4 décembre 1992 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe de MM. François Mitterrand, Président de la République et Helmut Kohl, chancelier d'Allemagne, sur les négociations du Gatt, les relations monétaires franco-allemandes, l'élargissement de la CEE et les interventions humanitaires en Yougoslavie et en Somalie, Bonn le 4 décembre 1992.

LE CHANCELIER KOHL.- Monsieur le Président de la République,
- Monsieur le Premier ministre,
- Excellence,
- Mesdames, Messieurs,
- Nous venons de terminer avec la séance plénière la 60ème consultation franco-allemande et ici devant l'opinion publique de notre pays, je voudrais encore une fois remercier le Président, le Premier ministre et les ministres français ainsi que toute la délégation et leur souhaiter la bienvenue.
- Ces consultations ont lieu pour la 60ème fois depuis la signature du Traité de l'Elysée le 20 janvier 63 à Paris et nous aurons le 30ème anniversaire de la signature de ce Traité, qui a été si fondamental pour nos pays, et le fêterons à Bonn en janvier prochain. Le nombre de ces consultations, y compris celle-ci, toutes les autres discussions que nous avons eues en plus et toutes les rencontres des dix dernières années montrent l'épaisseur de nos relations. C'est ce que vous avez dit hier dans votre discours, monsieur le Président, c'est vrai, c'est exceptionnel comme relation entre les peuples en Europe et je crois d'ailleurs dans le monde entier.
- En résumé, je peux dire très brièvement que ces consultations d'hier et aujourd'hui montrent à nouveau l'étroitesse des relations amicales et de la coopération entre la France et l'Allemagne ainsi que l'accord large et global.\
LE CHANCELIER.- Les discussions avec le Président et le Premier ministre et les discussions également au niveau des ministres ont concerné, bien entendu et surtout, la préparation du Conseil d'Edimbourg des 11 et 12 décembre. Nous sommes convenus pour considérer qu'il s'agit d'une réunion très importante dont nous voulons assurer le succès, et nous souhaitons ce succès. Edimbourg doit être un signal important pour la continuation de la Commission et pour montrer la capacité d'action de la Communauté. Sans bien entendu vouloir en aucune manière diminuer la contribution de tous les autres pays européens, je voudrais ici souligner encore une fois, à un moment historique des développements européens, souligner à quel point l'Allemagne et la France sont décidées à faire encore avancer l'Europe. Il ne peut pas y avoir d'arrêt, il ne peut pas y avoir de pause malgré toutes les difficultés, c'est notre souhait pour Edimbourg et je suis sûr que nous allons y arriver. Nous avons un ordre du jour difficile à gérer mais avec de la bonne volonté de la part de tous les participants nous pourrons y arriver de manière positive. Il s'agit de la ratification du Traité qui doit être mise en oeuvre, Traité de Maastricht dont dix pays membres auront terminé la ratification ce mois-ci. Je suis particulièrement heureux qu'avant cette réunion franco-allemande, le Bundestag allemand ait pris cette décision avec une si grande majorité et je suis sûr que le Bundesrat au moment prévu fera la même chose.
- Nous espérons qu'en Grande-Bretagne et au Danemark la ratification encore à venir pourra se faire rapidement au printemps et sera facilitée par les décisions d'Edimbourg de telle sorte que le Traité pourra être mis en oeuvre, entrer en vigueur au printemps. En tout cas, c'est notre but. Tous deux, nous ne souhaitons pas qu'il y ait une phase de latence parce que nous n'avons pas le temps de perdre du temps.
- A Edimbourg, nous parlerons des grandes lignes des critères d'application du principe de subsidiarité, nous parlerons de la transparence des institutions européennes et de beaucoup d'autres choses et parmi ces choses il y a bien entendu le financement à venir de la Communauté. Je suis sûr que nous arriverons, si tous le veulent à Edimbourg, à un compromis sur ce que l'on appelle le paquet Delors 2, un compromis qui reflète la nécessité absolue d'aider les pays financièrement moins riches, moins aisés en Europe mais qui également prend en considération la difficulté de la situation économique dans tous les pays européens et cela vaut bien entendu aussi pour nous, la République fédérale d'Allemagne et pour la France.
- Nous parlerons également de l'élargissement. Il y a les demandes de l'Autriche, de la Finlande, de la Norvège et de la Suède. Notre souhait commun est qu'au début de l'année prochaine, les négociations officielles puissent commencer avec comme but de permettre que les discussions soient terminées en 93.\
LE CHANCELIER.- Nous deux, nous pensons que le but - pour ce qui est du GATT - soit que l'on puisse arriver à un accord. Bien entendu, nous savons qu'il y a une tendance récessive dans le monde et que le GATT sera pour l'économie mondiale un signal de relance important et sera également important pour les pays du tiers-monde. Nous espérons donc qu'un compromis pourra être atteint à Genève pour les quinze domaines, c'est-à-dire qui comprennent également les questions des services et de la propriété intellectuelle et cela vaut également pour le domaine de l'agriculture. Vous savez, moi-même, j'ai toujours mis en garde, dans la discussion publique, de limiter, de rétrécir les négociations du GATT aux négociations agricoles. Nous avons besoin du GATT bien sûr, mais nous avons également besoin de l'agriculture en Europe qui est une perspective d'avenir, et compte tenu des buts de la réforme de la politique agricole commune en Europe, il faut que, conformément à ces objectifs l'agriculture puisse continuer à vivre pour des raisons économiques, pour des raisons écologiques, financières, en Angleterre et en France. Il faut que les paysans puissent continuer à produire et à exporter.
- Je vais citer ensuite d'autres thèmes, le développement de la Yougoslavie, la situation au Moyen-Orient. Nous étions d'accord pour considérer qu'il fallait que les pays européens à Edimbourg soulignent à nouveau leur indignation vis-à-vis de ce qui se passe en Yougoslavie, surtout au vu des dernières nouvelles que nous avons entendues. Nous avons toujours - la France et l'Allemagne - souligné notre engagement particulier pour une solution rapide. Nous avons l'intention de le montrer à nouveau dans une déclaration commune pour ce qui concerne le développement en Somalie.
- Au centre de la 8ème session du Conseil de Sécurité et de défense il y avait aujourd'hui le corps européen, sa relation vis-à-vis de l'UEO et de l'Alliance atlantique, son articulation avec ces deux institutions. Les collaborateurs ont effectué un travail préliminaire suffisant pour que maintenant, nous ayons bien avancé et je constate avec grande joie mesdames et messieurs que toutes les aversions, toutes les réserves qu'il y avait vis-à-vis de ce projet ont maintenant été systématiquement démantelées et que ce projet est jugé maintenant de manière beaucoup plus positive par nos partenaires. Cela ne vaut pas simplement pour ce côté-ci de l'Atlantique mais également pour l'autre côté de l'Atlantique. Voici pour ma déclaration, monsieur le Président de la République.\
LE PRESIDENT.- Je n'ai pas grand chose à ajouter à ce qui vient d'être dit et qui reflète exactement l'état de notre discussion.
- Notre détermination a poursuivre le processus de la ratification sans se laisser détourner de l'objectif à atteindre, cette détermination a été réaffirmée de la manière la plus claire. A quoi s'ajoute, on vient de le dire, le problème, qui n'en est pas un, de l'élargissement £ tout au plus aura-t-on certaines objections qui viendront d'autres pays pour que la cohérence et les fonds structurels, tout ce qui peut contribuer à équilibrer les différentes régions d'Europe, soient au moins concomitants avec l'arrivée de nouveaux partenaires.
- Le Chancelier Kohl s'est exprimé sur le GATT, je n'ai rien à ajouter. Insisterai-je sur l'aspect global et équilibré, terme qu'il a lui-même employé. Je me souviens d'avoir dès le point de départ opposé cet argument, l'argument global d'équilibre à Bonn même en 1985, il y a sept ans lorsque le Président Reagan m'en a parlé pour la première fois et sa proposition m'a paru à ce point incomplète et donc inacceptable que je lui ai dit : "mais le GATT ce n'est mas l'agriculture, c'est beaucoup d'autres choses encore". Si l'on ne traite par les autres choses, eh bien on ne traitera pas l'agriculture ou du moins on ne concluera pas. Nous avons nous, Français constamment maintenu cette ligne de conduite et si les négociateurs européens - qui ne sont pas Français en la circonstance - ont eux abouti à un accord ou à projet de compromis (qui ne fait pas foi d'ailleurs tant que les instances européennes ne se sont pas prononcées), cela s'est toujours fait en désaccord avec la position française, étant bien entendu que nous aussi nous désirons vivement que le GATT réussisse. Nous sommes convaincus qu'un bon accord qui ne sacrifierait pas au passage tel ou tel pays-partenaire, ou tel ou tel type de production, contribuera au réveil de l'économie mondiale. Seulement voilà, cela ne peut se faire simplement avec négligence ou désinvolture sans chercher à tirer tout ce qui doit l'être des moyens de l'agriculture européenne et particulièrement française. Si on a eu tort - du côté des négociateurs, pas du côté de la France qui a dénoncé constamment cette méthode - de se laisser fixer sur le dossier agricole par nos partenaires américains, il n'est pas trop tard pour rétablir ce bon équilibre que je demande. Qu'il soit bien clair que nous sommes favorables à une bonne issue de la négociation, que nous souhaitons qu'elle ait lieu le plus tôt possible, pas aux conditions qui nous sont proposées. Tout le reste a été dit rapidement et clairement. Donc, j'attendrai les questions des membres de la presse pour préciser tel ou tel aspect de nos débats. Je vous remercie.\
QUESTION.- L'économie allemande, qui n'est pas tellement contente de la position française sur le GATT, aurait souhaité que ses représentants rencontrent des membres de votre délégation, vos collaborateurs, peut-être M. Bérégovoy. Pourquoi cette rencontre n'a-t-elle pas eu lieu ?
- LE PRESIDENT.- Vous me "posez une colle". Ils ne m'ont pas demandé rendez-vous ! Je suis convaincu que M. Bérégovoy qui est là, mais qui me laisse m'exprimer, recevra les industriels allemands qui le souhaiteront dans son bureau à Paris. Des rendez-vous de circonstance ou de hasard alors que nous sommes très occupés par le Sommet franco-allemand, ne seraient pas exactement de circonstance. Nous n'arrêtons pas de parler de cette question, on parle du GATT depuis sept ans, pratiquement tous les mois vous savez, et on n'a pas fini d'en parler !
- LE CHANCELIER KOHL.- Je voudrais répéter ici pour qu'il n'y ait pas de mythe. Nous avons bien échangé depuis le début de ce sommet. Nous avons eu un programme chargé. Je suis persuadé que si le Président des entrepreneurs allemands, l'équivalent du CNPF, veut rencontrer le Premier ministre, il n'y a aucun problème. Je l'ai dit dès le départ. Mais vu l'emploi du temps chargé que nous avons ici, nous ne pouvons pas faire autrement.
- LE PRESIDENT.- La délégation pourrait être mixte, parce que la réaction des industriels français ressemble aux réactions des industriels allemands !\
QUESTION.- Monsieur le Chancelier, je ne peux pas m'imaginer que cette histoire du GATT ait pu jouer un si petit rôle dans vos discussions vu les différences, quand même, qui existent entre l'Allemagne et la France ?
- LE CHANCELIER KOHL.- Je ne sais pas où vous pouvez imaginer des différences entre ce que je pense et ce que pense le Président de la République sur le GATT. Le Président de la République a dit bien clairement qu'il souhaite aussi arriver à un accord et notre intérêt, et mon intérêt, comme il l'a dit, est que nous arrivions bientôt à cet accord et que nous arrivions ensemble à un accord. Nous allons bien entendu nous occuper des questions des institutions et il est évident qu'il serait bien stupide d'empêcher des discussions qui puissent arriver à un accord. Si vous me demandez ce que je pense, moi, je suis optimiste, mais je ne le dis pas simplement depuis aujourd'hui, je le dis depuis des mois, parce que je pense que pour l'instant les déclarations publiques ne valent rien. Ce qu'il faut c'est qu'on parle. Si nous étions déjà arrivés à ce point là, déjà à Munich au G7, peut-être qu'on en serait plus loin aujourd'hui, peut-être même qu'on serait déjà arrivé à un accord.
- QUESTION.- Est-ce que vous partagez la critique qu'a exprimé le Président français sur la manière dont la commission a négocié ?
- LE CHANCELIER KOHL.- Eh bien je pense qu'effectivement les autres sujets n'ont pas été traités de manière parallèle assez tôt, c'est la faute des deux parties et je l'ai déjà dit.
- QUESTION.- Que pensez-vous du plan en quatre points de M. Major, pour la solution du problème danois de Maastricht ?
- LE CHANCELIER KOHL.- Je pense qu'il serait faux de commencer une discussion publique sur ces quatre points, parce que nous allons en parler à Edimbourg. Le but d'une réunion de ce genre, c'est qu'on échange des idées et qu'on n'arrive pas avec des positions toutes faites qui rendent ensuite un compromis impossible. C'est pourquoi, je ne juge pas ces quatre points, je n'en dis rien. Mais je dis quand même autre chose.
- Nous, la position allemande - et il n'y a pas de différence avec nos amis français - nous souhaitons une Europe des Douze, nous ne voulons expulser personne, mais nous disons également deux autres choses, ou peut-être trois autres choses : premièrement, le Traité ne sera pas renégocié, on en reste au Traité tel qu'il est, il n'y aura pas de modification £ deuxièmement, il n'y a pas d'Europe à la carte, on ne peut pas prendre tel morceau et pas tel autre £ et troisièmement, je le dis avec raison et tranquilité et bien entendu je considère qu'il faut être fair play avec tout le monde, mais pour ce qui est des délais, je pense qu'il n'est pas possible que ce soit le bateau le plus lent du convoi qui détermine la rapidité du convoi. Je pense que j'ai été clair.\
QUESTION.- La présidence britannique a écrit au gouvernement danois et M. Schluter a été d'accord avec cette lettre. Est-ce que vous avez traité de cette question ? Que pensez-vous de cette lettre ?
- LE CHANCELIER KOHL.- Ecoutez, c'est une lettre que les Britanniques ont envoyée au gouvernement danois. Deuxièmement, c'est une lettre sur un sujet qui nous concerne, bien entendu, mais que nous allons traiter à Edimbourg et une conférence de presse devant un public, aussi choisi qu'ici, ce n'est quand même pas la même chose que la conférence d'Edimbourg. Donc, je ne pourrai répondre à votre question qu'après la conférence d'Edimbourg.
- LE PRESIDENT.- Je crois que c'est la présidence anglaise qui écrit au Danemark et en janvier, c'est la présidence danoise qui écrira aux Anglais !
- LE CHANCELIER KOHL.- Vous savez qu'à partir du 1er janvier, c'est le Danemark qui a la présidence.\
QUESTION.- A quel degré la France a-t-elle changé son avis, son attitude, au sujet de l'élargissement de la Communauté ?
- LE PRESIDENT.- Comme je ne connais pas la nature de ces changements, il faudrait que vous me le précisiez.
- Nous sommes partisans de l'élargissement. Nous avons toujours été partisans de cet élargissement. Nous insistons même sur l'urgence. Bien entendu, cette urgence ne peut pas être telle qu'on voie de nouveaux pays, - ceux qu'on a cités notamment, les demandeurs, les plus proches de l'adhésion : l'Autriche, la Suède, le cas échéant la Finlande, la Norvège, etc... (la Suisse se détermine actuellement sur un autre sujet, mais enfin montre des dispositions qui sont les siennes à l'égard de l'adhésion future) - sans que les Douze, les membres actuels, soient bien d'accord sur le contenu de leur accord et notamment sur Maastricht, puisque nous demanderons aux nouveaux adhérents d'accepter toutes les clauses du Traité. Donc, il y a là un désir d'aller vite, mais en même temps de faire chaque chose en son temps. J'espère qu'en 1993, ces choses seront faites.
- QUESTION.- Monsieur le Président, vous êtes allé au Moyen-Orient, est-ce que vous pensez qu'il y aura bientôt une solution pacifique dans cette région ? Deuxièmement, vous plaidez pour une conférence pour la Yougoslavie, à nouveau, qu'attendez-vous d'une conférence de ce genre ? Troisièmement, vous voulez envoyer des troupes en Somalie, est-ce que cela ne va pas devenir un deuxième Liban ? Merci.\
QUESTION.- `Sur le Moyen-Orient, la conférence pour la Yougoslavie, l'envoi de troupes en Somalie`.
-LE PRESIDENT.- En effet, j'ai fait ce voyage en Israël et en Jordanie. J'ai pu constater l'évolution des esprits au sein du gouvernement d'Israël £ il y a eu des élections récentes, un changement de gouvernement sur un programme de nature différente par rapport aux problèmes de la paix et de la guerre là-bas. Donc la différence est sensible. Un pronostic, je n'en ferai pas. Ce n'est pas à moi d'en faire à la place de ceux qui sont sur le terrain dans des conditions difficiles. Beaucoup de journalistes m'ont constamment posé le problème de l'OLP, du côté palestinien - ce n'est pas moi qui aussi souvent, par une sorte de manie, ai évoqué ce problème, mais la question m'a été posée du matin jusqu'au soir - £ j'ai donc répété ce que je dis depuis longtemps, parce que je l'avais dit il y a dix ans lors d'un premier voyage officiel en Israël : il sera difficile d'aboutir à la paix sans discuter avec les gens avec lesquels on se bat. Et je constate d'ailleurs que le gouvernement israélien vient de faire adopter une loi qui, sans aller jusque-là, amorce tout de même un certain itinéraire dans cette direction.
- Du côté de la Somalie et de la Yougoslavie ? Une conférence ? Pour l'instant nous soutenons les efforts des deux négociateurs, MM. Vance et Owen, ne compliquons absolument pas leur tâche.
- Nous constatons, pour l'instant, la vanité des efforts accomplis pour en revenir à des négociations pacifiques £ nous le déplorons, il y a d'ailleurs un texte que vous trouverez dans nos délibérations d'aujourd'hui. Il y a l'aspect humanitaire, mais vous voyez bien que même cela ne parvient pas au terme voulu. Nous avions fait adopter, notamment à Lisbonne, au sein de la Communauté, le projet d'une garantie militaire, d'une force militaire d'accompagnement, pour permettre à ces approvisionnements d'arriver là où ils doivent arriver, c'est-à-dire chez les habitants qui souffrent du siège, notamment à Sarajevo, mais aussi dans d'autres villes de Bosnie. La nature du terrain, la nature des combats en Yougoslavie ne permettent évidemment pas ce que le terrain somalien va nous autoriser à accomplir dans les jours et les semaines qui viennent. Nous nous engageons. La France avait pris des initiatives de ce genre et nous nous sommes concertés avec les Etats-Unis d'Amérique, M. Bush et moi-même. La France disposera d'un contingent - on a cité entre 1500 et 2000 hommes sur le terrain - pour participer à cette entreprise qui relève de la décision des Nations unies. L'intention est d'y rester le temps nécessaire pour débloquer une situation tragique. Elle n'est pas d'y rester, aussi souhaite-t-on fixer un terme assez rapide à cette opération qui aurait valeur exemplaire.
- Une comparaison avec le Liban, comme d'ailleurs avec la Bosnie, c'est très difficile à faire, parce qu'il ne s'agit pas du tout du même terrain, ni même de la même nature de conflit. Là-bas en Somalie, ce sont des bandes qui se disputent on ne sait quoi, on ne sait quel butin, peut-être tout simplement le pouvoir, ou le plaisir d'agiter des armes, en tuant, en pillant et en détruisant toutes les ressources de ce malheureux pays. Je pense qu'à partir du moment où nous procédons d'une façon aussi évidente, sous la garantie des Nations unies, à une opération d'ingérence humanitaire ce qui est vraiment un phénomène tout à fait nouveau dans le droit international, c'est une opération dont on doit mesurer l'importance historique. Je pense que les conditions offertes par le conflit somalien sont celles qui représentent le mieux notre capacité d'action. Voilà pourquoi nous le faisons là plutôt qu'ailleurs en attendant de pouvoir le faire ailleurs, si cela est nécessaire et si c'est dans nos moyens.\
QUESTION.- Est-ce que d'après ce que vous avez dit, on peut parler d'un lien entre le financement du Paquet Delors 2 et le début officiel des négociations avec les candidats à l'entrée ? Est-ce que les deux doivent se faire de manière parallèle, qu'est ce qui va se passer en premier ?
- LE CHANCELIER.- D'abord, je n'aime pas ce mot "lien" ! Surtout pas dans le cadre de ce genre de conférence, ce n'est ni le genre ni le mode de travail que nous utilisons. On ne fait pas de chantage, on ne dit pas : "si tu fais çi, moi, je fais ça", ce serait une façon de retomber dans une manière d'agir qui trop souvent et trop longtemps a fait le malheur de l'Europe (pas notre génération, mais les générations avant nous). Nous sommes des partenaires, nous sommes des amis £ il ne s'agit pas de liens obligatoires, cela veut dire qu'au contraire, nous essayons de nous aider réciproquement. Je le dis ici, en tant que Chancelier allemand (nous sommes l'une des économies les plus fortes en Europe), si nous voulons cette Europe, nous voulons que ce soit une Europe où il n'y ait pas de trop grandes différences entre les situations sociales des peuples. Au contraire, il faut que ces différences diminuent, c'est un processus lent mais c'est un processus indispensable et c'est pour cela que nous voulons nous aider, d'autant plus qu'en nous aidant les uns les autres, nous nous aidons nous-mêmes. Lorsque 55 % de la production allemande s'en va, est exportée vers les autres pays de la Communauté, je pense qu'il est évident qu'il faut absolument que tous les pays en Europe, dans la Communauté, se trouvent en bonne relation les uns avec les autres.
- Mais je reviens à notre situation financière particulière. Nous faisons beaucoup pour les pays de l'est, nous faisons beaucoup également pour les Bundesländer, mais il reste quand même l'idée que l'Europe est une idée de la solidarité. Seulement, cette solidarité ne vaut pas simplement pour les pays de la Méditerranée, cela vaut également pour les pays du nord, pour la Finlande, pour la Norvège ou pour l'Autriche et c'est pourquoi il faut trouver un équilibre raisonnable. En plus, il y a une autre idée dont on ne parle pas assez souvent, c'est que les nouveaux pays qui veulent entrer, les nouveaux candidats pour la Communauté ne seront pas des poids £ au contraire, ce seront des pays qui augmenteront, qui élèveront le niveau économique de la Communauté et donc il faut parler raisonnablement avec eux. Nous ne parlons pas seulement de manière froide, il y a des relations personnelles entre nous et, bien entendu, moi ou François Mitterrand nous aurons l'occasion d'en parler avec Felipe Gonzalez ou bien M. Amato, notre collègue italien, et je pourrais encore en citer d'autres...\
QUESTION.- Monsieur le Président, je prends ce que vous avez énoncé entre la situation somalienne et la situation bosniaque : croyez-vous que l'opinion publique comprendra qu'on fasse dans un cas ce qu'on refuse de faire dans l'autre ?
- LE PRESIDENT.- Vous allez sûrement nous y aider.
- QUESTION.- Avez-vous abordé le problème des parlementaires allemands dans le prochain Parlement européen et la question des sièges des institutions ? Est-ce que vous vous êtes rapprochés sur ces questions-là ?
- LE CHANCELIER.- Nous avons mené de bonnes discussions qui amèneront de bonnes conclusions à Edimbourg.\
QUESTION.- Monsieur le Président, avez-vous abordé la situation monétaire qui semble être assez délicate, même si en ce moment il n'y a pas de spéculation contre le franc. Avez-vous parlé de la parité franc-mark, du problème des taux allemands ?
- LE PRESIDENT.- Les ministres des finances en ont beaucoup parlé, le Premier ministre français en a parlé au Chancelier et moi-même j'en ai dit un mot. De toutes manières ils ont tenu à affirmer "leur ferme attachement" - je lis - "au système monétaire européen et à son mécanisme de change". Un peu plus loin il est dit : "la parité entre le deutsche mark et le franc français est totalement justifiée par les données fondamentales des deux pays". Voilà la réponse que je peux vous faire. Bien entendu, nous n'avons pas été sans remarquer un certain nombre de secousses qui se sont produites récemment mais c'est une très bonne entente entre les gouvernants de l'Allemagne, le Chancelier et moi-même et la Premier ministre qui a permis de surmonter ces difficultés. C'est à l'épreuve que l'on mesure la solidarité.
- LE CHANCELIER.- J'aimerais confirmer ceci de mon côté expressément et, à cette occasion, je dirai volontiers que, dans ce domaine aussi, la coopération et le partenariat entre les ministres des finances de nos deux pays ont fait à nouveau leur preuve.\
QUESTION.- Monsieur le Chancelier, est-ce que j'ai bien compris qu'il n'y a pas de différence entre votre conception et celle du Président : vous voulez négocier tout de suite et le Président veut négocier seulement quand Maastricht sera ratifié ?
- LE CHANCELIER.- Non, le Président n'a jamais dit cela. A Lisbonne nous avons décidé, à la condition que le 31 décembre le Traité de Maastricht soit ratifié dans douze pays, qu'à ce moment-là tout de suite les négociations commenceraient et maintenant il y a des voix dans la Communauté - mais pas les nôtres - qui disent : "eh bien ! il faut négocier simplement lorsque le Traité sera ratifié dans les deux pays où il n'est pas encore ratifié". Il y a une troisième école qui dit : "il faut que ce soit des négociations informelles qui commencent", et nous deux, nous pensons : non, l'Europe doit avancer, il faut négocier maintenant et officiellement.
- LE PRESIDENT.- Si le sujet a été traité dans cet état d'esprit, c'était peut-être qu'à l'époque, il était entendu que toutes les ratifications auraient eu lieu le 1er janvier 1993. Dans ce cas-là on pouvait engager les conversations publiques, officielles, avec les pays candidats dès le début de l'année 1993. Je reste tout à fait sur cette position qui doit être d'ailleurs précisée encore. Moi, je suis favorable à ce que l'Europe continue de se former, de se structurer sur la base de Maastricht, quels que soient les obstacles, qui se présentent au passage. Donc, précisément, il ne faut pas s'arrêter aux difficultés que nous connaissons aujourd'hui avant de poursuivre le chemin.\
QUESTION.- Monsieur le Chancelier, vous avez dit que vous attendez que la Grande-Bretagne et le Danemark ratifient au printemps et que le Traité puisse être mis en vigueur à l'été : mais il se pourrait tout à fait que le Danemark n'ait son deuxième référendum qu'en juin et l'Angleterre ne veuille ratifier qu'après le Danemark. Comment voulez-vous réaliser ce calendrier ?
- LE CHANCELIER.- Eh bien ! Je vous pose la contre-question : pourquoi est-ce que vous envisagez ce calendrier-là vous ? Pourquoi est-ce que je dois imaginer maintenant un calendrier pour lequel moi je n'ai aucune sympathie ? Laissons les choses ouvertes, je reste là où j'en étais.\
QUESTION.- Est-ce que vous avez parlé du projet de grande relance économique européenne et quelle est votre position sur ce projet ?
- LE PRESIDENT.- On a parlé d'une initiative dite "de croissance" et nous sommes d'accord pour l'engager sur différents terrains qui ont été précisés. Ils sont tout à fait concrets.
- QUESTION.- Je voudrais revenir sur la Somalie, s'il vous plaît. Comment véritablement pouvons-nous, pouvez-vous expliquer aux Français que nous devons, que nous pouvons aller en Somalie et que nous ne pouvons pas faire exactement la même chose pour l'ex-Yougoslavie ?
- LE PRESIDENT.- Je vous ai déjà rappelé qu'à Lisbonne nous avions adopté une résolution qui impliquait l'accompagnement militaire de la distribution des vivres et approvisionnements de toutes sortes, nécessaires à la population de Bosnie, particulièrement de Sarajevo et d'autres villes. Je vous l'ai déjà dit, ce principe a été accepté pour la Bosnie. L'application s'est révélée extrêmement difficile mais cela est du ressort des pays qui ont cette charge. Ce n'est pas, pour l'instant, à moi de trancher sur la nature des difficultés rencontrées et sur l'absence, souvent, de réponse donnée à ces questions difficiles. Donc ce n'est pas une question de principe qui nous oppose : il serait bon que cela fût fait partout. Mais nous sommes en même temps comptables de la vie de nos soldats, de leur sécurité dans l'accomplissement du devoir que nous leur fixons, et les conditions de la Somalie seront difficiles mais permettront sans doute de mener à bien, dans un délai raisonnable et limité, l'opération en question. Les mêmes assurances ne peuvent pas être données aujourd'hui dans le cadre des guerres qui se déroulent dans l'ancienne Yougoslavie. Mais le principe n'est pas différent.
- Si nous pouvons agir dans un cas, on doit pouvoir agir dans l'autre, mais on est obligé de prendre des précautions dans l'intérêt de nos armées, de nos soldats et, finalement, de la population, selon le pays en question car les conditions n'y sont pas les mêmes.\