1 juin 1992 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur les relations franco-sénégalaises et l'oeuvre du président Abdou Diouf en Afrique, Paris le 1er juin 1992.

Monsieur le Président,
- Madame,
- Pour tous les Français qui vous accueillent ce soir, c'est une vraie joie que de vous exprimer l'estime et l'amitié que nous portons, avec l'ensemble de nos compatriotes au Sénégal, à son Président, à son peuple.
- Que de souvenirs depuis les longues années où nous avons été conduits à travailler ensemble sur tant de dossiers qui touchent à la fois aux relations de nos deux pays et aux affaires du monde. Je me souviens en particulier de la visite que j'ai faite dans votre pays, il y a dix ans. Je me souviens aussi, toujours avec chaleur, de l'accueil de Dakar. Aujourd'hui votre visite d'Etat en France, après celle de 1985 est un nouveau symbole de l'amitié entre le Sénégal et la France, amitié enracinée dans trois siècles d'histoire. Je pense, madame, et vous, monsieur le Président, que votre présence marque une fois de plus si fortement l'entente au-delà de nos propres pays, entre l'Afrique et l'Europe, à un moment où nos deux continents, les hommes d'Etat, les responsables, cherchent la raison d'être et surtout le moyen de nouvelles solidarités. C'est un symbole même qui marque à quel point il nous incombe de préparer notre avenir et de garantir partout où nous le pouvons la paix.\
Dans un contexte souvent difficile, vous-même monsieur le Président, particulièrement sur le plan économique, vous avez su former autour de votre personne et de votre autorité une large union, venue de différents horizons politiques, les principaux, pour donner au Sénégal toutes ses chances.
- Depuis plus de onze ans, après avoir été également onze ans chef du gouvernement - ce qui veut dire que depuis longtemps vous vous appliquez à servir votre pays - vous avez eu l'ambition rigoureuse de donner à tous les Sénégalais l'ouverture sur la modernité, sans renoncer à des traditions qui ont forgé leur identité et qui continuent d'être pour vous-même comme une marque incomparable. Vous avez en cela partagé le souci de votre prédécesseur, le président Senghor, qui n'a pu venir se joindre à nous ce soir en raison de son état de santé mais cela sera vite surmonté. Le président Senghor s'était exprimé à l'époque dans la perfection de notre langue française et continue de témoigner chaque fois que nous nous réunissons pour la francophonie.
- C'est avec courage, monsieur le président, que vous vous êtes attaché à promouvoir la paix civile. Vous avez également préservé et même étendu la démocratie de façon exemplaire - le mot exemplaire est tout à fait juste lorsqu'on parle du Sénégal dans un continent qui connaît encore beaucoup de troubles et d'incertitudes - vous avez privilégié les facteurs d'unité sur les germes de division, vous vous êtes attaché au dialogue et vous avez accepté la richesse des différences sans laquelle il n'est pas de démocratie qui vaille.
- Dans le contexte régional, votre action a été empreinte d'une grande sagesse. Ayant tout de suite mesuré la gravité et les conséquences possibles des affrontements du printemps de 1989 de part et d'autre du fleuve Sénégal, vous avez su reprendre le dialogue avec vos frères mauritaniens et rétablir les relations entre Dakar et Nouakchott.
- Et je me réjouis d'avoir pu être associé par vous de très près à l'ensemble des négociations qui continuent aujourd'hui et dont j'attends qu'elles réussissent. Nous y avions, il n'y a pas si longtemps lorsque vous étiez de passage à Paris, tenu une conversation à trois qui a permis de dépasser les événements souvent tragiques qui s'étaient déroulés dans la période précédente.
- Prenant conscience des solidarités qui s'imposent entre les pays de l'Afrique de l'Ouest, vous êtes l'un des plus actifs artisans de l'organisation du continent africain. Avec vos pairs de l'Union monétaire ouest-africaine et de la Communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest, vous recherchez les moyens de mettre sur pied un système d'économie régionale intégrée, qui permettra à vos populations de connaître un développement plus harmonieux et à vos Etats une plus sûre efficacité dans leur gestion. Vous avez également proposé de développer, toujours dans votre région, des contacts politiques qui après tout pourraient se traduire par la création d'un Parlement ouest-africain. Ainsi le Sénégal contribue-t-il à créer non seulement un état de paix et de liberté chez lui, mais aussi à donner au continent auquel il appartient les valeurs sans lesquelles il ne pourra pas s'épanouir.\
Je vous ai connu également président de l'Organisation de l'Unité africaine. Cela a été l'un des moments où cette organisation a pu et su surmonter de grandes difficultés. Vous étiez confronté aux plus graves conflits. L'apartheid ne semblait pas devoir un jour s'achever, mais vous avez réussi aussi bien par vos voyages aux Etats-Unis d'Amérique, à Paris et dans plusieurs capitales d'Europe, par votre action incessante dans toutes les capitales d'Afrique - je m'étais demandé comment vous parveniez à réaliser tant de travail en si peu de temps - à convaincre suffisamment pour préparer les voix de l'apaisement que nous constatons aujourd'hui.
- Vous-même et votre pays, vous avez su montrer que vocation et rayonnement dépassaient de beaucoup la puissance matérielle. Nombreux sont celles et ceux qui autour de ces tables connaissent le Sénégal et particulièrement Dakar, cette capitale si admirablement située et qui symbolise elle aussi le rôle mondial, que sous votre impulsion, le Sénégal est appelé à jouer.\
Mais, parlons aussi de la francophonie. Votre pays a fait sien ce mot d'un chef d'Etat de ce siècle qui disait que la langue française exerçait "la magistrature de l'universel". Comme nous aimerions que cela fût toujours vrai ! En tout cas, nous y travaillons et vous nous y aidez. Et vous tenez une place inestimable pour le développement de cette culture. Où mieux que chez vous peut-on en prendre conscience ? Vous venez précisément d'offrir à la jeunesse africaine une seconde université à Saint-Louis. Dakar a ouvert ses portes au sommet de la francophonie en 1989. C'est là que j'ai pu annoncer un certain nombre de mesures prises par la France et qui ont été heureusement contagieuses, sans l'être autant que nous aurions voulu : les moratoires, les réductions et même les renoncements aux créances des pays industriels. Mais en même temps, puisque là nous parlons de la francophonie, il est important de noter que Dakar est aussi une capitale des ondes ayant l'usage du français.
- Votre triple ambition d'éducation, d'échange et de culture inspire une façon d'être, et même une diplomatie. Vous défendez le respect du droit, les valeurs de la paix, du progrès et de la dignité. Vous menez cette action avec ardeur et conviction alors qu'il est si difficile de marquer sa détermination sans faille dans un monde d'affrontements où pays riches et pays pauvres n'ont pas encore compris - je pense surtout aux pays riches - que pour le bien de tous ils avaient à apprendre à partager.
- Votre pays, le Sénégal dispose d'une grande autorité, pour beaucoup grâce à vous, comme à son précédent président prestigieux. Voilà une bonne suite des choses. Que d'un pays souvent dédaigné par le climat, confronté à des rigueurs naturelles que l'on ne retrouve que dans les pays pauvres, vous ayez su faire ce qu'il est : cela nous vaut l'honneur et la joie de vous compter parmi nous pour vous dire que nous observons avec beaucoup d'admiration le travail accompli.
- Vous pratiquez une double culture mais après tout c'est cela la francophonie. Elle n'est pas faite pour effacer la culture des pays d'origines différentes et qui ont été conduits à apprendre le français, à le pratiquer, souvent à l'employer comme une langue véhiculaire. La langue française s'enrichit chaque jour de vos apports. Mais on le constate lorsque nous réunissons le haut conseil, tout cela représente une très forte richesse de créations, d'initiatives, d'expressions et comme vous êtes l'un de ceux qui représente le plus fermement cette orientation, je pense que vous êtes en même temps l'un des hommes le plus à même de faire comprendre à l'humanité ce qui est à la fois différent et semblable et qui devrait conduire les hommes de la terre entière à se parler, à dialoguer, plutôt qu'à se combattre.\
Artisan de la rencontre et de la compréhension entre les civilisations, entre le Nord et le Sud de notre planète, vous mesurez tout ce que signifie la solidarité entre nos deux pays. En relisant notre histoire commune, les jeunes générations apprendront comment jadis, lorsque l'indépendance de la France a été menacée, les Africains et notamment les Sénégalais se sont portés à son aide par milliers et comment Sénégalais et Français se sont battus au coude à coude pour que le monde reste libre. C'est pourquoi la France à son tour, ne peut rester indifférente lorsque la liberté de ses amis est mise en cause et lorsque ceux-ci font appel à elle.
- Nous avons beaucoup discuté dans des conférences où nous nous sommes retrouvés, et particulièrement à Dakar, pour savoir comment définir avant La Baule, les chemins qui mèneraient à la démocratie dans un continent où l'on avait à se former à ces nouvelles disciplines. On constate de réels progrès. On mesure encore d'immenses difficultés. Chaque fois qu'il s'agit de les traiter, on se retourne vers les amis et vers l'ami que vous êtes, et nous en recevons le conseil.\
Madame, vous nous faites aussi un grand plaisir en étant venue accompagner votre mari pendant ce voyage d'Etat et à cette réception. Nous avons l'honneur de vous connaître depuis longtemps, de connaître même un peu votre famille. Et j'ai appris cet après-midi avec je dois dire un peu de curiosité et de vanité que ces deux Sénégalais, celui qui est à ma droite et celle qui se trouve à ma gauche, s'étaient connus à Paris et que c'était là qu'ils avaient conçu qu'il était possible de vivre leur vie ensemble. Je suppose que vous devez vous retrouver ce soir dans ce Palais de la République et dans cette ville que vous connaissez comme nous, avec comme une sorte de note personnelle d'émotion que nous aimerions bien voir éclairée par la façon dont le peuple français va vous recevoir, dont il vous reçoit déjà avec affection. Nous-mêmes ici, les membres du gouvernement et les personnalités qui se sont jointes à nous vous disent la même chose : honneur, bonheur, santé pour vous-mêmes, pour ceux que vous aimez, pour votre peuple. Adressons-nous surtout à votre peuple dont vous êtes les dignes représentants, souhaitons lui une longue vie, heureuse vie et souhaitons-nous mesdames et messieurs une amitié solide, capable de franchir la distance des temps en montrant de quelle manière il a été possible d'unir un pays comme le vôtre, un pays comme le mien, modèle je crois de relations internationales, dans le respect mutuel pour une société qui en a bien besoin.
- Je vais lever mon verre en votre honneur, à votre santé en vous disant les mots qui vous seront très chers,
- Vive la France,
- Vive le Sénégal.\