des autres pays d'Europe.
- Je reste convaincu que la seule méthode, réaliste et fructueuse, est celle que j'appellerai "de la double voie" : d'un côté, poursuivre, de manière déterminée, la mise en place de la construction européenne, économique, monétaire, politique, l'approfondir et l'élargir £ et, de l'autre côté, sans attendre que tous les peuples d'Europe soient à même d'entrer dans cette union européenne, veiller à ce que tous les pays démocratiques de notre continent puissent prendre part à une construction commune, sur un pied d'égalité. Les solidarités que nous saurons créer à l'échelle du continent nous permettront, croyez-moi, d'affirmer à chacun d'entre nous sa présence sur la scène de l'histoire.\
Je pense - et vous êtes nombreux à penser de même ici - que l'Autriche, précisément, est, avec quelques autres, en mesure de rejoindre, sans plus tarder, le noyau même de l'Union européenne. Aucun des obstacles que je citais tout à l'heure ne s'applique à l'Autriche et les questions que l'on me cite comme difficiles pour l'Autriche me semblent si faciles à régler par rapport à tant d'autres que je ne m'y attarderai pas. Il faut respecter l'identité de chaque état, de chaque pays et de chaque peuple, tout en les associant étroitement dans la construction commune.
- En tout cas, je pense que l'adhésion d'un pays comme le vôtre, qui a marqué d'une telle empreinte l'histoire de l'Europe, sa culture, constituera, pour les Douze actuellement rassemblés, un enrichissement considérable. Le propre de l'Europe que nous voulons construire est de s'enraciner dans la mémoire des peuples et de revendiquer nos différences, d'affronter nos querelles afin de les surmonter. Les Douze, l'Autriche, la Suède, la Finlande, je l'espère la Norvège, pour ne citer que des demandeurs qui sont déjà en négociation avec la Communauté, cela représentera demain une force de plus de 350 à 360 millions d'habitants : la première puissance commerciale du monde et, pourquoi pas, la première puissance technologique, scientifique, industrielle du monde. C'est possible si nous le voulons.\
L'Europe que nous bâtissons doit remplir une autre grande tâche : le rapprochement avec les démocraties d'Europe centrale et orientale et, qui mieux que l'Autriche, peut servir de trait-d'union ?
- Laissez-moi, pour une très brève parenthèse qui n'en n'est pas une, parlant ici à Vienne, évoquer l'ancienne Yougoslavie.
- Comment parler d'Europe en négligeant la tragédie qui se déroule à nos portes ? Imaginons ce qui se passera à l'approche de l'hiver à Sarajevo et dans les autres régions assiégées de Bosnie. Les populations y sont à bout de résistance et, comme toujours, les premières victimes sont les plus faibles : les vieillards, les enfants. L'aide européenne existe, on ne peut pas dire que nos pays manquent à leur devoir de solidarité, mais il est révoltant de voir que cette aide est le plus souvent bloquée dans son acheminement £ il arrive même qu'elle soit détournée. Des hommes et des femmes sont souvent menacés, pris pour cible alors qu'ils sont venus pour remplir leur devoir humanitaire.
- Je crois, au nom de mon pays, pouvoir dire ce que je vais dire puisque la France est, par le nombre de ses soldats, au premier rang des pays qui soutiennent l'action des Nations unies, loin devant tout autre pays, par les tâches qu'ils remplissent, par les sacrifices déjà consentis. Il faut que nous nous adressions aux belligérants, à ceux qui attaquent, qui assaillent, et leur dire que cet étranglement doit prendre fin. Beaucoup en Europe sont devenus sceptiques sur notre entreprise, à la fois en raison de la récession économique dont nous ne sommes pas responsables, d'autre part en raison du spectacle offert par les républiques de l'ancienne Yougoslavie et par le massacre des innocents. Il ne faut pas dire "l'Europe est absente" : elle ne dispose pas encore des moyens d'agir comme il faudrait agir ! Ce qu'il faut donc redouter, ce n'est pas trop d'Europe, c'est qu'il n'y en ait pas assez et que nous n'allions pas assez vite.
- Maastricht, je le pense, sera ratifié par tous les pays signataires dans quelques semaines, peut-être d'ici quelques jours. Et je demande aux ministres des Douze, en liaison avec leurs collègues européens, ainsi qu'avec les Nations unies et les organisations non-gouvernementales présentes dans l'ancienne Yougoslavie, de préparer et de proposer de nouveau et d'urgence les mesures qui permettront aux aides de parvenir là où il faut et de témoigner, de la manière que nous pourrons imaginer, pour que cesse ce scandale.\
L'Autriche, n'a pas attendu d'être candidate à l'Union européenne pour tenir sa place sur la scène internationale. On se souvient, en France, en tout cas, que l'Autriche a présidé la première conférence internationale sur le Cambodge, conférence qui a ouvert la voie au processus de règlement qui porte enfin ses fruits. Peut-être, en revanche, ne sait-on pas assez, dans mon pays, la générosité dont votre peuple a fait preuve vis-à-vis des ressortissants de l'ancienne Yougoslavie qui par dizaines de milliers ont trouvé accueil dans les familles autrichiennes.
- Que tout ceci, et notre travail en commun, que cette visite, que tout ce qui nous lie soit l'occasion d'un nouveau départ dans les relations franco-autrichiennes. Nous nous sommes beaucoup fréquentés au cours de ces sept ou huit derniers siècles, mais pas toujours de la meilleure façon. Mais nous ne sommes pas les seuls. Je remarquais, au cours d'un voyage précédent, que le seul pays avec lequel la France n'ait jamais été en guerre est le Danemark. Et, je ne suis pas tellement sûr que l'Autriche ait été tellement plus pacifique que nous, il n'y a pas si longtemps ! Mais voilà, maintenant nous discutons £ maintenant, sans rêver, nous construisons une maison commune. C'est cela le miracle de l'Europe.
- Je pense, qu'il est possible de développer entre Vienne et Paris un lien particulier qui se développera, fondé sur une certaine parenté d'esprit que j'aperçois entre nos peuples.\
- mesdames et messieurs,
- mes premiers mots seront pour vous remercier de votre accueil et pour vous dire le plaisir que j'éprouve à me retrouver à Vienne, au coeur de l'Europe, au confluent des cultures, des traditions, des histoires qui font tout à la fois l'extraordinaire richesse de notre continent et sa fragilité.
- Je ne pense pas forcer l'expression célèbre de Barrès en disant que Vienne est l'un des lieux mêmes où l'esprit n'a jamais cessé de souffler. Dans ce pays, les artistes, les écrivains ont marqué de manière si durable et profonde leur époque, vous avez pris une telle part à la culture de notre siècle que je veux commencer par rendre cet hommage.
- Etre ici ce soir, c'est aussi pour moi l'agrément de retrouver des amis. Je n'oublie pas qu'en 1982, vous avez bien voulu le rappeler, j'effectuais cette première visite officielle en Autriche d'un chef de l'Etat français et je n'oublie pas non plus, monsieur le Président, qu'il y a un an, presque jour pour jour, vous étiez chez nous, en France, pour votre première visite officielle à l'étranger.\
Les circonstances d'un passé encore récent n'ont pas voulu que l'Autriche fût présente lorsque s'engagea la construction de la Communauté, puis lorsque celle-ci, progressivement, s'élargit. L'ordre européen de l'époque ne le permettait pas. Depuis ce temps-là, les choses ont fondamentalement changé. La puissance qui avait figé le destin de la moitié de l'Europe s'est effondrée sur elle-même et des nations, naguère asservies, ont retrouvé leur liberté.
- Mais la société des hommes ne restera jamais tranquille. L'Europe, ébranlée par ce séisme, doit maintenant faire face à la résurgence de nombreux démons, attisés par la crise économique, l'excès du nationalisme, la montée de l'intolérance et du racisme, la tentation du repli sur soi. On sait en Autriche comme en France, les témoignages en sont partout, où cela nous a menés. En somme, une fois de plus, le meilleur et le pire se présentent en même temps devant nous : liberté et désordre, nation et tribalisme, souveraineté et xénophobie, esprit d'entreprise et mafia, que sais-je encore ?
- Il ne faut pas s'y tromper, cela ne nous fera pas regretter la période précédente. La liberté est un bien irremplaçable, essayons seulement d'en faire le meilleur usage. Une réponse s'impose à mes yeux. Si l'on veut assurer à notre continent la place qui lui revient, conforter la paix et donner plus de force aux jeunes démocraties, il faut poursuivre et réussir l'organisation de l'Europe.
- On nous propose parfois une sorte de fuite en avant. Déjà, à peine est-ce fait - et ce n'est pas fait - foin de l'Europe communautaire ! Oublions le Traité de Maastricht, dépassé avant même d'avoir été mis en oeuvre ! Bref, la Communauté devrait s'élargir sans attendre que se soient formés, sur le continent, les moyens d'une coopération utile.
-Gardons-nous de forcer les étapes, de prétendre unifier brutalement, dans un grand marché continental, des pays très différents dans leurs structures économiques et sociales, dans leurs niveaux de développement, dans leur mode de vie, dans leur comportement. On risquerait de provoquer des ruines nouvelles : spoliation chez les uns, désorganisation chez les autres et je ne pense pas que l'affaiblissement de la Communauté puisse servir aucun des autres pays d'Europe.
- Je reste convaincu que la seule méthode, réaliste et fructueuse, est celle que j'appellerai "de la double voie" : d'un côté, poursuivre, de manière déterminée, la mise en place de la construction européenne, économique, monétaire, politique, l'approfondir et l'élargir £ et, de l'autre côté, sans attendre que tous les peuples d'Europe soient à même d'entrer dans cette union européenne, veiller à ce que tous les pays démocratiques de notre continent puissent prendre part à une construction commune, sur un pied d'égalité. Les solidarités que nous saurons créer à l'échelle du continent nous permettront, croyez-moi, d'affirmer à chacun d'entre nous sa présence sur la scène de l'histoire.\
Je pense - et vous êtes nombreux à penser de même ici - que l'Autriche, précisément, est, avec quelques autres, en mesure de rejoindre, sans plus tarder, le noyau même de l'Union européenne. Aucun des obstacles que je citais tout à l'heure ne s'applique à l'Autriche et les questions que l'on me cite comme difficiles pour l'Autriche me semblent si faciles à régler par rapport à tant d'autres que je ne m'y attarderai pas. Il faut respecter l'identité de chaque état, de chaque pays et de chaque peuple, tout en les associant étroitement dans la construction commune.
- En tout cas, je pense que l'adhésion d'un pays comme le vôtre, qui a marqué d'une telle empreinte l'histoire de l'Europe, sa culture, constituera, pour les Douze actuellement rassemblés, un enrichissement considérable. Le propre de l'Europe que nous voulons construire est de s'enraciner dans la mémoire des peuples et de revendiquer nos différences, d'affronter nos querelles afin de les surmonter. Les Douze, l'Autriche, la Suède, la Finlande, je l'espère la Norvège, pour ne citer que des demandeurs qui sont déjà en négociation avec la Communauté, cela représentera demain une force de plus de 350 à 360 millions d'habitants : la première puissance commerciale du monde et, pourquoi pas, la première puissance technologique, scientifique, industrielle du monde. C'est possible si nous le voulons.\
L'Europe que nous bâtissons doit remplir une autre grande tâche : le rapprochement avec les démocraties d'Europe centrale et orientale et, qui mieux que l'Autriche, peut servir de trait-d'union ?
- Laissez-moi, pour une très brève parenthèse qui n'en n'est pas une, parlant ici à Vienne, évoquer l'ancienne Yougoslavie.
- Comment parler d'Europe en négligeant la tragédie qui se déroule à nos portes ? Imaginons ce qui se passera à l'approche de l'hiver à Sarajevo et dans les autres régions assiégées de Bosnie. Les populations y sont à bout de résistance et, comme toujours, les premières victimes sont les plus faibles : les vieillards, les enfants. L'aide européenne existe, on ne peut pas dire que nos pays manquent à leur devoir de solidarité, mais il est révoltant de voir que cette aide est le plus souvent bloquée dans son acheminement £ il arrive même qu'elle soit détournée. Des hommes et des femmes sont souvent menacés, pris pour cible alors qu'ils sont venus pour remplir leur devoir humanitaire.
- Je crois, au nom de mon pays, pouvoir dire ce que je vais dire puisque la France est, par le nombre de ses soldats, au premier rang des pays qui soutiennent l'action des Nations unies, loin devant tout autre pays, par les tâches qu'ils remplissent, par les sacrifices déjà consentis. Il faut que nous nous adressions aux belligérants, à ceux qui attaquent, qui assaillent, et leur dire que cet étranglement doit prendre fin. Beaucoup en Europe sont devenus sceptiques sur notre entreprise, à la fois en raison de la récession économique dont nous ne sommes pas responsables, d'autre part en raison du spectacle offert par les républiques de l'ancienne Yougoslavie et par le massacre des innocents. Il ne faut pas dire "l'Europe est absente" : elle ne dispose pas encore des moyens d'agir comme il faudrait agir ! Ce qu'il faut donc redouter, ce n'est pas trop d'Europe, c'est qu'il n'y en ait pas assez et que nous n'allions pas assez vite.
- Maastricht, je le pense, sera ratifié par tous les pays signataires dans quelques semaines, peut-être d'ici quelques jours. Et je demande aux ministres des Douze, en liaison avec leurs collègues européens, ainsi qu'avec les Nations unies et les organisations non-gouvernementales présentes dans l'ancienne Yougoslavie, de préparer et de proposer de nouveau et d'urgence les mesures qui permettront aux aides de parvenir là où il faut et de témoigner, de la manière que nous pourrons imaginer, pour que cesse ce scandale.\
L'Autriche, n'a pas attendu d'être candidate à l'Union européenne pour tenir sa place sur la scène internationale. On se souvient, en France, en tout cas, que l'Autriche a présidé la première conférence internationale sur le Cambodge, conférence qui a ouvert la voie au processus de règlement qui porte enfin ses fruits. Peut-être, en revanche, ne sait-on pas assez, dans mon pays, la générosité dont votre peuple a fait preuve vis-à-vis des ressortissants de l'ancienne Yougoslavie qui par dizaines de milliers ont trouvé accueil dans les familles autrichiennes.
- Que tout ceci, et notre travail en commun, que cette visite, que tout ce qui nous lie soit l'occasion d'un nouveau départ dans les relations franco-autrichiennes. Nous nous sommes beaucoup fréquentés au cours de ces sept ou huit derniers siècles, mais pas toujours de la meilleure façon. Mais nous ne sommes pas les seuls. Je remarquais, au cours d'un voyage précédent, que le seul pays avec lequel la France n'ait jamais été en guerre est le Danemark. Et, je ne suis pas tellement sûr que l'Autriche ait été tellement plus pacifique que nous, il n'y a pas si longtemps ! Mais voilà, maintenant nous discutons £ maintenant, sans rêver, nous construisons une maison commune. C'est cela le miracle de l'Europe.
- Je pense, qu'il est possible de développer entre Vienne et Paris un lien particulier qui se développera, fondé sur une certaine parenté d'esprit que j'aperçois entre nos peuples.\