19 janvier 1993 - Seul le prononcé fait foi
Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, sur les relations franco-bulgares, la démocratisation de la Bulgarie et sa candidature aux organisations européennes, et la proposition d'une confédération européenne, Sofia le 19 janvier 1994.
Monsieur le Président de la République,
- Monsieur le Président de l'Assemblée nationale,
- Mesdames et messieurs les parlementaires,
- Au cours de mes voyages, depuis que j'exerce mes fonctions de Président de la République française, cela fera bientôt treize ans, j'ai toujours tenu à rendre visite aux Parlements démocratiques. C'était à mes yeux un hommage nécessaire à la représentation nationale et je ne pensais pas pouvoir venir dans une capitale sans venir saluer les principaux acteurs de la démocratie.
- Je l'ai souvent rappelé, ce qui est curieux dans mon pays, c'est que le seul endroit qui me soit interdit c'est mon Assemblée nationale. Souvenir lointain, à deux siècles de distance, d'une séance qui vit Napoléon Bonaparte régler le problème parlementaire avec l'aide de quelques soldats. Bien entendu ce risque semble ne plus exister et je ne crois pas y avoir jamais songé ! Mais, comme j'ai siégé au Parlement français pendant 35 ans, j'éprouve aussi une sorte de nostalgie de ce type de débat, toujours précédé par un long et difficile travail d'étude, sans oublier, bien entendu, les compétitions et ce côté passionnant que représente l'expression parlementaire.
- Alors ce que je ne peux faire chez moi, je me rattrape en le faisant ailleurs ! Je le fais avec vous et, bien entendu, je ne me mêlerai pas de vos débats internes. D'abord j'aurais quelque peine à m'y reconnaître, ensuite, cela serait manquer gravement à l'hospitalité que vous m'offrez. Pour moi, tous ensemble, vous êtes la Bulgarie. Et c'est la Bulgarie et le peuple bulgare que je viens saluer en parlant devant vous.\
Vous l'avez rappelé, je suis venu ici en 1989 dans des circonstances particulières. Je représentais déjà la République française et j'entretenais les relations normales que la France doit préserver avec les autres pays du même continent quelle que soit la politique intérieure qui y est conduite.
- Mais j'étais venu à une condition, condition qu'il a fallu beaucoup de temps à remplir, qui a nécessité plusieurs mois de négociations. J'avais dit "Je veux bien venir en Bulgarie, c'est un pays intéressant, quel que soit le régime en place la France doit y être présente mais je ne le ferai que si je rencontre les personnalités représentant l'esprit de résistance" ou bien comme on dit ici ou ailleurs les "dissidents".
- Je me suis réjoui de cette circonstance. J'y ai appris beaucoup de choses. C'est une sorte de cérémonie anniversaire que je remplis aujourd'hui au cours d'un voyage qui n'est pas un voyage d'Etat - il pourra avoir lieu plus tard - à peine un voyage officiel, il le devient dès lors que nous sommes ensemble, mais une visite d'amitié. D'abord à ceux que j'ai connus dans la difficulté ou le malheur, ensuite aux corps constitués dont vous êtes le principal, après avoir pu échanger quelques propos avec le Président Jelev qu'il m'arrive - et je m'en réjouis - de rencontrer assez souvent dans les réunions internationales.
- Il serait banal de le dire, mais qui aurait pu prévoir, il y a cinq ans, que je pourrais ainsi m'exprimer, en 1994, devant un Parlement bulgare démocratiquement élu ? On pouvait percevoir déjà des frémissements de changement. Je l'avais ressenti lorsque j'étais allé devant les étudiants de l'université de Sofia. J'avais rencontré une jeunesse qui voulait respirer l'air de la liberté, s'ouvrir à l'Europe et au monde, construire une société différente. J'avais été admiratif devant le courage de ces jeunes gens qui m'interpellaient sans précaution devant les maîtres du moment. Je m'étais dit la Bulgarie dispose d'une jeunesse forte. J'aperçois au demeurant dans vos rangs beaucoup de jeunes parlementaires, ce qui n'exclut pas les autres de l'hommage que je leur dois, sans quoi je m'éliminerais moi-même !
- Mais il est bon que dans un pays en renaissance comme le vôtre les générations soient ainsi m{lées. Ce souvenir a gouverné ce que je pouvais penser de la Bulgarie à distance. J'y ai gardé des amitiés et ce bref voyage me permettra de parfaire, grâce à vous pour une large part, une approche intuitive plus que réelle de vos problèmes. Votre visage politique s'est profondément modifié. Vous vous êtes doté d'une nouvelle constitution, de nouvelles institutions. Vous en êtes vous-mêmes l'expression et personne ne conteste à la Bulgarie sa qualité démocratique.
- Je voudrais même vous dire, mais monsieur le Président, vous l'avez souligné, l'admiration que je porte à la somme et à la qualité de travail accompli en si peu de temps car il vous faut reconstruire ou construire, à partir de rien, les bases d'un système dans lequel vous voulez faire vivre pour longtemps, on a envie de dire pour toujours, les libres citoyens d'un libre pays.
- C'est ici que se trouve la pierre d'angle de la constitution bulgare. Je sais que par vos débats et que par vos votes, chaque jour l'état de droit se consolide, que la société s'organise, qu'il existe un dialogue entre les représentants des villes et des régions, des partis, des groupes sociaux et des divers intérêts économiques.\
Nous avons tous traversé des années douloureuses. Je suis né pendant une guerre mondiale et j'ai participé à la deuxième. J'ai vu mon pays occupé par l'ennemie de l'époque. Je l'ai vu libéré dans la souffrance. J'ai pu connaître ce moment d'immense espoir et parfois d'illusion qui, après des moments aussi terribles, peuvent provoquer une sorte de lassitude sans raison véritable car la réalité - on le sait bien dans nos vies personnelles - , n'a jamais égalé le rêve. Mais la liberté n'est pas un rêve. La démocratie est une réalité, mais la démocratie politique qui ne sera complète que si elle est aussi économique, sociale et culturelle £ si les minorités sont protégées £ si chaque citoyen dispose d'un droit égal à l'autre £ si l'individu est protégé contre les puissances de l'Etat et de la société. Chacun d'entre nous la cherche ayant souffert des régimes totalitaires, ayant connu le prix de la reconstruction d'un pays. Encore avons-nous été, dans les années 1945, aidés par nos alliés notamment par le fameux plan Marshall alors que la Bulgarie et bien d'autres pays voisins en étaient privés. J'imagine combien vous avez besoin du soutien international pour mener à son terme votre effort national.\
La transformation économique est délicate avec un héritage si lourd. Il s'agit bien d'une autre révolution et les révolutions sont toujours exigeantes. Mais de ce que je vois dans ce point de départ de la vie démocratique en Bulgarie, démocratie dont je connais les péripéties pour les avoir vécues en France, je crois comprendre quels sont vos objectifs principaux et, en l'espace de quelques minutes, j'ai entendu votre Président, comme j'avais entendu le Président de la République lors de notre entretien qui a précédé cette séance, placer la perspective bulgare dans la perspective européenne et j'ai bien noté moi aussi que votre pays est membre à part entière du Conseil de l'Europe.
- Je sais, comme vous, qu'elle sera le premier Etat d'Europe centrale et orientale à présider le Comité des ministres de cette grande organisation. Eh bien, croyez-moi, à l'image de la Bulgarie, l'Europe aussi a évolué. Comme en toute chose le meilleur a souvent côtoyé le déplorable. Le meilleur, c'est cet esprit de dialogue et de coopération qui encourage les Etats à régler leurs différends par des voies pacifiques et à renforcer leur solidarité, comme en témoigne la série d'accords d'association conclus par les pays d'Europe centrale et orientale, dont le vôtre, avec l'Union européenne. L'accord que vous avez conclu, la France souhaite le voir ratifié le plus rapidement possible. Si cela n'est pas encore fait c'est parce que selon nos règles à nous, le Parlement ne siège que deux fois par an, pour des sessions de trois mois, l'une en octobre, l'autre en avril et que cela ne sera possible qu'au début du mois d'avril prochain. Pardonnez ce retard dû seulement aux procédures, je veillerai personnellement à ce que cette affaire soit réglèe dès les premiers jours de la session prochaine.
- Le meilleur, c'est aussi ce courant qui vous porte à rejoindre les nations d'Europe de l'ouest qui ont décidé non pas d'oublier mais de concevoir différemment leurs relations héritées de l'histoire en liant leurs destins. Songez aux douze Etats membres de la Communauté européenne devenue Union européenne. Imaginez ce qu'était la situation en 1948 lorsque les premiers fondateurs de l'Europe ont imaginé, rêvé cette construction future. Jeune parlementaire en ce temps-là j'ai participé personnellement au premier congrès européen de l'histoire. Il avait lieu à La Haye, il était présidé par Churchill et j'y ai vu là les principales figures de la politique européenne de l'époque qui devaient s'engager dans la construction de la paix en Europe et symboliser le continent uni.
- J'y étais venu par attirance personnelle, par goût pour l'Europe et cependant c'était à trois ans de la fin de la deuxième guerre mondiale. Dans chacune de nos familles, il y avait le deuil et le chagrin et dans cette salle siégeaient les adversaires de la veille. Trois ans après la guerre !\
Le temps a passé et avec l'Allemagne - pays avec lequel nous avons réalisé la plus surprenante réconciliation au point de devenir alliés et amis - avec d'autres pays de l'Europe avec lesquels nous étions en compétition depuis des siècles, (rivalités nationales qui ne cessent jamais et que l'on doit enfermer dans une politique de dialogue) nous sommes maintenant solidaires et je crois pouvoir dire que l'expérience a réussi. Entre les premiers accords qui ont précédé 1950 et la ratification l'an dernier du Traité de Maastricht qui signifie non seulement le marché unique (c'était déjà entendu) mais aussi une politique commune, une monnaie commune, un embryon de sécurité et d'armée commune, une diplomatie largement débattue et pouvant être commune dans de nombreux domaines, vous pouvez mesurer les progrès et je pense, en effet, que vous faites bien de vouloir rejoindre d'une manière ou d'une autre cette union car c'est là que recommence l'histoire.
- Nous allons finir ce siècle en continuant les progrès et vous commencerez l'autre avec le sentiment d'avoir dépassé, depuis l'époque romaine, toutes les configurations historiques et géographiques de l'Europe, dont vous êtes comme nous issus. Ce que je m'acharne à répéter partout en Europe et en France, c'est que les peuples d'Europe orientale ou centrale, si longtemps séparés de nous par une frontière pratiquement infranchissable, idéologique, politique, économique, culturelle - Europe coupée en deux , artificiellement par la seule situation d'armée au combat, à un moment donné, où le destin s'arrête - ont vocation à nous rejoindre car l'histoire de l'Europe, la culture de l'Europe, la géographie de l'Europe, elles vous appartiennent autant qu'à nous. Elles nous appartiennent autant qu'à vous.\
Nous avons observé en France la sagesse des positions prises par la Bulgarie, et notamment par le Président Jelev, lorsque se sont établis les dialogues et les rapprochements avec vos pays voisins, dont le voisinage n'est pas le plus paisible qu'on puisse imaginer, et à l'intérieur même de vos frontières, conscients je crois de vos intérêts communs, vous avez su trouver une solution à des problèmes que certains croyaient insolubles, ceux que posaient, par exemple, les relations entre les communautés turcophones et bulgarophones. Vous prouvez ainsi votre foi dans votre avenir et peut-être servirez-vous d'exemple, je le souhaite, dans cette région de l'Europe, dans cette péninsule balkanique, qui pourrait enfin (quand et comment ?) devenir une région pacifique où les frontières ne seraient plus un obstacle aux échanges humains, culturels ou familiaux.
- Vous pouvez beaucoup, mesdames et messieurs, pour la stabilisation de cette région qui souffre du poids de tant de préjugés, qui a hérité de tant de réflexes de méfiance. Je perçoit que la Bulgarie, ayant su dominer ses propres problèmes, pourrait exercer une heureuse influence sur les problèmes des autres.
- Je tiens à louer votre attitude, en particulier dans le conflit de ce qui fut la Yougoslavie. Votre respect des décisions prises par la Communauté internationale - je pense à l'embargo dont je sais combien il vous coûte - vous a fait perdre certainement en termes d'échanges et en revenus, mais croyez-moi vous y avez gagné, en autorité internationale, et y avez acquis le respect de l'Europe tout entière.\
Cette opiniâtreté à vouloir surmonter les inimitiés est une preuve supplémentaire de votre vocation à rejoindre le processus d'intégration européenne. J'ai parlé de votre environnement. Je voudrais élargir mon raisonnement à l'Europe tout entière. Il faut que la Bulgarie puisse siéger ou participer - sous une forme à établir - à l'ensemble des institutions internationales et en particulier à l'ensemble des institutions européennes. Il en est qui sont de l'ordre de la sécurité - vous avez parlé de l'OTAN, vous savez de quelle façon le dernier conseil de Bruxelles, a orienté votre recherche, ainsi que celle des autres Etats, vers ce qui a été appelé le "partenariat pour la paix". C'est vrai qu'il a semblé difficle d'élargir l'Alliance atlantique, celle de la guerre froide, aux dimensions de l'Europe à l'exclusion de la Russie.
- Comme avancer l'OTAN risquait de perpétuer la division de l'Europe en deux blocs, M. Clinton a proposé une autre solution, pour prévenir les tensions, pour discuter de notre intérêt commun, pour assurer notre sécurité.
- La France s'est ralliée à ce projet de "partenariat pour la paix" et j'estime, personnellement, que tout pays démocratique qui, en Europe, se sentirait menacé devrait pouvoir compter sur la solidarité des démocraties pour que l'on ne voie pas recommencer le processus tragique qui a été jusqu'alors celui de notre continent. Vous avez tous droit à préserver votre indépendance, votre souveraineté, la liberté de votre peuple et je ne concevrais pas qu'il pût y avoir danger pour un pays comme le vôtre sans que la solidarité des démocraties soit en jeu !.\
Un autre projet a été mis au net par la France, que nous avons appelé un "pacte de stabilité en Europe", afin précisément de créer des liens de solidarité en cas de danger, c'est au mois d'avril, à Paris, que l'ensemble des pays en question se rencontreront pour discuter de ce projet.
- J'espère que cette conférence lancera l'exercice nouveau auquel la Bulgarie a décidé de participer de telle façon que l'on en finisse avec la crainte du retour à l'esprit de conquête, car on ne résistera à l'esprit de conquête, s'il s'emparait de tel ou tel pays européen, que si ce pays-là sent bien que l'ensemble des pays démocratiques disposent des moyens d'y mettre un terme.
- Je ne suis pas alarmiste, je ne crois pas qu'un pays songe aujourd'hui à exercer une hégémonie sur l'Europe, même si j'aperçois comme vous, dans la multiplication des conflits locaux, des volontés totalitaires qui cherchent à s'exercer. Mais, sur le continent de l'Europe, je pense que la stabilité peut être préservée par ces moyens.
- Ce ne sont pas les seuls. Il y a la CSCE où siègent également les Etats-Unis et le Canada. Elle a eu sa valeur, elle la garde mais, ayant pour objectif d'assurer la sécurité sans fort bien y parvenir, on voit bien qu'il faut quelque chose de plus et c'est ce que nous proposons. En tout cas, pour l'instant, nous avons proposé à nos partenaires de l'Europe des Douze, de réfléchir à une formule qui permettra d'associer systématiquement à l'Union de l'Europe occidentale. Vous savez que c'est l'embryon d'une organisation de sécurité pour l'Union européenne - tous les pays d'Europe centrale et orientale, et je pense en particulier à la Bulgarie. Ce peut être le prélude, ce sera le prélude, si elle est désirée, bien entendu, par chacun des partenaires à l'adhésion à l'Union européenne, elle-même !.\
C'est un travail de réflexion en cours, vous participez depuis le printemps dernier aux délibérations de l'UEO pour assurer, notamment sur le Danube, le respect de l'embargo, décrété par les Nations unies et vous disposez donc d'une expérience déjà précieuse. J'ai parlé du Partenariat pour la paix, mais je voudrais en quelques mots reprendre une idée qui m'est chère, bien qu'elle n'ait pas, jusqu'ici, rencontré l'assentiment général : je pense à la création d'une structure européenne de tous les pays démocratiques à l'image de ce qu'est aujourd'hui la Communauté des Douze, mais à la mesure des capacités économiques et politiques des pays dont je parle, que j'ai appelée Confédération européenne (peu m'importe le mot, pour ceux qui ont une formation juridique, elle a une signification peut-être trop précise !). Comment ne pas imaginer que l'Europe commencera d'exister vraiment quand tous les états démocratiques seront en mesure de se rencontrer plusieurs fois par an, au niveau de leurs chefs d'Etats, leurs chefs de gouvernement, leurs ministres compétents - affaires étrangères, économie et finances, grands ministères techniques - avec un secrétariat permanent et une possibilité de débat à égalité de compétence et de dignité ? C'est le cas aujourd'hui, au sein de l'Union européenne, où le Portugal, la Grèce, l'Irlande disposent d'une compétence égale avec un droit de veto égal à celui de l'Allemagne, de l'Angleterre, de l'Italie ou de la France ! Malgré la différence de démographie ou de puissance politique et économique. Nous nous respectons !
- Chacun préside à tour de rôle, aujourd'hui, c'est la Grèce, il n'y a pas si longtemps c'était le Portugal, et je considère que la Communauté des Douze montre un exemple de réussite en dépit de ses difficultés multiples !
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Imaginez ! Résumer quelquefois dix siècles d'histoire et de conflits au sein d'une assemblée, dans une enceinte où se trouvent rassemblés les intérêts les plus contraires, des histoires antagonistes ! Pourtant nous le faisons. Cela exige beaucoup de contraintes économiques puisque nous avons un marché unique, ce qui veut dire que quiconque peut se déplacer là où il veut, faire ses affaires là où il veut, ce qui n'est pas sans danger pour les pays qui se sentent plus faibles que d'autres. Eh bien, nous acceptons la compétition. Pourquoi ne pas étendre ce schéma à l'Europe tout entière, avec des règles moins contraignantes, dans des domaines évidemment communs, je pense à l'environnement, aux moyens de communications, aux télécommunications, à la politique d'investissement, à la sécurité des pays européens ? Pourquoi ne serions-nous pas capables d'organiser entre nous cette structure qui ferait que chacun des membres de l'Europe, sans tenir compte de son nombre d'habitants ni de son encaisse dans sa banque centrale pourrait parler à égalité d'histoire et de dignité avec les autres ?
- Ce que nous avons fait à l'Ouest ne sert pas nécessairement de modèle, mais puisque c'est une expérience que nous vivons, nous pouvons vous dire que c'est possible. Appelez cette organisation comme vous voulez, mais moi je serais très heureux de pouvoir siéger un jour, aussi prochain que possible, avec les représentants de la Bulgarie, avec son chef d'Etat ou son chef de gouvernement dans les organisations spécialisées pour débattre ensemble de ce qui nous intéresse tous, et pour s'engager sur la voie d'un destin commun qui continuera à travers le temps.
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- Est-ce une idée folle ? Elle ne l'est pas plus que ne l'était dans la pensée de Robert Schuman et de Gasperi, d'Adenauer, de Spaak et de bien d'autres, la construction européenne des années 1950. Et je ne vois pas au nom de quoi serait écarté de l'endroit où se discutera le sort de l'Europe un certain nombre de pays comme le vôtre qui en sont partie constituante depuis l'origine de notre civilisation.\
Voilà quelques domaines que j'ai voulu aborder et je m'en voudrais si je ne vous disais pas que je suis très sensible à une solidarité particulière qui n'est pas partagée par tous, mais par beaucoup de vos compatriotes, la solidarité dans l'usage de la langue française. Nous sommes, vous et nous, membres de la francophonie, je sais bien, et c'est bien votre droit, que nombre de Bulgares ne pratiquent pas notre langue, mais je ne savais pas naguère qu'autant de Bulgares étaient à ce point initiés aux cultures occidentales, et en particulier à la nôtre, c'est très important puisque cela crée une sorte de fraternité d'une nature particulière. L'inauguration en janvier 1991 de l'Institut français de Sofia, qui compte aujourd'hui 4800 adhérents, et 520 élèves, a permis de compléter un réseau très dense et très actif d'alliance française. A l'Ile Maurice où se tenait la dernière conférence de la francophonie, j'y ai rencontré la Bulgarie qui a marqué son désir de s'engager plus avant dans l'organisation des pays ayant en commun l'usage du français. Vous possédez vous-mêmes, une très ancienne tradition, et j'ai déjà dit en France et je le répéterai à mon retour, qu'il faudrait bien que cela soit dans les deux sens. Déjà j'ai cherché à encourager les traductions des oeuvres de vos écrivains, déjà toutes les formes de culture musicale ou des arts plastiques se sont développées, je me souviens qu'Ivan Vazov au siècle dernier, alors que son pays était déjà sous une domination étrangère, aimait à faire connaître les auteurs que vous avez cités, monsieur le Président, Victor Hugo ou Lamartine qu'il estimait plus Européens que Français, ça peut se discuter mais c'était en tout cas son opinion ! Et la qualité de précision, de richesse, d'élégance avec laquelle on s'exprime dans notre langue en Bulgarie m'a toujours paru remarquable et je dois vous dire que j'en suis très flatté au nom de mon pays. Et savez-vous que les Français ne le savent pas toujours, qu'ils ignorent le degré d'influence partagée des cultures ? Je m'efforce de le leur dire mais je vois dans cette capacité d'entente entre la Bulgarie et la France un moyen supplémentaire de renforcer notre dialogue. Voilà, mesdames et messieurs, parmi beaucoup d'autres choses, ce que je souhaitais vous dire : organisation politique, militaire s'il le faut, culturelle, scientifique, littéraire. La création de l'Institution francophone de formation supérieure dans le domaine de la gestion, le développement à Sofia mais aussi à Paris de toutes les filières où nous pouvons parfaire notre connaissance mutuelle, la bonne connaissance que beaucoup de Bulgares ont de ce qu'est la France me laissent très optimiste sur la suite des choses.
- Je pourrais ajouter avant de conclure qu'il en va de même pour le droit. J'ai été moi-même formé aux disciplines juridiques. Je n'ignore pas qu'avant l'installation du communisme en Bulgarie votre pays disposait déjà d'un système d'inspiration latine qui avait été autoritairement supprimé mais qu'aujourd'hui la grande majorité des lois bulgares souhaitent retrouver une approche qui lui était avant guerre familière.\
J'espère pouvoir recevoir à Paris en visite d'Etat, dans le plus bref délai possible, votre Président de la République, je souhaite que soient entendues, à Paris, les paroles de dialogue et de compréhension qui ne doivent pas être réservées aux Bulgares. Nous sommes les uns et les autres les héritiers de civilisations paysannes nous sommes attachés à la terre et à ses valeurs. Regardez le poids de l'agriculture, quelquefois jusqu'à l'excès, non seulement dans nos écoles respectives mais dans nos débats diplomatiques. Dans les négociations du GATT, je suis sûr que vous nous avez compris pour une large part, nous Français, dans les objections que nous faisions au mouvement général du monde.
- En prenant comme point de départ nos traditions, nous pouvons déboucher sur de nouvelles formes de coopération. Il faut aussi que les individus se connaissent et donc multiplier les échanges de la jeunesse. Vous avez chez vous des sources profondes de culture, de connaissance de la nature, de créativité artistique et scientifique, un certain goût du mieux vivre et l'on peut mesurer la distance qui nous sépare encore de ce que nous souhaiterions, la soif de la liberté, la soif de la justice. Ces traits communs avaient frappé nos soldats de l'armée française lorsqu'ils se trouvaient en Bulgarie en 1918 et je sais bien de quelle manière nous nous sommes retrouvés dans les grandes circonstances où les Bulgares ont pu faire triompher leur identité nationale.
- Je souhaite, mesdames et messieurs, pour votre Parlement, pour votre pays, pour ceux qui le dirigent, au-delà de toutes les compétitions démocratiques qui s'exercent, je souhaite chance, bonheur £ je souhaite que le travail qui s'opère dans votre pays lui permette au plus tôt d'obtenir les satisfactions auxquelles il a droit : aspiration à la paix et à la liberté, aspiration aux droits de l'homme. Tout cela c'est un langage que l'on peut comprendre quand on se trouve devant vous. Je l'emploie avec la certitude que les Bulgares sont parvenus à un moment de leur histoire où ils veulent en faire leur drapeau. Paix, liberté, liberté de conscience, droits de l'Homme mais aussi indépendance et sécurité. Que pourrais-je vous dire d'autre, mesdames et messieurs, sinon vous remercier et dire avec vous : vive la Bulgarie, vive la France.\
- Monsieur le Président de l'Assemblée nationale,
- Mesdames et messieurs les parlementaires,
- Au cours de mes voyages, depuis que j'exerce mes fonctions de Président de la République française, cela fera bientôt treize ans, j'ai toujours tenu à rendre visite aux Parlements démocratiques. C'était à mes yeux un hommage nécessaire à la représentation nationale et je ne pensais pas pouvoir venir dans une capitale sans venir saluer les principaux acteurs de la démocratie.
- Je l'ai souvent rappelé, ce qui est curieux dans mon pays, c'est que le seul endroit qui me soit interdit c'est mon Assemblée nationale. Souvenir lointain, à deux siècles de distance, d'une séance qui vit Napoléon Bonaparte régler le problème parlementaire avec l'aide de quelques soldats. Bien entendu ce risque semble ne plus exister et je ne crois pas y avoir jamais songé ! Mais, comme j'ai siégé au Parlement français pendant 35 ans, j'éprouve aussi une sorte de nostalgie de ce type de débat, toujours précédé par un long et difficile travail d'étude, sans oublier, bien entendu, les compétitions et ce côté passionnant que représente l'expression parlementaire.
- Alors ce que je ne peux faire chez moi, je me rattrape en le faisant ailleurs ! Je le fais avec vous et, bien entendu, je ne me mêlerai pas de vos débats internes. D'abord j'aurais quelque peine à m'y reconnaître, ensuite, cela serait manquer gravement à l'hospitalité que vous m'offrez. Pour moi, tous ensemble, vous êtes la Bulgarie. Et c'est la Bulgarie et le peuple bulgare que je viens saluer en parlant devant vous.\
Vous l'avez rappelé, je suis venu ici en 1989 dans des circonstances particulières. Je représentais déjà la République française et j'entretenais les relations normales que la France doit préserver avec les autres pays du même continent quelle que soit la politique intérieure qui y est conduite.
- Mais j'étais venu à une condition, condition qu'il a fallu beaucoup de temps à remplir, qui a nécessité plusieurs mois de négociations. J'avais dit "Je veux bien venir en Bulgarie, c'est un pays intéressant, quel que soit le régime en place la France doit y être présente mais je ne le ferai que si je rencontre les personnalités représentant l'esprit de résistance" ou bien comme on dit ici ou ailleurs les "dissidents".
- Je me suis réjoui de cette circonstance. J'y ai appris beaucoup de choses. C'est une sorte de cérémonie anniversaire que je remplis aujourd'hui au cours d'un voyage qui n'est pas un voyage d'Etat - il pourra avoir lieu plus tard - à peine un voyage officiel, il le devient dès lors que nous sommes ensemble, mais une visite d'amitié. D'abord à ceux que j'ai connus dans la difficulté ou le malheur, ensuite aux corps constitués dont vous êtes le principal, après avoir pu échanger quelques propos avec le Président Jelev qu'il m'arrive - et je m'en réjouis - de rencontrer assez souvent dans les réunions internationales.
- Il serait banal de le dire, mais qui aurait pu prévoir, il y a cinq ans, que je pourrais ainsi m'exprimer, en 1994, devant un Parlement bulgare démocratiquement élu ? On pouvait percevoir déjà des frémissements de changement. Je l'avais ressenti lorsque j'étais allé devant les étudiants de l'université de Sofia. J'avais rencontré une jeunesse qui voulait respirer l'air de la liberté, s'ouvrir à l'Europe et au monde, construire une société différente. J'avais été admiratif devant le courage de ces jeunes gens qui m'interpellaient sans précaution devant les maîtres du moment. Je m'étais dit la Bulgarie dispose d'une jeunesse forte. J'aperçois au demeurant dans vos rangs beaucoup de jeunes parlementaires, ce qui n'exclut pas les autres de l'hommage que je leur dois, sans quoi je m'éliminerais moi-même !
- Mais il est bon que dans un pays en renaissance comme le vôtre les générations soient ainsi m{lées. Ce souvenir a gouverné ce que je pouvais penser de la Bulgarie à distance. J'y ai gardé des amitiés et ce bref voyage me permettra de parfaire, grâce à vous pour une large part, une approche intuitive plus que réelle de vos problèmes. Votre visage politique s'est profondément modifié. Vous vous êtes doté d'une nouvelle constitution, de nouvelles institutions. Vous en êtes vous-mêmes l'expression et personne ne conteste à la Bulgarie sa qualité démocratique.
- Je voudrais même vous dire, mais monsieur le Président, vous l'avez souligné, l'admiration que je porte à la somme et à la qualité de travail accompli en si peu de temps car il vous faut reconstruire ou construire, à partir de rien, les bases d'un système dans lequel vous voulez faire vivre pour longtemps, on a envie de dire pour toujours, les libres citoyens d'un libre pays.
- C'est ici que se trouve la pierre d'angle de la constitution bulgare. Je sais que par vos débats et que par vos votes, chaque jour l'état de droit se consolide, que la société s'organise, qu'il existe un dialogue entre les représentants des villes et des régions, des partis, des groupes sociaux et des divers intérêts économiques.\
Nous avons tous traversé des années douloureuses. Je suis né pendant une guerre mondiale et j'ai participé à la deuxième. J'ai vu mon pays occupé par l'ennemie de l'époque. Je l'ai vu libéré dans la souffrance. J'ai pu connaître ce moment d'immense espoir et parfois d'illusion qui, après des moments aussi terribles, peuvent provoquer une sorte de lassitude sans raison véritable car la réalité - on le sait bien dans nos vies personnelles - , n'a jamais égalé le rêve. Mais la liberté n'est pas un rêve. La démocratie est une réalité, mais la démocratie politique qui ne sera complète que si elle est aussi économique, sociale et culturelle £ si les minorités sont protégées £ si chaque citoyen dispose d'un droit égal à l'autre £ si l'individu est protégé contre les puissances de l'Etat et de la société. Chacun d'entre nous la cherche ayant souffert des régimes totalitaires, ayant connu le prix de la reconstruction d'un pays. Encore avons-nous été, dans les années 1945, aidés par nos alliés notamment par le fameux plan Marshall alors que la Bulgarie et bien d'autres pays voisins en étaient privés. J'imagine combien vous avez besoin du soutien international pour mener à son terme votre effort national.\
La transformation économique est délicate avec un héritage si lourd. Il s'agit bien d'une autre révolution et les révolutions sont toujours exigeantes. Mais de ce que je vois dans ce point de départ de la vie démocratique en Bulgarie, démocratie dont je connais les péripéties pour les avoir vécues en France, je crois comprendre quels sont vos objectifs principaux et, en l'espace de quelques minutes, j'ai entendu votre Président, comme j'avais entendu le Président de la République lors de notre entretien qui a précédé cette séance, placer la perspective bulgare dans la perspective européenne et j'ai bien noté moi aussi que votre pays est membre à part entière du Conseil de l'Europe.
- Je sais, comme vous, qu'elle sera le premier Etat d'Europe centrale et orientale à présider le Comité des ministres de cette grande organisation. Eh bien, croyez-moi, à l'image de la Bulgarie, l'Europe aussi a évolué. Comme en toute chose le meilleur a souvent côtoyé le déplorable. Le meilleur, c'est cet esprit de dialogue et de coopération qui encourage les Etats à régler leurs différends par des voies pacifiques et à renforcer leur solidarité, comme en témoigne la série d'accords d'association conclus par les pays d'Europe centrale et orientale, dont le vôtre, avec l'Union européenne. L'accord que vous avez conclu, la France souhaite le voir ratifié le plus rapidement possible. Si cela n'est pas encore fait c'est parce que selon nos règles à nous, le Parlement ne siège que deux fois par an, pour des sessions de trois mois, l'une en octobre, l'autre en avril et que cela ne sera possible qu'au début du mois d'avril prochain. Pardonnez ce retard dû seulement aux procédures, je veillerai personnellement à ce que cette affaire soit réglèe dès les premiers jours de la session prochaine.
- Le meilleur, c'est aussi ce courant qui vous porte à rejoindre les nations d'Europe de l'ouest qui ont décidé non pas d'oublier mais de concevoir différemment leurs relations héritées de l'histoire en liant leurs destins. Songez aux douze Etats membres de la Communauté européenne devenue Union européenne. Imaginez ce qu'était la situation en 1948 lorsque les premiers fondateurs de l'Europe ont imaginé, rêvé cette construction future. Jeune parlementaire en ce temps-là j'ai participé personnellement au premier congrès européen de l'histoire. Il avait lieu à La Haye, il était présidé par Churchill et j'y ai vu là les principales figures de la politique européenne de l'époque qui devaient s'engager dans la construction de la paix en Europe et symboliser le continent uni.
- J'y étais venu par attirance personnelle, par goût pour l'Europe et cependant c'était à trois ans de la fin de la deuxième guerre mondiale. Dans chacune de nos familles, il y avait le deuil et le chagrin et dans cette salle siégeaient les adversaires de la veille. Trois ans après la guerre !\
Le temps a passé et avec l'Allemagne - pays avec lequel nous avons réalisé la plus surprenante réconciliation au point de devenir alliés et amis - avec d'autres pays de l'Europe avec lesquels nous étions en compétition depuis des siècles, (rivalités nationales qui ne cessent jamais et que l'on doit enfermer dans une politique de dialogue) nous sommes maintenant solidaires et je crois pouvoir dire que l'expérience a réussi. Entre les premiers accords qui ont précédé 1950 et la ratification l'an dernier du Traité de Maastricht qui signifie non seulement le marché unique (c'était déjà entendu) mais aussi une politique commune, une monnaie commune, un embryon de sécurité et d'armée commune, une diplomatie largement débattue et pouvant être commune dans de nombreux domaines, vous pouvez mesurer les progrès et je pense, en effet, que vous faites bien de vouloir rejoindre d'une manière ou d'une autre cette union car c'est là que recommence l'histoire.
- Nous allons finir ce siècle en continuant les progrès et vous commencerez l'autre avec le sentiment d'avoir dépassé, depuis l'époque romaine, toutes les configurations historiques et géographiques de l'Europe, dont vous êtes comme nous issus. Ce que je m'acharne à répéter partout en Europe et en France, c'est que les peuples d'Europe orientale ou centrale, si longtemps séparés de nous par une frontière pratiquement infranchissable, idéologique, politique, économique, culturelle - Europe coupée en deux , artificiellement par la seule situation d'armée au combat, à un moment donné, où le destin s'arrête - ont vocation à nous rejoindre car l'histoire de l'Europe, la culture de l'Europe, la géographie de l'Europe, elles vous appartiennent autant qu'à nous. Elles nous appartiennent autant qu'à vous.\
Nous avons observé en France la sagesse des positions prises par la Bulgarie, et notamment par le Président Jelev, lorsque se sont établis les dialogues et les rapprochements avec vos pays voisins, dont le voisinage n'est pas le plus paisible qu'on puisse imaginer, et à l'intérieur même de vos frontières, conscients je crois de vos intérêts communs, vous avez su trouver une solution à des problèmes que certains croyaient insolubles, ceux que posaient, par exemple, les relations entre les communautés turcophones et bulgarophones. Vous prouvez ainsi votre foi dans votre avenir et peut-être servirez-vous d'exemple, je le souhaite, dans cette région de l'Europe, dans cette péninsule balkanique, qui pourrait enfin (quand et comment ?) devenir une région pacifique où les frontières ne seraient plus un obstacle aux échanges humains, culturels ou familiaux.
- Vous pouvez beaucoup, mesdames et messieurs, pour la stabilisation de cette région qui souffre du poids de tant de préjugés, qui a hérité de tant de réflexes de méfiance. Je perçoit que la Bulgarie, ayant su dominer ses propres problèmes, pourrait exercer une heureuse influence sur les problèmes des autres.
- Je tiens à louer votre attitude, en particulier dans le conflit de ce qui fut la Yougoslavie. Votre respect des décisions prises par la Communauté internationale - je pense à l'embargo dont je sais combien il vous coûte - vous a fait perdre certainement en termes d'échanges et en revenus, mais croyez-moi vous y avez gagné, en autorité internationale, et y avez acquis le respect de l'Europe tout entière.\
Cette opiniâtreté à vouloir surmonter les inimitiés est une preuve supplémentaire de votre vocation à rejoindre le processus d'intégration européenne. J'ai parlé de votre environnement. Je voudrais élargir mon raisonnement à l'Europe tout entière. Il faut que la Bulgarie puisse siéger ou participer - sous une forme à établir - à l'ensemble des institutions internationales et en particulier à l'ensemble des institutions européennes. Il en est qui sont de l'ordre de la sécurité - vous avez parlé de l'OTAN, vous savez de quelle façon le dernier conseil de Bruxelles, a orienté votre recherche, ainsi que celle des autres Etats, vers ce qui a été appelé le "partenariat pour la paix". C'est vrai qu'il a semblé difficle d'élargir l'Alliance atlantique, celle de la guerre froide, aux dimensions de l'Europe à l'exclusion de la Russie.
- Comme avancer l'OTAN risquait de perpétuer la division de l'Europe en deux blocs, M. Clinton a proposé une autre solution, pour prévenir les tensions, pour discuter de notre intérêt commun, pour assurer notre sécurité.
- La France s'est ralliée à ce projet de "partenariat pour la paix" et j'estime, personnellement, que tout pays démocratique qui, en Europe, se sentirait menacé devrait pouvoir compter sur la solidarité des démocraties pour que l'on ne voie pas recommencer le processus tragique qui a été jusqu'alors celui de notre continent. Vous avez tous droit à préserver votre indépendance, votre souveraineté, la liberté de votre peuple et je ne concevrais pas qu'il pût y avoir danger pour un pays comme le vôtre sans que la solidarité des démocraties soit en jeu !.\
Un autre projet a été mis au net par la France, que nous avons appelé un "pacte de stabilité en Europe", afin précisément de créer des liens de solidarité en cas de danger, c'est au mois d'avril, à Paris, que l'ensemble des pays en question se rencontreront pour discuter de ce projet.
- J'espère que cette conférence lancera l'exercice nouveau auquel la Bulgarie a décidé de participer de telle façon que l'on en finisse avec la crainte du retour à l'esprit de conquête, car on ne résistera à l'esprit de conquête, s'il s'emparait de tel ou tel pays européen, que si ce pays-là sent bien que l'ensemble des pays démocratiques disposent des moyens d'y mettre un terme.
- Je ne suis pas alarmiste, je ne crois pas qu'un pays songe aujourd'hui à exercer une hégémonie sur l'Europe, même si j'aperçois comme vous, dans la multiplication des conflits locaux, des volontés totalitaires qui cherchent à s'exercer. Mais, sur le continent de l'Europe, je pense que la stabilité peut être préservée par ces moyens.
- Ce ne sont pas les seuls. Il y a la CSCE où siègent également les Etats-Unis et le Canada. Elle a eu sa valeur, elle la garde mais, ayant pour objectif d'assurer la sécurité sans fort bien y parvenir, on voit bien qu'il faut quelque chose de plus et c'est ce que nous proposons. En tout cas, pour l'instant, nous avons proposé à nos partenaires de l'Europe des Douze, de réfléchir à une formule qui permettra d'associer systématiquement à l'Union de l'Europe occidentale. Vous savez que c'est l'embryon d'une organisation de sécurité pour l'Union européenne - tous les pays d'Europe centrale et orientale, et je pense en particulier à la Bulgarie. Ce peut être le prélude, ce sera le prélude, si elle est désirée, bien entendu, par chacun des partenaires à l'adhésion à l'Union européenne, elle-même !.\
C'est un travail de réflexion en cours, vous participez depuis le printemps dernier aux délibérations de l'UEO pour assurer, notamment sur le Danube, le respect de l'embargo, décrété par les Nations unies et vous disposez donc d'une expérience déjà précieuse. J'ai parlé du Partenariat pour la paix, mais je voudrais en quelques mots reprendre une idée qui m'est chère, bien qu'elle n'ait pas, jusqu'ici, rencontré l'assentiment général : je pense à la création d'une structure européenne de tous les pays démocratiques à l'image de ce qu'est aujourd'hui la Communauté des Douze, mais à la mesure des capacités économiques et politiques des pays dont je parle, que j'ai appelée Confédération européenne (peu m'importe le mot, pour ceux qui ont une formation juridique, elle a une signification peut-être trop précise !). Comment ne pas imaginer que l'Europe commencera d'exister vraiment quand tous les états démocratiques seront en mesure de se rencontrer plusieurs fois par an, au niveau de leurs chefs d'Etats, leurs chefs de gouvernement, leurs ministres compétents - affaires étrangères, économie et finances, grands ministères techniques - avec un secrétariat permanent et une possibilité de débat à égalité de compétence et de dignité ? C'est le cas aujourd'hui, au sein de l'Union européenne, où le Portugal, la Grèce, l'Irlande disposent d'une compétence égale avec un droit de veto égal à celui de l'Allemagne, de l'Angleterre, de l'Italie ou de la France ! Malgré la différence de démographie ou de puissance politique et économique. Nous nous respectons !
- Chacun préside à tour de rôle, aujourd'hui, c'est la Grèce, il n'y a pas si longtemps c'était le Portugal, et je considère que la Communauté des Douze montre un exemple de réussite en dépit de ses difficultés multiples !
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Imaginez ! Résumer quelquefois dix siècles d'histoire et de conflits au sein d'une assemblée, dans une enceinte où se trouvent rassemblés les intérêts les plus contraires, des histoires antagonistes ! Pourtant nous le faisons. Cela exige beaucoup de contraintes économiques puisque nous avons un marché unique, ce qui veut dire que quiconque peut se déplacer là où il veut, faire ses affaires là où il veut, ce qui n'est pas sans danger pour les pays qui se sentent plus faibles que d'autres. Eh bien, nous acceptons la compétition. Pourquoi ne pas étendre ce schéma à l'Europe tout entière, avec des règles moins contraignantes, dans des domaines évidemment communs, je pense à l'environnement, aux moyens de communications, aux télécommunications, à la politique d'investissement, à la sécurité des pays européens ? Pourquoi ne serions-nous pas capables d'organiser entre nous cette structure qui ferait que chacun des membres de l'Europe, sans tenir compte de son nombre d'habitants ni de son encaisse dans sa banque centrale pourrait parler à égalité d'histoire et de dignité avec les autres ?
- Ce que nous avons fait à l'Ouest ne sert pas nécessairement de modèle, mais puisque c'est une expérience que nous vivons, nous pouvons vous dire que c'est possible. Appelez cette organisation comme vous voulez, mais moi je serais très heureux de pouvoir siéger un jour, aussi prochain que possible, avec les représentants de la Bulgarie, avec son chef d'Etat ou son chef de gouvernement dans les organisations spécialisées pour débattre ensemble de ce qui nous intéresse tous, et pour s'engager sur la voie d'un destin commun qui continuera à travers le temps.
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- Est-ce une idée folle ? Elle ne l'est pas plus que ne l'était dans la pensée de Robert Schuman et de Gasperi, d'Adenauer, de Spaak et de bien d'autres, la construction européenne des années 1950. Et je ne vois pas au nom de quoi serait écarté de l'endroit où se discutera le sort de l'Europe un certain nombre de pays comme le vôtre qui en sont partie constituante depuis l'origine de notre civilisation.\
Voilà quelques domaines que j'ai voulu aborder et je m'en voudrais si je ne vous disais pas que je suis très sensible à une solidarité particulière qui n'est pas partagée par tous, mais par beaucoup de vos compatriotes, la solidarité dans l'usage de la langue française. Nous sommes, vous et nous, membres de la francophonie, je sais bien, et c'est bien votre droit, que nombre de Bulgares ne pratiquent pas notre langue, mais je ne savais pas naguère qu'autant de Bulgares étaient à ce point initiés aux cultures occidentales, et en particulier à la nôtre, c'est très important puisque cela crée une sorte de fraternité d'une nature particulière. L'inauguration en janvier 1991 de l'Institut français de Sofia, qui compte aujourd'hui 4800 adhérents, et 520 élèves, a permis de compléter un réseau très dense et très actif d'alliance française. A l'Ile Maurice où se tenait la dernière conférence de la francophonie, j'y ai rencontré la Bulgarie qui a marqué son désir de s'engager plus avant dans l'organisation des pays ayant en commun l'usage du français. Vous possédez vous-mêmes, une très ancienne tradition, et j'ai déjà dit en France et je le répéterai à mon retour, qu'il faudrait bien que cela soit dans les deux sens. Déjà j'ai cherché à encourager les traductions des oeuvres de vos écrivains, déjà toutes les formes de culture musicale ou des arts plastiques se sont développées, je me souviens qu'Ivan Vazov au siècle dernier, alors que son pays était déjà sous une domination étrangère, aimait à faire connaître les auteurs que vous avez cités, monsieur le Président, Victor Hugo ou Lamartine qu'il estimait plus Européens que Français, ça peut se discuter mais c'était en tout cas son opinion ! Et la qualité de précision, de richesse, d'élégance avec laquelle on s'exprime dans notre langue en Bulgarie m'a toujours paru remarquable et je dois vous dire que j'en suis très flatté au nom de mon pays. Et savez-vous que les Français ne le savent pas toujours, qu'ils ignorent le degré d'influence partagée des cultures ? Je m'efforce de le leur dire mais je vois dans cette capacité d'entente entre la Bulgarie et la France un moyen supplémentaire de renforcer notre dialogue. Voilà, mesdames et messieurs, parmi beaucoup d'autres choses, ce que je souhaitais vous dire : organisation politique, militaire s'il le faut, culturelle, scientifique, littéraire. La création de l'Institution francophone de formation supérieure dans le domaine de la gestion, le développement à Sofia mais aussi à Paris de toutes les filières où nous pouvons parfaire notre connaissance mutuelle, la bonne connaissance que beaucoup de Bulgares ont de ce qu'est la France me laissent très optimiste sur la suite des choses.
- Je pourrais ajouter avant de conclure qu'il en va de même pour le droit. J'ai été moi-même formé aux disciplines juridiques. Je n'ignore pas qu'avant l'installation du communisme en Bulgarie votre pays disposait déjà d'un système d'inspiration latine qui avait été autoritairement supprimé mais qu'aujourd'hui la grande majorité des lois bulgares souhaitent retrouver une approche qui lui était avant guerre familière.\
J'espère pouvoir recevoir à Paris en visite d'Etat, dans le plus bref délai possible, votre Président de la République, je souhaite que soient entendues, à Paris, les paroles de dialogue et de compréhension qui ne doivent pas être réservées aux Bulgares. Nous sommes les uns et les autres les héritiers de civilisations paysannes nous sommes attachés à la terre et à ses valeurs. Regardez le poids de l'agriculture, quelquefois jusqu'à l'excès, non seulement dans nos écoles respectives mais dans nos débats diplomatiques. Dans les négociations du GATT, je suis sûr que vous nous avez compris pour une large part, nous Français, dans les objections que nous faisions au mouvement général du monde.
- En prenant comme point de départ nos traditions, nous pouvons déboucher sur de nouvelles formes de coopération. Il faut aussi que les individus se connaissent et donc multiplier les échanges de la jeunesse. Vous avez chez vous des sources profondes de culture, de connaissance de la nature, de créativité artistique et scientifique, un certain goût du mieux vivre et l'on peut mesurer la distance qui nous sépare encore de ce que nous souhaiterions, la soif de la liberté, la soif de la justice. Ces traits communs avaient frappé nos soldats de l'armée française lorsqu'ils se trouvaient en Bulgarie en 1918 et je sais bien de quelle manière nous nous sommes retrouvés dans les grandes circonstances où les Bulgares ont pu faire triompher leur identité nationale.
- Je souhaite, mesdames et messieurs, pour votre Parlement, pour votre pays, pour ceux qui le dirigent, au-delà de toutes les compétitions démocratiques qui s'exercent, je souhaite chance, bonheur £ je souhaite que le travail qui s'opère dans votre pays lui permette au plus tôt d'obtenir les satisfactions auxquelles il a droit : aspiration à la paix et à la liberté, aspiration aux droits de l'homme. Tout cela c'est un langage que l'on peut comprendre quand on se trouve devant vous. Je l'emploie avec la certitude que les Bulgares sont parvenus à un moment de leur histoire où ils veulent en faire leur drapeau. Paix, liberté, liberté de conscience, droits de l'Homme mais aussi indépendance et sécurité. Que pourrais-je vous dire d'autre, mesdames et messieurs, sinon vous remercier et dire avec vous : vive la Bulgarie, vive la France.\