22 juin 1993 - Seul le prononcé fait foi
Conférence de presse conjointe de MM. François Mitterrand, Président de la République, Edouard Balladur, Premier ministre et Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, sur le renforcement de l'initiative de croissance pour l'Europe, l'élargissement de la CEE, le GATT et la mise en place de zones de sécurité en Bosnie, Copenhague le 22 juin 1993.
Mesdames,
- Messieurs,
- Selon l'habitude je voudrais me dispenser d'un trop long exposé préalable d'autant plus que vous avez pu suivre, par les moyens du bord qui sont quand même perfectionnés maintenant, les travaux. Les porte-parole vous ont déjà tout dit et j'espère qu'ils vous ont dit la même chose !
- Jacques Delors hier, pour commencer, a présenté un plan en huit points de lutte contre le chômage et de reprise économique. Il y a eu débat autour de ces questions. Ont été décidés la publication prochaine d'un livre blanc pour l'élaboration de mesures précises qui seront discutées en décembre et, dans le court terme, le renforcement de l'initiative d'Edimbourg, initiative de croissance dont nous avons regretté qu'elle ait un peu végété dans les circuits administratifs alors qu'elle répondait à une extrême urgence. On a également décidé de relever les plafonds des prêts supplémentaires déjà décidés à Edimbourg, (il y avait déjà 5 mds d'Ecus il y en aura 3 de plus dont 2 pour les grandes infrastructures, 1 pour les PME qui n'étaient pas couvertes par le mécanisme d'Edimbourg) et de prolonger la durée de ce mécanisme au-delà de 94, enfin d'accélérer la mise au point des projets de grands réseaux trans-européens (ce qui nous intéresse au premier rang : transports, télécommunications, énergie, la France sur ce terrain-là est particulièrement bien placés).\
A été traitée la question importante touchant aux pays de l'Est et à l'élargissement. L'élargissement vous en connaissez les données : plusieurs pays sont demandeurs, quatre d'entre eux sont en première ligne et ont d'ailleurs officiellement des discussions. Il s'agit de l'Autriche, de la Suède, de la Norvège et de la Finlande. Il y a aussi la Turquie, Malte, Chypre et d'autres encore potentiels. On pense aboutir rapidement pour les quatre premiers, s'ils maintiennent leur candidature, ce qui n'est pas assuré, après tout, cela résultera des conversations qui auront lieu durant toute l'année 1993 et l'année 1994. Si ce délai était tenu, il serait bref si l'on veut bien se souvenir du temps qu'il a fallu pour accepter les élargissements précédents. Après quoi on verra. Peut-être plus nouveau est le sort fait aux autres pays de l'Europe qui désirent entrer dans la Communauté car il est dit clairement qu'"ils y ont vocation", ce que nous trouvons excellent. Ils y ont vocation, car il n'y a aucune raison qu'un pays démocratique d'Europe ne puisse un jour entrer dans la Communauté en se soumettant à ses contraintes. Parmi ces contraintes, la première est naturellement l'adhésion aux contrats et traités déjà passés entre les Douze qui ont précédemment adhéré à des conditions données. Bien entendu, il faut répondre à des critères, tout le monde ne pourra pas adhérer en même temps. Il faudra aussi adapter les institutions, cela représente beaucoup de travail. Il y a une espérance mais ensuite, il faudra beaucoup de travail et de réalisations pour que chacun de ces pays soient en mesure de supporter le poids d'une Communauté qui représentera pour eux un grand risque. C'est un marché unique et les pays qui ne seraient pas en mesure de disposer d'une armature suffisante se verraient tout de suite envahis par les entreprises et les produits venus d'ailleurs et plus spécialement des grands pays occidentaux. C'est un risque, il n'est pas simplement pour les membres actuels de la Communauté qui ne tiennent naturellement pas à voir leurs charges financières s'alourdir exagérément. Les trois contributeurs nets qui sont actuellement l'Allemagne, l'Angleterre et la France feraient l'effort principal. Donc, je pense que nous sommes parvenus à une position équilibrée, une perspective clairement exprimée, un chemin qui se dessine et en même temps des conditions raisonnables pour que chacun soit en mesure de supporter les obligations auxquelles il faudra souscrire quand il sera membre de la Communauté. Personne n'est exclu pour peu que les systèmes politiques soient pluralistes, et démocratiques et que les élections soient libres dans les pays concernés.
- Un sort particulier pour la Turquie qui n'est pas l'un des pays actuellement retenus, qui pose surtout un problème quant à la libre circulation des personnes et la liberté d'établissement mais qui pour le reste est un pays en grand progrès. La France voit cela avec sympathie mais bien entendu les choses ne sont pas prêtes et n'ont pas été négociées.\
On a discuté du GATT, vous vous en doutez bien. La France a rappelé qu'il était souhaitable de ramener la négociation à Genève avec les 108 pays qui sont parties à la négociation. Il fallait ensuite, dans le communiqué une référence particulière à l'agriculture car elle ne s'y trouvait pas. A la demande de la délégation française elle s'y trouve ce qui veut dire que Blair House est loin d'être un texte sacré auquel on ne pourrait toucher. Bref, la discussion continue et peut être reprise. Si certains pensent que le résultat est déjà acquis, ils ont tort. Il faut aussi traiter tous les sujets et, par exemple, créer une organisation commerciale vraiment multilatérale ayant un cadre qui empêche les actions bilatérales. Le Premier ministre a présenté comme il était prévu le plan pour la stabilité en Europe qui a reçu un accueil très chaleureux et unanime. C'était très intéressant parce qu'après tout cette initiative est quand même délicate, il y a déjà beaucoup d'institutions en Europe et chacune est jalouse de sa compétence et de son autorité. Aussi, ce plan ne préconise-t-il pas la mise en place d'une nouvelle institution. Il veille seulement à la mise en place d'un système dont il vous sera donné tous les détails.
- Nous avons aussi parlé de subsidiarité, transparence, coopération politique et enregistré avec satisfaction certaines évolutions notamment au Cambodge.
- Sur l'ancienne Yougoslavie, le débat qui avait eu lieu hier soir lors du dîner, aussi bien celui des chefs d'Etat et de gouvernement que celui des ministres des affaires étrangères, s'est prolongé encore ce matin. Naturellement les opinions s'étaient recoupées très exactement dans l'une des enceintes car les préoccupations étaient les mêmes et j'attendrai vos questions pour vous apporter les précisions utiles. M. le Premier ministre et M. le ministre des affaires étrangères vous diront ce qu'ils en pensent dans la mesure où ils ont été directement impliqués dans les négociations.\
QUESTION.- Je voulais vous demander si le principe d'un Conseil européen extraordinaire, en cas de ratification britannique, était acquis pour l'automne ?
- LE PRESIDENT.- Il me semble. Cela n'a pas donné lieu à des discussions difficiles. Ce souhait a été réitéré par plusieurs délégations dont la France. Donc, oui il devrait y avoir, après la ratification britannique, une réunion qui devrait avoir pour objet de proposer de nouvelles avancées de l'Europe et qui peut-être se saisirait des événements qui se produisent si nombreux chaque jour pour mobiliser de nouveau les énergies européennes.\
QUESTION.- Monsieur le Président, les Douze se sont-ils mis d'accord pour participer de façon active à l'application de la résolution du Conseil de Sécurité des Nations unies sur les zones de sécurité en Bosnie ?
- LE PRESIDENT.- Oui, cela a été l'un des sujets principaux des discussions. Le texte qui avait été préparé méritait d'être renforcé et l'un des paragraphes - l'avant dernier du texte initial - a été en effet modifié dans ce sens. En somme on parle d'une façon très concrète de ce qui avait été évoqué d'une façon un peu abstraite. La Communauté répond positivement à la demande du Secrétaire général des Nations unies afin de fournir des hommes, des soldats et des moyens, (équipements, argent) afin que les zones de sécurité soient effectivement protégées, et ce dans les plus brefs délais car tout retard dans ce domaine signifierait que l'on risquerait d'arriver après coup. Cette thèse avait été défendue par M. le ministre des affaires étrangères devant les Nations unies. L'idée des zones de sécurité avait été approuvée et il paraissait très fâcheux que, cette approbation ayant été donnée, le Conseil des Nations unies parfois déjà atteint se trouve cette fois-ci franchement diminué par l'absence d'exécution d'une décision prise à ce niveau. C'est pourquoi la délégation française a obtenu cette fois-ci que la Communauté pour ce qui la concerne déclare immédiatement : "nous sommes d'accord et parce que nous sommes d'accord, nous participons".
- Sans doute certains des Douze ne participeront pas pour des raisons particulières : la Grèce en raison du fait qu'elle fait partie de la région et que c'est un peu contraire aux traditions, je ne sais pas exactement quelle sera la position de l'Allemagne mais on connaît les termes de sa Constitution, etc. Mais les membres de la Communauté, engagés dans cette affaire participeront. Donc cet engagement a une valeur immédiate, il est déjà transmis au Secrétaire général. Nous pourrons de ce fait contribuer à la rapidité d'exécution.
- Vous m'excuserez mais M. Alain Juppé m'a transmis une dépêche très importante pour la suite de nos débats. M. Boras est devenu Président provisoire à la place de M. Izetbegovic. Je pense que c'est une décision de la Présidence collective qui était amorcée au cours de ces dernières heures.
- C'est, je pense, un sentiment partagé mais j'ai beaucoup d'estime pour M. Izetbegovic, mais c'est une affaire interne à la Bosnie et cela prouve bien que l'on approche d'échéances nouvelles dont il faudra bien tenir compte.\
QUESTION.- Monsieur le Président quelle est votre appréciation sur la position allemande exprimée hier, au dîner, sur la levée de l'embargo sur les armes en Bosnie.
- Le PRESIDENT.- Ma position est que, à compter du moment où les Nations unies ne sont pas en mesure (les Nations unies, la Communauté européenne ou tel ou tel Etat) d'apporter une aide militaire directe à la Bosnie, aujourd'hui agressée et, particulièrement aux populations musulmanes, si en même temps on interdit à ces populations musulmanes de se procurer les moyens de se défendre elles-mêmes cela devient intolérable. De ce point de vue nous comprenons la position allemande. Mais il nous semble que cette décision serait alors antinomique avec la continuation d'une aide humanitaire ce qui sans doute, sur le terrain, rendrait la situation intolérable pour eux et pour les soldats des Nations unies qui comptent près de 5000 Français dans leurs rangs. L'évolution de la situation générale n'oblige-t-elle pas à aller directement à cet objectif ? La guerre a lieu et l'on tente d'éviter que la fraction musulmane soit écrasée dans le sang. Mais dans l'intervalle de ces demandes, a été votée la résolution 836 qui a instauré des zones de sécurité. Elles ont été créées, on les connaît. Armons-les, défendons-les, faisons ce que l'on doit même si les soldats seront là-bas pour se battre et non point pour mener une action humanitaire. C'est un changement de nature de l'intervention des Nations unies, mais c'est décidé, on l'exécute. Cela rend donc pour l'instant caduc, à nos yeux, la demande de levée d'embargo souhaitable en toute autre circonstance et qui serait un peu la solution du désespoir. L'organisation des zones de sécurité a été admise comme prioritaire pour le Conseil européen £ je vous disais tout à l'heure, sur la base d'un texte renforcé qui répond à la demande française, je crois que l'on peut le dire. Voilà le point sur cette affaire, mais nous n'avons pas tu que, si cela aussi échouait, (il n'y a pas de raison que cela échoue : c'est une question de volonté et cette volonté il faut que la Communauté tout entière l'éprouve, la transmette à la société, aux Nations unies), mais si cela devait échouer bien entendu, comment pourrait-on interdire aux musulmans bosniaques de se défendre eux-mêmes ?\
QUESTION.- Le départ du président Izetbegovic semble signifier que les Bosniaques musulmans vont se rendre à la table de négociations c'est ce qui semblait en tout cas sortir de Zagreb. Comment la communauté internationale et particulièrement l'Europe pourront garantir le maintien des principes qui étaient dans le plan Vance Owen et qui ont été réaffirmés ici. Vu ce qui s'est passé au cours de ces dernières semaines de quels moyens d'action et de pression dispose-t-on actuellement ?
- LE PRESIDENT.- Attendez que cela soit fait. Je lis un peu plus loin dans cette dépêche que cette décision de remplacer M. Izetbegovic, a été prise à la quasi-unanimité de neuf des dix membres de l'instance exécutive du pouvoir bosniaque regroupant les musulmans, les croates, les serbes, réunis à Zagreb. Seul M. Ganic qui est le vice-président, en plus de M. Izetbegovic, s'est opposé à cette mesure. Il est évident que, selon les tempéraments et les intentions, ce n'est pas pour rien que cette décision a été prise car M. Izetbegovic apparaît quand même comme l'âme de la résistance bosniaque, à Sarajevo notamment. Ce n'est pas pour rien £ lorsqu'on saura exactement ce que cela représente, on verra bien. Le plan Vance Owen a déjà été modifié plusieurs fois et M. Owen a fait de nouvelles propositions encore récemment. C'est une affaire en plein mouvement, on ne peut pas en juger dès aujourd'hui. Il y a des principes, ces principes ont été adoptés par les Nations unies, on les rappelle, cela ne veut pas dire pour autant que, la solution évoluant, on en restera là, mais l'idée fondamentale qui consiste à donner à chacun son dû reste tout de même l'axe de l'action diplomatique en Bosnie.\
QUESTION. Monsieur le Premier ministre, est-ce que vous pensez que les conclusions du Conseil Européen de Copenhague sont de nature à répondre à l'attente de l'opinion publique en matière de chômage et de récession ?
- M. BALLADUR.- Répondre à l'attente de l'opinion publique en matière de chômage et de récession, dépend tout d'abord de la France et de la politique du gouvernement français. Je ne vais pas vous la décrire à nouveau, je crois que c'est tout à fait inutile mais il est bien vrai qu'immergés que nous sommes dans le monde international, nous avons intérêt à voir l'Europe sortir de la période de doute qu'elle traverse et c'est la raison pour laquelle nous avons consacré pratiquement la quasi totalité de la journée d'hier à étudier les questions économiques et commerciales sur le rapport de M. Delors, sur la politique européenne elle-même et également sur notre rapport en ce qui concerne la politique commerciale et le GATT.
- Nous avons obtenu en la matière des résultats qui sont, je crois, tout à fait satisfaisants : l'affirmation de la personnalité, de l'identité de l'Europe en matière commerciale, l'affirmation de son droit à exister, l'affirmation de son droit à disposer des mêmes instruments que les autres, l'affirmation de sa capacité à discuter de tous les sujets ensemble et non pas l'un après l'autre et isolément et enfin la référence - le Président de la République le rappelait - à la politique agricole. Ce qui prouve bien que les choses ne sont pas définitivement gravées dans le marbre, contrairement à ce que l'on a voulu dire, en matière agricole. C'est autant de satisfaction pour nous. Pour autant les choses ne sont pas réglées mais vous avez pu voir que le document qui a été adopté insiste beaucoup sur la nécessité de la baisse des taux d'intérêt. Vous avez pu constater que, depuis quelques jours la France a pris la tête du mouvement, je souhaite que cela dure et je pense que cela résulte aussi des mesures qui ont été prises ou qui sont en train d'être prises pour réduire les déficits et pour relancer l'activité et l'emploi.
- Nous devons compter sur l'Europe bien entendu mais nous devons aussi compter sur nous-mêmes, nous essayons de faire les deux, l'un n'est pas le contraire de l'autre, et moi j'ai toujours pensé qu'une Europe bien organisée affirmant sa personnalité était pour la France un moyen supplémentaire d'affirmer la sienne et de se renforcer. Eh bien ce qui s'est passé aujourd'hui et hier me convainc que c'est la bonne direction.\
QUESTION.- Monsieur le Premier ministre, vous avez parlé de la réduction des taux d'intérêt. Hier, la France était à la tête du mouvement, est-ce que l'on peut affirmer que la France devient "l'ancre" du système monétaire européen ?
- M. BALLADUR.- Ce sont des affirmations aventureuses ! Je me réjouis de la bonne situation actuelle mais, pour autant, je crois qu'il n'y a pas à manier l'hyperbole, nous verrons bien, et si nous devions le voir, il n'y aurait pas plus heureux, je pense, que ceux qui sont devant vous aujourd'hui.
- QUESTION.- Monsieur le Président, ma question s'adresse à vous-même et au Premier ministre pour vous demander si vous avez eu le sentiment, de la part des onze partenaires de la France, qu'il y a un engagement plus réel. La politique commerciale a été évoquée mais également un engagement réaffirmé sur le processus de Maastricht, sur l'union économique et monétaire et sur ses aspects diplomatiques, notamment l'idée du pacte de sécurité a été évoquée, mais est-ce que réellement vous sentez qu'il y a un renouveau dans cette voie-là, au moment où la plupart des pays doutent, leurs opinions publiques surtout ?
- LE PRESIDENT.- Ce que je pense, c'est que dans chacun de nos pays on traverse un moment difficile, puisque cette récession est commune à l'ensemble des pays d'Occident. Chacun ressent des craintes et donc devient d'humeur morose. Il ne faut pas se laisser entraîner par ce sentiment et la réunion qui vient de se tenir, depuis deux jours à Copenhague, contrairement à l'annonce qui en a été faite, m'est apparue plutôt comme l'amorce d'un redressement psychologique et moral. J'espère que cela sera suivi d'un redressement économique et diplomatique mais cela a été très bien présidé, je dois le dire, par le Premier ministre danois qui a été extrêmement efficace. Le sentiment que j'en retire au moment de quitter Copenhague est que je suis beaucoup plus optimiste que lorsque j'y suis arrivé. On a dit que cette question s'adressait à M. le Premier ministre...
- M. BALLADUR.- Je n'ai rien à ajouter monsieur le Président.\
QUESTION.- Je voudrais poser une question à la fois au Président de la République et à M. le Premier ministre. Est-ce que vous avez le sentiment qu'à la suite du Sommet de Copenhague, l'Europe parlera d'une seule voix au G7 à Tokyo à propos du GATT et que la France donc pourra éviter le risque de voir l'Allemagne ou d'autres pays s'entendre avec les Etats-Unis ?
- LE PRESIDENT.- Premièrement je ne pense pas que l'Europe parlera d'une seule voix, lorsque l'on parlera du GATT puisque c'est justement le sujet qui reste en controverse. Deuxièment, je ne pense pas que la France sera mise au ban de l'Europe et du monde économique à Tokyo et je ne pense pas, puisque vous avez parlé de l'Allemagne, que l'opposition des points de vue sur l'évolution du GATT puisse conduire à une brisure ou à des accusations mutuelles. Les choses ne se font pas comme cela et ne se feront pas comme cela. Tel est mon sentiment et la position française me paraît de mieux en mieux comprise à l'extérieur, ce qui ne veut pas dire que les intérêts français, allemands et les autres soient aujourd'hui identiques, d'ailleurs, ils ne le seront jamais. Le problème est de savoir si l'on cherche un arrangement profitable à chacun et à tous. Cela reste à démontrer.
- M. BALLADUR.- Je rajouterai simplement un mot, monsieur le Président, pour dire que la rédaction même du communiqué d'aujourd'hui montre qu'il y a eu une certaine prise de conscience des problèmes du commerce international et du GATT, et une certaine prise de conscience, je ne dirai pas de la validité de la position française mais du fait qu'à tout le moins, elle mérite d'être discutée et n'est pas a priori suspecte d'intention protectionniste ou passéiste ou étroitement ciblée sur un secteur économique comme on l'a trop entendu depuis quelques mois. Cela prouve que l'effort que nous avons fait pour bien faire comprendre notre position et pour diffuser le mémorandum que nous avions élaboré, que cet effort commence à être compris. Ce qui ne veut pas dire qu'on nous approuve. Eh bien nous irons à Tokyo pour nous faire comprendre mieux encore.
- LE PRESIDENT.- Vous savez la première fois que la question m'a été posée, c'était par M. Reagan à Bonn en 1985. On est habitué ! Bien entendu il faut avancer. Mais je ne pense pas que nos partenaires soient en situation ou aient même le désir de ne pas tenir compte des intérêts et des positions de la France.\
QUESTION.- Monsieur le Président et monsieur le Premier ministre, on a l'impression que la délégation française a bien travaillé et certains disent même que vous vous êtes bien passés le relais pendant la négociation. Alors est-ce que cela veut dire qu'au fond, il y a maintenant des positions communes sur plusieurs points, notamment sur l'Europe, ou plus généralement sur la politique étrangère, est-ce que l'on peut parler de consensus ou est-ce que c'est trop ?
- LE PRESIDENT.- Consensus ? Pourquoi ajouter ce mot à quoi que ce soit. Il y a une politique étrangère de la France. Elle n'est pas automatiquement harmonieuse, alors on en discute avant. Et comme les grands objectifs sont précisés et partagés, alors on les défend du mieux possible. Nous parlons au nom de notre pays et c'est le même pays. Nous cherchons à le servir. Je crois qu'on ne peut pas dire autre chose.
- J'ai remarqué que pour vous en assurer plusieurs d'entre vous posaient la même question, en même temps, au Premier ministre et à moi-même. Soyez plus simples ! Posez une question à un seul d'entre nous à la fois !
- M. BALLADUR.- Je considérerai donc M. le Président, avec votre permission, que cette question était posée à vous seul et je n'ajoute rien.
- LE PRESIDENT.- C'était le cas d'ailleurs je crois !\
QUESTION.- Monsieur le Président, à travers ce que vous avez dit sur la situation dans les enclaves, leur protection, on a quand même l'impression que les Européens se résignent maintenant au découpage de la Bosnie-Herzégovine, voire éventuellement à sa disparition en tant qu'Etat.
- LE PRESIDENT.- Le plan Vance-Owen, c'est bien un découpage en provinces ?
- QUESTION.- Oui en 10 provinces. Je veux dire qu'ils se résignent au découpage tel que le veulent les Serbes et les Croates ?
- LE PRESIDENT.- Vous préjugez de la décision finale. C'est possible. Je n'en sais rien. L'idée de Vance et d'Owen - qui a été approuvée par les Nations unies et par nous sans enthousiasme mais il n'y avait pas de meilleure solution, il n'y avait pas de bonne solution - supposait déjà un cantonnement, chacune des parties en cause se partageant le territoire. Ce qui s'est produit depuis, c'est-à-dire la continuation de l'agression Serbe et Croate, c'est que ces deux communautés ont conquis du terrain et modifié forcément le plan £ d'ailleurs c'est M. Owen qui l'a proclamé. Est-ce que cela arrivera jusqu'au point de trois zones complètement différentes à l'intérieur d'un même Etat ou alors est-ce que ce sera l'éclatement de l'Etat ? C'est maintenant le travail des diplomates et des hommes d'action sur le terrain que de veiller autant qu'il sera possible et je pense que cela le sera à préserver l'unité de la Bosnie. Mais vous me demandez de conclure sur des situations qui ne sont pas encore créées.
- M. JUPPE.- Permettez-moi d'ajouter que, dans le texte que nous avons adopté, dans la position commune des Douze, il est clairement indiqué que nous réaffirmons l'existence d'un Etat de Bosnie-Herzégovine indépendant et deuxièmement que toute solution territoriale doit être acceptée par les trois parties. Nous n'avons pas du tout cautionné un découpage imposé par deux d'entre elles à la troisième.\
QUESTION.- Je voudrais savoir ce que la France attend du Sommet de Tokyo et est-ce que M. le Premier ministre a pris la décision de participer au Sommet de Tokyo ?
- LE PRESIDENT.- La situation de principe est celle que vous voyez ici à Copenhague. La situation pratique dépend des obligations de chacun et je ne peux préjuger. Maintenant, monsieur le Premier ministre si vous désirez répondre...
- M. BALLADUR.- Non, je n'ai rien à ajouter monsieur le Président.
- LE PRESIDENT.- J'avais remarqué que vous me posiez la question sur la présence du Premier ministre et non pas sur la mienne !
- QUESTION.- Une question pour M. le Premier ministre. Il me parâit en tant qu'étranger, que la cohabitation marche bien maintenant. Est-ce que cette appréciation est juste ?
- LE PRESIDENT.- J'ai déjé répondu. Dans la vie politique intérieure de la France qui fait la loi ? qui décide des majorités ? Le peuple ! Toujours à l'intérieur de notre pays, les rapports de force s'établissent au gré des élections et les différences d'appréciation, parfaitement légitimes, demeurent et s'imposent. Chacun garde cette liberté d'appréciation. L'usage qu'on en fait dépend du caractère et de la façon de voir de chacun des responsables politiques. Lorsqu'il s'agit de la politique extérieure et de la représentation de la France, je ne voudrais pas me répéter, si un effort doit être fait pour que les positions s'harmonisent, cet effort a été et sera fait. En vérité, cet effort n'est pas considérable parce que l'intérêt de la France tel qu'il se pose en 1993, vu par des hommes responsables, répond à certains données fondamentales qu'en tant que patriotes nous partageons. Que voulez-vous dire de plus ? Ce n'est donc pas la cohabitation qui nous conduit à adopter telle ou telle attitude, c'est l'intérêt de la France qui est en cause et nous avons la charge de le défendre.\
- Messieurs,
- Selon l'habitude je voudrais me dispenser d'un trop long exposé préalable d'autant plus que vous avez pu suivre, par les moyens du bord qui sont quand même perfectionnés maintenant, les travaux. Les porte-parole vous ont déjà tout dit et j'espère qu'ils vous ont dit la même chose !
- Jacques Delors hier, pour commencer, a présenté un plan en huit points de lutte contre le chômage et de reprise économique. Il y a eu débat autour de ces questions. Ont été décidés la publication prochaine d'un livre blanc pour l'élaboration de mesures précises qui seront discutées en décembre et, dans le court terme, le renforcement de l'initiative d'Edimbourg, initiative de croissance dont nous avons regretté qu'elle ait un peu végété dans les circuits administratifs alors qu'elle répondait à une extrême urgence. On a également décidé de relever les plafonds des prêts supplémentaires déjà décidés à Edimbourg, (il y avait déjà 5 mds d'Ecus il y en aura 3 de plus dont 2 pour les grandes infrastructures, 1 pour les PME qui n'étaient pas couvertes par le mécanisme d'Edimbourg) et de prolonger la durée de ce mécanisme au-delà de 94, enfin d'accélérer la mise au point des projets de grands réseaux trans-européens (ce qui nous intéresse au premier rang : transports, télécommunications, énergie, la France sur ce terrain-là est particulièrement bien placés).\
A été traitée la question importante touchant aux pays de l'Est et à l'élargissement. L'élargissement vous en connaissez les données : plusieurs pays sont demandeurs, quatre d'entre eux sont en première ligne et ont d'ailleurs officiellement des discussions. Il s'agit de l'Autriche, de la Suède, de la Norvège et de la Finlande. Il y a aussi la Turquie, Malte, Chypre et d'autres encore potentiels. On pense aboutir rapidement pour les quatre premiers, s'ils maintiennent leur candidature, ce qui n'est pas assuré, après tout, cela résultera des conversations qui auront lieu durant toute l'année 1993 et l'année 1994. Si ce délai était tenu, il serait bref si l'on veut bien se souvenir du temps qu'il a fallu pour accepter les élargissements précédents. Après quoi on verra. Peut-être plus nouveau est le sort fait aux autres pays de l'Europe qui désirent entrer dans la Communauté car il est dit clairement qu'"ils y ont vocation", ce que nous trouvons excellent. Ils y ont vocation, car il n'y a aucune raison qu'un pays démocratique d'Europe ne puisse un jour entrer dans la Communauté en se soumettant à ses contraintes. Parmi ces contraintes, la première est naturellement l'adhésion aux contrats et traités déjà passés entre les Douze qui ont précédemment adhéré à des conditions données. Bien entendu, il faut répondre à des critères, tout le monde ne pourra pas adhérer en même temps. Il faudra aussi adapter les institutions, cela représente beaucoup de travail. Il y a une espérance mais ensuite, il faudra beaucoup de travail et de réalisations pour que chacun de ces pays soient en mesure de supporter le poids d'une Communauté qui représentera pour eux un grand risque. C'est un marché unique et les pays qui ne seraient pas en mesure de disposer d'une armature suffisante se verraient tout de suite envahis par les entreprises et les produits venus d'ailleurs et plus spécialement des grands pays occidentaux. C'est un risque, il n'est pas simplement pour les membres actuels de la Communauté qui ne tiennent naturellement pas à voir leurs charges financières s'alourdir exagérément. Les trois contributeurs nets qui sont actuellement l'Allemagne, l'Angleterre et la France feraient l'effort principal. Donc, je pense que nous sommes parvenus à une position équilibrée, une perspective clairement exprimée, un chemin qui se dessine et en même temps des conditions raisonnables pour que chacun soit en mesure de supporter les obligations auxquelles il faudra souscrire quand il sera membre de la Communauté. Personne n'est exclu pour peu que les systèmes politiques soient pluralistes, et démocratiques et que les élections soient libres dans les pays concernés.
- Un sort particulier pour la Turquie qui n'est pas l'un des pays actuellement retenus, qui pose surtout un problème quant à la libre circulation des personnes et la liberté d'établissement mais qui pour le reste est un pays en grand progrès. La France voit cela avec sympathie mais bien entendu les choses ne sont pas prêtes et n'ont pas été négociées.\
On a discuté du GATT, vous vous en doutez bien. La France a rappelé qu'il était souhaitable de ramener la négociation à Genève avec les 108 pays qui sont parties à la négociation. Il fallait ensuite, dans le communiqué une référence particulière à l'agriculture car elle ne s'y trouvait pas. A la demande de la délégation française elle s'y trouve ce qui veut dire que Blair House est loin d'être un texte sacré auquel on ne pourrait toucher. Bref, la discussion continue et peut être reprise. Si certains pensent que le résultat est déjà acquis, ils ont tort. Il faut aussi traiter tous les sujets et, par exemple, créer une organisation commerciale vraiment multilatérale ayant un cadre qui empêche les actions bilatérales. Le Premier ministre a présenté comme il était prévu le plan pour la stabilité en Europe qui a reçu un accueil très chaleureux et unanime. C'était très intéressant parce qu'après tout cette initiative est quand même délicate, il y a déjà beaucoup d'institutions en Europe et chacune est jalouse de sa compétence et de son autorité. Aussi, ce plan ne préconise-t-il pas la mise en place d'une nouvelle institution. Il veille seulement à la mise en place d'un système dont il vous sera donné tous les détails.
- Nous avons aussi parlé de subsidiarité, transparence, coopération politique et enregistré avec satisfaction certaines évolutions notamment au Cambodge.
- Sur l'ancienne Yougoslavie, le débat qui avait eu lieu hier soir lors du dîner, aussi bien celui des chefs d'Etat et de gouvernement que celui des ministres des affaires étrangères, s'est prolongé encore ce matin. Naturellement les opinions s'étaient recoupées très exactement dans l'une des enceintes car les préoccupations étaient les mêmes et j'attendrai vos questions pour vous apporter les précisions utiles. M. le Premier ministre et M. le ministre des affaires étrangères vous diront ce qu'ils en pensent dans la mesure où ils ont été directement impliqués dans les négociations.\
QUESTION.- Je voulais vous demander si le principe d'un Conseil européen extraordinaire, en cas de ratification britannique, était acquis pour l'automne ?
- LE PRESIDENT.- Il me semble. Cela n'a pas donné lieu à des discussions difficiles. Ce souhait a été réitéré par plusieurs délégations dont la France. Donc, oui il devrait y avoir, après la ratification britannique, une réunion qui devrait avoir pour objet de proposer de nouvelles avancées de l'Europe et qui peut-être se saisirait des événements qui se produisent si nombreux chaque jour pour mobiliser de nouveau les énergies européennes.\
QUESTION.- Monsieur le Président, les Douze se sont-ils mis d'accord pour participer de façon active à l'application de la résolution du Conseil de Sécurité des Nations unies sur les zones de sécurité en Bosnie ?
- LE PRESIDENT.- Oui, cela a été l'un des sujets principaux des discussions. Le texte qui avait été préparé méritait d'être renforcé et l'un des paragraphes - l'avant dernier du texte initial - a été en effet modifié dans ce sens. En somme on parle d'une façon très concrète de ce qui avait été évoqué d'une façon un peu abstraite. La Communauté répond positivement à la demande du Secrétaire général des Nations unies afin de fournir des hommes, des soldats et des moyens, (équipements, argent) afin que les zones de sécurité soient effectivement protégées, et ce dans les plus brefs délais car tout retard dans ce domaine signifierait que l'on risquerait d'arriver après coup. Cette thèse avait été défendue par M. le ministre des affaires étrangères devant les Nations unies. L'idée des zones de sécurité avait été approuvée et il paraissait très fâcheux que, cette approbation ayant été donnée, le Conseil des Nations unies parfois déjà atteint se trouve cette fois-ci franchement diminué par l'absence d'exécution d'une décision prise à ce niveau. C'est pourquoi la délégation française a obtenu cette fois-ci que la Communauté pour ce qui la concerne déclare immédiatement : "nous sommes d'accord et parce que nous sommes d'accord, nous participons".
- Sans doute certains des Douze ne participeront pas pour des raisons particulières : la Grèce en raison du fait qu'elle fait partie de la région et que c'est un peu contraire aux traditions, je ne sais pas exactement quelle sera la position de l'Allemagne mais on connaît les termes de sa Constitution, etc. Mais les membres de la Communauté, engagés dans cette affaire participeront. Donc cet engagement a une valeur immédiate, il est déjà transmis au Secrétaire général. Nous pourrons de ce fait contribuer à la rapidité d'exécution.
- Vous m'excuserez mais M. Alain Juppé m'a transmis une dépêche très importante pour la suite de nos débats. M. Boras est devenu Président provisoire à la place de M. Izetbegovic. Je pense que c'est une décision de la Présidence collective qui était amorcée au cours de ces dernières heures.
- C'est, je pense, un sentiment partagé mais j'ai beaucoup d'estime pour M. Izetbegovic, mais c'est une affaire interne à la Bosnie et cela prouve bien que l'on approche d'échéances nouvelles dont il faudra bien tenir compte.\
QUESTION.- Monsieur le Président quelle est votre appréciation sur la position allemande exprimée hier, au dîner, sur la levée de l'embargo sur les armes en Bosnie.
- Le PRESIDENT.- Ma position est que, à compter du moment où les Nations unies ne sont pas en mesure (les Nations unies, la Communauté européenne ou tel ou tel Etat) d'apporter une aide militaire directe à la Bosnie, aujourd'hui agressée et, particulièrement aux populations musulmanes, si en même temps on interdit à ces populations musulmanes de se procurer les moyens de se défendre elles-mêmes cela devient intolérable. De ce point de vue nous comprenons la position allemande. Mais il nous semble que cette décision serait alors antinomique avec la continuation d'une aide humanitaire ce qui sans doute, sur le terrain, rendrait la situation intolérable pour eux et pour les soldats des Nations unies qui comptent près de 5000 Français dans leurs rangs. L'évolution de la situation générale n'oblige-t-elle pas à aller directement à cet objectif ? La guerre a lieu et l'on tente d'éviter que la fraction musulmane soit écrasée dans le sang. Mais dans l'intervalle de ces demandes, a été votée la résolution 836 qui a instauré des zones de sécurité. Elles ont été créées, on les connaît. Armons-les, défendons-les, faisons ce que l'on doit même si les soldats seront là-bas pour se battre et non point pour mener une action humanitaire. C'est un changement de nature de l'intervention des Nations unies, mais c'est décidé, on l'exécute. Cela rend donc pour l'instant caduc, à nos yeux, la demande de levée d'embargo souhaitable en toute autre circonstance et qui serait un peu la solution du désespoir. L'organisation des zones de sécurité a été admise comme prioritaire pour le Conseil européen £ je vous disais tout à l'heure, sur la base d'un texte renforcé qui répond à la demande française, je crois que l'on peut le dire. Voilà le point sur cette affaire, mais nous n'avons pas tu que, si cela aussi échouait, (il n'y a pas de raison que cela échoue : c'est une question de volonté et cette volonté il faut que la Communauté tout entière l'éprouve, la transmette à la société, aux Nations unies), mais si cela devait échouer bien entendu, comment pourrait-on interdire aux musulmans bosniaques de se défendre eux-mêmes ?\
QUESTION.- Le départ du président Izetbegovic semble signifier que les Bosniaques musulmans vont se rendre à la table de négociations c'est ce qui semblait en tout cas sortir de Zagreb. Comment la communauté internationale et particulièrement l'Europe pourront garantir le maintien des principes qui étaient dans le plan Vance Owen et qui ont été réaffirmés ici. Vu ce qui s'est passé au cours de ces dernières semaines de quels moyens d'action et de pression dispose-t-on actuellement ?
- LE PRESIDENT.- Attendez que cela soit fait. Je lis un peu plus loin dans cette dépêche que cette décision de remplacer M. Izetbegovic, a été prise à la quasi-unanimité de neuf des dix membres de l'instance exécutive du pouvoir bosniaque regroupant les musulmans, les croates, les serbes, réunis à Zagreb. Seul M. Ganic qui est le vice-président, en plus de M. Izetbegovic, s'est opposé à cette mesure. Il est évident que, selon les tempéraments et les intentions, ce n'est pas pour rien que cette décision a été prise car M. Izetbegovic apparaît quand même comme l'âme de la résistance bosniaque, à Sarajevo notamment. Ce n'est pas pour rien £ lorsqu'on saura exactement ce que cela représente, on verra bien. Le plan Vance Owen a déjà été modifié plusieurs fois et M. Owen a fait de nouvelles propositions encore récemment. C'est une affaire en plein mouvement, on ne peut pas en juger dès aujourd'hui. Il y a des principes, ces principes ont été adoptés par les Nations unies, on les rappelle, cela ne veut pas dire pour autant que, la solution évoluant, on en restera là, mais l'idée fondamentale qui consiste à donner à chacun son dû reste tout de même l'axe de l'action diplomatique en Bosnie.\
QUESTION. Monsieur le Premier ministre, est-ce que vous pensez que les conclusions du Conseil Européen de Copenhague sont de nature à répondre à l'attente de l'opinion publique en matière de chômage et de récession ?
- M. BALLADUR.- Répondre à l'attente de l'opinion publique en matière de chômage et de récession, dépend tout d'abord de la France et de la politique du gouvernement français. Je ne vais pas vous la décrire à nouveau, je crois que c'est tout à fait inutile mais il est bien vrai qu'immergés que nous sommes dans le monde international, nous avons intérêt à voir l'Europe sortir de la période de doute qu'elle traverse et c'est la raison pour laquelle nous avons consacré pratiquement la quasi totalité de la journée d'hier à étudier les questions économiques et commerciales sur le rapport de M. Delors, sur la politique européenne elle-même et également sur notre rapport en ce qui concerne la politique commerciale et le GATT.
- Nous avons obtenu en la matière des résultats qui sont, je crois, tout à fait satisfaisants : l'affirmation de la personnalité, de l'identité de l'Europe en matière commerciale, l'affirmation de son droit à exister, l'affirmation de son droit à disposer des mêmes instruments que les autres, l'affirmation de sa capacité à discuter de tous les sujets ensemble et non pas l'un après l'autre et isolément et enfin la référence - le Président de la République le rappelait - à la politique agricole. Ce qui prouve bien que les choses ne sont pas définitivement gravées dans le marbre, contrairement à ce que l'on a voulu dire, en matière agricole. C'est autant de satisfaction pour nous. Pour autant les choses ne sont pas réglées mais vous avez pu voir que le document qui a été adopté insiste beaucoup sur la nécessité de la baisse des taux d'intérêt. Vous avez pu constater que, depuis quelques jours la France a pris la tête du mouvement, je souhaite que cela dure et je pense que cela résulte aussi des mesures qui ont été prises ou qui sont en train d'être prises pour réduire les déficits et pour relancer l'activité et l'emploi.
- Nous devons compter sur l'Europe bien entendu mais nous devons aussi compter sur nous-mêmes, nous essayons de faire les deux, l'un n'est pas le contraire de l'autre, et moi j'ai toujours pensé qu'une Europe bien organisée affirmant sa personnalité était pour la France un moyen supplémentaire d'affirmer la sienne et de se renforcer. Eh bien ce qui s'est passé aujourd'hui et hier me convainc que c'est la bonne direction.\
QUESTION.- Monsieur le Premier ministre, vous avez parlé de la réduction des taux d'intérêt. Hier, la France était à la tête du mouvement, est-ce que l'on peut affirmer que la France devient "l'ancre" du système monétaire européen ?
- M. BALLADUR.- Ce sont des affirmations aventureuses ! Je me réjouis de la bonne situation actuelle mais, pour autant, je crois qu'il n'y a pas à manier l'hyperbole, nous verrons bien, et si nous devions le voir, il n'y aurait pas plus heureux, je pense, que ceux qui sont devant vous aujourd'hui.
- QUESTION.- Monsieur le Président, ma question s'adresse à vous-même et au Premier ministre pour vous demander si vous avez eu le sentiment, de la part des onze partenaires de la France, qu'il y a un engagement plus réel. La politique commerciale a été évoquée mais également un engagement réaffirmé sur le processus de Maastricht, sur l'union économique et monétaire et sur ses aspects diplomatiques, notamment l'idée du pacte de sécurité a été évoquée, mais est-ce que réellement vous sentez qu'il y a un renouveau dans cette voie-là, au moment où la plupart des pays doutent, leurs opinions publiques surtout ?
- LE PRESIDENT.- Ce que je pense, c'est que dans chacun de nos pays on traverse un moment difficile, puisque cette récession est commune à l'ensemble des pays d'Occident. Chacun ressent des craintes et donc devient d'humeur morose. Il ne faut pas se laisser entraîner par ce sentiment et la réunion qui vient de se tenir, depuis deux jours à Copenhague, contrairement à l'annonce qui en a été faite, m'est apparue plutôt comme l'amorce d'un redressement psychologique et moral. J'espère que cela sera suivi d'un redressement économique et diplomatique mais cela a été très bien présidé, je dois le dire, par le Premier ministre danois qui a été extrêmement efficace. Le sentiment que j'en retire au moment de quitter Copenhague est que je suis beaucoup plus optimiste que lorsque j'y suis arrivé. On a dit que cette question s'adressait à M. le Premier ministre...
- M. BALLADUR.- Je n'ai rien à ajouter monsieur le Président.\
QUESTION.- Je voudrais poser une question à la fois au Président de la République et à M. le Premier ministre. Est-ce que vous avez le sentiment qu'à la suite du Sommet de Copenhague, l'Europe parlera d'une seule voix au G7 à Tokyo à propos du GATT et que la France donc pourra éviter le risque de voir l'Allemagne ou d'autres pays s'entendre avec les Etats-Unis ?
- LE PRESIDENT.- Premièrement je ne pense pas que l'Europe parlera d'une seule voix, lorsque l'on parlera du GATT puisque c'est justement le sujet qui reste en controverse. Deuxièment, je ne pense pas que la France sera mise au ban de l'Europe et du monde économique à Tokyo et je ne pense pas, puisque vous avez parlé de l'Allemagne, que l'opposition des points de vue sur l'évolution du GATT puisse conduire à une brisure ou à des accusations mutuelles. Les choses ne se font pas comme cela et ne se feront pas comme cela. Tel est mon sentiment et la position française me paraît de mieux en mieux comprise à l'extérieur, ce qui ne veut pas dire que les intérêts français, allemands et les autres soient aujourd'hui identiques, d'ailleurs, ils ne le seront jamais. Le problème est de savoir si l'on cherche un arrangement profitable à chacun et à tous. Cela reste à démontrer.
- M. BALLADUR.- Je rajouterai simplement un mot, monsieur le Président, pour dire que la rédaction même du communiqué d'aujourd'hui montre qu'il y a eu une certaine prise de conscience des problèmes du commerce international et du GATT, et une certaine prise de conscience, je ne dirai pas de la validité de la position française mais du fait qu'à tout le moins, elle mérite d'être discutée et n'est pas a priori suspecte d'intention protectionniste ou passéiste ou étroitement ciblée sur un secteur économique comme on l'a trop entendu depuis quelques mois. Cela prouve que l'effort que nous avons fait pour bien faire comprendre notre position et pour diffuser le mémorandum que nous avions élaboré, que cet effort commence à être compris. Ce qui ne veut pas dire qu'on nous approuve. Eh bien nous irons à Tokyo pour nous faire comprendre mieux encore.
- LE PRESIDENT.- Vous savez la première fois que la question m'a été posée, c'était par M. Reagan à Bonn en 1985. On est habitué ! Bien entendu il faut avancer. Mais je ne pense pas que nos partenaires soient en situation ou aient même le désir de ne pas tenir compte des intérêts et des positions de la France.\
QUESTION.- Monsieur le Président et monsieur le Premier ministre, on a l'impression que la délégation française a bien travaillé et certains disent même que vous vous êtes bien passés le relais pendant la négociation. Alors est-ce que cela veut dire qu'au fond, il y a maintenant des positions communes sur plusieurs points, notamment sur l'Europe, ou plus généralement sur la politique étrangère, est-ce que l'on peut parler de consensus ou est-ce que c'est trop ?
- LE PRESIDENT.- Consensus ? Pourquoi ajouter ce mot à quoi que ce soit. Il y a une politique étrangère de la France. Elle n'est pas automatiquement harmonieuse, alors on en discute avant. Et comme les grands objectifs sont précisés et partagés, alors on les défend du mieux possible. Nous parlons au nom de notre pays et c'est le même pays. Nous cherchons à le servir. Je crois qu'on ne peut pas dire autre chose.
- J'ai remarqué que pour vous en assurer plusieurs d'entre vous posaient la même question, en même temps, au Premier ministre et à moi-même. Soyez plus simples ! Posez une question à un seul d'entre nous à la fois !
- M. BALLADUR.- Je considérerai donc M. le Président, avec votre permission, que cette question était posée à vous seul et je n'ajoute rien.
- LE PRESIDENT.- C'était le cas d'ailleurs je crois !\
QUESTION.- Monsieur le Président, à travers ce que vous avez dit sur la situation dans les enclaves, leur protection, on a quand même l'impression que les Européens se résignent maintenant au découpage de la Bosnie-Herzégovine, voire éventuellement à sa disparition en tant qu'Etat.
- LE PRESIDENT.- Le plan Vance-Owen, c'est bien un découpage en provinces ?
- QUESTION.- Oui en 10 provinces. Je veux dire qu'ils se résignent au découpage tel que le veulent les Serbes et les Croates ?
- LE PRESIDENT.- Vous préjugez de la décision finale. C'est possible. Je n'en sais rien. L'idée de Vance et d'Owen - qui a été approuvée par les Nations unies et par nous sans enthousiasme mais il n'y avait pas de meilleure solution, il n'y avait pas de bonne solution - supposait déjà un cantonnement, chacune des parties en cause se partageant le territoire. Ce qui s'est produit depuis, c'est-à-dire la continuation de l'agression Serbe et Croate, c'est que ces deux communautés ont conquis du terrain et modifié forcément le plan £ d'ailleurs c'est M. Owen qui l'a proclamé. Est-ce que cela arrivera jusqu'au point de trois zones complètement différentes à l'intérieur d'un même Etat ou alors est-ce que ce sera l'éclatement de l'Etat ? C'est maintenant le travail des diplomates et des hommes d'action sur le terrain que de veiller autant qu'il sera possible et je pense que cela le sera à préserver l'unité de la Bosnie. Mais vous me demandez de conclure sur des situations qui ne sont pas encore créées.
- M. JUPPE.- Permettez-moi d'ajouter que, dans le texte que nous avons adopté, dans la position commune des Douze, il est clairement indiqué que nous réaffirmons l'existence d'un Etat de Bosnie-Herzégovine indépendant et deuxièmement que toute solution territoriale doit être acceptée par les trois parties. Nous n'avons pas du tout cautionné un découpage imposé par deux d'entre elles à la troisième.\
QUESTION.- Je voudrais savoir ce que la France attend du Sommet de Tokyo et est-ce que M. le Premier ministre a pris la décision de participer au Sommet de Tokyo ?
- LE PRESIDENT.- La situation de principe est celle que vous voyez ici à Copenhague. La situation pratique dépend des obligations de chacun et je ne peux préjuger. Maintenant, monsieur le Premier ministre si vous désirez répondre...
- M. BALLADUR.- Non, je n'ai rien à ajouter monsieur le Président.
- LE PRESIDENT.- J'avais remarqué que vous me posiez la question sur la présence du Premier ministre et non pas sur la mienne !
- QUESTION.- Une question pour M. le Premier ministre. Il me parâit en tant qu'étranger, que la cohabitation marche bien maintenant. Est-ce que cette appréciation est juste ?
- LE PRESIDENT.- J'ai déjé répondu. Dans la vie politique intérieure de la France qui fait la loi ? qui décide des majorités ? Le peuple ! Toujours à l'intérieur de notre pays, les rapports de force s'établissent au gré des élections et les différences d'appréciation, parfaitement légitimes, demeurent et s'imposent. Chacun garde cette liberté d'appréciation. L'usage qu'on en fait dépend du caractère et de la façon de voir de chacun des responsables politiques. Lorsqu'il s'agit de la politique extérieure et de la représentation de la France, je ne voudrais pas me répéter, si un effort doit être fait pour que les positions s'harmonisent, cet effort a été et sera fait. En vérité, cet effort n'est pas considérable parce que l'intérêt de la France tel qu'il se pose en 1993, vu par des hommes responsables, répond à certains données fondamentales qu'en tant que patriotes nous partageons. Que voulez-vous dire de plus ? Ce n'est donc pas la cohabitation qui nous conduit à adopter telle ou telle attitude, c'est l'intérêt de la France qui est en cause et nous avons la charge de le défendre.\