18 novembre 1992 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Mitterrand, Président de la République, sur les relations bilatérales franco-israéliennes, lors de l'inauguration de la maison France-Israël, Paris le 18 novembre 1992.

Monsieur le Président,
- L'inauguration de cette maison France Israël correspond à un voeu qui m'est cher depuis longtemps. Je dois adresser mes premiers remerciements à M. Stoléru qui a mis en oeuvre, avec une constance remarquable, dans cet endroit admirablement situé, ce lieu où désormais vont se rencontrer, plus commodément, celles et ceux qui s'intéressent aux relations entre Israël et la France £ et qui, au-delà même de leurs intérêts, veulent y prendre une part active.
- C'est donc un lieu de vie que vous avez créé.
- Nous venons l'inaugurer , c'est-à-dire que nous venons constater, comme c'est notre rôle le plus souvent, les travaux finis. Mais, puisqu'il vous parait utile qu'ait lieu ce type de consécration, c'est quand même aussi, pour le président Herzog et moi-même, l'occasion de recommencer, de continuer un dialogue entrepris depuis longtemps.
- Dans les premiers mois qui ont suivi mon élection à la présidence de la République, j'ai décidé de mettre fin à une pratique que je trouvais insupportable et qu'on appelle le boycott des entreprises qui échangeraient, commerceraient avec Israël. Une inspiration étrangère prétendait imposer à la France, comme à beaucoup d'autres pays d'Europe, des pratiques, à mon sens immorales, et qui de toute manière ne sont ni de notre tradition, ni de notre tempérament.
- Cela n'a pas été facile. En dépit de la bonne volonté, du dévouement et de l'accord total de Pierre Mauroy, à l'époque Premier ministre, il a fallu plusieurs mois pour obtenir satisfaction de la part de nos administrations et parvenir à des textes revenant sur des malheureuses pratiques admises précédemment.
- Beaucoup craignaient des représailles, des mesures de rétorsion, et nous avons, avec les pays arabes d'excellentes relations. Ce sont des pays qui sont eux-mêmes inscrits dans une tradition politique et diplomatique séculaire. Je ne désirais pas les froisser, les choquer, laisser apparaître la France comme un pays hostile à leur cause, mais dès lors que cette cause était celle d'une guerre économique ajoutée à une guerre militaire sur le terrain, ce n'était plus l'affaire de la France. Et sur le plan du droit, il n'était pas supportable que nous nous associions à des mesures discriminatoires qui sont totalement étrangères à l'esprit de nos institutions et à ce qui anime la République française depuis l'origine. N'oublions pas que c'est la Révolution, qui dès le premier jour a voulu que fussent citoyens les juifs de France et qui n'a jamais accepté qu'on pût considérer comme étrangers des hommes et des femmes qui vivaient avec nous, comme nous, qui aimaient la terre de France, qui la faisaient fructifier et qui la servaient dans les moments où son existence même était en danger.
- On me dit que de temps à autre, il est encore des entreprises qui cèdent aux pressions qui sont exercées sur elles. Elles n'engagent pas l'Etat, la République, et chaque fois qu'un cas m'est signalé comme au gouvernement, on veille à tout remettre dans le droit.\
Mais, nous voudrions bien que cet exemple fût contagieux. Nous appartenons à la Communauté européenne, et cette Communauté est composée de pays démocratiques qui ont le même degré d'évolution que nous, qui participent de la même Histoire, dans certains cas, depuis dix siècles, dans d'autres cas, depuis moins de temps, mais quand même depuis longtemps, bref, nous représentons la même forme de civilisation, il est un domaine, celui du boycott donc de la discrimination sur lequel il faudrait, - je suis obligé de parler au conditionnel car la décision ne dépend pas de moi -, que tous nos partenaires puissent exactement comprendre leurs devoirs comme nous l'avons fait. Nous prendrons des initiatives dans ce sens. Nous en avons déjà prises, de nombreuses, et que nous serons obligés de traduire en actes puisqu'il semble bien que nous n'avons pas été, jusqu'ici entendus.
- Peut-être avons-nous fait de moins bonnes affaires à cause de cette décision de 1981, mais nous avons fait une meilleure affaire au total : nous avons gardé le sens de notre dignité et nous avons respecté un pays, Israël, qui méritait de l'être.\
Peu après, j'ai pris la décision de rompre un autre cercle devenu infernal, celui qui semblait avoir été édicté comme une règle : qu'un chef de l'Etat, qu'un président de la République française pouvait voyager partout dans le monde sauf en passant par Israël. Dommage d'ailleurs parce que c'est un beau pays. De plus, nous y avons nous-mêmes culturellement et intellectuellement combien de racines ! Nos cultures sont mêlées. Que d'éléments de nos réflexions et de nos pensées sont issus des débats et des exemples venus de cette terre ! C'était se priver en plus des charmes d'un beau voyage dans un pays vivant, actif parfois tumultueux et même, aimant ou ayant l'esprit de contradiction, comme nous, non seulement de contradiction avec nous, ou avec les autres, mais de contradiction chez lui : mais ça, c'est l'image même de la démocratie.
- Les peuples qui pensent, qui réfléchissent, qui espèrent, qui conçoivent, qui imaginent les types de sociétés ne sont pas les peuples les plus faciles à conduire. Mais comme c'est plus agréable au fond de se savoir responsable, c'est mon cas, d'un peuple capable de faire l'Histoire, et surtout de porter un peu plus loin, toujours un peu plus loin, avec souci des reculs, la civilisation.
- Je me souviens de ce voyage en 1982. J'ai eu l'occasion de m'exprimer à la Knesset. J'avais développé un discours, qui ne faisait pas plaisir d'ailleurs à tous ceux qui m'entendaient. J'avais fait une constatation qui n'était pas amère, qui était simplement résignée.
- Le fait que je sois parmi vous, c'était cela l'important. Je dois dire, avec humilité, que les paroles avaient beaucoup moins d'importance que ma présence. Du côté d'Israël, lorsque j'ai parlé du droit des Palestiniens, tout le monde était prêt à m'acclamer en ayant simplement effacé de l'oreille ce qui venait d'être dit. Tandis que de l'autre côté palestinien, tout le monde était prêt à me blâmer sans avoir entendu quoi que ce soit mais simplement parce qu'étais là, parmi vous, c'est-à-dire au sein du peuple d'Israël.
- Un peu plus tard, les paroles ont retrouvé à la Knesset, - mais je vous l'ai dit, ce n'est pas la peine de recommencer exactement le même voyage avec le même itinéraire on va varier un peu les agréments - eh bien je dirais, au fond, la même chose. J'espère en tout cas que si j'ai à m'exprimer, et j'aurai l'occasion de le faire la semaine prochaine en Israël, j'essaierai de le dire autrement.
- J'étais très heureux d'être là-bas, j'y était allé l'année précédente et plusieurs autres années, mais cette fois, au titre de la formation politique que je dirigeais à l'époque, et j'avais pu vous rencontrer, monsieur le Président. Nous étions l'un et l'autre militants de causes politiques avant que vous ne deveniez l'arbitre impartial des compétitions israéliennes et que je prétende être, non pas doté de la même impartialité, mais chargé quand même d'intérêts généraux qui n'excluent aucun Français.
- Nous avons donc, ce jour là, pour la deuxième fois après le boycott, rompu une mauvaise tradition. Et j'ai beaucoup tenu à ce que nous ne puissions, en aucun cas, ressusciter le mauvais débat qui, d'un moment à l'autre, pouvait, avec nos peuples difficiles, évoquer les querelles d'autrefois.\
Vous êtes le bienvenu, monsieur le Président, quand vous êtes en France. Plus encore, naturellement, dans une maison France Israël. Et je suis très heureux de vous accueillir ce soir. Il était hors de question que je ne fusse pas parmi vous, vous êtes le chef d'un Etat ami.
- Que d'événements se sont produits depuis 1982 dans un monde en voie de construction, souvent déchiré, mais aussi plein d'espérance, de force, de vie ! En dix ans, que d'événements déterminants £ en particulier la guerre du Golfe, où l'on a vu la France au côté de ses alliés anglo-saxons, européens, arabes sur la terre du Moyen-Orient défendre le droit, c'est-à-dire tenter, cela fut fait, de restituer sa souveraineté à un Etat indépendant appartenant aux Nations unies. On ne pouvait accepter de la voir disparaître sous la seule ambition d'un dictateur, dont l'ambition serait allée bien au-delà, si on ne l'avait pas arrêté aussitôt.
- Israël, j'imagine, devait suivre ces événements avec une grande anxiété, car sa sécurité pouvait être atteinte par ce voisinage difficile. Nous nous sommes donc trouvés, spirituellement associés au succès des armes qui a permis, à cette région du monde, de respirer, du moins pour le moment jusqu'à ce que de nouvelles menaces viennent de nouveau poindre à l'horizon, toujours extrêmement troublé, de l'Iran jusqu'à vos voisins les plus proches.\
Entre temps, il y a eu bien des contentieux, bien des interprétations différentes, des disputes, et les débuts du processus de paix dont l'Europe, à mon sens, a été inopportunément écartée. Enfin, vous avez quand même le parrainage des Etats-Unis d'Amérique dont le rôle est immense et qui ont agi dans le bon sens, dans une démarche qui au total mérite l'approbation. Et puis vous avez aussi trouvé l'excellent parrainage de la Russie, héritière directe de l'Union soviétique et qui comme vous le savez avait été si protectrice à votre égard pendant les années précédentes. Enfin c'est la voie que vous avez préférée... L'Europe démocratique s'est trouvée éloignée, l'Europe plus récemment démocratisée est aujourd'hui garante du retour à la paix. Espérons qu'un jour l'Europe à laquelle nous appartenons, autrement que du bout des lèvres ou par un petit pas de la porte, pourra contribuer de son mieux à l'évolution des relations pacifiques entre le monde arabe et Israël toujours sur la même base : le droit à l'existence et aux moyens de l'existence, le respect du droit qui est consacré par les Nations unies.
- J'espère que la négociation engagée réussira.
- Vous connaissez comme moi l'extrême difficulté de l'entreprise. Mais moi je ne me résoudrai jamais de ces difficultés même si j'aurais préféré que le processus fût engagé d'une autre manière. Je me souviens d'avoir été l'un des rares responsables politiques en France à avoir approuvé l'accord de Camp David pour une raison toute simple : c'était un peu de paix à prendre entre l'Egypte et Israël. A l'époque, faire la fine bouche sur un événement de cette sorte me paraissait nuisible pour la France.
- Seulement vous avez d'autres problèmes très graves : nous aurons l'occasion d'en parler lorsque je serai en Israël et je compte bien approfondir ce sujet avec vous.\
Dans cette maison, multipliez - je vous en prie - les rencontres et multipliez les échanges. Vous l'avez bien dit, Israéliens, Français de toute sorte et de toute origine sont les bienvenus dans ces murs. Qu'ils apprennent à se connaître, qu'ils développent nos relations. On a tout à y gagner. Si nous, Français, nous souhaitons que le droit de vivre, le droit d'exister, le droit de disposer de soi-même puisse être reconnu à quiconque dispose d'une histoire et d'une réalité, au Moyen-Orient, au Proche-Orient comme ailleurs, il n'empêche que ce droit revient en premier rang à Israël. Nul parmi ceux d'entre nous qui avaient déjà à l'époque des responsabilités, n'a oublié l'immense événement de 1948 : l'exultation qui s'emparait des coeurs à la pensée qu'une terre était rendue à un peuple qui avait marqué son histoire et la nôtre au travers des quelques 3500 années qui précédaient. Années qui ont marqué notre imagination, forgé nos rêves, bâti notre culture et finalement proposé à cette région un peu de ce que représente la civilisation dont nous sommes nous-mêmes les acteurs.
- Qu'on puisse se retrouver en plein Paris, dans un quartier où l'on passe beaucoup, dans une maison bien conçue, où l'on peut même déjeuner, c'est très bien. J'y viendrai peut-être un jour et je vous demanderai la table et le couvert. Que cela soit le symbole d'une heureuse démarche toujours recommencée ! Que la France soit toujours considérée en Israël comme un pays ami, libre de ses choix, capable de discuter et même de refuser - mais ouvertement sans jamais changer sur le fond - c'est-à-dire rester proche de vous monsieur le Président et de vos concitoyens.
- Leur vie mérite la plus grande vigilance, le plus grand souci. Tant de malheurs accumulés, particulièrement au cours du dernier siècle, tant de souffrances subies, tant d'exodes qui se poursuivent, tant de foyers déchirés, tant de vies dispersées, tant de tombes et tant de morts sans sépulture ! Tout cela donne un sens tellement fort à nos relations que je voudrais qu'il n'y ait pas de doute, doute si complaisamment cultivé, en Israël notamment. Mais je souhaite qu'en France aussi l'on sache, lorsque les débats s'ouvrent, que sur les formes de la vie quotidienne, chacun suit son chemin et que pour toutes les grandes rencontres de l'histoire, nous resterons frères et amis. De cela vous devez être convaincus.\
Voilà pourquoi j'ai profité de cette circonstance pour vous le redire en me réjouissant de pouvoir dans quelques jours lorsque vous me recevrez au Jardin des Roses, recommencer le périple que j'ai souvent parcouru à titre privé. Je crois que ce sera la huitième fois que je viens dans votre pays. Et je peux vous dire dès maintenant, sans aucune précaution diplomatique à l'égard de quiconque, que je serai très heureux de me retrouver chez vous monsieur le Président. Et vous mesdames et messieurs nos visiteurs, j'espère que vous vous sentez bien chez nous à Paris dans cette maison qui se veut le lieu de rassemblement, un lieu de dialogues, un lieu d'échanges qui manquait cruellement à nos relations quotidiennes. Les relations diplomatiques, cela ne suffit pas £ les ambassadeurs, c'est très utile, avec eux on règle bien des choses, on ne règle pas toutes celles qu'il faudrait. Tandis que dans l'amitié vécue, le dialogue ouvert et permanent, que de solutions peuvent être découvertes !
- Merci monsieur le Président pour votre présence à Paris. Vous ne venez pas assez souvent nous voir, vous serez de nouveau invité. Nous connaissons votre autorité et le respect dont vous jouissez. Il en est de même pour votre gouvernement, pour vos gouvernements, - nous ne choisissons pas nos partenaires, c'est le peuple israëlien qui fait ce choix. Ce n'est aujourd'hui qu'une étape sur un long chemin. Que cette étape soit heureuse.\