18 mai 1993 - Seul le prononcé fait foi
Discours de M. François Mitterrand, Président de la République lors de la remise du prix annuel Houphouet Boigny à l'Académie de droit international de La Haye, Paris le 18 mai 1993.
Majesté, messieurs les présidents, monsieur le directeur général, mesdames et messieurs,
- Un prix Houphouët Boigny, cela signifie déjà beaucoup pour nous qui connaisons depuis de longues années le Président de la Côte d'Ivoire, puisqu'il s'agit d'une vie consacrée d'abord à la défense des siens, ensuite à l'équilibre de l'Afrique, enfin à la défense de la paix. Un prix qui va à l'Académie de La Haye - le Lauréat de cette année - à la suite de l'initiative très heureuse prise, en 1991, par le Président Houphouët Boigny pour honorer l'action en faveur de la paix. Beaucoup de raisons ont justifié ce choix et les membres du jury pourraient le dire mieux que moi. L'Académie de La Haye, la longue tradition de défense du droit à laquelle cette ville a attaché son nom, tout cela donne une signification particulière au Prix de 1993.
- Dans la longue histoire des sociétés humaines, la voix trop souvent étouffée du droit a rarement, on a presque envie de dire et tristement jamais, prévalu sur le bruit des armes. Pourtant le droit a de tout temps entretenu avec la guerre des relations plus étroites que ne le laisse paraître l'opposition apparente des mots.
- Après tout, les traités de paix sont la plupart du temps l'une des manifestations les plus anciennes de l'irruption du droit dans les relations internationales, mais en même temps, ils sont le plus souvent l'instrument par lequel le vainqueur impose sa loi au vaincu et, si l'on en restait là, le droit ne serait qu'un moyen de légitimer la force, alors que telle à nos yeux ne saurait être sa fonction.
- C'est d'ailleurs parce que les traités ont toujours été le résultat du rapport de force, parce que l'on prétend chaque fois en fixer la portée pour les siècles des siècles alors qu'ils ne durent généralement que quelques décennies, que se trouvent constamment réveillés des foyers où les passions, les colères, le sens de la revanche s'allument de nouveau.
- Aussi bien depuis les clercs, aujourd'hui anonymes, du Moyen Age, qui s'efforçaient de promouvoir la "trêve de Dieu", depuis ces clercs jusqu'à Henri Dunant, des théoriciens de la "guerre juste" aux promoteurs des Conventions de La Haye et de Genève, longue est la suite des hommes et des femmes qui ont mené un combat pour endiguer l'horreur dévastatrice de la guerre.
- Alors est né le "droit humanitaire de la guerre", expression paradoxale qui marque à la fois le progrès réalisé et les limites de ce progrès. Conformément au principe posé en 1899, je cite "les belligérants n'ont", dorénavant, "pas un droit illimité de nuire à l'ennemi", ce qui voulait dire qu'au fond le recours aux armes demeure licite. En dépit de ce principe, c'est à la guerre elle-même qu'il faut faire la guerre.\
On s'en souvient, le pacte de la Société des Nations, puis le traité Briand-kellogg de 1928 avaient mis la guerre hors la loi, mais sans créer les moyens d'un ordre international fondé sur le droit. Ils n'ont pas été naturellement en mesure de prévenir le cataclysme de la seconde guerre mondiale, et la Société des Nations est morte avec son idéalisme, respectable mais finalement incapable d'imposer sa loi.
- En 1945, quand les peuples adhérant aux Nations unies, plus conscients des réalités qu'ils venaient de vivre, se déclarèrent résolus, je cite toujours les textes, "à créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international", on pouvait croire qu'un progrès décisif avait été franchi, et c'était un progrès.
- Mais vous connaissez la suite, un peu partout dans le monde, des conflits, des luttes sanglantes, des luttes tribales, des combats ethniques, le réveil de l'histoire, la permanence des revendications, l'histoire qui continue d'être commandée par la géographie et finalement l'incapacité où se trouve l'organisation des Nations unies qui, pourtant a bien ses mérites, d'empêcher que ne revienne partout l'écho des luttes de nos derniers siècles.
- Nous le savons, les règles juridiques ne peuvent remplir pleinement leur fonction pour garantir l'ordre social et national que si elles contribuent à assurer la justice, la liberté, l'égalité entre les hommes. Ce sont de grands mots, mais il faut les aimer et il faut les servir. Cela vaut dans la société internationale comme ailleurs. Et l'avènement de ce droit international n'est concevable que si, comme dit et l'exige la Charte des Nations unies, des normes généralement acceptées et respectées créent "les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales".
- D'où une lutte sans relâche contre les intolérables inégalités du développement, une vigilance de tous les instants qui échoue souvent, au travers de laquelle passent tant d'ambition et de fureur £ et pourtant, c'est grâce à cette vigilance que l'on peut, à mesure que le temps passe, que les efforts se multiplient, espérer que l'universalité, le respect et la promotion des droits de l'Homme finiront par l'emporter.
- C'est vous, monsieur le Président, monsieur je juge Ago - qui êtes aujourd'hui parmi nous et à qui j'adresse mes félicitations personnelles - qui rappeliez en 1956, combien les Etats "jaloux de leur égalité et de leur liberté d'action, étaient naturellement rétifs à admettre les jugements juridiques destinés à régler leur situation et leurs rapports réciproques". Ce n'est pas la marque d'un grand pessimisme, vous n'êtes pas pessimiste, c'est souligner l'immense difficulté qu'il y a à vaincre enfin l'héritage reçu à travers les temps.
- Eh bien ! Il faut vous y aider, il faut aider votre Académie, il faut aider tous les artisans du droit pour que soient créés, à l'intention des Etats, les instruments qui leur inspireront la confiance, des procédures qui permettront d'exposer les vues des uns, des autres, celles des défenseurs de la paix, bref des institutions qui traceront le cadre de la coopération et qui permettront d'arbitrer, devant lesquelles seront soumis les différends internationaux.\
La France s'y est employée, s'y emploie dans le cadre de la CSCE. On a élaboré, à son initiative, conjointement avec l'Allemagne, une convention créant une Cour de conciliation et d'arbitrage. Elle est déjà signée, j'espère qu'elle sera bientôt ratifiée. C'est en tout cas, un exemple des tentatives faites par chacun.
- De même, nous considérons, en France, aux côtés des victimes, que les manquements au droit international doivent être sanctionnés avec solennité. C'est pourquoi, outre son concours aux opérations du maintien de la paix des Nations unies partout où cela est nécessaire et particulièrement, aujourd'hui, dans l'ancienne Yougoslavie - la France est le pays qui fournit le premier contingent mondial de casques bleus - elle propose, la France, la création d'un tribunal international chargé de punir les crimes contre la condition humaine, partout où ils se commettent, et, d'abord, dans le pays que je viens de citer.
- En proclamant les années 1990 "Décennie des Nations unies pour le droit international", l'Assemblée générale a exprimé sa conviction de la "primauté du droit dans les relations internationales", renouant de la sorte avec le vieux rêve, qui ne devrait plus être seulement un rêve, de "la paix par le droit".
- Par son action patiente en faveur de la promotion et de la diffusion du droit des gens, l'Académie de La Haye a contribué et continue de contribuer puissamment à ce que ce rêve devienne réalité. Il était juste, et cela a été fait, que les membres du jury choisissent cette Académie et nous venons joindre nos voix à celles de ceux qui ont choisi.
- Madame et messieurs les Académiciens, soyez félicités pour ce prix et remerciés pour votre contribution à la paix par le droit. La France vous accompagne de ses voeux.\
- Un prix Houphouët Boigny, cela signifie déjà beaucoup pour nous qui connaisons depuis de longues années le Président de la Côte d'Ivoire, puisqu'il s'agit d'une vie consacrée d'abord à la défense des siens, ensuite à l'équilibre de l'Afrique, enfin à la défense de la paix. Un prix qui va à l'Académie de La Haye - le Lauréat de cette année - à la suite de l'initiative très heureuse prise, en 1991, par le Président Houphouët Boigny pour honorer l'action en faveur de la paix. Beaucoup de raisons ont justifié ce choix et les membres du jury pourraient le dire mieux que moi. L'Académie de La Haye, la longue tradition de défense du droit à laquelle cette ville a attaché son nom, tout cela donne une signification particulière au Prix de 1993.
- Dans la longue histoire des sociétés humaines, la voix trop souvent étouffée du droit a rarement, on a presque envie de dire et tristement jamais, prévalu sur le bruit des armes. Pourtant le droit a de tout temps entretenu avec la guerre des relations plus étroites que ne le laisse paraître l'opposition apparente des mots.
- Après tout, les traités de paix sont la plupart du temps l'une des manifestations les plus anciennes de l'irruption du droit dans les relations internationales, mais en même temps, ils sont le plus souvent l'instrument par lequel le vainqueur impose sa loi au vaincu et, si l'on en restait là, le droit ne serait qu'un moyen de légitimer la force, alors que telle à nos yeux ne saurait être sa fonction.
- C'est d'ailleurs parce que les traités ont toujours été le résultat du rapport de force, parce que l'on prétend chaque fois en fixer la portée pour les siècles des siècles alors qu'ils ne durent généralement que quelques décennies, que se trouvent constamment réveillés des foyers où les passions, les colères, le sens de la revanche s'allument de nouveau.
- Aussi bien depuis les clercs, aujourd'hui anonymes, du Moyen Age, qui s'efforçaient de promouvoir la "trêve de Dieu", depuis ces clercs jusqu'à Henri Dunant, des théoriciens de la "guerre juste" aux promoteurs des Conventions de La Haye et de Genève, longue est la suite des hommes et des femmes qui ont mené un combat pour endiguer l'horreur dévastatrice de la guerre.
- Alors est né le "droit humanitaire de la guerre", expression paradoxale qui marque à la fois le progrès réalisé et les limites de ce progrès. Conformément au principe posé en 1899, je cite "les belligérants n'ont", dorénavant, "pas un droit illimité de nuire à l'ennemi", ce qui voulait dire qu'au fond le recours aux armes demeure licite. En dépit de ce principe, c'est à la guerre elle-même qu'il faut faire la guerre.\
On s'en souvient, le pacte de la Société des Nations, puis le traité Briand-kellogg de 1928 avaient mis la guerre hors la loi, mais sans créer les moyens d'un ordre international fondé sur le droit. Ils n'ont pas été naturellement en mesure de prévenir le cataclysme de la seconde guerre mondiale, et la Société des Nations est morte avec son idéalisme, respectable mais finalement incapable d'imposer sa loi.
- En 1945, quand les peuples adhérant aux Nations unies, plus conscients des réalités qu'ils venaient de vivre, se déclarèrent résolus, je cite toujours les textes, "à créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international", on pouvait croire qu'un progrès décisif avait été franchi, et c'était un progrès.
- Mais vous connaissez la suite, un peu partout dans le monde, des conflits, des luttes sanglantes, des luttes tribales, des combats ethniques, le réveil de l'histoire, la permanence des revendications, l'histoire qui continue d'être commandée par la géographie et finalement l'incapacité où se trouve l'organisation des Nations unies qui, pourtant a bien ses mérites, d'empêcher que ne revienne partout l'écho des luttes de nos derniers siècles.
- Nous le savons, les règles juridiques ne peuvent remplir pleinement leur fonction pour garantir l'ordre social et national que si elles contribuent à assurer la justice, la liberté, l'égalité entre les hommes. Ce sont de grands mots, mais il faut les aimer et il faut les servir. Cela vaut dans la société internationale comme ailleurs. Et l'avènement de ce droit international n'est concevable que si, comme dit et l'exige la Charte des Nations unies, des normes généralement acceptées et respectées créent "les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales".
- D'où une lutte sans relâche contre les intolérables inégalités du développement, une vigilance de tous les instants qui échoue souvent, au travers de laquelle passent tant d'ambition et de fureur £ et pourtant, c'est grâce à cette vigilance que l'on peut, à mesure que le temps passe, que les efforts se multiplient, espérer que l'universalité, le respect et la promotion des droits de l'Homme finiront par l'emporter.
- C'est vous, monsieur le Président, monsieur je juge Ago - qui êtes aujourd'hui parmi nous et à qui j'adresse mes félicitations personnelles - qui rappeliez en 1956, combien les Etats "jaloux de leur égalité et de leur liberté d'action, étaient naturellement rétifs à admettre les jugements juridiques destinés à régler leur situation et leurs rapports réciproques". Ce n'est pas la marque d'un grand pessimisme, vous n'êtes pas pessimiste, c'est souligner l'immense difficulté qu'il y a à vaincre enfin l'héritage reçu à travers les temps.
- Eh bien ! Il faut vous y aider, il faut aider votre Académie, il faut aider tous les artisans du droit pour que soient créés, à l'intention des Etats, les instruments qui leur inspireront la confiance, des procédures qui permettront d'exposer les vues des uns, des autres, celles des défenseurs de la paix, bref des institutions qui traceront le cadre de la coopération et qui permettront d'arbitrer, devant lesquelles seront soumis les différends internationaux.\
La France s'y est employée, s'y emploie dans le cadre de la CSCE. On a élaboré, à son initiative, conjointement avec l'Allemagne, une convention créant une Cour de conciliation et d'arbitrage. Elle est déjà signée, j'espère qu'elle sera bientôt ratifiée. C'est en tout cas, un exemple des tentatives faites par chacun.
- De même, nous considérons, en France, aux côtés des victimes, que les manquements au droit international doivent être sanctionnés avec solennité. C'est pourquoi, outre son concours aux opérations du maintien de la paix des Nations unies partout où cela est nécessaire et particulièrement, aujourd'hui, dans l'ancienne Yougoslavie - la France est le pays qui fournit le premier contingent mondial de casques bleus - elle propose, la France, la création d'un tribunal international chargé de punir les crimes contre la condition humaine, partout où ils se commettent, et, d'abord, dans le pays que je viens de citer.
- En proclamant les années 1990 "Décennie des Nations unies pour le droit international", l'Assemblée générale a exprimé sa conviction de la "primauté du droit dans les relations internationales", renouant de la sorte avec le vieux rêve, qui ne devrait plus être seulement un rêve, de "la paix par le droit".
- Par son action patiente en faveur de la promotion et de la diffusion du droit des gens, l'Académie de La Haye a contribué et continue de contribuer puissamment à ce que ce rêve devienne réalité. Il était juste, et cela a été fait, que les membres du jury choisissent cette Académie et nous venons joindre nos voix à celles de ceux qui ont choisi.
- Madame et messieurs les Académiciens, soyez félicités pour ce prix et remerciés pour votre contribution à la paix par le droit. La France vous accompagne de ses voeux.\