16 octobre 1992 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, sur le traité de Maastricht et la répartition des compétences entre la CEE et les Etats membres, sur le soutien du franc contre la spéculation, sur le GATT et la situation de l'ex-Yougoslavie, Birmingham le 16 octobre 1992.

LE PRESIDENT.- Mesdames et messieurs nous venons de terminer le travail de ce Conseil européen extraordinaire, convoqué dans les conditions que vous savez par le président actuel de la Communauté, M. Major, et qui avait été demandé par plusieurs pays dont la France. Pas mal d'événements se sont passés depuis la signature du Traité de Maastricht, non seulement propres à la ratification elle-même mais aussi aux circonstances monétaires, à la politique internationale, aux débats sur le GATT, etc. Ils rendaient très utile cette prise de contact intermédiaire entre notre dernier sommet de Lisbonne et celui qui aura lieu bientôt à Edimbourg.
- Une résolution a été adoptée qui cherche à rendre plus clairs et concrets un certain nombre de principes, notamment celui de la subsidiarité. D'autres questions ont été examinées : la situation dans l'ancienne Yougoslavie, la guerre civile accompagnée de son cortège de famine et de misère en Somalie, enfin, l'Uruguay round ou si vous voulez le GATT, la conférence commerciale mondiale.
- QUESTION.- Monsieur le Président, je voudrais vous demander de commenter cette résolution. Vous avez dit qu'elle cherche à rendre plus clairs et plus concrets un certain nombre de principes dont celui de la subsidiarité. Est-ce que l'expression "cherche à rendre plus clair" cela veut dire qu'elle n'y parvient pas à votre avis ?
- LE PRESIDENT.- Nous ne sommes pas ici dans une assemblée de juristes qui cherchent absolument à découvrir la petite bête. Non pas du tout, pardonnez-moi l'expression si elle vous a égaré. Ce qui est vrai c'est que le débat s'est ouvert aussi bien dans les pays où il y a eu référendum, comme le Danemark, la France, l'Irlande, et ceux dont les parlements débattent de ce traité. C'est la question, la première, qui vient à l'esprit. Cela ne voulait dire que cela et je crois que le texte qui vient d'être adopté est de ce point de vue un bon texte. Il clarifie ce débat.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je ne voudrais pas être mal élevée à votre égard, je ne voudrais pas vous choquer. C'est votre première sortie à l'étranger depuis votre opération, vous savez qu'on a raconté beaucoup de choses, dites-nous simplement comment vous sentez-vous. Dites-nous comment ça va ?
- LE PRESIDENT.- C'est ma première sortie à l'étranger, est-ce bien sûr ? Oui je pense. Mais il n'y a pas eu de conférence à l'étranger depuis quatre semaines, dont je n'ai pas eu l'occasion de me rendre à des conférences qui n'avaient pas lieu.
- Un rendez-vous s'est montré à l'horizon, c'était celui-ci, il y en aura un autre demain, de nature très triste puisque je serai présent à Berlin pour les obsèques de l'ancien chancelier Willy Brandt. Si cette conférence avait eu lieu il y a quinze jours ou trois semaines je me serais sans doute fait remplacer. C'est ce qui est arrivé pour le Sommet franco-africain de Libreville où M. Bérégovoy a fort bien représenté la France. Ce qui prouve que personne n'est indispensable. Pour le reste de ma santé, je suis dans la situation de toute personne qui a subi une opération assez sérieuse et qui dans un cas normal devrait, parait-il, disposer d'un certain nombre de mois ou de semaines de repos. Disons que ce repos est quelque fois troublé par les événements qu'imposent mes fonctions. Mais ce n'est pas dramatique, je le supporte, la preuve c'est que je suis très content de me trouver avec vous cet après-midi.
- QUESTION.- Monsieur le Président, êtes-vous au courant des rumeurs folles qui ont circulé au sujet de votre état de santé cet après-midi ?
- LE PRESIDENT.- On m'a dit cela tout à l'heure. J'ai pensé que cela ne pouvait pas être un journaliste qui lance une telle information sans l'avoir vérifiée !
- Je ne sais pas qui a lancé cette information, je l'ai apprise comme vous. J'étais avec les autres représentants des pays de la Communauté. Vous savez les rumeurs, c'est pire que les papillons... pour arriver à les attraper, ou bien le sel sur la queue des oiseaux, on a tous essayé on n'a guère réussi, alors laissez-les courir !\
QUESTION.- A l'extérieur du bâtiment, il y avait aujourd'hui des manifestants, des mineurs en particulier qui attiraient l'attention sur le problème du chômage. Est-ce que vous n'avez pas le sentiment que dans la réponse que vous essayez de donner au doute qui s'est répandu en Europe, en se concentrant sur les problèmes de la transparence ou de la subsidiarité, vous passez à côté de cet autre problème qui n'a pas été tellement abordé aujourd'hui visiblement dans les discussions ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'était pas à l'ordre du jour du Conseil européen et ce n'est pas moi qui fixe cet ordre du jour. Il y a tous les six mois une nouvelle présidence selon un ordre alphabétique. J'ai présidé deux fois et la troisième serait encore assez lointaine et reste très incertaine. Pour l'instant, il faut poser cette question au Premier ministre britannique qui serait d'ailleurs très intéressé, puisqu'il s'agit de manifestations dans son propre pays.\
QUESTION.- Monsieur le Président, comment interprétez-vous la déclaration adoptée sur le GATT. Que se passera-t-il si dans les jours ou les semaines à venir la Commission mène à son terme ces négociations avec un accord qui ne vous donne pas satisfaction ?
- LE PRESIDENT.- Il faudra qu'il me donne satisfaction, sans quoi il n'y aura pas d'accord. Le texte dont vous me parlez, je l'ai là. Il a subi d'ailleurs, à ma demande, deux modifications qu'on pourrait croire de forme. Il comporte deux paragraphes. Dans le premier paragraphe, on rappelait qu'il importait d'aboutir à "un accord fructueux, rapidement, dans le cadre du GATT". J'ai demandé qu'on ajoutât "juste et fructueux". D'ailleurs il ne sera fructueux que s'il est juste.
- Juste, cela veut dire qu'il convient que les concessions ou les sacrifices acceptés soient égaux ou comparables de part et d'autre. Sur le deuxième paragraphe, il me semble qu'il y avait une inversion des valeurs car il était dit : "le Conseil européen a invité la Commission à poursuivre ses travaux pour aboutir rapidement à un réglement de la question des graines oléagineuses et dans le cadre de son mandat actuel un accord GATT global et équilibré d'ici la fin de l'année".
- J'ai demandé une inversion des termes pour faire ressortir ce qui était important (je ne dirai pas mettre de côté ce qui était négligeable, car rien n'est négligeable), pour qu'on sache bien de quoi on parle. J'ai demandé, et cela a été accepté sans difficulté, que le texte fut ainsi rédigé : "le Conseil européen a invité la Commission à poursuivre ses travaux dans le cadre de son mandat actuel". C'est là qu'intervient cette apparente incidente, alors que vous voyez tout de suite à quel point ce n'est pas une incidente. Ce "mandat actuel" est fixé par les pays européens, dont la France, pour aboutir rapidement. La question des graines oléagineuses, c'est très important, mais enfin, l'accord sur le GATT c'est quand même plus important, plus général, global, et équilibré que le seul règlement de la question des graines oléagineuses.
- Ceci étant remis en ordre, ce texte convenait à la France. Car, d'une façon générale, nous pensons qu'il serait bon d'aboutir à un accord sur le GATT si toutefois les demandes qui nous étaient faites étaient raisonnables, acceptables, justes, équilibrées, puisque ce serait un moyen de relancer les échanges mondiaux. En soi, c'est une hypothèse acceptable pour tous. Mais ce qui compte essentiellement, c'est le contenu de cet accord. Et le contenu de cet accord tel qu'il s'est dessiné ne peut pas convenir à la France et sans doute à quelques autres. Il n'est pas suffisamment équilibré, il ne traite pas de l'ensemble des sujets qui doivent l'être, et d'autre part il reste encore à accomplir un certain nombre de concessions qui rendraient l'accord international raisonnable.\
Donc, pour l'instant, M. Major et la délégation britannique qu'il présidait et qui avait soumis ce texte ont accepté de le remanier suffisamment pour faire comprendre que si la négociation continuait, seul le mandat actuel consenti à la Commission pouvait s'exercer, et que dès qu'il s'agirait d'en sortir, si jamais cela vient à l'esprit de quelqu'un, alors la Communauté devrait être consultée de nouveau et la France aurait droit à la parole. Voilà ce que cela veut dire.
- QUESTION.- Monsieur le Président, tenant compte de ce que vous venez de dire, est-ce que vous pensez encore possible, imaginable, que cette négociation puisse aboutir d'ici le 3 novembre ?
- LE PRESIDENT.- Je ne veux pas faire de pronostic. Je lis ce que vous écrivez généralement et je ne pense pas que ce serait votre conclusion si vous aviez à écrire l'article de cette semaine !\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que vous n'avez pas l'impression que le contexte de grave crise économique actuelle rend plus difficile cette entreprise d'explication du traité de Maastricht. Et est-ce que parler de subsidiarité dans ce contexte ne risque pas d'apparaître un peu dérisoire ?
- LE PRESIDENT.- On ne peut pas appeler dérisoire un problème majeur pour le devenir de douze pays et sans doute demain de quinze ou seize. Quand je dis demain, je veux dire 1993. Comment appeler dérisoire la manière dont nous abordons la répartition des compétences et les responsabilités au sein de la Communauté. Ce qui revient aux institutions communautaires : Conseil européen, Parlement, Commission, Cour de justice notamment, ce qui revient aux Etats, ce qui revient aux régions, ce qui revient aux collectivités territoriales jusqu'à la commune. Pourquoi la Communauté traiterait-elle, lorsque ce n'est pas indispensable, les questions qui intéressent la vie d'une commune, fut-elle très importante. Pourquoi le ferait-elle ? Vous savez fort bien le débat qui s'est ouvert entre la Communauté, les institutions de la communauté et les Etats et les peuples. On l'a bien vu lors des récents débats de notre propre référendum. Donc ce ne peut pas être dérisoire, c'est capital, c'est déterminant.
- Une Communauté qui sera bientôt de 350 à 360 millions d'habitants se trouve dans la nécessité de fixer ses règles de vie quotidienne, de vie commune. Cela touche aux libertés, à la proximité, ce qui intéresse les gens de très près, ou ce qui leur passe, au contraire, par-dessus la tête, les débats juridiques, les accords internationaux. Il faut quand même bien fixer cette règle, elle ne l'était pas. Si l'on en était resté aux accords, très heureux, mais insuffisants inclus dans l'Acte unique de Luxembourg que j'avais signé en 1985 et qui a été ratifié par notre Parlement en 1986, nous nous trouverions démunis dès le 1er janvier 1993 de toute règle de vie commune, y compris à nos frontières qui auraient été absolument ouvertes à tout et à n'importe quoi. Je pense notamment à l'internationale du crime ou de la drogue. Maastricht a apporté à cet égard de très réels progrès dont celui qu'on appelle la subsidiarité, c'est-à-dire la répartition des compétences.
- Donc ce n'est pas dérisoire. Le problème du chômage qui anime les mineurs de Grande-Bretagne et qui nous vaut les protestations que nous avons entendues est un problème également capital. Mais si nous sommes capables au sein de la Communauté de redresser l'économie, de la relancer et de parvenir, comme on peut l'espérer, comme on doit l'espérer à une situation en progrès par rapport à aujourd'hui, la situation des travailleurs s'en trouverait également modifiée. Je crois que les choses se tiennent. On peut naturellement toujours trouver que ce qui est important c'est ce dont on n'a pas parlé, mais il faut quelque fois aussi considérer qu'on peut parler de choses importantes. C'était le cas aujourd'hui à Birmingham.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que nos partenaires européens ont commenté la réponse au référendum français et est-ce que vous-même avez donné des explications ou votre point de vue sur l'attitude des Français ?
- LE PRESIDENT.- Non, on n'a posé aucune question. Au début de mon exposé ce matin, j'ai donné la signification, telle que je la comprends, de l'acceptation du peuple français, en faisant valoir précisément les difficultés qui tiennent sans toute à un manque d'information et de qualité éducative dans la manière d'expliquer ce qui se passe en Europe. Mais j'ai fait remarquer aussi, avec plaisir, que la démocratie c'était la démocratie et que de ce point de vue la France a apporté le témoignage que son peuple, dans sa majorité, était favorable à la construction de l'Europe. Mais ça, ils l'avaient déjà remarqué.\
QUESTION.- Est-ce que ce sommet était vraiment utile ou est-ce qu'il a été simplement convoqué pour aider M. Major à sortir de ses difficultés actuelles ?
- LE PRESIDENT.- La question consiste bien à dire : est-ce que ce sommet était utile ou était-il simplement commandé par le souci de donner un coup de main à M. Major ? C'est une question de politique intérieure là.. Ce n'est pas vraiment de mon ressort. Moi, je crois que c'était bien utile et comme il y a eu une bourrasque monétaire dont vous avez gardé le souvenir et que bien d'autres choses se sont greffées là-dessus, il n'était pas mauvais que les membres du Conseil européen puissent se rencontrer, se retrouver, ne pas laisser un trop long espace de temps sans se voir. Edimbourg c'est quand même en décembre. Donc je pense que c'était très utile. Et dire, mais ça c'est vous qui le dites, que c'était prêter un coup de main à M. Major, pas forcément, parce que l'opinion britannique est assez divisée, semble-t-il, sur ce sujet. Peut-être que cela l'accable aussi que d'avoir là l'assistance, pour la construction de la Communauté, de tous les autres pays de cette Communauté, qui ont l'intention de réussir le Traité de Maastricht. Donc ce serait une interprétation abusive. C'est la Grande-Bretagne qui préside la Communauté, elle nous convoque, on vient chez elle. Et il est assez habituel que des sommets dits intermédiaires entre les dates fixées aient lieu, ce n'est pas la première fois. J'ai eu l'occasion de le faire moi-même lorsque je présidais, au nom de la France, lorsque s'est produite l'unité allemande. Ce n'était pas un problème de politique intérieure français. Pas davantage, je pense, cette fois-ci.\
QUESTION.- Monsieur le Président, a-t-il été question de façon précise d'une volonté de réforme du système monétaire européen, après tout à l'origine, c'était le souci de John Major et quel jugement portez-vous sur le soutien du deutsche mark à la monnaie nationale, est-ce que c'est un acte politique, est-ce que c'est le début comme certains le prétendent d'une Europe à deux vitesses ?
- LE PRESIDENT.- Premier point, il n'en a guère été question, et c'est vrai qu'au moment où ce sommet a été fixé, on pouvait penser que ce serait un sujet dominant. Voyez ça va vite, les nouvelles s'entrechoquent, voyez-donc cet après-midi, qu'est-ce que vous n'avez pas appris à mon propos ? Je suis donc un homme à résurrection rapide !
- Bon, eh bien, de même, pour ce qui concerne le débat monétaire, vous aviez raison, c'était un problème capital. Aujourd'hui, il semble dépassé. Il ne l'est pas dans le fond, mais il n'a pas du tout occupé les débats de cette journée. Alors, ensuite, vous passez à un autre sujet, vous parlez des rapports franco-allemands et du soutien de l'Allemagne à la France, mais vous en avez parlé dans des termes que moi je n'accepte pas. Lorsque j'ai rencontré le Chancelier Kohl à Paris, je lui ai dit : "mais qu'est-ce qui pourrait justifier en dehors de la spéculation internationale qui cherche à faire feu de tout bois, qu'est-ce qui pourrait justifier un mouvement ou un ajustement de la monnaie française ? Qu'est-ce qui pourrait le justifier ?" Bon, il y a des monstres dévorants, des centaines de milliards de dollars qui se promènent partout qui n'appartiennent à personne ou à tout le monde, et qui sont beaucoup plus puissants, semble-t-il, que les Etats ou que certains Etats, ou que les institutions internationales, ce qui prouve l'extrême danger que représentent pour la société, ces forces anonymes qui incarnent, qui représentent le capitalisme international, et qui soudain disposent du sort de la lire, de la peseta, de l'escudos, de la couronne danoise et en effet, pourquoi pas des autres ?
- Il y a une façon de comprendre l'organisation de notre société (on ne parle pas de la France, on parle d'ensemble) qui me parait inacceptable. Certes, si un pays se trouve dans la situation de faiblesse qui permet à la spéculation, aux jeux de l'argent d'imposer leur loi, ce n'est pas très juste mais c'est aussi une sanction qui dans le système libéral qui domine dans le monde peut venir frapper tel ou tel. Mais pour un pays comme la France dont tous les paramètres sont raisonnablement tenus, certains paramètres économiques sont même les meilleurs en Europe occidentale, au nom de quoi notre monnaie devrait-elle être sanctionnée pour la gestion sage et réussie du gouvernement français ? Il se trouve que ces paramètres sont meilleurs aujourd'hui en France que chez nos voisins y compris allemands. Pourquoi y aurait-il alors un mouvement sur la parité entre le mark et le franc ? Ce serait d'une grande injustice, ce serait purement spéculatif, ça ne correspondrait à rien. En aucune circonstance, la France ne dévaluera. Il n'y a donc pas à compter sur elle pour faire mouvement au sein du Système Monétaire Européen. Les décisions à prendre n'étaient pas toutes loin de là d'ordre politique, beaucoup devraient être prises par les institutions financières ou par les banques centrales. Il n'y a pas eu de négociations à avoir entre l'Allemagne et la France pour constater que le maintien de la parité s'imposait. Le Chancelier Kohl et moi avons laissé les gouverneurs de nos banques le dire, ils l'ont bien dit et naturellement, l'annonce que cette parité serait maintenue enlevait tout intérêt à la poursuite de la spéculation.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce qu'un éventuel accord au GATT devrait obtenir l'approbation du Parlement français ?
- LE PRESIDENT.- Eh bien, ce n'est pas inscrit dans les textes, mais les décisions très importantes de la Communauté devront à l'avenir être connues des parlements nationaux qui devront être conviés à donner également leur avis. Donc, Maastricht n'est pas encore en application mais on pourrait très bien imaginer une situation dans laquelle nous précéderions la ratification de Maastricht pour agir selon les indications de Maastricht.\
QUESTION.- Est-ce que je pourrais vous poser une question sur la Yougoslavie ou l'ex-Yougoslavie ? On en a parlé je crois aujourd'hui pendant le Sommet, il y a deux parties dans cette question : premièrement, aujourd'hui j'ai entendu que votre commandant français à Sarajevo s'est plaint d'un blocus de la route entre l'aéroport et Sarajevo par des troupes musulmanes bosniaques et c'est un développement nouveau qui semble indiquer que cette situation n'est pas aussi simple qu'on pouvait le croire jusqu'à présent. Est-ce que la France croit que la reconnaissance par la Communauté européenne de l'indépendance d'abord de la Croatie et ensuite de la Bosnie aurait pu être trop prématurée et aurait pu être imposée à la Communauté par les Allemands, est-ce que vous pensez maintenant que ça a pu être une erreur, pensez-vous qu'on pourrait pour ainsi dire "déreconnaître" la Bosnie si les deux parties, les Croates et les Serbes arrivaient à conclure la paix et que les musulmans voulaient eux continuer à se battre ?
- LE PRESIDENT.- D'abord vous dites que la situation là-bas pourrait être en fait "simple", elle mettra du temps à le redevenir. Je ne sais pas si vous avez tous vu les cartes de la Yougoslavie qui ont été mises au point par le ministère français des affaires étrangères ou l'on voit l'implantation de toutes les populations, les origines ethniques, religieuses. On voit bien que ce problème occupe l'Europe depuis plusieurs siècles et qu'il n'y a pas de raisons de penser qu'il cessera de l'occuper au cours des années prochaines, à moins que ces pays aient la sagesse de trouver entre eux les équilibres qui conviennent. J'ai déjà dit souvent que je pensais que la priorité était de définir quelques principes de droit international pour reconnaître en particulier les droits des minorités qui se sentant protégées auraient peut-être été moins pressées de prendre les armes estimant leur existance menacée et d'ailleurs cette existence aurait peut-être été moins menacée. Mais les choses étant ce qu'elles sont, je pense que la Communauté agit comme elle le doit. La reconnaissance de ces Républiques était devenue logique dès lors que c'étaient les peuples eux-mêmes qui en exprimaient le désir et que le droit à l'autodétermination fait partie des grands principes sur lesquels fonctionnent aujourd'hui notre société universelle.
- La seule route qui mène à Sarajevo est coupée par les Bosniaques dites-vous, elle est coupée non pas de jour en jour mais de semaine en semaine par les uns ou par les autres, c'est ça l'état de guerre. C'est évidemment insupportable, il faut s'attaquer au fond du problème, c'est ce qu'on essaie de faire et pour l'instant comme il s'agit de se placer sur un plan humanitaire indépendamment du fond du débat qui reste posé, qui est très difficile à résoudre, il faut assurer des zones d'accueil, de protection, de sauvegarde. C'est ce qui a été décidé en particulier des zones dans lesquelles pourront être protégés les milliers et les milliers de gens qui voudront s'y réfugier. Je désapprouve tous ceux qui coupent ces routes quels qu'ils soient mais ce n'est pas cette désapprobation qui suffira à apaiser les passions contradictoires. Donc, je n'entends pas trancher avec vous le problème de l'ancienne Yougoslavie maintenant.\
QUESTION.- Monsieur le Président, ce sommet de Birmingham modifie-t-il l'esprit de Maastricht ou lui apporte-t-il un autre esprit ? est-ce que ça le complète ou est-ce que ça le rectifie ?
- LE PRESIDENT.- Ca le complète, je me suis senti très à l'aise tout le long de ces débats dans la conviction que j'ai que l'accord de Maastricht est un bon traité, mais comme tout bon traité discuté par douze pays, rédigé dans des langues différentes, avec traduction diplomatique et technocratique, vous savez, ça donne finalement matière à un langage nouveau que certains appelaient autrefois du sabir ! Alors ce n'est pas commode de s'y reconnaître donc tout effort de clarification y compris dans les termes c'est bien et c'est ce qui a été fait aujourd'hui.
- QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez dit tout à l'heure que c'était une prise de contact importante que ce sommet. Si vous aviez à résumer cette importance, que diriez-vous ?
- LE PRESIDENT.- Je dirais que l'effort de clarification me paraît réussi. Il doit y avoir des désirs de clarification un peu souterrains, je ne prétendrai pas qu'ils ont été entièrement satisfaits, le Danemark aurait sans doute aimé pouvoir revenir en disant : "finalement, nous adopterons, nous obtiendrons satisfaction sur tous les points que nous avons cités dans notre livre blanc donc on ne va peut-être pas renégocier Maastricht mais ce sera comme si". Initialement la Grande-Bretagne avait des observations à faire mais M. Major les avait déjà exposées à Maastricht et finalement un compromis s'était établi et il n'est pas revenu sur ce compromis, il continue de défendre le Traité tel qu'il est. Quant à ce qui a été adopté aujourd'hui, indépendamment de l'intérêt de la rencontre en soi, des conversations qui ont lieu en séance en plus des textes adoptés, je pense que c'est un progrès qui va dans le sens de la ratification du traité qui sera confirmée dans dix pays sur douze dans les semaines qui viennent. J'ai l'impression que le gouvernement britannique n'entend pas trainer les pieds au-delà des délais qui avaient été prévus dans le traité lui-même. Donc, je pense que ces assurances, du moins, je les ai ressenties comme telles, donnent à cette journée une tonalité positive. Naturellement, le débat de fond continuera.\