19 février 1993 - Seul le prononcé fait foi

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Deuxième interview de M. François Mitterrand, Président de la République, à France 3 le 19 février 1993 en réponse à des questions sur minitel, sur le chômage, les affaires et le climat politique, sur la réforme de la constitution sur la durée du mandat présidentiel et sur la cohabitation.

QUESTION.- Monsieur le Président, bonsoir. Vous avez entendu les premières réactions à votre intervention d'hier soir, avez-vous le sentiment d'avoir convaincu ?
- LE PRESIDENT.- On ne peut jamais le dire. Certainement pas assez, à la fois parce qu'il en est qui ne veulent pas être convaincus et aussi parce que l'on est toujours au-dessous de ce qu'il faudrait dire. Je suis le premier à le ressentir mais enfin, l'essentiel est d'y mettre tout son coeur. C'est ce que j'essaie de faire. J'ai éprouvé une sorte de manque parce que c'est une émission qui s'adresse à la France tout entière, disons à la moitié des régions en deux fois et il y a beaucoup de questions. Certaines d'entre elles, qui sont très importantes ne peuvent pas être traitées à fond. Donc, j'ai l'impression de rester un peu sur ma faim.
- Parlons de la première question sur le chômage. Comment voulez-vous qu'en deux ou trois minutes je puisse répondre complètement à une question si vaste ? J'ai expliqué que la première cause du chômage c'est l'évolution extraordinairement rapide des sciences et des techniques. Les métiers changent tout le temps. Que faut-il faire ? Plutôt que de se mettre en recul, en arrière de l'évolution, il faut se mettre en avant, il faut donc développer la recherche française, augmenter ses crédits - c'est ce que l'on a fait - pousser la formation pour que les travailleurs jeunes ou moins jeunes soient en mesure d'exercer ces nouveaux métiers.
- Puisque la deuxième cause du chômage c'est la concurrence internationale, eh bien cherchons des appuis internationaux. Nous avons la Communauté, organisons-nous en Europe et construisons avec l'Europe la protection de nos productions, organisons la croissance.
- Troisième point : la cause n'est pas française mais occidentale. Mais il faut essayer de trouver des réponses françaises et ne pas attendre le commandement américain ou la décision allemande. Il y a des mesures qui peuvent être prises, qui ont commencé de l'être :"partage du travail", "partage du temps". Pourquoi pas trente-cinq heures, ce qui supposerait des aménagements débattus entre employeurs et salariés. QUESTION.- Avec une baisse de salaire ?
- LE PRESIDENT.- Ils le décideront ensemble comme ils ont commencé de le faire dans plusieurs entreprises. On m'a parlé de POTAIN, je ne suis pas très au courant mais on m'en a parlé. Il faut absolument faire une politique de grands travaux. J'ai décidé avec Mme Thatcher le percement du tunnel sous la Manche. Cela a transformé la région. Pour l'avenir du Nord-Pas-de-Calais, c'est une affaire formidable qui créera des milliers d'emplois. Les autoroutes, ce n'est pas moi qui les ai commencées, les TGV non plus, mais j'ai continué, j'ai développé. Bref, j'aurais voulu pouvoir dire cela et bien d'autres choses mais je m'arrête.\
QUESTION.- Nos téléspectateurs ont d'abord souhaité vous parler des affaires et du climat politique, c'est leur deuxième préoccupation juste après le chômage. Est-ce que ce n'est pas vraiment inquiétant pour le monde politique français, monsieur le Président ?
- LE PRESIDENT.- C'est dommage en tous cas et si le monde politique français s'y est exposé, c'est coupable. Maintenant, je crois à une évolution des moeurs et à un besoin de transparence. Des moyens de transparence ont été donnés qui n'existaient pas auparavant. Est-ce qu'il y a une plus forte proportion de gens malhonnêtes que sous la IVème ou sous la IIIème République ? Moi, je ne peux pas trancher. On n'en sait rien £ c'est peu probable £ cela doit être du même ordre. Par exemple, il y a cinquante-huit parlementaires qui sont mêlés, incriminés - je ne dis pas coupables - dans les affaires judiciaires. Trente appartiennent à l'opposition et vingt-huit relèvent de la majorité présidentielle. Je dois dire que l'on entend beaucoup plus parler des dernières que des premières. Je ne dirai pas que l'on est plus malhonnête ici et plus honnête là.
- QUESTION.- Pourquoi autant ? Est-ce que c'est un peu la revanche des juges contre les politiques, les médias ?
- LE PRESIDENT.- Je ne veux pas dire revanche, ce serait préjuger. Je dis simplement £ ils ont le moyen de le faire parce qu'ils sont libres de le faire. S'ils sont libres de le faire c'est parce que la République est plus démocratique qu'elle ne l'était auparavant.
- REGION BOURGOGNE
- QUESTION.- Dans l'affaire du sang contaminé, monsieur le Président, est-il envisageable que des ministres soient responsables de leur décision devant la justice ?
- LE PRESIDENT.- Comme vous le voyez, ils le sont puisque à propos de l'atroce affaire du sang contaminé, deux ministres et le Premier ministre de l'époque doivent rendre compte, justement ou injustement, c'est un autre problème, devant la Haute Cour de Justice. En vérité, si moi j'avais été ministre de la santé en 1985, ignorant que je suis des problèmes de thérapeutique et de biologie, comment aurais-je pu décider si les principaux responsables, experts de la recherche et de la médecine ne me le disent pas ? De telle sorte que, par exemple, je trouve que Laurent Fabius a été remarquable de décision - d'ailleurs on s'est moqué de lui à l'époque - en décidant, le troisième dans le monde, le dépistage du sida et peu de temps après, le chauffage des produits sanguins. Je trouve très injuste qu'on le mette en cause de la manière dont on le fait. Mais je trouve sain, en revanche, que l'on recherche les responsabilités.
- QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que cela veut dire qu'il y a un mauvais fonctionnement des services au sein des ministères ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas du tout les ministères, c'est l'état de la science et de la recherche.
- QUESTION.- Il faut transmettre l'information pourtant ?
- LE PRESIDENT.- Je vous dirai ceci : le ministère de la santé doit comprendre, j'imagine, beaucoup de médecins. Est-ce qu'ils étaient en mesure d'être en avance sur la science du moment, 1984-1985, peut-être ! S'ils étaient en avance et s'ils n'ont rien dit, ils sont coupables. S'ils ne le savaient pas plus que les autres, comment jugera-t-on ? De toutes façons la responsabilité, il est tout à fait bon qu'elle soit recherchée, qu'on en discute. La Haute Cour de Justice est politique, ce sont des parlementaires qui vont juger, peut-être des adversaires. Est-on sûr de leur impartialité ? Les ministres ont toujours demandé à être jugés comme on l'est par des magistrats ou par des jurys populaires.\
QUESTION.- Dans trois mois j'ai terminé mon cursus pour rentrer dans la vie active et dans le monde des affaires, et j'aimerais vous poser la question suivante : M. Tapie, ministre du gouvernement actuel, a récemment vendu Adidas à des organismes dont l'Etat est le principal actionnaire, donc proches du pouvoir. J'aimerais savoir si, pour vous, c'est un modèle d'indépendance de la sphère économique par rapport au pouvoir politique. Et est-ce que cet événement nous renvoie une image satisfaisante du milieu des affaires ?
- LE PRESIDENT.- Je pense, mademoiselle, puisque vous terminez vos études, qu'il serait temps de vous informer tout à fait de ce sujet-là. Vous sauriez, sans cela, que les entreprises nationales ou publiques qui ont pris des participations accrues dans cette affaire Adidas, que je ne connais pas plus que la moyenne des gens en France, le font constamment dans des centaines d'affaires industrielles. Ils participent, de même que les banques, naturellement, au capital de centaines de grandes affaires. Ils interviennent et ce n'est pas du tout spécial à Adidas. Adidas a pour responsable, depuis quelques temps, Mme Gilberte Baux qui a une grande, une forte, une bonne réputation £ comme Adidas a été sous la conduite du ministre actuel, Bernard Tapie, grand tempérament, grand caractère, naturellement il y a eu lutte, aussitôt on a dit "abus de pouvoir", "il profite de ses amitiés", "il a obtenu des faveurs..." Eh bien je dis non, il n'y a pas eu de faveurs. Quant à moi j'ai appris cette affaire en lisant le journal.
- QUESTION.- Mais, monsieur le Président, pour éviter justement ces polémiques, ne pensez-vous pas qu'à partir du moment où un homme d'affaire accède au pouvoir, il devrait renoncer à ses fonctions dans la sphère économique ?
- LE PRESIDENT.- Vous avez tout à fait raison. C'est ce qu'a fait Bernard Tapie qui s'est dégagé de toutes ses affaires. Je crois que c'était raisonnable puisqu'il était constamment attaqué, mais c'est également de bonne déontologie.
- QUESTION.- Est-ce qu'il ne l'a pas fait trop tard ?
- LE PRESIDENT.- Comment ? Il n'était pas prévu qu'il entre au gouvernement. Non. Je ne pense pas qu'on puisse le lui reprocher. Mais enfin ça, c'est une autre affaire. De toute manière, puisque vous avez posé cela en principe moral, vous avez raison. Tout membre du gouvernement devrait se défaire de cela. C'est une règle absolue, on ne peut pas mélanger les choses. Il ne les a pas mélangées, mais vous voyez que cela a prêté à confusion. C'est dommage pour la République qu'on puisse soupçonner en l'occurence, Bernard Tapie. A mon avis, il n'était pas soupçonnable car cette affaire a été régulière.\
QUESTION.- Monsieur le Président dans plusieurs autres dossiers le nom d'un de vos amis aujourd'hui disparu revient. Il s'agit de Roger Patrice Pelat. On en parle aujourd'hui. On reparle aujourd'hui, il s'agit de l'affaire Pechiney, on en parle également à l'occasion d'un contrat signé en 1984, en Corée du Nord, pour une société qui s'appelle CBC où votre ancien ami aurait touché une commission de 20 millions de francs. Autre affaire également, que je ne lie pas à la précédente, il s'agit d'un prêt accordé par M. Pelat à Pierre Bérégovoy, alors député, c'était en 1986, est-ce que là il n'y a pas risque de mélange entre les affaires, les amitiés et la politique ?
- LE PRESIDENT.- En somme, vous me demandez si je n'ai pas commis un délit d'amitié ? QUESTION.- Ce n'est pas le sens de ma question.
- LE PRESIDENT.- Pourquoi me posez-vous la question à moi ? Qu'ai-je à voir dans tout cela ?
- QUESTION.- Est-ce que, pendant ces années-là, votre ami Roger-Patrice Pelat, qui avait sans doute, peut-être - c'est une question que je vous pose - peut-être des informations, puisqu'il avait effectivement un certain nombre d'amis...
- LE PRESIDENT.- Pour l'affaire Pechiney ?
- QUESTION.- Par exemple.
- LE PRESIDENT.- Ca c'est l'affaire du juge d'instruction qui vient de renvoyer devant le tribunal, neuf inculpés, ce qui ne veut pas dire qu'ils sont coupables. Ce n'est pas mon affaire à moi. Ce que je peux vous dire, je l'ai déjà dit, cela m'ennuie de me répéter, de toujours dire la même chose. Roger-Patrice Pelat, je l'ai connu pendant la guerre, les prisonniers de guerre et la Résistance £ un homme admirable. Ensuite il a suivi sa voie, moi j'ai suivi la mienne. Nous avons gardé des liens d'amitié. Et je n'ai pas à rendre compte de ses actes ! Il est mort il y a quatre ans. Je trouve un petit peu abusif que constamment - c'est facile de se défausser sur lui... - mais je ne peux pas juger le fond. Je n'en sais rien ! Donc vous parlez maintenant de l'affaire de Corée. Elle est peut-être régulière, je n'en sais rien. Je pense qu'elle l'est. D'ailleurs Pierre Bérégovoy l'a refusée. On essaie de faire l'amalgame, là aussi, en disant : puisqu'il y a eu ce prêt qui date de 1986.. alors que Pierre Bérégovoy venait de quitter le ministère de l'économie et des finances, et qu'il n'était plus rien. C'est dire qu'il ne pouvait pas abuser de sa fonction. Il avait refusé le prêt pour la Corée et d'autre part un prêt que l'on déclare chez un notaire, qu'on enregistre...
- QUESTION.- ..., sans intérêt ? LE PRESIDENT.- Mais cela le regarde.
- QUESTION.- ... des Français qui ont acheté par exemple un appartement ou une maison...
- LE PRESIDENT.- Ecoutez-moi. Un ministre des finances qui est depuis plusieurs années au gouvernement et qui pour acheter un appartement a besoin d'emprunter, ce n'est pas si mal que cela, croyez-moi. J'en connais d'autres qui ont de quoi. Quand il s'agit d'un homme intègre comme lui, moi j'éprouve comme une sorte de souffrance à le voir mis en cause, surtout pour une affaire légale du début à la fin. On peut dire "il aurait peut-être pu payer des intérêts" £ eh bien, ils se sont arrangés puisqu'ils étaient amis. Un homme qui n'a pas de moyens, de trésorerie, qui n'a pas d'épargne, qui a suivi un cursus tout à fait simple dans sa vie : ouvrier, employé, puis la politique l'a propulsé là où il se trouve grâce à ses qualités. Je suis très indigné de la manière dont on le met en cause car on altère sa réputation. Je ne vais pas insister là-dessus.\
QUESTION.- Ce n'est pas contre lui, c'est en terme d'image si vous voulez.
- LE PRESIDENT.- Moi je m'explique. Si j'y mets de l'animation, admettez-le. Cela aussi est peut-être un délit d'amitié ? Si on ne revient plus sur ce sujet, je voudrais juste ajouter un mot. Je suis - je vais peut-être l'apprendre à beaucoup de gens qui nous regardent - le 21ème Président de la République depuis 140 à 150 ans. Il y en a donc eu vingt avant moi. On va oublier le premier qui était Louis Napoléon Bonaparte qui ne devait pas être très préoccupé par ces choses. On va donc dire dix-neuf présidents républicains de la République mais il n'y en a pas un qui ait pensé à organiser la lutte contre l'affairisme. Il n'y en a pas un qui ait pris des mesures pour que les parlementaires puissent être contrôlés pas en tant que parlementaires, mais pour que leurs agissements soient publics, soient transparents.
- Qui est-ce qui a décidé le financement des partis publics pour éviter que chacun courre avec des valises, car les plus malins sont ceux qui ont des valises et de l'argent comme cela personne ne voit. Les autres, un peu stupides commettent, cela est déplorable, un somme de petite indélicatesses ou de grosses malhonnêtetés. C'est intolérable. Je peux vous le dire, j'en ai beaucoup souffert parce que j'aime la République et je n'aime pas cela. Mais qu'est-ce qu'ont fait mes prédécesseurs ? Il n'y a pas eu de loi. Nous l'avons fait pour le financement des partis, pour le contrôle des déclarations du patrimoine des élus, pour veiller à toute forme d'enrichissement, pour les cotisations boursières, le contrôle des opérations boursières, pour le contrôle des OPA, c'est-à-dire le rachat des sociétés par les autres. Toute cette législation, c'est nous qui l'avons faite depuis 1988. Il y a eu un premier essai avec M. Chirac à qui d'ailleurs je l'avais demandé. Vous comprenez que je me sens très à l'abri. Il n'y avait pas de législation.
- Une dernière question. Comment faisait-on sous la IVème, la IIIème République et pendant les longues années de la Vème qui ont précédé cette disposition que, moi, j'ai prise ? Il n'y avait pas de spéculation en bourse ? Il n'y avait pas de sanction puisqu'il n'y avait pas de COB. Il n'y a jamais eu de spéculation ? Il n'y a jamais eu de fortune soudaine ? Vous savez bien que l'immoralité n'est pas née d'hier et au demeurant le milieu politique n'est pas corrompu plus qu'un autre. Vous savez que sur les 58 parlementaires que j'ai cités tout à l'heure, aujourd'hui mêlés, - sans être coupables forcément -, à des affaires judiciaires, sur ces 58, - je me suis informé - il n'y en a que 4 ou 5 qui pourraient être mis en cause pour enrichissement personnel. Tous les autres c'est pour le compte de leur formation politique. C'est complètement différent.\
QUESTION.- Monsieur le Président, les Français s'intéressent beaucoup à vous et à l'élection présidentielle qui doit avoir lieu normalement en 1995...
- LE PRESIDENT.- Je vais vous interrompre parce que votre confrère journaliste, tout à l'heure, a commencé en disant "C'est la Bourgogne, vous avez été député de la Bourgogne pendant 35 ans, alors pour votre réputation... £ mais qu'est-ce que j'ai à faire là-dedans ? Je n'ai pas du tout admis cette allusion, je tiens à le dire.
- QUESTION.- Reparlons maintenant de l'élection présidentielle. C'est la quatrième préoccupation des milliers de personnes qui vous ont adressé des questions et deux télespectateurs souhaitent vous interroger à ce sujet.
- LIMOGES
- QUESTION.- Nombreux sont les téléspectateurs qui voudraient vous voir partir avant l'échéance de l'élection présidentielle, considérant pour la plupart que deux septennats, c'est trop long. Ce sont souvent les mêmes qui vous ont entendu dire hier soir que vous vouliez rester. Cette réaction nous étonne un peu dans le Limousin, je dois vous le dire, quand on sait que cette région est un véritable bastion de la gauche et que vous y comptez un électorat fidèle. L'explication à travers les appels, est que beaucoup de téléspectateurs trouvent que vous ne les avez pas suffisamment soutenus. Ils se sentent abandonnés et se disent tristes de voir leur pays vieillir et mourir un peu, faute d'emplois et de grands axes de communication. Ici, vous le savez nous n'avons pas le TGV, nous n'avons pratiquement pas d'autoroute et nous souffrons d'un véritable problème d'enclavement.
- LE PRESIDENT.- Avant que j'entende ce monsieur avec lequel je serai très content de discuter, est-ce que je pourrais répondre à vous, monsieur le journaliste ?
- Pourrais-je vous dire que ceux qui disent cela, il faudrait que les remercie. Ils sont gentils pour ma santé, ils voudraient que je me repose ! Mais pourquoi est-ce que je suis là ? Parce que j'ai été élu. Qui m'a élu ? Eh bien c'est vous, enfin vous ! Je ne vous compromets pas. Alors vous ajoutez et vous entrez dans le vif du sujet, ils auraient été déçus ! Malgré tout, le Limousin est un région qui continue d'avoir une direction régionale socialiste et des élus à forte majorité socialiste. Donc leur déception ne va pas jusqu'au reniement. S'il s'agit de déception, je veux bien expliquer. Il n'y a pas d'autoroute dans le Limousin ? Eh oui. Il n'y en a pas non plus dans la Nièvre que j'ai représentée - parce qu'il se trouve que les grands itinéraires ne passent pas par là, - je veux dire le Limousin -, puisqu'ils passaient par la Nièvre. Depuis les Romains, on est toujours passé par la Loire et pour des raisons politiques, à l'époque où j'étais dans l'opposition, l'autoroute est passée par ailleurs, le Berry, vers l'Auvergne en évitant la Nièvre. Je suis très peiné pour lui, je comprends très bien sa réaction. Qu'est-ce que j'y peux ? Ce n'est pas moi qui décide du parcours des autoroutes. C'est vrai aussi que le terrain du Limousin, le relief qui présente bien des avantages sur le plan touristique est assez difficile pour un tracé de routes.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je vous propose que l'on reprenne le dialogue. Je ne... Je me permets de me faire l'écho de centaines de commerçants de la région limousine dont je fais partie qui sont atteints, parce que je les visite régulièrement, d'une véritable sinistrose, sinistrose qui a pour dénominateur commun la gestion socialiste. Je pense qu'il ne faut pas être plus têtu que les faits et je suis certain monsieur le Président que vous saurez, le moment venu, en tirer les conséquences.
- LE PRESIDENT.- Je vous remercie de la question. Vous êtes franc et honnête. Vous permettez que j'en fasse autant et même peut-être un peu plus. C'est vrai que le milieu commerçant n'aime généralement pas les socialistes. Ce n'est pas dans cette catégorie socio-professionnelle que se trouve le gros des troupes électorales socialistes. Alors, on va modérer leur mécontentement car attribuer aux socialistes une certaine forme de désertification rurale, permettez-moi de vous dire que c'est absurde. La désertification en Limousin - il y a des bouquins sur ce sujet -, mon père était du Limousin, je connais bien le coin car il est né à Limoges, a commencé vers les années 1850 et il y a des livres et des études sérieuses démographiques qui le démontrent. A l'époque, ce n'étaient pas les socialistes qui étaient au pouvoir !
- QUESTION.- Effectivement, monsieur le Président, l'exode n'a pas commencé depuis les socialistes mais il faut bien reconnaître que depuis 1981, cela s'est accéléré.
- LE PRESIDENT.- Depuis 1981 à votre avis ? Pourquoi pas depuis 1979 par exemple ?
- QUESTION.- Je dis que depuis que les socialistes sont au pouvoir, la désertification s'est amplifiée, elle continue.
- LE PRESIDENT.- Oui, elle continue et c'est pourquoi il faut faire un effort d'équipement spécial pour cette région. J'unirai mes efforts aux vôtres pour tenter de redresser cette situation qui a déjà plus d'un siècle derrière elle.\
QUESTION.- Monsieur le Président, l'objet de ma question porte sur l'économie qui est devenue mondialiste. Parallèlement, on a vu une désaffection du monde industriel vis à vis du monde de la politique au moment où on en a particulièrement besoin. Pensez-vous qu'un industriel puisse être un Premier ministre ?
- LE PRESIDENT.- Naturellement. En général il y a quand même quelques industriels qui se font élire député ou sénateur.
- QUESTION.- Excusez-moi on peut constater que la répartition au niveau du Parlement n'est plus la même entre le début de ce siècle et ces jours-ci dans la mesure où on a vu une érosion totale de la présence des industriels au niveau du Parlement et il me semble être de la responsabilité d'un Président que d'assurer une équité dans la représentation nationale...
- LE PRESIDENT.- Vous savez, je ne dispose que de ma voix à Château-Chinon £ je ne dois pas peser beaucoup en tant que citoyen sur cette répartition, mais je comprends votre inquiétude et votre souci de voir les choses se corriger. Il y a quand même un certain nombre de chefs d'entreprise, industriels ou pas, qui sont au Parlement. C'est vrai qu'il y a eu autrefois, ce que l'on appelait les grands propriétaires terriens, ensuite on a vu beaucoup de professions libérales (médecin, vétérinaires, etc), ensuite on a vu beaucoup d'enseignants, de professeurs, des socialistes en ont amené beaucoup au Parlement et même au gouvernement et c'est vrai que la fraction active sur le plan économique s'est un peu effacée, s'éloignant de la politique, exerçant une influence réelle mais par d'autres moyens.
- Si on peut réparer cela alors pourquoi pas un premier ministre industriel. Supposez que là, au mois de mars, au cas où la majorité se renverserait, ce n'est pas fait mais c'est une hypothèse retenue par pas mal de gens, supposez que j'aille chercher un industriel plutôt que de chercher un député ou un sénateur dans la nouvelle majorité, qu'est-ce qu'on ne dira pas !\
QUESTION.- Nous allons maintenant parler de l'Europe de Maastricht, une Europe que vous avez toujours défendue à la veille du référendum, que vous continuez à défendre alors que la totalité des Douze ne l'ont pas encore ratifiée et pour ce dossier, Strasbourg, capitale européenne paraissait la ville idéale.
- REGION ALSACE.
- QUESTION.- Les Alsaciens dans leur grande majorité ont été choqués, on peut le dire par une décision toute récente. Elle date du 10 février et elle concerne le TGV.
- QUESTION.- Monsieur le Président, je voudrais vous demander pourquoi y a-t-il deux langages à la tête du gouvernement : le langage du Président de la République qui veut que Strasbourg devienne capitale européenne et le langage du Premier ministre qui ne lui en donne pas les moyens puisque le TGV s'arrêtera à Baudrecourt, un petit village lorrain tout près de Metz ?
- LE PRESIDENT.- Je ne vois pas, madame, où se trouve le double langage. Strasbourg, je m'y intéresse. J'ai fait beaucoup d'efforts, je ne suis pas le seul, pour qu'enfin Strasbourg fut reconnu comme siège du Parlement européen, ce qui était contesté depuis de longues années avec la concurrence de Bruxelles. On l'a obtenu. On a également fait beaucoup d'autres choses pour cette ville et on a décidé un tracé de TGV, qui irait à Strasbourg mais aussi beaucoup plus loin avec des embranchements vers Munich, vers l'Autriche. Le TGV doit être une infrastructure européenne.
- QUESTION.- Les collectivités territoriales ont été mises à contribution, chose qui n'est jamais arrivée dans les autres tracés du TGV £ donc elles ont fait un effort considérable. Elles ont donc apporté de l'argent et, en fait, on leur donne un camouflet en arrêtant le TGV à Baudrecourt.
- LE PRESIDENT.- Je vous trouve un peu susceptible.
- QUESTION.- Peut-être mais je ne suis pas Alsacienne. De coeur seulement !
- LE PRESIDENT.- Oui, eh bien moi aussi. Avant d'arriver à Strasbourg, quand on part de Paris, on passe ailleurs. On ne peut pas faire le TGV en un an. Donc, on le fait par étapes. Et la première étape, c'est en effet cette petite ville avant l'Alsace. Mais il est évident que le TGV ira à Strasbourg : d'ailleurs il s'appelle Paris - Strasbourg. Mais je le répète, il ira plus loin. Pour le moment, on en est à la première tranche.
- QUESTION.- Est-ce qu'on peut décentraliser, c'est-à-dire donner des moyens aux collectivités locales et du pouvoir, et en même temps faire l'aménagement du territoire nécessaire depuis Paris, est-ce que c'est bien compatible ?
- LE PRESIDENT.- Mais naturellement, c'est compatible. J'insiste, madame, parce que je vois bien votre sincérité et votre indignation. Vous devez bien comprendre que lorsque l'on fait une ligne de TGV comme quand on fait une ligne électrique, il faut bien commencer par un bout. Au fond, le gouvernement a eu tort de ne pas commencer par Strasbourg pour aller à Paris !\
QUESTION.- Une deuxième question qui concerne ici l'Europe au quotidien : c'est l'emploi, c'est le chômage. L'Alsace est la région qui a le plus faible taux de chômage en France. C'est une région aussi qui a soixante mille frontaliers qui vont tous les jours en Suisse, en Allemagne, qui connaissent donc bien la réalité de nos voisins. L'ouverture progressive des frontières entraîne depuis longtemps une importation massive de produits asiatiques qui entraînent de préoccupantes pertes d'emplois en Europe. Personne ne peut résister à l'ébranlement du secteur textile - en Alsace, en particulier - et la sidérurgie allemande qui s'apprête à licencier 80000 personnes, donc forcément des travailleurs frontaliers alsaciens. Les politiciens européens ne devraient-ils pas envisager rapidement une nouvelle forme de protectionnisme de la Communauté européenne ?
- LE PRESIDENT.- La Communauté européenne s'organise et si elle ne le fait pas assez, elle doit s'organiser davantage pour se protéger. Le terme "protéger" est toujours difficile à prononcer car il suggère "protectionnisme" et le protectionnisme est plutôt mal vu même si tous les grands pays le pratiquent. De quelle manière est-ce que les Etats-Unis d'Amérique financent, par exemple, la recherche de leurs grandes entreprises d'aviation ? Tout le monde le sait. Vous avez raison, il faut protéger la Communauté. Je ne dis pas les frontières françaises, mais celles des Douze. J'en suis tout à fait d'accord, ça ne présente pas de dangers, ça ne présente que des avantages. Quant aux frontaliers qui, en effet, font des va-et-vient constants entre l'Alsace, la Suisse et l'Allemagne, ils subissent forcément le contre-coup de la situation intérieure de ces trois pays. Actuellement, la situation de la France progresse. L'Allemagne, qui a été longtemps la plus forte et la plus prospère, connaît de graves difficultés dues à l'assimilation de l'Allemagne de l'Est. Moi, je suis tout à fait d'accord avec vous pour estimer que la Communauté doit aider la France à supporter le choc de l'Est, de l'importation de milliers d'objets qui viennent d'Asie du Sud-Est, qui sont produits à bas prix parce qu'on ne paie pas les travailleurs qui les fabriquent. C'est pour cela qu'il faut absolument avoir une législation sociale européenne. J'ai toujours plaidé pour cela. La Grande-Bretagne s'est mise de côté : cela provoque de graves difficultés. Je vous dirai qu'il faut simplement plus d'Europe et non pas moins d'Europe comme certains le préconisent.\
REGION AQUITAINE.
- QUESTION.- Monsieur le Président, bonsoir. Etant confronté d'assez près à ces problèmes du SIDA, j'aurais voulu vous poser deux questions. Peut-on prévoir davantage de prévention dans l'éducation des populations et surtout de la jeunesse et la deuxième question est de savoir si on pourrait prévoir davantage aussi de dépistages ou le rendre obligatoire carrément ?
- LE PRESIDENT.- Je crois qu'à toutes vos questions précédentes, sauf la dernière, je vous répondrai tout de suite : oui. Mais il ne faut pas croire que rien n'ait été fait car vous savez que la France dispose d'un ensemble de centres de recherche contre le SIDA, qui est le deuxième au monde après les Etats-Unis d'Amérique. Donc on fait tout de même un très gros effort. On dispose aussi de quelques grands savants qui ont une renommée internationale. Vous savez que le Professeur Montagnier par exemple est celui qui a découvert le virus du SIDA. Malgré une polémique terrible avec certains chercheurs américains, il est tout à fait évident que c'est le chercheur français qui a raison, c'est lui qui l'a découvert. Donc, cet effort existe. Qu'on puisse l'accroître surtout par la prévention, par la protection, par le développement des préservatifs, toutes les mesures que connaissent les médecins, oui il faut le faire bien évidemment. C'est une maladie terrible, il faut aider surtout la jeunesse à l'éviter.
- QUESTION.- Pourrait-on davantage sensibiliser peut-être par une campagne beaucoup plus importante qu'une campagne d'affichage, une campagne de presse. Pourrait-on davantage sensibiliser cette jeunesse justement à ce problème énorme ?
- LE PRESIDENT.- C'est ce que vous faites, monsieur, pour l'instant et vous avez raison car cette émission est très suivie. On vous aura entendu.
- QUESTION.- Je voulais vous demander aussi pourquoi M. Bérégovoy a interdit cette campagne d'affichage il y a un an ou un an et demi ?
- LE PRESIDENT.- J'avoue mon ignorance. Il a interdit cet affichage est-ce sûr ?
- QUESTION.- Oui, une campagne qui devait se faire £ elle était peut-être un peu trop poussée dans sa forme première.
- LE PRESIDENT.- C'est la première fois que j'entends dire cela mais vous avez sans doute raison puisque vous le dites. Cela m'étonnerait que M. Bérégovoy ait pris cette mesure comme s'il avait quelques hésitations à défendre la population contre le SIDA. Si la forme première n'était pas au point, elle a peut-être été simplement retardée.\
QUESTION.- Vous nous avez dit porter beaucoup d'attention au travail des infirmières en secteur hospitalier. Il est exemplaire c'est vrai mais savez-vous réellement comment cela se passe là et maintenant dans un service d'urgence classique ? L'attente de plus en plus longue par exemple. Or, en quinze ans de pratique professionnelle j'ai plutôt le sentiment d'assister à une dégradation manifeste. Quel est votre diagnostic sur l'état des hôpitaux ?
- LE PRESIDENT.- J'en connais qui sont remarquables. J'en connais qui sont lamentables. J'en connais qui sont très modernes. J'en connais qui sont très vieillots bien que remarquables. Tous les cas existent et ce qui est certain c'est que l'hospitalisation publique a besoin d'être davantage aidée. Elle se fatigue à l'usage et quand on va voir des amis, visiter des malades dans quelques grands hôpitaux parisiens que je ne citerai pas on est un peu effrayé par l'aspect abîmé des lieux.
- QUESTION.- C'est valable aussi pour la province ?
- LE PRESIDENT.- Sans doute, oui. Il m'est arrivé d'aller à l'hôpital mais j'en connais peu. Je crois que vous avez tout à fait raison. C'est vrai d'expérience. C'est votre métier d'ailleurs.\
REGION NORMANDIE.
- QUESTION.- L'environnement est une très forte préoccupation des normands avec le développement le long de la vallée de la Seine de l'un des plus importants complexes pétro-chimiques du pays £ de Rouen au Havre près d'une cinquantaine d'entreprises classées SEVESO avec ce que cela induit de rejets en Seine ou de pollution atmosphérique, même s'il faut bien le reconnaître les industriels ont fait des efforts dans ce domaine. N'oublions pas les trois centrales nucléaires sur le littoral normand et le centre de retraitement des déchets radio-actifs de La Hague. Il ne s'agit pas, monsieur le Président, de dresser un tableau apocalyptique de la région mais de montrer que les Normands comme les Français d'ailleurs vivent avec le souci constant de la préservation de leur environnement. Brice Lalonde a été ministre de l'environnement dans le gouvernement Rocard mais aujourd'hui l'entente écologiste dont il est un des leaders est créditée de 15 à 20 % des voix dans les sondages et il s'oppose parfois fermement au Parti socialiste. C'est peut-être là l'échec des politiques menées en matière d'environnement, qui risque d'être d'autant plus cruellement ressenti si ces électeurs écologistes ne disposent que d'une faible représentation à l'Assemblée nationale.
- LE PRESIDENT.- Ce qui est vrai, c'est que Brice Lalonde est un expert de premier ordre, d'autant plus qu'ayant été pendant trois ans au gouvernement à mes côtés, il a pu constater que les socialistes et les écologistes étaient capables de s'entendre pour essayer de servir les intérêts de la France.
- QUESTION.- Bonsoir, monsieur le Président. Les Français prennent de plus en plus conscience de la nécessité impérieuse de préserver l'environnement. Dans notre région à très forte concentration industrielle, le poids de ces opérations est supporté par les entreprises. En multipliant les exigences, ce que par ailleurs tout le monde souhaite, ne risque-t-on pas de déséquilibrer l'économie des entreprises et par là-même d'aggraver la situation de l'emploi ?
- LE PRESIDENT.- Il faut trouver le point d'équilibre. Moi, j'ai connu une grosse affaire industrielle, une grosse usine sur les bords de la Loire - c'est à côté de Decize - qui traite le bois. Elle répandait dans le cours de la Loire une pollution extrême avec des acides qui tuaient les poissons et qui corrompaient l'eau etc.. En réalité, cette usine était très appréciée par la population en raison du nombre d'emplois et en même temps de l'utilisation de la forêt morvandelle. Quand on s'est aperçu que cela détruisait une partie de l'environnement et de la nature, on a réagi. Des dispositions ont été prises, il y a déjà longtemps afin que les industriels paient une large partie du dégât que provoquait leur industrie. Cela me paraît assez normal mais on ne peut pas aussi les accabler au point de les forcer à fermer leurs usines. Sans quoi alors il y a peut-être moins de pollution mais il y a plus de chômage. C'est une question de bon sens et de sagesse. Il y a quand même assez de gens sages et raisonnables en France pour trouver le point d'équilibre, région par région, département par département. C'est ce à quoi je les invite et vous en particulier, monsieur.\
QUESTION.- La réduction du nombre des agriculteurs et le développement d'une agriculture de plus en plus intensive et polluante pose le problème du maintien de la qualité des paysages et des milieux naturels français. Comment peut-on gérer la contradiction entre la désertification progressive des campagnes dans certaines régions françaises et la revendication d'un environnement rural de qualité ?
- LE PRESIDENT.- Vous posez une question majeure. Votre question à elle seule est une façon excellente de poser le problème. Comment faire ? Moi, j'étais habitué - on s'habitue et on aime ses habitudes - ayant vécu à la campagne jusqu'à l'âge de 15/16 ans, j'étais habitué à voir une campagne parsemée de haies. Il y avait des haies partout et donc les oiseaux..
- QUESTION.- C'était d'ailleurs le cas en Normandie mais justement elles ont tendance à disparaître...
- LE PRESIDENT.- ... venaient nicher dans ces herbes. Il n'y a plus de haies. Cela me surprend et j'ai tendance à dire "mais on a abimé mon paysage". Cela évolue, cela change, il faut le reconnaître.
- QUESTION.- Est-ce qu'il n'y a pas un conflit justement entre le développement par exemple des industries agro-chimiques qui demande effectivement une continuité, une agriculture très intensive et puis le maintien des haies, des rivières propres etc...
- LE PRESIDENT.- Il y a non pas contradiction sans quoi il n'y aurait pas de solution. Ce sont des besoins contraires, il faut les harmoniser pour cela. Il faut des responsables qui sachent servir les intérêts nationaux de l'industrie tout en préservant le paysage français, il faut de l'autorité.
- QUESTION.- Mais ce n'est pas un problème uniquement national puisque la politique agricole est commune à toute l'Europe £ puisqu'en France nous avons quand même des paysages naturels et un milieu naturel particulièrement beau, riche, comment va-t-on faire admettre aux autres pays européens qu'il faut peut-être mettre un peu un frein à l'agriculture intensive, à la disparition des agriculteurs qui forment le tissu humain, qui entretiennent ces milieux naturels à la différence d'autres pays européens qui peut-être sont moins concernés par ce problème ?
- LE PRESIDENT.- Notre civilisation est celle-là. Elle est formée par la tradition rurale. Je ne peux rien retirer à ce que vous venez de dire : simplement, il faut que nos représentants se défendent bien, nous défendent bien dans les instances internationales de la Communauté.\
QUESTION.- Monsieur le Président, sur ce thème vous aviez suspendu les essais nucléaires à Mururoa pendant une certaine durée £ est-ce que vous allez les reprendre ?
- LE PRESIDENT.- C'est encore le cas.
- QUESTION.- Il n'y a pas de calendrier pour reprendre éventuellement ces essais ?
- LE PRESIDENT.- Non, non. J'ai indiqué que ces essais seraient arrêtés tout le temps que les autres puissances nucléaires ne fabriqueraient pas des armements nouveaux plus sophistiqués, ce qui déséquilibrerait les chances de notre défense nationale à nous. Or, peu après la décision que j'ai prise, les Américains ont fait comme moi, ils ont arrêté leurs essais, les Russes aussi, la Grande-Bretagne également. Donc quatre des cinq grandes puissances nucléaires ont renoncé aux essais à l'initiative de la France. Bien entendu si les autres reprennent - ce que je regretterais - leurs essais, moi je ne laisserai pas le pays sans défense et je reprendrai les nôtres.
- QUESTION.- Si une nouvelle majorité le souhaite ?
- LE PRESIDENT.- Si elle dit "reprenons tout de suite", on discutera. Il faudra qu'elle prenne la responsabilité de poser le problème des essais nucléaires alors que les autres pays n'y participeraient pas. Ce serait peut-être un peu choquant pour la réputation de la France mais c'est à voir. Nous avons une difficulté supplémentaire. Il faut mettre en état de continuer nos remarquables ingénieurs et techniciens qui restent dans l'attente. Ils ne doivent pas perdre la connaissance des secrets nucléaires. C'est un problème à régler.\
REGIONS BRETAGNE ET PAYS DE LOIRE.
- QUESTION.- Monsieur le Président, bonjour. Si je laissais mon voisin mourir, je serais fort justement accusée de non-assistance à personne en danger £ alors quand il y a des milliers de personnes qui meurent en Yougoslavie, chez nos voisins, est-ce que nous ne devrions pas tous, vous et moi, être accusés de non-assistance à un peuple en danger ?
- LE PRESIDENT.- Votre question ne peut pas être entendue sans qu'on s'interroge en conscience. J'ai naturellement, ma conscience personnelle. Et je suis animé par ma propre éducation, par mes propres convictions, par mes propres devoirs de citoyen. Ils ne sont pas contradictoires avec mes devoirs de chef de l'Etat et de responsable principal de la France. Mais je ne peux pas, nous ne pouvons pas, quelle que soit la peine que nous en éprouvions, nous ne pouvons pas disperser les moyens de la France et envoyer des soldats faire la guerre et rétablir le droit partout dans le monde. Il faut donc choisir selon l'urgence, le lieu où il convient de le faire.
- Vous parliez tout à l'heure de l'Irak. Et là, il y avait un dictateur. Ce dictateur venait de s'emparer d'un pays reconnu par les Nations unies, il était en mesure, dans la semaine qui suivait, de s'emparer de l'Arabie saoudite. Il était en mesure, dans les deux mois, de s'emparer de la Syrie, d'affirmer sa puissance, juste à côté d'Israël. Inutile de vous dire que la conflagration eût été certaine. C'était une menace de guerre généralisée, c'était une progression à la Hitler. J'ai estimé qu'il fallait associer la France à l'arrêt, dès le point de départ, de cette entreprise. Ai-je eu tort, ai-je eu raison ?
- Mais pour ce qui concerne la Yougoslavie, toutes les initiatives sont venues de la France. Ce sont nos soldats qui sont les plus nombreux à l'heure actuelle dans les différentes républiques de l'ex-Yougoslavie £ nous avons 5000 soldats environ, ceux qui nous suivent, aussitôt après, sont de l'ordre de 2200. Nous avons déjà eu douze tués, en tant que soldats des Nations unies, et une centaine de blessés. Le gouvernement français a repris la proposition de Robert Badinter, Président du Conseil Constitutionnel, de créer une commission de contrôle et d'arbitrage entre les populations de l'ancienne Yougoslavie, pour définir le cas échéant les conflits de frontières et surtout pour définir le droit qui sauvegardera les minorités opprimées. C'est la France qui a fait cela.
- QUESTION.- Monsieur le Président, il y a l'urgence. Et l'urgence c'est Sarajevo !
- LE PRESIDENT.- Je crois le savoir. Vous demandez quoi ? L'envoi de l'armée française à Sarajevo ? Il faut que j'envoie les soldats français sur place là-bas ? J'y ai beaucoup réfléchi. Je ne veux pas dire que je n'ai pas été tenté de le faire pour certaines opérations ponctuelles. Par exemple pour accompagner les convois humanitaires, oui, j'en suis partisan, mais j'estime que l'opération de sauvegarde, de sauvetage des nouvelles Républiques de l'ancienne Yougoslavie, doit être décidée par les Nations unies, et non pas par tel ou tel pays, sans quoi tel ou tel pays se verra opposé aux intérêts d'un autre, et n'oubliez pas que c'est là, précisément à Sarajevo, qu'à commencé la guerre de 1914-1918. C'est donc aux Nations unies de décider. Si elles le décident, nous nous mettrons à leur disposition.\
QUESTION.- Bonsoir, monsieur le Président. En tant que citoyens, nous nous sentons un peu impuissants devant le drame de l'ex-Yougoslavie et les différents autres drames qui se vivent dans le monde. Par rapport à ce qui se passe en Yougoslavie, nous sommes réduits à participer à des manifestations silencieuses, à signer des pétitions, nous voudrions quand même pouvoir être mieux entendus par les politiques. Vous êtes certainement au courant, monsieur le Président, de toutes nos actions, les formidables campagnes qui ont été faites dans les écoles pour apporter du riz pour la Somalie etc... et cela grâce à Bernard Kouchner entre autres..
- LE PRESIDENT.- Bernard Kouchner est au gouvernement, donc cela m'arrive de le rencontrer.
- QUESTION.- ... mais à côté de cela, on se sent tout de même impuissants £ on dit les problèmes ne sont pas réglés, ils ne sont pas réglés là-bas, ils ne sont pas réglés ici non plus, puisqu'ici on se retrouve devant les problèmes de ce surplus agricole de terres agricoles qui sont gelées, les produits de la pêche qui posent problème. Ma question c'est : quelle est notre place dans la société ? Quel rôle pouvons-nous jouer dans la société ? Est-ce que l'humanitaire peut interpeller le politique ?
- LE PRESIDENT.- Naturellement. Et il ne manque pas de le faire d'ailleurs. Vous en êtes un acteur. Mais je ne peux pas laisser passer votre question sans dire tout ce que l'on doit aux médecins volontaires des quelques associations de médecins qui circulent dans le monde à leurs risques et périls, qui encourent d'immenses dangers et qui le font admirablement, ça je dois le dire. J'essaie de les soutenir de mon mieux. Ce n'est donc pas contester cette action. Et plus les humanitaires, comme on dit, solliciteront les politiques pour leur reprocher soit une inertie, soit une paresse, soit une ignorance, soit une inattention, ils feront bien. Vous savez vous disiez à l'instant : on va envoyer.. Bernard Kouchner dont vous me parliez, qui est un ami que j'apprécie beaucoup par ses grandes qualités. Il était encore à Sarajevo et en Bosnie il y a quelques jours pour faire des échanges de prisonniers. Ce sont nos soldats des Nations unies qui sont là pour aider, accompagner, réconcilier, sauver. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise de plus ? Je vous approuve. Je ne suis donc pas en contradiction avec vous.\
QUESTION.- Allez-vous suivre les consignes de la Commission Vedel qui en fait prône le renouvellement du mandat à sept ans renouvelable ?
- LE PRESIDENT.- Là vous allez un peu trop vite car ce Comité Consultatif du doyen Vedel, dont le rapport m'a été remis il y a quelques jours, je dois le faire transformer en projet de loi. Pour cela je l'ai confié au gouvernement. On est en train de travailler sur un projet de loi constitutionnel et cela mérite un examen très précis. Ce projet de loi sera déposé au Sénat - puisque l'Assemblée nationale va disparaître dans peu de temps - afin qu'il puisse être discuté par la future législature. Naturellement, on ne peut pas faire cela pendant les élections. Sur le mandat présidentiel, en effet, la majorité des membres du Comité a rejeté les cinq ans en estimant que ce serait un certain changement de régime.
- QUESTION.- C'est aussi votre avis ?
- LE PRESIDENT.- C'est aussi mon avis, oui. L'identification entre la durée des mandats des députés et la durée du mandat du Président de la République avait déjà été rejetée par le Général de Gaulle. J'étais en désaccord avec lui sur pas mal de choses, il me semble que vous devez vous en souvenir, je n'ai d'ailleurs pas voté la Constitution dont je suis aujourd'hui le gardien mais je pense que là-dessus il avait raison. J'ai pendant un temps, à l'époque de M. Pompidou, puis de M. Giscard d'Estaing, j'ai, un peu par manque de réflexion, soutenu moi aussi les cinq ans et trois ans avant d'être élu moi-même Président de la République, j'ai pensé que ce n'était pas convenable, que l'on mélangeait tout et j'ai pris position pour les sept ans. Renouvelables, pas renouvelables, cela se discute. Je vais voir et je vous ferai connaître nos conclusions d'ici peu.
- QUESTION.- En ce qui concerne votre succession, est-ce que vous ferez tout ce qui vous est possible pour favoriser l'élection d'une personnalite proche de vos idées ?
- LE PRESIDENT.- J'aurais dû répondre avant à votre question que j'entends rester fidèle à l'engagement que j'ai pris dans la lettre que j'avais écrite aux Français en 1988 lors de la dernière campagne électorale qui a vu ma deuxième élection à la Présidence de la République.
- J'avais dit "je laisserai les grandes formations politiques représentées au Parlement rechercher un consensus sur la durée du mandat présidentiel". C'est dans ce sens que je me déciderai lorsqu'il s'agira de traduire les propositions du Comité Vedel. Vous voyez, je vais loin dans ma réponse.
- QUESTION.- Sur votre succession..
- LE PRESIDENT.- Sur ma propre succession, je préférerais bien entendu, cela tombe sous le sens, que ce soit un homme ou une femme qui s'inspire de l'idéal et des choix politiques qui sont les miens. C'est aux Français qu'il appartient de choisir et de toute façon quand je serai parvenu au terme..
- QUESTION.- Vous indiquerez le bon choix..
- LE PRESIDENT.- Pour le choix.. Cela dépendra un peu des candidats. Je respecterai mon successeur quel qu'il soit.\
QUESTION.- Lors de votre dernière intervention télévisée, vous aviez commencé par faire le point sur votre état de santé. J'ai envie ce soir pour terminer cette émission de vous poser la même question "Comment allez-vous ?"
- LE PRESIDENT.- Je commence à être un peu embarrassé parce que si je ne réponds pas, cette question veut dire "il veut se taire, c'est que cela va plus mal" ou bien si je réponds c'est de l'exhibitionnisme. Je n'aime pas cela. J'ai dit ce que j'avais à dire. J'ai subi une opération. J'ai une maladie dont on connaît la nature, ce n'est pas la plus agréable. J'ai l'impression que grâce à la médecine, je la supporte le mieux possible. Je n'en souffre pas vraiment ce qui me permet d'avoir le plaisir d'être avec vous depuis un moment.
- Mais avant que vous ne disiez les derniers mots, je voudrais vous dire que parmi les régions vous n'avez pas représenté les régions d'outre-mer. J'ai décidé de ce fait de m'adresser dans quelques temps à RFO pour procéder pendant quelques quarts d'heure à une émission du même type afin de ne pas négliger nos compatriotes de ces régions-là.\