1 décembre 1992 - Seul le prononcé fait foi

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Avant-propos de M. François Mitterrand, Président de la République, pour le livre de Sabine Zlatin, Mémoires de la "dame d'Izieu", paru en décembre 1992.

Le livre de Sabine Zlatin est d'abord une leçon de vie.
- Née dans Varsovie occupée par les Russes, elle adhère en 1923 au Bund, l'union des ouvriers juifs de Pologne, de Lituanie et de Russie, opposée à la fois aux mouvements bolcheviques et sionistes. A seize ans, elle sait déjà ce qu'est l'engagement et ce qu'est la prison. Elle est arrêtée lors d'une manifestation du 1er mai des travailleurs pour la liberté. Sa décision est prise : vivre en France.
- C'est pour elle, comme pour tant d'humiliés au coeur de l'Europe, la patrie du Droit et de la Fraternité £ celle qui, depuis 1789, a fait des juifs des citoyens libres et égaux.
- Au terme d'un long périple, seule, dépourvue de ressources, elle parvient dans notre pays. Ce sont alors dix années de travail acharné pour bâtir, dans le Nord, avec son mari Miron Zlatin, une entreprise agricole.
- La guerre éclate. Elle choisit aussitôt d'être infirmière militaire de la Croix-Rouge. Son nouveau combat la conduit dans les sinistres camps d'Agde et de Rivesaltes où sont entassées, dans des conditions indignes, des familles de réfugiés. Elle y recueille des enfants juifs et crée la colonie d'Izieu dans l'Ain. Jour après jour, sans relâche, elle prodigue à ces enfants démunis de tout, séparés de leurs parents, hantés par le cauchemar des camps, le réconfort et l'espérance.
- Le 6 avril 1944, les hommes de Barbie surgissent à Izieu. Quarante-quatre enfants sont déportés. Aucun ne reviendra.
- Sabine Zlatin échappe à la rafle et entre dans la résistance. Après tout cela, la paix revenue, elle construira une vie nouvelle, tout aussi exigeante, dans le monde de la peinture. Un long chemin d'épreuves et de luttes est ici retracé. C'est celui du courage et de la fidélité à soi-même.\
Ce livre est aussi une leçon de mémoire.
- Sa lecture nourrit notre conscience et notre devoir.
- Un demi-siècle s'est écoulé. De nombreux témoins s'éloignent. Sans le procès de Klaus Barbie, combien de Français connaîtraient le drame relaté dans ces pages ?
- Le souvenir est la première justice. Déjà certains sont à l'oeuvre pour absoudre les assassins et déshonorer les victimes. Les enfants d'Izieu et Sabine Zlatin rappellent où est le crime et où est la vertu. A nous de refuser les confusions et l'oubli. A nous de maintenir vivante la vérité.
- Il y a dans cet ouvrage quelques photographies poignantes. Ce sont de pauvres images de la vie, de la jeunesse, de l'innocence. Les enfants d'Izieu sont le symbole même de l'innocence massacrée, le symbole même de tous les juifs de France qui furent exterminés sous le régime de Vichy.
- Pour la communauté juive, la douleur est ineffaçable. Elle l'est aussi pour la République.
- Combien de fois ses valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité ont-elles été bafouées depuis qu'il y a plus de deux cents ans la Convention nationale en proclama la naissance ? Combien de sacrifices exigèrent-elles et combien d'efforts ? Nous en sommes comptables. Ils nous obligent. Car rien n'est jamais acquis.
- Ce livre est enfin une leçon de dignité.
- La narration s'y développe avec une modestie de ton qui accroît l'émotion. Tout est sobrement dit. L'oeuvre ressemble à son auteur. Elle suit son chemin sans bruit. Sa lumière vient des faits. L'expression des sentiments y tient peu de place. Les mots les plus simples manifestent l'évidence d'une volonté et la nécessité des actes.
- Je leur rends hommage. Comme la République, à travers ma fonction, rend hommage à la mémoire des enfants martyrs de la maison d'Izieu.\