1 mai 1992 - Seul le prononcé fait foi
Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée à Europe 1 le 1er mai 1992, sur la ratification du traité de Maastricht, la révision de la constitution, l'émergence de l'Europe sociale et l'emploi.
QUESTION.- Bonjour, je suis effectivement avec M. François Mitterrand. Monsieur le Président de la Répubique, je vous remercie de recevoir ce matin Europe 1, ici, chez vous, à l'Elysée, le 1er mai. Moi, je pensais qu'un Président de la République ne travaillait jamais le 1er mai.
- LE PRESIDENT.- Je travaille à peu près tous les jours £ je ne prends pas beaucoup de vacances £ chaque année le temps du repos nécessaire et d'autant plus que j'aime travailler et accomplir la mission pour laquelle j'ai été élu. Donc, pour moi, cela ne représente aucune peine, je dirai presque au contraire, de me trouver avec vous ce matin.
- QUESTION.- Le 1er mai, dans tous les pays, les travailleurs, comme on disait, défilent ou se souviennent du temps où ils défilaient, mais vous si vous pouviez militer, vous revendiqueriez contre qui ?
- LE PRESIDENT.- C'est tout à fait une question judicieuse. J'ai ma façon de revendiquer, c'est de m'efforcer de transformer les lois et les moeurs lorsqu'elles me paraissent nuisibles à l'ensemble des travailleurs.
- QUESTION.- Mais pour les chômeurs qui pourraient bientôt être trois millions, monsieur Mitterrand, est-ce qu'il y a aujourd'hui d'autres perspectives ou d'autres espoirs qu'un brin de muguet à offrir ?
- LE PRESIDENT.- Le chômage s'est installé à partir de 1974, il a constamment augmenté pour atteindre non pas les trois millions, mais pas loin, de telle sorte qu'on a le droit de s'interroger sur cette perspective. Je pense qu'elle sera évitée, je pense même qu'il y aura une décrue, mais tout cela est de l'ordre de la supposition. On se bat pour que le chômage baisse en France et nous avons quelque espoir d'y réussir.
- QUESTION.- Mais vous pourrez éviter les trois millions de chômeurs avant de quitter ce Palais ?
- LE PRESIDENT.- Eh bien, je le crois vraiment. La façon dont je vois travailler le gouvernement, comme celle dont j'ai vu travailler le gouvernement précédent me laisse absolument bon espoir, je dirai plus la certitude qu'on devrait y parvenir.
- QUESTION.- Si les Européens, monsieur Mitterrand, se retrouvaient pour fêter l'Europe, je pense qu'ils ne manqueraient pas de dates pour célébrer la monnaie unique, le grand marché, etc. tellement de choses, mais le 1er mai ne serait probablement pas retenu, parce qu'il n'y a pas encore d'Europe sociale...
- LE PRESIDENT.- Vous savez que quand le 1er mai a été décidé, il n'y avait pas du tout d'Europe sociale.
- QUESTION.- Evidemment.
- LE PRESIDENT.- ... il a été décidé par le congrès de l'Internationale socialiste en 1889. Déjà en 1884, on avait décidé, je crois que c'était à Chicago, de se battre pour la journée de huit heures de travail, cinq ans après, on a donc décidé de célébrer le 1er mai. Cela n'est devenu, je crois, une fête officielle en France, avec jour férié, qu'à partir de 1947, mais constamment il a fallu se battre pour obtenir les droits les plus légitimes. Vous savez, aucun droit social n'a été atteint d'emblée. Il a toujours fallu se battre de diverses manières, aujourd'hui, c'est quand même plus heureux, d'une manière légale et dans le cadre des institutions, mais cela a été un combat extrêmement difficile.\
Alors, aujourd'hui on peut dire que c'est un peu dispersé, beaucoup de pays n'y ont pas pris part, mais l'Europe sociale a commencé de naître. J'ai demandé moi-même à ce qu'elle pût exister dès 1981 lorsque je me suis trouvé à mon premier Conseil européen, c'était à Luxembourg, et j'ai souvent vu que j'irritais certains partenaires et j'en ai fait sourire, cela paraissait une idée dérisoire. Je me souviens qu'un seul chef de délégation, à l'époque le chef du gouvernement danois, m'avait soutenu, tous les autres avaient trouvé cette idée absurde et dangereuse. Eh bien, quand même, en 1989, j'ai pu obtenir, alors que je présidais le Conseil européen qui se tenait à Strasbourg, la reconnaissance d'une charte sociale et le traité d'aujourd'hui, le traité de Maastricht, comporte beaucoup de mesures sociales extrêmement intéressantes, je suppose qu'on en reparlera.
- QUESTION.- Oui, mais reconnaissez qu'on parle plus facilement d'autre chose, de monnaie, de politique étrangère, de défense, etc. mais pas du social, on peut le regretter.
- LE PRESIDENT.- Mais je serais le premier à le regretter. L'Europe s'est fondée sur des données économiques, la communauté de l'Europe, la fameuse Communauté européenne des Douze, s'appelle Communauté économique européenne, et c'est autour de cette compétition entre ces pays et de l'harmonisation de leurs intérêts progressifs que peu à peu l'Europe s'est construite. A l'époque, on ne parlait pas du tout du reste, et c'est pourquoi nous sommes un certain nombre à avoir estimé qu'il n'était pas possible de développer une Europe de marchands, une Europe du commerce, une Europe économique, - ce qui n'a rien de méprisable, mais qui loin d'être suffisant - sans avoir en contrepartie une Europe sociale, qui donne la possibilité de développer les droits des gens, des travailleurs de toute sorte, ainsi qu'une Europe politique qui ait une vraie direction, et l'Europe monétaire, qui est l'instrument, et la clé d'une harmonisation économique.
- QUESTION.- Vous dites : il y aura une Europe sociale, mais aujourd'hui, vous êtes, en quelque sorte, le premier, et vous fêtez presque tout seul le 1er mai de l'Europe !
- LE PRESIDENT.- Mais c'est la première apparition, après la charte sociale qui est restée quand même imprécise, c'est la première véritable apparition du droit social européen dans le traité de Maastricht, et le traité de Maastricht est encore en cours de ratification...
- QUESTION.- C'est cela, mais les Anglais ne l'ont pas accepté £ d'autre part il y a des résistances...
- LE PRESIDENT.- Vous avez raison de préciser cela, il faut que nos auditeurs le sachent : le traité de Maastricht est signé par douze pays, mais la charte sociale n'est signée que par onze. Alors, comme la Grande-Bretagne a fait opposition, les onze autres se sont réunis et ont décidé de voter un traité d'union sociale...
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QUESTION.- Est-ce qu'on peut accepter le principe qu'il existera une Europe sociale et que ce soit une sorte de coquille vide, beaucoup de baratin et rien dedans ou peu de choses ?
- LE PRESIDENT.- Vous ne pouvez pas dire cela, et si vous voulez on peut en parler d'une façon plus concrète. L'un des sujets les plus importants tient au fait de savoir dans quelles conditions on décide : est-ce qu'on décide à douze, à onze ? Est-ce qu'on décide à l'unanimité ? L'unanimité permet à chaque pays de disposer d'un droit de veto, d'empêcher l'adoption d'une réforme qui ne lui plaît pas. Ou bien décide-t-on à la majorité ? Ce qui permet, en effet, à l'Europe de se constituer plus solidement, d'exister vraiment. Eh bien, des dispositions figurent aujourd'hui pour cela dans le traité de Maastricht. Vous pouvez décider à la majorité de choses très importantes, qui touchent à la santé, à la sécurité des travailleurs, à leurs conditions de travail. Le traité de Maastricht élargit à l'ensemble de l'Europe, au Luxembourg, en Grèce, en France, en Espagne, etc., la discussion sur les conditions de travail, l'information et la consultation des travailleurs. Cela m'avait été demandé avec beaucoup d'insistance par les syndicats européens et en particulier par les syndicats français qui sont venus me voir à l'époque. L'égalité entre les femmes et les hommes, l'intégration des personnes exclues du marché du travail, tout cela peut être décidé à la majorité, si le traité de Maastricht est adopté. D'autre part, l'unanimité demeure nécessaire dans d'autres domaines. On ne pourra pas disposer de la protection sociale, de la sécurité sociale française, sans l'accord de la France.
- QUESTION.- Monsieur le Président, il y a des doutes, des ambiguïtés, des craintes...
- LE PRESIDENT.- Précisez !
- QUESTION.- Est-ce que c'est Bruxelles ou vous, - ou vos successeurs -, qui déciderez des salaires, des droits syndicaux, du droit de grève, de la sécurité sociale ?
- LE PRESIDENT.- Non, les rémunérations, c'est-à-dire les salaires, le droit de grève, sont hors compétences de la Communauté européenne. Cela reste du droit national.\
QUESTION.- A une époque, monsieur Mitterrand, vous disiez : "L'Europe sera socialiste ou elle ne sera pas". La réalité, étant donné ce que sont nos voisins, c'est qu'elle est plutôt libérale £ est-ce qu'on se contente de la charte sociale, des mesures qui, certes, sont importantes, mais qui sont limitées ?
- LE PRESIDENT.- Je ne m'en contente pas ! Je vous ai dit tout à l'heure qu'il n'en avait jamais été question avant l'arrivée d'un pouvoir socialiste en France, c'est-à-dire avant 1981. En 1989, sous présidence française, le principe d'une charte sociale a été adopté. Puis à Maastricht, nous avons été quelques-uns à peser lourd pour que l'Europe sociale commence à naître.
- QUESTION.- Mais cela, vous vous en contentez, vous l'acceptez, parce qu'on ne peut pas faire une Europe socialiste...
- LE PRESIDENT.- Vous m'interrompez là-dessus, mais je viens de répondre à votre question. Il y a simplement onze ans que cela a commencé, on a marqué un avantage en 1989, on le marquera beaucoup plus avec Maastricht, mais il faudra continuer. Quand je disais : l'Europe sera socialiste ou ne sera pas, c'est ma conviction, c'est-à-dire qu'il y aura vraiment une Europe sociale mêlée à une Europe économique, c'est indispensable si l'on veut que l'économie marche, il faut que le social fonctionne, il faut qu'il y ait la contribution enthousiaste, volontaire de tous les travailleurs de tous nos pays, sans quoi tout cela tombera par terre, mais c'est une oeuvre de longue haleine. Croyez-moi, on va continuer à se battre et si on n'a pas plus avancé, c'est précisément parce que la dominante européenne, pas la totalité, mais la quasi-unanimité des pays européens obéissent aux lois, aujourd'hui, de ce qu'on appelle le libéralisme économique.
- QUESTION.- Ce n'est pas près de changer, çà !
- LE PRESIDENT.- Mais, comment, ce n'est pas prêt de changer ? Vous n'en savez rien, en tout cas, tout combat politique se mène avec l'espoir d'aboutir et pourquoi voulez-vous qu'on ne réussisse pas à faire dans l'Europe ce qu'on a réussi à faire en France ? Quand, en 1958, ceux qui gouvernaient à l'époque disaient : on est là pour trente ans, ils se sont trompés... non, cela n'a pas duré trente ans, un président de la République socialiste a été élu et des gouvernements socialistes gouvernent la France depuis neuf ans..
- QUESTION.- Par exemple, aujourd'hui.
- LE PRESIDENT.- Je dis neuf ans, parce qu'il y a deux ans d'interruption sur onze !
- QUESTION.- Mais vous étiez là quand même.
- LE PRESIDENT.- Je remplissais mes fonctions. J'avais une majorité politique différente en France, mais je suis respectueux de la démocratie parlementaire.\
QUESTION.- On reviendra à cet aspect politique plus tard. Quels objectifs fixez-vous à cette Europe sociale ? Est-ce que vous voyez des étapes, un calendrier ? Est-ce qu'il n'y aura pas deux systèmes : une Europe sociale pour certains pays comme l'Allemagne et puis une Europe au rabais pour tous les autres ?
- LE PRESIDENT.- Mais pas du tout, puisque les dispositions que je viens de vous indiquer figurent dans un traité, elles sont donc applicables à tous les pays de la Communauté, sauf pour l'instant à la Grande-Bretagne.
- QUESTION.- Donnez-moi un exemple de ce qui peut être fait maintenant, de ce que vous voudriez que les Européens fassent ?
- LE PRESIDENT.- Ce que je voudrais, c'est que tous les droits des travailleurs dont nous disposons en France, qui est le pays le plus avancé des douze sur ce terrain-là, se généralisent. C'est difficile, parce qu'il y a des pays, y compris les pays dans lesquels on pratique des politiques de progrès, je pense à l'Espagne à direction socialiste, qui ne pourraient pas suivre dès maintenant l'ensemble des dispositions sociales pratiquées en France, parce qu'ils n'en ont pas les revenus, ils n'en ont pas les moyens. Donc, je souhaite développer dans l'Europe une législation comparable, peu à peu, à mesure qu'il y aura les progrès économiques, à celle de la France. Et, d'autre part, il n'est pas interdit, il est même recommandé à chacun des pays de faire plus que ce que permettra la charte sociale £ on ne pourra pas faire moins, mais on pourra faire plus. On garde entièrement son dispositif social et on pourra même l'améliorer sans rien demander à personne.
- QUESTION.- Qu'est-ce qu'on peut prendre chez les autres qui permette l'avancée sociale à la manière allemande ?
- LE PRESIDENT.- Aujourd'hui, pratiquement peu de choses, parce que, je le répète, nous sommes les mieux placés, mais il y a de prévu dans le traité déjà un certain nombre de dispositions sur la circulation des travailleurs, sur la reconnaissance mutuelle des diplômes, sur la formation professionnelle et la formation continue, il y a certainement de bonnes idées, de bonnes réalisations à prendre ailleurs.
- QUESTION.- Encore une chose, monsieur le Président, l'Europe ressemble à la meilleure et à la pire des choses £ on nous dit qu'à cause d'elle il y aura des chômeurs, on nous dit, au contraire que c'est formidable, qu'elle va faire naître des emplois, alors à Bruxelles comme à Lourdes, est-ce qu'il va pleuvoir... je ne sais pas... des miracles, des emplois, ou bien ce sont des mirages ?
- LE PRESIDENT.- Je pense que ceux qui disent qu'il y aura davantage de chômeurs commettent une erreur fondamentale. C'est leur passion politique qui les pousse à dire cela. Pourquoi ? Parce que le seul effet mécanique de la réunion de douze pays sans frontières et sans barrières, cela représente déjà une économie considérable de paperasseries, de difficultés administratives. Simplement sur le plan de l'argent, si vous voulez changer votre argent avec les monnaies des onze autres pays, sans avoir dépensé un sou, il ne vous restera qu'une petite partie du billet que vous aviez au départ, simplement parce, à chaque frontière franchie, il a fallu en laisser un morceau. Tout cela est absurde. Moi, je suis de l'avis de Jacques Delors, il a raison lorsqu'il pense que dans les années prochaines, la Communauté européenne, parce qu'elle existe, devrait permettre de gagner trois à quatre millions, il dit même cinq, d'emplois.\
QUESTION.- Au passage, je lisais la presse suisse et certains journaux se plaignent parce que trois grandes banques suisses annoncent des profits substantiels et en même temps licencient. En France, on a un exemple qui ressemble à cela £ à Sochaux, Jacques Calvet, champion de la rentabilité, licencie avec un certain nombre de protections, à cause de la concurrence du Japon et de quelques autres...
- LE PRESIDENT.- "Un certain nombre de protections", c'est-à-dire ?
- QUESTION.-... de sa part, je veux dire.
- LE PRESIDENT.- Il n'a pas rencontré l'approbation du ministre du travail, Martine Aubry, comme vous le savez, vous en avez parlé vous même.
- QUESTION.- Oui, et vous avez approuvé le ton de la polémique, en tout cas les arguments de Mme Aubry, la fermeté ?
- LE PRESIDENT.- La fermeté, certainement.
- QUESTION.- Pourquoi ?
- LE PRESIDENT.- Mais parce qu'elle a raison, on doit défendre les travailleurs. Enfin, est-ce qu'il est supportable, et de ce point de vue, je rejoins absolument la polémique suisse, de penser que les grandes compagnies, les grandes entreprises, affichent chaque année des résultats très favorables, alors qu'en même temps elles licencient leurs personnels ? Qu'elles s'arrangent au moins pour que leurs personnels licenciés reçoivent leur part du profit enregistré. Que les sociétés capitalistes gagnent, - quand c'est le cas - beaucoup et que les travailleurs perdent, est insupportable.
- QUESTION.- Oui, mais les chefs d'entreprise ont à faire face, vous le disiez, à la concurrence, à la compétition, à la compétitivité. Ils ont besoin d'avoir des entreprises qui se modernisent, qui tiennent, ils ne peuvent pas se transformer, si vous permettez, en nourrices ou en agences de bienfaisance.
- LE PRESIDENT.- Bien entendu, mais on ne leur demande pas cela. On leur demande simplement d'être justes et de considérer que leurs bénéfices ne sont pas simplement les leurs, mais appartiennent tout autant à tous ceux qui participent à l'entreprise, les ouvriers, les employés, les cadres.
- QUESTION.- Je comprends que quand on est Président de la République, qu'on est ici au pouvoir depuis onze ans et qu'on voit que ces entreprises...
- LE PRESIDENT.- Je ne suis pas le patron de ces entreprises !
- QUESTION.- Alors, que fait-on ? On se plaint, et puis...?
- LE PRESIDENT.- Non, non, c'est une lutte constante. Nous prenons des dispositions législatives. Le ministre du travail multiplie les interventions. Nous disposons quand même d'un appareil d'Etat important. Nous rencontrons beaucoup, et nous avons raison, les organisations syndicales. C'est une bataille de tous les jours.
- QUESTION.- Cela signifie-t-il que cela vous choque que les entreprises fassent aussi des profits, parce qu'il faut voir l'autre aspect ?...
- LE PRESIDENT.- Mais jamais de la vie ! Il faut qu'elles gagnent des marchés pour distribuer les salaires. Seulement, je voudrais que les bénéfices ne profitent pas qu'à quelques-uns.\
QUESTION.- Est-ce que vous avez ce matin une pensée pour votre collègue George Bush et l'Amérique secouée à l'instant même par des violences sociales et raciales qui ont un caractère dramatique ?
- LE PRESIDENT.- Oui, c'est tout à fait dramatique. J'ai en effet cette pensée. Je connais bien George Bush, c'est un homme bienveillant, généreux, qui relève d'une théorie politique extrêmement conservatrice. La société américaine est conservatrice et, comme on dit, économiquement libérale. On en voit ici quelques résultats... Ce qui est vrai, c'est qu'il s'agit d'abord d'un conflit racial et que ce conflit racial épouse comme toujours les contours sociaux. C'est à la fois un problème racial et social. Ce sont ceux qui sont en situation diminuée sur le plan racial qui sont en même temps en situation difficile sur le plan social. Tout cela est bien mêlé. A partir du moment où cela explose quelque part, cela explose partout et je pense - je me garde de tout conseil, par respect pour ce grand pays, mais puisque vous me demandez mon avis qu'il y a, aux Etats-Unis d'Amérique, une absence de législation sociale et de protection. De plus, tout cela est parti d'une décision de justice qui a, en effet, un aspect scandaleux. Tout le monde a vu, j'ai moi-même vu à la télévision...
- QUESTION.- Nous l'avons tous vu...
- LE PRESIDENT.- ... les images, c'est insupportable ! La révolte naît tout de suite et, dans un milieu peu formé, où le sentiment collectif se développe beaucoup, dans une certaine misère, il faut le dire, la colère est mauvaise conseillère et on ne peut pas, naturellement, approuver ces actes, c'est l'explication sociale. On parle social et vous mettez le doigt sur une affaire sociale.
- QUESTION.- C'est l'actualité qui me l'impose. Ce matin, François Mitterrand est en sympathie avec George Bush ?
- LE PRESIDENT.- Je suis en sympathie avec George Bush pour souhaiter qu'il puisse rétablir la paix sociale dans son pays.
- QUESTION.- Quand vous avez écouté tout à l'heure, sur Europe 1, le récit fait par les envoyés spéciaux, Benoît Laporte et Claude Gaignère, est-ce que vous vous êtes dit : "Pourvu que cela n'arrive jamais en France " ? Parce qu'il y a des tensions dans les banlieues, il y a aussi de la pauvreté.. Est-ce que vous pensez qu'un jour ou l'autre, à la suite de je ne sais quoi, les gens peuvent venir exercer des violences dans le centre des villes ?
- LE PRESIDENT.- Il y a aussi la pauvreté, il peut toujours naître des incidents, il y a toujours des injustices. Il y a des quartiers dans lesquels les hommes et les femmes vivent mal, très difficilement et souvent sans espoir. Mais il n'y a pas de comparaison possible entre ce qui se passe chez nous et ce qui se passe ailleurs. La France, on peut le dire justement, est le pays dans lequel le niveau de protection sociale est le plus élevé dans le monde.
- QUESTION.- Et puis maintenant, il y a Bernard Tapie, le ministre de la ville, qui va peut-être être actif ?
- LE PRESIDENT.- C'est un homme d'action et cet homme d'action doit pouvoir, en effet, obtenir des résultats où il a été chargé d'en obtenir, c'est-à-dire dans les villes et dans les quartiers difficiles.\
QUESTION.- Si vous le permettez, monsieur le Président, on reviendra sur l'Europe et Maastricht. Je voudrais qu'on parle de la situation politique en France, parce qu'il y a un mois vous subissiez un échec électoral cuisant, et vous l'aviez reconnu le 12 avril.
- LE PRESIDENT.- Je l'ai reconnu ? Qu'est-ce que cela veut dire ?
- QUESTION.- Vous avez dit : "C'est un fait, on ne peut pas faire autrement".
- LE PRESIDENT.- Il suffisait de lire les résultats !
- QUESTION.- Aujourd'hui, les sondages s'améliorent. Je ne sais pas si vous estimez avoir fait ce qu'on attendait de vous. Vous avez nommé Premier ministre M. Bérégovoy, mais vous n'avez pas encore, à ma connaissance, expliqué quelle mission vous lui assigniez.
- LE PRESIDENT.- Ecoutez, il s'en est expliqué lui-même. Lorsqu'il est allé devant l'Assemblée nationale et a fait lire sa déclaration au Sénat, il a développé les idées essentielles qui animeraient son action.
- QUESTION.- Quand il y a des prédécesseurs, vous avez dit : "Je demande au Premier ministre de faire ceci et cela" ?
- LE PRESIDENT.- Oui. Ce que j'ai fixé essentiellement pour terme de la première étape de leur action, c'est de préparer la France à pouvoir supporter précisément la concurrence qui va être sans bornes, et heureusement d'ailleurs, parce qu'il faut avoir confiance en soi dès le 1er janvier de l'année prochaine. Il faut penser qu'entre 340 millions de personnes en Europe, on va pouvoir franchir les douanes (qui disparaîtront d'ailleurs le plus souvent, sauf naturellement aux frontières extérieures, à l'extérieur de la Communauté), qu'il va y avoir la possibilité de s'installer partout pour y travailler et que cette concurrence exige beaucoup d'efforts. Donc, je leur ai demandé de préparer cela.\
Cette mission reste celle de Pierre Bérégovoy. Mais après tout, pourquoi ne pas voir plus loin ? Pourquoi ne pas considérer qu'au-delà des élections législatives la mission que j'ai fixée au Premier ministre devrait normalement continuer ?
- QUESTION.- Je rêve !... Excusez-moi, monsieur le Président de la République... C'est M. Bérégovoy ou un premier ministre socialiste qui pourrait continuer après les élections législatives ?
- LE PRESIDENT.- Il se trouve que c'est Pierre Bérégovoy qui est à l'heure actuelle à la tête du gouvernement et il est parfaitement capable, compte tenu de tous les efforts accomplis jusqu'ici dont le mérite doit être réparti sur plusieurs têtes, de bien convaincre les Français que la politique qu'il mène est une bonne politique qui n'est pas faite que pour onze mois.
- QUESTION.- Qu'est-ce qui serait alors la réussite de Pierre Bérégovoy ? C'est qu'il gagne aussi les élections avec vous...
- LE PRESIDENT.- C'est très bien, cela !
- QUESTION.- ... ou qu'il limite "la casse" ?
- LE PRESIDENT.- "Limiter la casse", c'est perdre les élections le moins mal possible, mais quand on se bat, on peut gagner. Et je pense que le gouvernement de Pierre Bérégovoy et l'ensemble des forces qui le soutiennent peuvent très bien, encore aujourd'hui, l'emporter, sans que, bien entendu, j'ignore que ce gouvernement a le dos au mur, en raison du peu de temps qu'il a devant lui. Quand on est comme cela, on fait ce qu'on doit et on fait ce qu'on peut.
- QUESTION.- Cela va doper Pierre Bérégovoy, s'il nous écoute ce matin !
- LE PRESIDENT.- Il n'a pas besoin d'être dopé. Il sait qu'il peut compter sur moi.
- QUESTION.- Surtout, monsieur le Président, qu'il y a des critiques.. Vous entendez les reproches qui sont adressés au Premier ministre : il est rassurant, mais conservateur...
- LE PRESIDENT.- Conservateur, non.
- QUESTION.-... il est pragmatique, mais il anesthésie le pays, il est calme, mais il se contente de "sauver les meubles"...\
QUESTION.- Est-ce vous qui demandez de ne pas faire de réformes ?
- LE PRESIDENT.- Tout cela, c'est une plaisanterie ! Démontrez ce que vous dites là ! même si vous ne le prenez pas à votre compte. Citez des exemples !
- QUESTION.- La réforme de l'éducation...
- LE PRESIDENT.- Bon, c'en est une. Une deuxième ?
- QUESTION.- Autre grande réforme, la réforme de la fiscalité, qu'il aurait fallu faire...
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas dit qu'il n'y en aurait pas...
- QUESTION.- Alors la réforme de l'éducation.
- LE PRESIDENT.- Non, non ! Jack Lang, et donc Pierre Bérégovoy, qui est chef du gouvernement, ont modifié le rythme de la réforme scolaire, mais essentiellement par l'engagement d'un dialogue qui devrait permettre de montrer à chaque catégorie intéressée qu'il y a moyen de s'entendre et que cette réforme de Lionel Jospin était une réforme de progrès, qui méritait seulement d'être expliquée, comprise. Le cas échéant, s'il faut, sur tel ou tel point, infléchir la position, elle le sera.
- QUESTION.- Mais vous n'avez pas dit : il faut de l'apaisement...
- LE PRESIDENT.- Non, on n'a pas dit : il n'y aura pas de réforme.
- QUESTION.- Vous ne l'avez pas demandé au Premier ministre ?
- LE PRESIDENT.- ... Jack Lang ne l'a pas dit non plus.
- QUESTION.- Mais par tempérament, monsieur le Président, vous préférez les premiers ministres qui secouent, qui dérangent, comme Pierre Mauroy, Edith Cresson.
- LE PRESIDENT.- Je les aime bien, ceux-là !
- QUESTION.- ... ou qui calment le jeu par nécessité ?
- LE PRESIDENT.- Pierre Mauroy a obtenu des résultats tout à fait remarquables et il a vraiment marqué l'ère du gouvernement socialiste. Edith Cresson a été, je le répète sans arrêt, injustement traitée. Mais les premiers ministres qui paraissent, disons, plus tranquilles, ce qui ne veut pas dire qu'ils soient moins déterminés et moins actifs, peuvent être également très utiles à la France. Disons, pour employer un terme anglais, ce qui n'est pas dans mes habitudes, que c'est un bon "cocktail".
- QUESTION.- Vous avez besoin maintenant, ou la société française a besoin, d'un Premier ministre qui joue calmement, qui apaise.
- LE PRESIDENT.- Pierre Bérégovoy a le tempérament calme et déterminé d'un ancien ouvrier qui sait la difficulté de la vie, qui a gravi les échelons peu à peu, qui est né dans une famille modeste et qui sait que tout doit être traité avec sérieux et force, mais ce n'est pas du tout un conservateur, ce n'est pas quelqu'un qui va endormir le public.
- QUESTION.- Vous croyez que, depuis bientôt un mois qu'il est nommé, il se débrouille bien à Matignon ?
- LE PRESIDENT.- Moi, je trouve. Je suis très satisfait de ce qu'il fait et j'espère que cela va continuer.
- QUESTION.- Certains disent qu'en onze mois, et ensuite deux ans d'une éventuelle cohabitation...
- LE PRESIDENT.- On n'en est pas encore là !
- QUESTION.- ... cela va faire trois années de perdues...
- LE PRESIDENT.- Trois années de perdues ? Mais on ne perd pas de temps ! On ne perd pas de temps ! On ne perd pas une journée !
- QUESTION.- Est-ce qu'on va se contenter de "bricoler", de ravauder, de rafistoler ?
- LE PRESIDENT.- Qui dit cela ?
- QUESTION.- Raymond Barre et d'autres aussi...
- LE PRESIDENT.- Mais il peut arriver à M. Barre, que j'estime beaucoup, de parler de façon polémique. Il a tort dans ce cas-là. Qu'est-ce qu'on ravaude ? Cela veut dire quoi ? Nous sommes pleins de projets, nous continuons de développer une politique dont les effets se feront sentir, croyez-moi. Et puis, on gère la France.. C'est la seule façon aujourd'hui, avec Maastricht devant nous. Et après, il y aura bien d'autres choses.. J'ai l'impression que nous ne chômons pas !\
QUESTION.- Comment jugez-vous, monsieur le Président de la République, la façon dont le débat sur l'Europe de Maastricht s'est engagé ? Est-ce que ce qui s'est passé cette nuit à la commission des lois de l'Assemblée est un exemple ? Elle a adopté le projet de révision de la Constitution "au pas de course", il n'y avait que les socialistes en séance, les autres sont partis parce qu'on discute trop vite.. Est-ce que c'est souhaitable ou est-ce que vous voulez qu'il y ait une vraie discussion ?
- LE PRESIDENT.- Ecoutez, c'est souhaitable, mais qu'est-ce que c'est que tous ces mots ? Tout cela est absurde ! Vous reprenez les bruits qui se disent et vous les donnez, c'est votre métier aussi.. Vous en tirez certainement des leçons pour vous-même, mais qu'est-ce que cela veut dire ? Maastricht, cela fait longtemps qu'on en parle, ce n'est pas nouveau. On a mis un temps fou à aboutir. Les négociateurs de Maastricht, c'est-à-dire les chefs d'Etat et de gouvernement se sont réunis, les ministres des affaires étrangères, les ministres de l'économie et des finances ont fait un travail énorme et l'opinion - du moins les milieux spécialisés, en tout cas le Parlement - sait bien tout cela. En plus, de quelle façon les bouscule-t-on ? Ce traité a été conclu, enregistré entre nous début décembre. Il a été mis au point (c'est un énorme document) et terminé début février. Et il a été signé par les ministres des affaires étrangères en février. Nous sommes aujourd'hui le 1er mai. C'est un rythme soutenu...
- QUESTION.- Oui, c'est un rythme soutenu.
- LE PRESIDENT.- ... C'est une vérité, mais il n'y a aucune bousculade et le Parlement dispose de nombreuses semaines pour trancher.
- QUESTION.- Que pensez-vous de la manière dont le débat s'est enclenché ? Les chefs des grands partis, vous les avez trouvés dans l'ensemble, là où vous êtes, à la hauteur de l'événement ?
- LE PRESIDENT.- Cela dépend lesquels...
- QUESTION.- Qui ? Parce que l'opposition, après quelques hésitations, est plutôt unie sur l'Europe...
- LE PRESIDENT.- Il y en a qui sont pour, il y en a qui sont contre... Très bien. Il y en a qui sont contre, qui finissent par être pour, j'espère qu'il n'y en aura pas qui sont pour qui deviendront contre, quoiqu'un certain nombre d'entre eux soient sensibles à la politique intérieure et feraient vite de la "politicaillerie" avec ce qui est un grand acte national.
- QUESTION.- Mais vous, monsieur le Président, vous vous engagez une nouvelle fois à ne pas mélanger la politique intérieure et l'Europe ? A ne pas tourner le fer dans la plaie ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas besoin de m'engager à cela, c'est ce que j'ai fait. J'ai approuvé, puis fait signer un traité qui engage la France. Ce n'est pas une affaire de clan, ce n'est pas une affaire de parti, c'est une affaire qui touche tous les Français, les partisans, les adversaires.. Et moi, j'ai la France en tête.
- QUESTION.- Mais peut-on éviter d'entendre un peu ce chantage : quelqu'un qui est aujourd'hui anti-européen ou anti-Maastricht, est un mauvais Français ?
- LE PRESIDENT.- Non, je n'ai jamais dit cela !
- QUESTION.- Cela se dit, cela s'entend...
- LE PRESIDENT.- Je n'ai jamais dit cela £ moi, je n'aime pas ceux qui sont contre tout parce qu'ils ont peur de tout. Mais il y a ceux qui aiment la France à leur manière et qui s'inquiètent de Maastricht par rapport à la France, conception que je respecte, qui me paraît un peu étroite et, disons, archaïque. Mais d'une façon générale, le débat doit être un débat élevé et noble et il n'y a pas lieu de considérer a priori que les uns sont de mauvais Français et les autres de bons. Simplement, il y en a qui ont raison et d'autres qui se trompent...\
QUESTION.- Et vous préféreriez travailler plus tard avec ceux qui ont raison aujourd'hui et pas seulement les socialistes, mais ceux qui sont dans d'autres camps ?
- LE PRESIDENT.- Il ne faut pas mélanger les notions. On ne parle pas de politique intérieure. Je suis prêt à le faire, si vous le voulez, mais pas la-dessus. Il est évident que ne pourront pas diriger les affaires de la France, dans l'application du Traité de Maastricht, ceux qui n'en auront pas voulu. Il faut que la France soit logique avec elle-même, en tout cas si cela dépend de moi.
- QUESTION.- Dans quelques jours, le débat sur la révision de la Constitution va s'engager. Il a commencé par la voie parlementaire. Est-ce que vous acceptez le principe qu'il y ait des amendements ?
- LE PRESIDENT.- D'abord, il y a une chose qu'il faudra que vous expliquiez très souvent, si vous voulez bien rendre service au pays (et vous y êtes prêt, comme moi je m'y efforce ce matin), et qu'il est très difficile de comprendre, quand on ne suit pas ces affaires au jour le jour - comme je suis obligé de le faire - : c'est qu'il y a deux actes, deux phases, et que cela se fait en deux temps, en raison d'un article de notre Constitution, qui est l'article 54 qui dit : si un traité international, engagé par le gouvernement (ce sont toujours le gouvernement et le Président de la République qui engagent un traité international), n'est pas conforme aux dispositions de notre Constitution, il faut d'abord, au préalable, réviser la Constitution, retoucher la Constitution...
- QUESTION.- C'est ce qui va se faire à partir de mardi. C'est la voie parlementaire : il faut que les deux Assemblées se prononcent en termes identiques.
- LE PRESIDENT.- C'est cela. Et une fois que la révision constitutionnelle est faite, si elle faite, à partir de là on ratifie et, à ce moment-là, on vote sur le Traité lui-même. Il faut bien comprendre cela. Dans la phase présente, qui consiste à voir si la Constitution doit être révisée, j'ai consulté les gens autorisés : le Conseil constitutionnel, le Conseil d'Etat en leur demandant : "Est-ce que vraiment il faut modifier la Constitution ?" Ces hautes institutions nous ont dit : "Mais oui, en tout cas sur trois points". Bon. Alors, j'ai transmis au Parlement et j'ai dit : "Révisez la Constitution sur ces trois points". C'est un travail technique et juridique assez complexe. Voilà pourquoi je pense que la voie parlementaire est la meilleure. C'est tout ce que je peux dire là-dessus.
- QUESTION.- Alors, on prend des exemples sur les amendements.
- LE PRESIDENT.- Vous m'avez parlé d'amendements. Je veux bien qu'on en discute, mais ces amendements ont tout juste été rédigés, ne sont pas encore vraiment soumis à la discussion. Je ne veux pas me prononcer comme cela, sans examen.
- QUESTION.- Mais par exemple, il y a ceux qui réclament que le Parlement français soit associé en permanence, à chaque étape de la construction européenne.
- LE PRESIDENT.- Ceux-là ont raison, d'autant plus que c'est ce qui se fait depuis longtemps !
- QUESTION.- Mais est-ce que cela doit se faire davantage, pour qu'ils soient plus associés ?
- LE PRESIDENT.- Il existe une loi, qui s'appelle la loi Josselin, qui porte le nom du député devenu aujourd'hui secrétaire d'Etat à la mer, et cette loi Josselin, qui date de 1990, dit que tous les projets de directives européennes doivent être à la disposition des Assemblées, adressés aux Assemblées. Elles peuvent en discuter, faire ce qu'elles veulent avec cela.
- QUESTION.- Il peut y avoir des grands débats à l'Assemblée, à chaque étape nouvelle de la progression de la construction européenne ?
- LE PRESIDENT.- Les débats sont toujours ouverts, il n'y a aucune difficulté pour cela. Le ministre des affaires étrangères ou le ministre des affaires européennes sont constamment devant les commissions.\
QUESTION.- Il y a aussi ceux, en particulier au RPR, qui demandent que la France fasse jouer son droit à la dérogation sur le droit de vote et l'éligibilité des étrangers européens ? Quelques précautions ont été prises dans le projet de loi de révision de la Constitution. Certains demandent si vous pourrez accepter que cet article soit supprimé ?
- LE PRESIDENT.- Jean-Pierre Elkabbach, il n'y aura aucune dérogation, aucune renégociation. Ceux qui sont partisans des traités devront les adopter tels qu'ils ont été élaborés. Ils doivent être mis en oeuvre, ou du moins ratifiés, avant le 1er janvier 1993 £ c'est dans le Traité. Si, en revanche, on veut adapter certains modes de délibération en France, ou certains modes d'information dans le jeu ou la présence du Parlement, cela peut toujours se discuter, mais cela ne touche pas au corps du Traité. Quant à associer les Parlements nationaux, notamment le Parlement français, au déroulement de la construction européenne, c'est la France qui l'a demandé et qui l'a obtenu. Cela figure dans le Traité. Alors, que nous demande-t-on ?
- QUESTION.- Donc, ceux qui veulent cette transformation savent ce matin qu'il n'y aura pas de demande de dérogation sur ce plan du droit de vote et de l'éligibilité des étrangers européens ?
- LE PRESIDENT.- Ce que je dis est clair. Mais on pourrait créer une confusion. La manière, par exemple, d'organiser le droit de vote des Européens, des citoyens de la Communauté, dans chacun des douze pays de cette Communauté - les étrangers en France, les Français à l'étranger -, n'a pas encore été fixée. Elle ne sera d'ailleurs fixée qu'en 1994 à l'unanimité, et nous avons dit, nous, que, bien entendu, nous entendions imposer un certain nombre de conditions. Par exemple, il faut qu'un étranger soit là depuis longtemps £ en outre - et cela, c'est déjà dans le texte soumis au Parlement - dans nos règles, nos lois intérieures, on ne peut pas être maire si on est étranger, parce que le maire participe à l'élection des sénateurs et c'est entre Français que cela se fait, ou bien disposer de pouvoirs de police, ce qui est une affaire strictement intérieure. Toutes ces dispositions sont mises au point, sont proposées, ou le seront mais le principe, lui, on ne peut pas y déroger et il ne sera pas renégocié. Moi, je n'accepterai rien là-dessus.
- QUESTION.- Même si vous avez des difficultés, au Sénat ou ailleurs ?
- LE PRESIDENT.- Toutes les difficultés qu'on voudra. Je ne céderai pas là-dessus.\
QUESTION.- Si le Parlement vote la réforme de la Constitution, arrive alors la deuxième phase dont vous parliez tout à l'heure.
- LE PRESIDENT.- C'est cela.
- QUESTION.- Sur la ratification ? Quelle est votre préférence ?
- LE PRESIDENT.- Je vais voir comment cela se passe. La ratification peut se faire d'une façon extraordinairement simple, par une discussion ordinaire sur un sujet extraordinaire £ cela peut se faire par des voies, au contraire, plus solennelles, un peu comme la révision constitutionnelle, cela peut se faire par référendum. Je pense que ceux qui réclament l'intervention du peuple lui-même, et non pas simplement de ses représentants, touchent à une corde sensible, c'est important. Mais la manière dont les débats auront lieu, la disposition d'esprit des parlementaires, la manière dont le pays réagira, j'ai besoin de les connaître et j'en tiendrai le plus grand compte.
- QUESTION.- C'est-à-dire que vous n'excluez pas...
- LE PRESIDENT.- Je n'exclus rien.
- QUESTION.- Votre avis n'est pas encore fait.
- LE PRESIDENT.- Je n'exclus rien, sauf qu'il ne sera pas possible d'abattre ce traité "par la bande" en modifiant, en défaisant. Non. C'est le Traité ou ce n'est rien, et c'est le rôle historique de tous les gouvernements de la France, dans notre histoire et sous toutes nos républiques : c'est le gouvernement et le Président de la République - c'est le cas actuellement - qui débattent, qui discutent, ce n'est pas le Parlement. Il appartient au Parlement, ensuite, de constater, d'accepter, ou de refuser.
- QUESTION.- Au passage, je peux vous citer une phrase que j'ai trouvée dans Richelieu, dont je parcourais le testament politique. Voici cette phrase : "Les Rois doivent prendre bien garde des Traités qu'ils font, bien les négocier, mais quand ils sont faits, ils doivent les observer avec religion".
- LE PRESIDENT.- Il est très bien, Richelieu ! Enfin, là-dessus ! Nous n'en sommes plus tout à fait à la même époque...
- QUESTION.- Ni aux guerres de religions.
- LE PRESIDENT.- Mais c'était un grand connaisseur de ce qui était bon pour l'Etat.
- QUESTION.- Mais vous ne trouvez pas qu'il soit choquant, irrévérencieux, irréaliste, de dire qu'on veut une consultation des Français ? Vous me le dites bien ce matin ?
- LE PRESIDENT.- Non, c'est une hypothèse retenue par la Constitution. Ceux qui la réclament ont le droit de le faire. Je ne dis pas que ce soit opportun, mais ils en ont le droit. Tout cela est à voir.
- QUESTION.- Est-ce qu'il y a un critère à partir duquel vous déciderez le référendum ?
- LE PRESIDENT.- Je veux que le Traité soit adopté. Alors, je prendrai le chemin le plus sûr pour cela.\
QUESTION.- Parce que, quand il sera adopté, vous direz : "Hop ! C'est fini ! Ma mission historique est terminée " ?
- LE PRESIDENT.- Oh non !... C'est un événement important de mon mandat présidentiel, très important. Je suis un Européen convaincu, je le suis depuis de très longues années, depuis plusieurs décennies et je crois que c'est un engagement d'une immense ampleur. Vous savez, les deux guerres mondiales ont déchiré, détruit l'Europe pendant si longtemps, d'une façon tragique. Toutes nos familles en ont souffert, le sang a été partout. Je fais ce que je peux pour que, par ce Traité et par la construction de l'Europe, on crée (dans le monde, ce sera peut-être la seule) une zone de paix durable en même temps qu'une zone de croissance, car quand on a la paix, on peut travailler.
- QUESTION.- Au passage, quand vous dites "une zone de paix", certains pensent que les Etats, ou certains Etats, peuvent se laisser entraîner par une décision prise par tel ou tel autre Etat de l'Europe et qu'on peut se retrouver dans un conflit, avec des soldats français engagés...
- LE PRESIDENT.- Cela, c'est autre chose. Tout est toujours possible, bien entendu, et les hommes ne sont pas toujours sages. Mais il est très important que, par des institutions, nous disposions, à l'heure actuelle, d'une aire qui s'étend sur une large partie de l'Europe, qui est composée des pays quand même les plus prospères (même s'il y en a qui ne sont pas très prospères) et dans laquelle il est entendu, et vraisemblablement acquis, qu'il ne puisse plus y avoir de guerre entre nous plus de guerre entre l'Allemagne et la France ! Pour ceux qui connaissent bien l'Histoire, on en a eu, des ennemis héréditaires ! Eh bien ! La plupart de ces ennemis héréditaires sont dans la même Europe !
- QUESTION.- Surtout que l'Allemagne, aujourd'hui, a des difficultés qui peuvent être une menace, peut-être un danger pour elle, à l'intérieur d'elle-même, mais peut-être pour l'Europe ou pour nous, non ?
- LE PRESIDENT.- Je ne pense pas. Les grands partis politiques allemands se sont tous prononcés en faveur de l'Europe, de la construction européenne. Non. Je pense que c'est une affaire grandiose. Nous allons bâtir une zone de paix pour longtemps. Mais bien entendu, à côté de nous, cela bouge et il faut travailler à ce que, par l'union politique que contient Maastricht, on soit en mesure d'aligner et harmoniser nos positions, pour savoir de quelle manière on agit à l'extérieur.\
QUESTION.- On continue avec les Allemands.. Vous n'allez pas perdre un ami à Bonn, le Chancelier Kohl ? Le perdre politiquement ?
- LE PRESIDENT.- Le Chancelier Kohl est toujours Chancelier ! Si la majorité change, comme elle peut changer en France, je pense que nos deux pays et nos deux peuples ont suffisamment payé leurs différends et leurs guerres pour que, désormais, ils ne reviennent jamais en arrière et choisissent la paix, l'harmonie et l'amitié entre eux.
- QUESTION.- Monsieur Balladur disait l'autre jour une évidence, mais forte : "Après Maastricht, la terre va continuer à tourner" !
- LE PRESIDENT.- Naturellement. C'est une bonne pensée, mais ce n'est pas une découverte !
- QUESTION.- Non, mais il en a d'autres qui sont aussi fortes... Vous avez d'autres projets pour 1992-1993 ? Puisqu'il y a une crise en Italie, on voit que certains rêvent que vous imitiez le Président italien Cossiga, qui vient de dire : "Cela suffit, je m'en vais... ciao "
- LE PRESIDENT.- Le Président italien devait, de toutes manières, quitter son poste début juillet. Comme il y a une crise gouvernementale, il préfère qu'elle soit réglée par son successeur. Il a donc écourté de deux mois son mandat de sept ans.. Je le connais très bien, c'est un homme de conscience, il a agi comme il croyait devoir le faire.
- QUESTION.- Cela ne s'imite pas... ou alors, en 1995 ?
- LE PRESIDENT.- Je ne sais pas.. Est-ce que mes adversaires me demandent, au lieu du mois de mai de partir au mois de février 95 ? C'est possible ! Je n'en sais rien ! Je suis tout prêt à examiner cette situation !
- QUESTION.- Il y en a qui diraient : "C'est toujours cela de pris ", si je peux me permettre de dire cela ! Quand j'entends le slogan du bouillonnant Philippe de Villiers : "François Mitterrand devrait partir en 1993 "... parce qu'il va vous faire la guerre là-dessus, avec d'autres...
- LE PRESIDENT.- Il dit ce qu'il a envie de dire. Je ne suis pas obligé de l'écouter !\
QUESTION.- A propos des réformes dont la Constitution a besoin, est-ce que vous restez sur les orientations de novembre dernier, c'est-à-dire qu'il y aura des modifications... ?
- LE PRESIDENT.- Je pense que c'est utile. D'abord, il serait très bon de "nettoyer" la Constitution, qui comporte des dispositions tout à fait dépassées. D'autre part, j'ai cité quelques terrains sur lesquels il me paraît bon de consulter le peuple plus souvent, de lui permettre de défendre ses droits et ses libertés d'une façon plus commode (qui ne soit pas toujours derrière les hauts murs des institutions), qu'il puisse s'exprimer lui-même. La justice a besoin de garanties.. La stabilité des institutions, leur pérennité, a besoin d'être assurée. Tout cela, on en parlera.
- QUESTION.- Tout à fait, et les questions sur le mandat, ou la réduction du mandat, ce sera pour après ? On peut imaginer qu'il y aura une consultation des Français (au moins une consultation) par référendum cette année ?
- LE PRESIDENT.- Je ne prends aucun engagement d'aucune sorte, mais ce serait de bonne méthode.
- QUESTION.- Eh bien, vous allez fêter le 1er mai 1992, c'est-à-dire aujourd'hui. Je vous souhaite une bonne journée. Merci d'avoir passé ce moment avec nous.
- LE PRESIDENT.- C'est une journée qui célébrait les plus durs combats, les combats sociaux. C'est devenu un jour férié. Cela ne veut pas dire pour autant que le combat doit cesser.
- QUESTION.- Vous voudriez que ce soit une fête européenne ?
- LE PRESIDENT.- Ce serait la réussite de Maastricht.\
- LE PRESIDENT.- Je travaille à peu près tous les jours £ je ne prends pas beaucoup de vacances £ chaque année le temps du repos nécessaire et d'autant plus que j'aime travailler et accomplir la mission pour laquelle j'ai été élu. Donc, pour moi, cela ne représente aucune peine, je dirai presque au contraire, de me trouver avec vous ce matin.
- QUESTION.- Le 1er mai, dans tous les pays, les travailleurs, comme on disait, défilent ou se souviennent du temps où ils défilaient, mais vous si vous pouviez militer, vous revendiqueriez contre qui ?
- LE PRESIDENT.- C'est tout à fait une question judicieuse. J'ai ma façon de revendiquer, c'est de m'efforcer de transformer les lois et les moeurs lorsqu'elles me paraissent nuisibles à l'ensemble des travailleurs.
- QUESTION.- Mais pour les chômeurs qui pourraient bientôt être trois millions, monsieur Mitterrand, est-ce qu'il y a aujourd'hui d'autres perspectives ou d'autres espoirs qu'un brin de muguet à offrir ?
- LE PRESIDENT.- Le chômage s'est installé à partir de 1974, il a constamment augmenté pour atteindre non pas les trois millions, mais pas loin, de telle sorte qu'on a le droit de s'interroger sur cette perspective. Je pense qu'elle sera évitée, je pense même qu'il y aura une décrue, mais tout cela est de l'ordre de la supposition. On se bat pour que le chômage baisse en France et nous avons quelque espoir d'y réussir.
- QUESTION.- Mais vous pourrez éviter les trois millions de chômeurs avant de quitter ce Palais ?
- LE PRESIDENT.- Eh bien, je le crois vraiment. La façon dont je vois travailler le gouvernement, comme celle dont j'ai vu travailler le gouvernement précédent me laisse absolument bon espoir, je dirai plus la certitude qu'on devrait y parvenir.
- QUESTION.- Si les Européens, monsieur Mitterrand, se retrouvaient pour fêter l'Europe, je pense qu'ils ne manqueraient pas de dates pour célébrer la monnaie unique, le grand marché, etc. tellement de choses, mais le 1er mai ne serait probablement pas retenu, parce qu'il n'y a pas encore d'Europe sociale...
- LE PRESIDENT.- Vous savez que quand le 1er mai a été décidé, il n'y avait pas du tout d'Europe sociale.
- QUESTION.- Evidemment.
- LE PRESIDENT.- ... il a été décidé par le congrès de l'Internationale socialiste en 1889. Déjà en 1884, on avait décidé, je crois que c'était à Chicago, de se battre pour la journée de huit heures de travail, cinq ans après, on a donc décidé de célébrer le 1er mai. Cela n'est devenu, je crois, une fête officielle en France, avec jour férié, qu'à partir de 1947, mais constamment il a fallu se battre pour obtenir les droits les plus légitimes. Vous savez, aucun droit social n'a été atteint d'emblée. Il a toujours fallu se battre de diverses manières, aujourd'hui, c'est quand même plus heureux, d'une manière légale et dans le cadre des institutions, mais cela a été un combat extrêmement difficile.\
Alors, aujourd'hui on peut dire que c'est un peu dispersé, beaucoup de pays n'y ont pas pris part, mais l'Europe sociale a commencé de naître. J'ai demandé moi-même à ce qu'elle pût exister dès 1981 lorsque je me suis trouvé à mon premier Conseil européen, c'était à Luxembourg, et j'ai souvent vu que j'irritais certains partenaires et j'en ai fait sourire, cela paraissait une idée dérisoire. Je me souviens qu'un seul chef de délégation, à l'époque le chef du gouvernement danois, m'avait soutenu, tous les autres avaient trouvé cette idée absurde et dangereuse. Eh bien, quand même, en 1989, j'ai pu obtenir, alors que je présidais le Conseil européen qui se tenait à Strasbourg, la reconnaissance d'une charte sociale et le traité d'aujourd'hui, le traité de Maastricht, comporte beaucoup de mesures sociales extrêmement intéressantes, je suppose qu'on en reparlera.
- QUESTION.- Oui, mais reconnaissez qu'on parle plus facilement d'autre chose, de monnaie, de politique étrangère, de défense, etc. mais pas du social, on peut le regretter.
- LE PRESIDENT.- Mais je serais le premier à le regretter. L'Europe s'est fondée sur des données économiques, la communauté de l'Europe, la fameuse Communauté européenne des Douze, s'appelle Communauté économique européenne, et c'est autour de cette compétition entre ces pays et de l'harmonisation de leurs intérêts progressifs que peu à peu l'Europe s'est construite. A l'époque, on ne parlait pas du tout du reste, et c'est pourquoi nous sommes un certain nombre à avoir estimé qu'il n'était pas possible de développer une Europe de marchands, une Europe du commerce, une Europe économique, - ce qui n'a rien de méprisable, mais qui loin d'être suffisant - sans avoir en contrepartie une Europe sociale, qui donne la possibilité de développer les droits des gens, des travailleurs de toute sorte, ainsi qu'une Europe politique qui ait une vraie direction, et l'Europe monétaire, qui est l'instrument, et la clé d'une harmonisation économique.
- QUESTION.- Vous dites : il y aura une Europe sociale, mais aujourd'hui, vous êtes, en quelque sorte, le premier, et vous fêtez presque tout seul le 1er mai de l'Europe !
- LE PRESIDENT.- Mais c'est la première apparition, après la charte sociale qui est restée quand même imprécise, c'est la première véritable apparition du droit social européen dans le traité de Maastricht, et le traité de Maastricht est encore en cours de ratification...
- QUESTION.- C'est cela, mais les Anglais ne l'ont pas accepté £ d'autre part il y a des résistances...
- LE PRESIDENT.- Vous avez raison de préciser cela, il faut que nos auditeurs le sachent : le traité de Maastricht est signé par douze pays, mais la charte sociale n'est signée que par onze. Alors, comme la Grande-Bretagne a fait opposition, les onze autres se sont réunis et ont décidé de voter un traité d'union sociale...
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QUESTION.- Est-ce qu'on peut accepter le principe qu'il existera une Europe sociale et que ce soit une sorte de coquille vide, beaucoup de baratin et rien dedans ou peu de choses ?
- LE PRESIDENT.- Vous ne pouvez pas dire cela, et si vous voulez on peut en parler d'une façon plus concrète. L'un des sujets les plus importants tient au fait de savoir dans quelles conditions on décide : est-ce qu'on décide à douze, à onze ? Est-ce qu'on décide à l'unanimité ? L'unanimité permet à chaque pays de disposer d'un droit de veto, d'empêcher l'adoption d'une réforme qui ne lui plaît pas. Ou bien décide-t-on à la majorité ? Ce qui permet, en effet, à l'Europe de se constituer plus solidement, d'exister vraiment. Eh bien, des dispositions figurent aujourd'hui pour cela dans le traité de Maastricht. Vous pouvez décider à la majorité de choses très importantes, qui touchent à la santé, à la sécurité des travailleurs, à leurs conditions de travail. Le traité de Maastricht élargit à l'ensemble de l'Europe, au Luxembourg, en Grèce, en France, en Espagne, etc., la discussion sur les conditions de travail, l'information et la consultation des travailleurs. Cela m'avait été demandé avec beaucoup d'insistance par les syndicats européens et en particulier par les syndicats français qui sont venus me voir à l'époque. L'égalité entre les femmes et les hommes, l'intégration des personnes exclues du marché du travail, tout cela peut être décidé à la majorité, si le traité de Maastricht est adopté. D'autre part, l'unanimité demeure nécessaire dans d'autres domaines. On ne pourra pas disposer de la protection sociale, de la sécurité sociale française, sans l'accord de la France.
- QUESTION.- Monsieur le Président, il y a des doutes, des ambiguïtés, des craintes...
- LE PRESIDENT.- Précisez !
- QUESTION.- Est-ce que c'est Bruxelles ou vous, - ou vos successeurs -, qui déciderez des salaires, des droits syndicaux, du droit de grève, de la sécurité sociale ?
- LE PRESIDENT.- Non, les rémunérations, c'est-à-dire les salaires, le droit de grève, sont hors compétences de la Communauté européenne. Cela reste du droit national.\
QUESTION.- A une époque, monsieur Mitterrand, vous disiez : "L'Europe sera socialiste ou elle ne sera pas". La réalité, étant donné ce que sont nos voisins, c'est qu'elle est plutôt libérale £ est-ce qu'on se contente de la charte sociale, des mesures qui, certes, sont importantes, mais qui sont limitées ?
- LE PRESIDENT.- Je ne m'en contente pas ! Je vous ai dit tout à l'heure qu'il n'en avait jamais été question avant l'arrivée d'un pouvoir socialiste en France, c'est-à-dire avant 1981. En 1989, sous présidence française, le principe d'une charte sociale a été adopté. Puis à Maastricht, nous avons été quelques-uns à peser lourd pour que l'Europe sociale commence à naître.
- QUESTION.- Mais cela, vous vous en contentez, vous l'acceptez, parce qu'on ne peut pas faire une Europe socialiste...
- LE PRESIDENT.- Vous m'interrompez là-dessus, mais je viens de répondre à votre question. Il y a simplement onze ans que cela a commencé, on a marqué un avantage en 1989, on le marquera beaucoup plus avec Maastricht, mais il faudra continuer. Quand je disais : l'Europe sera socialiste ou ne sera pas, c'est ma conviction, c'est-à-dire qu'il y aura vraiment une Europe sociale mêlée à une Europe économique, c'est indispensable si l'on veut que l'économie marche, il faut que le social fonctionne, il faut qu'il y ait la contribution enthousiaste, volontaire de tous les travailleurs de tous nos pays, sans quoi tout cela tombera par terre, mais c'est une oeuvre de longue haleine. Croyez-moi, on va continuer à se battre et si on n'a pas plus avancé, c'est précisément parce que la dominante européenne, pas la totalité, mais la quasi-unanimité des pays européens obéissent aux lois, aujourd'hui, de ce qu'on appelle le libéralisme économique.
- QUESTION.- Ce n'est pas près de changer, çà !
- LE PRESIDENT.- Mais, comment, ce n'est pas prêt de changer ? Vous n'en savez rien, en tout cas, tout combat politique se mène avec l'espoir d'aboutir et pourquoi voulez-vous qu'on ne réussisse pas à faire dans l'Europe ce qu'on a réussi à faire en France ? Quand, en 1958, ceux qui gouvernaient à l'époque disaient : on est là pour trente ans, ils se sont trompés... non, cela n'a pas duré trente ans, un président de la République socialiste a été élu et des gouvernements socialistes gouvernent la France depuis neuf ans..
- QUESTION.- Par exemple, aujourd'hui.
- LE PRESIDENT.- Je dis neuf ans, parce qu'il y a deux ans d'interruption sur onze !
- QUESTION.- Mais vous étiez là quand même.
- LE PRESIDENT.- Je remplissais mes fonctions. J'avais une majorité politique différente en France, mais je suis respectueux de la démocratie parlementaire.\
QUESTION.- On reviendra à cet aspect politique plus tard. Quels objectifs fixez-vous à cette Europe sociale ? Est-ce que vous voyez des étapes, un calendrier ? Est-ce qu'il n'y aura pas deux systèmes : une Europe sociale pour certains pays comme l'Allemagne et puis une Europe au rabais pour tous les autres ?
- LE PRESIDENT.- Mais pas du tout, puisque les dispositions que je viens de vous indiquer figurent dans un traité, elles sont donc applicables à tous les pays de la Communauté, sauf pour l'instant à la Grande-Bretagne.
- QUESTION.- Donnez-moi un exemple de ce qui peut être fait maintenant, de ce que vous voudriez que les Européens fassent ?
- LE PRESIDENT.- Ce que je voudrais, c'est que tous les droits des travailleurs dont nous disposons en France, qui est le pays le plus avancé des douze sur ce terrain-là, se généralisent. C'est difficile, parce qu'il y a des pays, y compris les pays dans lesquels on pratique des politiques de progrès, je pense à l'Espagne à direction socialiste, qui ne pourraient pas suivre dès maintenant l'ensemble des dispositions sociales pratiquées en France, parce qu'ils n'en ont pas les revenus, ils n'en ont pas les moyens. Donc, je souhaite développer dans l'Europe une législation comparable, peu à peu, à mesure qu'il y aura les progrès économiques, à celle de la France. Et, d'autre part, il n'est pas interdit, il est même recommandé à chacun des pays de faire plus que ce que permettra la charte sociale £ on ne pourra pas faire moins, mais on pourra faire plus. On garde entièrement son dispositif social et on pourra même l'améliorer sans rien demander à personne.
- QUESTION.- Qu'est-ce qu'on peut prendre chez les autres qui permette l'avancée sociale à la manière allemande ?
- LE PRESIDENT.- Aujourd'hui, pratiquement peu de choses, parce que, je le répète, nous sommes les mieux placés, mais il y a de prévu dans le traité déjà un certain nombre de dispositions sur la circulation des travailleurs, sur la reconnaissance mutuelle des diplômes, sur la formation professionnelle et la formation continue, il y a certainement de bonnes idées, de bonnes réalisations à prendre ailleurs.
- QUESTION.- Encore une chose, monsieur le Président, l'Europe ressemble à la meilleure et à la pire des choses £ on nous dit qu'à cause d'elle il y aura des chômeurs, on nous dit, au contraire que c'est formidable, qu'elle va faire naître des emplois, alors à Bruxelles comme à Lourdes, est-ce qu'il va pleuvoir... je ne sais pas... des miracles, des emplois, ou bien ce sont des mirages ?
- LE PRESIDENT.- Je pense que ceux qui disent qu'il y aura davantage de chômeurs commettent une erreur fondamentale. C'est leur passion politique qui les pousse à dire cela. Pourquoi ? Parce que le seul effet mécanique de la réunion de douze pays sans frontières et sans barrières, cela représente déjà une économie considérable de paperasseries, de difficultés administratives. Simplement sur le plan de l'argent, si vous voulez changer votre argent avec les monnaies des onze autres pays, sans avoir dépensé un sou, il ne vous restera qu'une petite partie du billet que vous aviez au départ, simplement parce, à chaque frontière franchie, il a fallu en laisser un morceau. Tout cela est absurde. Moi, je suis de l'avis de Jacques Delors, il a raison lorsqu'il pense que dans les années prochaines, la Communauté européenne, parce qu'elle existe, devrait permettre de gagner trois à quatre millions, il dit même cinq, d'emplois.\
QUESTION.- Au passage, je lisais la presse suisse et certains journaux se plaignent parce que trois grandes banques suisses annoncent des profits substantiels et en même temps licencient. En France, on a un exemple qui ressemble à cela £ à Sochaux, Jacques Calvet, champion de la rentabilité, licencie avec un certain nombre de protections, à cause de la concurrence du Japon et de quelques autres...
- LE PRESIDENT.- "Un certain nombre de protections", c'est-à-dire ?
- QUESTION.-... de sa part, je veux dire.
- LE PRESIDENT.- Il n'a pas rencontré l'approbation du ministre du travail, Martine Aubry, comme vous le savez, vous en avez parlé vous même.
- QUESTION.- Oui, et vous avez approuvé le ton de la polémique, en tout cas les arguments de Mme Aubry, la fermeté ?
- LE PRESIDENT.- La fermeté, certainement.
- QUESTION.- Pourquoi ?
- LE PRESIDENT.- Mais parce qu'elle a raison, on doit défendre les travailleurs. Enfin, est-ce qu'il est supportable, et de ce point de vue, je rejoins absolument la polémique suisse, de penser que les grandes compagnies, les grandes entreprises, affichent chaque année des résultats très favorables, alors qu'en même temps elles licencient leurs personnels ? Qu'elles s'arrangent au moins pour que leurs personnels licenciés reçoivent leur part du profit enregistré. Que les sociétés capitalistes gagnent, - quand c'est le cas - beaucoup et que les travailleurs perdent, est insupportable.
- QUESTION.- Oui, mais les chefs d'entreprise ont à faire face, vous le disiez, à la concurrence, à la compétition, à la compétitivité. Ils ont besoin d'avoir des entreprises qui se modernisent, qui tiennent, ils ne peuvent pas se transformer, si vous permettez, en nourrices ou en agences de bienfaisance.
- LE PRESIDENT.- Bien entendu, mais on ne leur demande pas cela. On leur demande simplement d'être justes et de considérer que leurs bénéfices ne sont pas simplement les leurs, mais appartiennent tout autant à tous ceux qui participent à l'entreprise, les ouvriers, les employés, les cadres.
- QUESTION.- Je comprends que quand on est Président de la République, qu'on est ici au pouvoir depuis onze ans et qu'on voit que ces entreprises...
- LE PRESIDENT.- Je ne suis pas le patron de ces entreprises !
- QUESTION.- Alors, que fait-on ? On se plaint, et puis...?
- LE PRESIDENT.- Non, non, c'est une lutte constante. Nous prenons des dispositions législatives. Le ministre du travail multiplie les interventions. Nous disposons quand même d'un appareil d'Etat important. Nous rencontrons beaucoup, et nous avons raison, les organisations syndicales. C'est une bataille de tous les jours.
- QUESTION.- Cela signifie-t-il que cela vous choque que les entreprises fassent aussi des profits, parce qu'il faut voir l'autre aspect ?...
- LE PRESIDENT.- Mais jamais de la vie ! Il faut qu'elles gagnent des marchés pour distribuer les salaires. Seulement, je voudrais que les bénéfices ne profitent pas qu'à quelques-uns.\
QUESTION.- Est-ce que vous avez ce matin une pensée pour votre collègue George Bush et l'Amérique secouée à l'instant même par des violences sociales et raciales qui ont un caractère dramatique ?
- LE PRESIDENT.- Oui, c'est tout à fait dramatique. J'ai en effet cette pensée. Je connais bien George Bush, c'est un homme bienveillant, généreux, qui relève d'une théorie politique extrêmement conservatrice. La société américaine est conservatrice et, comme on dit, économiquement libérale. On en voit ici quelques résultats... Ce qui est vrai, c'est qu'il s'agit d'abord d'un conflit racial et que ce conflit racial épouse comme toujours les contours sociaux. C'est à la fois un problème racial et social. Ce sont ceux qui sont en situation diminuée sur le plan racial qui sont en même temps en situation difficile sur le plan social. Tout cela est bien mêlé. A partir du moment où cela explose quelque part, cela explose partout et je pense - je me garde de tout conseil, par respect pour ce grand pays, mais puisque vous me demandez mon avis qu'il y a, aux Etats-Unis d'Amérique, une absence de législation sociale et de protection. De plus, tout cela est parti d'une décision de justice qui a, en effet, un aspect scandaleux. Tout le monde a vu, j'ai moi-même vu à la télévision...
- QUESTION.- Nous l'avons tous vu...
- LE PRESIDENT.- ... les images, c'est insupportable ! La révolte naît tout de suite et, dans un milieu peu formé, où le sentiment collectif se développe beaucoup, dans une certaine misère, il faut le dire, la colère est mauvaise conseillère et on ne peut pas, naturellement, approuver ces actes, c'est l'explication sociale. On parle social et vous mettez le doigt sur une affaire sociale.
- QUESTION.- C'est l'actualité qui me l'impose. Ce matin, François Mitterrand est en sympathie avec George Bush ?
- LE PRESIDENT.- Je suis en sympathie avec George Bush pour souhaiter qu'il puisse rétablir la paix sociale dans son pays.
- QUESTION.- Quand vous avez écouté tout à l'heure, sur Europe 1, le récit fait par les envoyés spéciaux, Benoît Laporte et Claude Gaignère, est-ce que vous vous êtes dit : "Pourvu que cela n'arrive jamais en France " ? Parce qu'il y a des tensions dans les banlieues, il y a aussi de la pauvreté.. Est-ce que vous pensez qu'un jour ou l'autre, à la suite de je ne sais quoi, les gens peuvent venir exercer des violences dans le centre des villes ?
- LE PRESIDENT.- Il y a aussi la pauvreté, il peut toujours naître des incidents, il y a toujours des injustices. Il y a des quartiers dans lesquels les hommes et les femmes vivent mal, très difficilement et souvent sans espoir. Mais il n'y a pas de comparaison possible entre ce qui se passe chez nous et ce qui se passe ailleurs. La France, on peut le dire justement, est le pays dans lequel le niveau de protection sociale est le plus élevé dans le monde.
- QUESTION.- Et puis maintenant, il y a Bernard Tapie, le ministre de la ville, qui va peut-être être actif ?
- LE PRESIDENT.- C'est un homme d'action et cet homme d'action doit pouvoir, en effet, obtenir des résultats où il a été chargé d'en obtenir, c'est-à-dire dans les villes et dans les quartiers difficiles.\
QUESTION.- Si vous le permettez, monsieur le Président, on reviendra sur l'Europe et Maastricht. Je voudrais qu'on parle de la situation politique en France, parce qu'il y a un mois vous subissiez un échec électoral cuisant, et vous l'aviez reconnu le 12 avril.
- LE PRESIDENT.- Je l'ai reconnu ? Qu'est-ce que cela veut dire ?
- QUESTION.- Vous avez dit : "C'est un fait, on ne peut pas faire autrement".
- LE PRESIDENT.- Il suffisait de lire les résultats !
- QUESTION.- Aujourd'hui, les sondages s'améliorent. Je ne sais pas si vous estimez avoir fait ce qu'on attendait de vous. Vous avez nommé Premier ministre M. Bérégovoy, mais vous n'avez pas encore, à ma connaissance, expliqué quelle mission vous lui assigniez.
- LE PRESIDENT.- Ecoutez, il s'en est expliqué lui-même. Lorsqu'il est allé devant l'Assemblée nationale et a fait lire sa déclaration au Sénat, il a développé les idées essentielles qui animeraient son action.
- QUESTION.- Quand il y a des prédécesseurs, vous avez dit : "Je demande au Premier ministre de faire ceci et cela" ?
- LE PRESIDENT.- Oui. Ce que j'ai fixé essentiellement pour terme de la première étape de leur action, c'est de préparer la France à pouvoir supporter précisément la concurrence qui va être sans bornes, et heureusement d'ailleurs, parce qu'il faut avoir confiance en soi dès le 1er janvier de l'année prochaine. Il faut penser qu'entre 340 millions de personnes en Europe, on va pouvoir franchir les douanes (qui disparaîtront d'ailleurs le plus souvent, sauf naturellement aux frontières extérieures, à l'extérieur de la Communauté), qu'il va y avoir la possibilité de s'installer partout pour y travailler et que cette concurrence exige beaucoup d'efforts. Donc, je leur ai demandé de préparer cela.\
Cette mission reste celle de Pierre Bérégovoy. Mais après tout, pourquoi ne pas voir plus loin ? Pourquoi ne pas considérer qu'au-delà des élections législatives la mission que j'ai fixée au Premier ministre devrait normalement continuer ?
- QUESTION.- Je rêve !... Excusez-moi, monsieur le Président de la République... C'est M. Bérégovoy ou un premier ministre socialiste qui pourrait continuer après les élections législatives ?
- LE PRESIDENT.- Il se trouve que c'est Pierre Bérégovoy qui est à l'heure actuelle à la tête du gouvernement et il est parfaitement capable, compte tenu de tous les efforts accomplis jusqu'ici dont le mérite doit être réparti sur plusieurs têtes, de bien convaincre les Français que la politique qu'il mène est une bonne politique qui n'est pas faite que pour onze mois.
- QUESTION.- Qu'est-ce qui serait alors la réussite de Pierre Bérégovoy ? C'est qu'il gagne aussi les élections avec vous...
- LE PRESIDENT.- C'est très bien, cela !
- QUESTION.- ... ou qu'il limite "la casse" ?
- LE PRESIDENT.- "Limiter la casse", c'est perdre les élections le moins mal possible, mais quand on se bat, on peut gagner. Et je pense que le gouvernement de Pierre Bérégovoy et l'ensemble des forces qui le soutiennent peuvent très bien, encore aujourd'hui, l'emporter, sans que, bien entendu, j'ignore que ce gouvernement a le dos au mur, en raison du peu de temps qu'il a devant lui. Quand on est comme cela, on fait ce qu'on doit et on fait ce qu'on peut.
- QUESTION.- Cela va doper Pierre Bérégovoy, s'il nous écoute ce matin !
- LE PRESIDENT.- Il n'a pas besoin d'être dopé. Il sait qu'il peut compter sur moi.
- QUESTION.- Surtout, monsieur le Président, qu'il y a des critiques.. Vous entendez les reproches qui sont adressés au Premier ministre : il est rassurant, mais conservateur...
- LE PRESIDENT.- Conservateur, non.
- QUESTION.-... il est pragmatique, mais il anesthésie le pays, il est calme, mais il se contente de "sauver les meubles"...\
QUESTION.- Est-ce vous qui demandez de ne pas faire de réformes ?
- LE PRESIDENT.- Tout cela, c'est une plaisanterie ! Démontrez ce que vous dites là ! même si vous ne le prenez pas à votre compte. Citez des exemples !
- QUESTION.- La réforme de l'éducation...
- LE PRESIDENT.- Bon, c'en est une. Une deuxième ?
- QUESTION.- Autre grande réforme, la réforme de la fiscalité, qu'il aurait fallu faire...
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas dit qu'il n'y en aurait pas...
- QUESTION.- Alors la réforme de l'éducation.
- LE PRESIDENT.- Non, non ! Jack Lang, et donc Pierre Bérégovoy, qui est chef du gouvernement, ont modifié le rythme de la réforme scolaire, mais essentiellement par l'engagement d'un dialogue qui devrait permettre de montrer à chaque catégorie intéressée qu'il y a moyen de s'entendre et que cette réforme de Lionel Jospin était une réforme de progrès, qui méritait seulement d'être expliquée, comprise. Le cas échéant, s'il faut, sur tel ou tel point, infléchir la position, elle le sera.
- QUESTION.- Mais vous n'avez pas dit : il faut de l'apaisement...
- LE PRESIDENT.- Non, on n'a pas dit : il n'y aura pas de réforme.
- QUESTION.- Vous ne l'avez pas demandé au Premier ministre ?
- LE PRESIDENT.- ... Jack Lang ne l'a pas dit non plus.
- QUESTION.- Mais par tempérament, monsieur le Président, vous préférez les premiers ministres qui secouent, qui dérangent, comme Pierre Mauroy, Edith Cresson.
- LE PRESIDENT.- Je les aime bien, ceux-là !
- QUESTION.- ... ou qui calment le jeu par nécessité ?
- LE PRESIDENT.- Pierre Mauroy a obtenu des résultats tout à fait remarquables et il a vraiment marqué l'ère du gouvernement socialiste. Edith Cresson a été, je le répète sans arrêt, injustement traitée. Mais les premiers ministres qui paraissent, disons, plus tranquilles, ce qui ne veut pas dire qu'ils soient moins déterminés et moins actifs, peuvent être également très utiles à la France. Disons, pour employer un terme anglais, ce qui n'est pas dans mes habitudes, que c'est un bon "cocktail".
- QUESTION.- Vous avez besoin maintenant, ou la société française a besoin, d'un Premier ministre qui joue calmement, qui apaise.
- LE PRESIDENT.- Pierre Bérégovoy a le tempérament calme et déterminé d'un ancien ouvrier qui sait la difficulté de la vie, qui a gravi les échelons peu à peu, qui est né dans une famille modeste et qui sait que tout doit être traité avec sérieux et force, mais ce n'est pas du tout un conservateur, ce n'est pas quelqu'un qui va endormir le public.
- QUESTION.- Vous croyez que, depuis bientôt un mois qu'il est nommé, il se débrouille bien à Matignon ?
- LE PRESIDENT.- Moi, je trouve. Je suis très satisfait de ce qu'il fait et j'espère que cela va continuer.
- QUESTION.- Certains disent qu'en onze mois, et ensuite deux ans d'une éventuelle cohabitation...
- LE PRESIDENT.- On n'en est pas encore là !
- QUESTION.- ... cela va faire trois années de perdues...
- LE PRESIDENT.- Trois années de perdues ? Mais on ne perd pas de temps ! On ne perd pas de temps ! On ne perd pas une journée !
- QUESTION.- Est-ce qu'on va se contenter de "bricoler", de ravauder, de rafistoler ?
- LE PRESIDENT.- Qui dit cela ?
- QUESTION.- Raymond Barre et d'autres aussi...
- LE PRESIDENT.- Mais il peut arriver à M. Barre, que j'estime beaucoup, de parler de façon polémique. Il a tort dans ce cas-là. Qu'est-ce qu'on ravaude ? Cela veut dire quoi ? Nous sommes pleins de projets, nous continuons de développer une politique dont les effets se feront sentir, croyez-moi. Et puis, on gère la France.. C'est la seule façon aujourd'hui, avec Maastricht devant nous. Et après, il y aura bien d'autres choses.. J'ai l'impression que nous ne chômons pas !\
QUESTION.- Comment jugez-vous, monsieur le Président de la République, la façon dont le débat sur l'Europe de Maastricht s'est engagé ? Est-ce que ce qui s'est passé cette nuit à la commission des lois de l'Assemblée est un exemple ? Elle a adopté le projet de révision de la Constitution "au pas de course", il n'y avait que les socialistes en séance, les autres sont partis parce qu'on discute trop vite.. Est-ce que c'est souhaitable ou est-ce que vous voulez qu'il y ait une vraie discussion ?
- LE PRESIDENT.- Ecoutez, c'est souhaitable, mais qu'est-ce que c'est que tous ces mots ? Tout cela est absurde ! Vous reprenez les bruits qui se disent et vous les donnez, c'est votre métier aussi.. Vous en tirez certainement des leçons pour vous-même, mais qu'est-ce que cela veut dire ? Maastricht, cela fait longtemps qu'on en parle, ce n'est pas nouveau. On a mis un temps fou à aboutir. Les négociateurs de Maastricht, c'est-à-dire les chefs d'Etat et de gouvernement se sont réunis, les ministres des affaires étrangères, les ministres de l'économie et des finances ont fait un travail énorme et l'opinion - du moins les milieux spécialisés, en tout cas le Parlement - sait bien tout cela. En plus, de quelle façon les bouscule-t-on ? Ce traité a été conclu, enregistré entre nous début décembre. Il a été mis au point (c'est un énorme document) et terminé début février. Et il a été signé par les ministres des affaires étrangères en février. Nous sommes aujourd'hui le 1er mai. C'est un rythme soutenu...
- QUESTION.- Oui, c'est un rythme soutenu.
- LE PRESIDENT.- ... C'est une vérité, mais il n'y a aucune bousculade et le Parlement dispose de nombreuses semaines pour trancher.
- QUESTION.- Que pensez-vous de la manière dont le débat s'est enclenché ? Les chefs des grands partis, vous les avez trouvés dans l'ensemble, là où vous êtes, à la hauteur de l'événement ?
- LE PRESIDENT.- Cela dépend lesquels...
- QUESTION.- Qui ? Parce que l'opposition, après quelques hésitations, est plutôt unie sur l'Europe...
- LE PRESIDENT.- Il y en a qui sont pour, il y en a qui sont contre... Très bien. Il y en a qui sont contre, qui finissent par être pour, j'espère qu'il n'y en aura pas qui sont pour qui deviendront contre, quoiqu'un certain nombre d'entre eux soient sensibles à la politique intérieure et feraient vite de la "politicaillerie" avec ce qui est un grand acte national.
- QUESTION.- Mais vous, monsieur le Président, vous vous engagez une nouvelle fois à ne pas mélanger la politique intérieure et l'Europe ? A ne pas tourner le fer dans la plaie ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas besoin de m'engager à cela, c'est ce que j'ai fait. J'ai approuvé, puis fait signer un traité qui engage la France. Ce n'est pas une affaire de clan, ce n'est pas une affaire de parti, c'est une affaire qui touche tous les Français, les partisans, les adversaires.. Et moi, j'ai la France en tête.
- QUESTION.- Mais peut-on éviter d'entendre un peu ce chantage : quelqu'un qui est aujourd'hui anti-européen ou anti-Maastricht, est un mauvais Français ?
- LE PRESIDENT.- Non, je n'ai jamais dit cela !
- QUESTION.- Cela se dit, cela s'entend...
- LE PRESIDENT.- Je n'ai jamais dit cela £ moi, je n'aime pas ceux qui sont contre tout parce qu'ils ont peur de tout. Mais il y a ceux qui aiment la France à leur manière et qui s'inquiètent de Maastricht par rapport à la France, conception que je respecte, qui me paraît un peu étroite et, disons, archaïque. Mais d'une façon générale, le débat doit être un débat élevé et noble et il n'y a pas lieu de considérer a priori que les uns sont de mauvais Français et les autres de bons. Simplement, il y en a qui ont raison et d'autres qui se trompent...\
QUESTION.- Et vous préféreriez travailler plus tard avec ceux qui ont raison aujourd'hui et pas seulement les socialistes, mais ceux qui sont dans d'autres camps ?
- LE PRESIDENT.- Il ne faut pas mélanger les notions. On ne parle pas de politique intérieure. Je suis prêt à le faire, si vous le voulez, mais pas la-dessus. Il est évident que ne pourront pas diriger les affaires de la France, dans l'application du Traité de Maastricht, ceux qui n'en auront pas voulu. Il faut que la France soit logique avec elle-même, en tout cas si cela dépend de moi.
- QUESTION.- Dans quelques jours, le débat sur la révision de la Constitution va s'engager. Il a commencé par la voie parlementaire. Est-ce que vous acceptez le principe qu'il y ait des amendements ?
- LE PRESIDENT.- D'abord, il y a une chose qu'il faudra que vous expliquiez très souvent, si vous voulez bien rendre service au pays (et vous y êtes prêt, comme moi je m'y efforce ce matin), et qu'il est très difficile de comprendre, quand on ne suit pas ces affaires au jour le jour - comme je suis obligé de le faire - : c'est qu'il y a deux actes, deux phases, et que cela se fait en deux temps, en raison d'un article de notre Constitution, qui est l'article 54 qui dit : si un traité international, engagé par le gouvernement (ce sont toujours le gouvernement et le Président de la République qui engagent un traité international), n'est pas conforme aux dispositions de notre Constitution, il faut d'abord, au préalable, réviser la Constitution, retoucher la Constitution...
- QUESTION.- C'est ce qui va se faire à partir de mardi. C'est la voie parlementaire : il faut que les deux Assemblées se prononcent en termes identiques.
- LE PRESIDENT.- C'est cela. Et une fois que la révision constitutionnelle est faite, si elle faite, à partir de là on ratifie et, à ce moment-là, on vote sur le Traité lui-même. Il faut bien comprendre cela. Dans la phase présente, qui consiste à voir si la Constitution doit être révisée, j'ai consulté les gens autorisés : le Conseil constitutionnel, le Conseil d'Etat en leur demandant : "Est-ce que vraiment il faut modifier la Constitution ?" Ces hautes institutions nous ont dit : "Mais oui, en tout cas sur trois points". Bon. Alors, j'ai transmis au Parlement et j'ai dit : "Révisez la Constitution sur ces trois points". C'est un travail technique et juridique assez complexe. Voilà pourquoi je pense que la voie parlementaire est la meilleure. C'est tout ce que je peux dire là-dessus.
- QUESTION.- Alors, on prend des exemples sur les amendements.
- LE PRESIDENT.- Vous m'avez parlé d'amendements. Je veux bien qu'on en discute, mais ces amendements ont tout juste été rédigés, ne sont pas encore vraiment soumis à la discussion. Je ne veux pas me prononcer comme cela, sans examen.
- QUESTION.- Mais par exemple, il y a ceux qui réclament que le Parlement français soit associé en permanence, à chaque étape de la construction européenne.
- LE PRESIDENT.- Ceux-là ont raison, d'autant plus que c'est ce qui se fait depuis longtemps !
- QUESTION.- Mais est-ce que cela doit se faire davantage, pour qu'ils soient plus associés ?
- LE PRESIDENT.- Il existe une loi, qui s'appelle la loi Josselin, qui porte le nom du député devenu aujourd'hui secrétaire d'Etat à la mer, et cette loi Josselin, qui date de 1990, dit que tous les projets de directives européennes doivent être à la disposition des Assemblées, adressés aux Assemblées. Elles peuvent en discuter, faire ce qu'elles veulent avec cela.
- QUESTION.- Il peut y avoir des grands débats à l'Assemblée, à chaque étape nouvelle de la progression de la construction européenne ?
- LE PRESIDENT.- Les débats sont toujours ouverts, il n'y a aucune difficulté pour cela. Le ministre des affaires étrangères ou le ministre des affaires européennes sont constamment devant les commissions.\
QUESTION.- Il y a aussi ceux, en particulier au RPR, qui demandent que la France fasse jouer son droit à la dérogation sur le droit de vote et l'éligibilité des étrangers européens ? Quelques précautions ont été prises dans le projet de loi de révision de la Constitution. Certains demandent si vous pourrez accepter que cet article soit supprimé ?
- LE PRESIDENT.- Jean-Pierre Elkabbach, il n'y aura aucune dérogation, aucune renégociation. Ceux qui sont partisans des traités devront les adopter tels qu'ils ont été élaborés. Ils doivent être mis en oeuvre, ou du moins ratifiés, avant le 1er janvier 1993 £ c'est dans le Traité. Si, en revanche, on veut adapter certains modes de délibération en France, ou certains modes d'information dans le jeu ou la présence du Parlement, cela peut toujours se discuter, mais cela ne touche pas au corps du Traité. Quant à associer les Parlements nationaux, notamment le Parlement français, au déroulement de la construction européenne, c'est la France qui l'a demandé et qui l'a obtenu. Cela figure dans le Traité. Alors, que nous demande-t-on ?
- QUESTION.- Donc, ceux qui veulent cette transformation savent ce matin qu'il n'y aura pas de demande de dérogation sur ce plan du droit de vote et de l'éligibilité des étrangers européens ?
- LE PRESIDENT.- Ce que je dis est clair. Mais on pourrait créer une confusion. La manière, par exemple, d'organiser le droit de vote des Européens, des citoyens de la Communauté, dans chacun des douze pays de cette Communauté - les étrangers en France, les Français à l'étranger -, n'a pas encore été fixée. Elle ne sera d'ailleurs fixée qu'en 1994 à l'unanimité, et nous avons dit, nous, que, bien entendu, nous entendions imposer un certain nombre de conditions. Par exemple, il faut qu'un étranger soit là depuis longtemps £ en outre - et cela, c'est déjà dans le texte soumis au Parlement - dans nos règles, nos lois intérieures, on ne peut pas être maire si on est étranger, parce que le maire participe à l'élection des sénateurs et c'est entre Français que cela se fait, ou bien disposer de pouvoirs de police, ce qui est une affaire strictement intérieure. Toutes ces dispositions sont mises au point, sont proposées, ou le seront mais le principe, lui, on ne peut pas y déroger et il ne sera pas renégocié. Moi, je n'accepterai rien là-dessus.
- QUESTION.- Même si vous avez des difficultés, au Sénat ou ailleurs ?
- LE PRESIDENT.- Toutes les difficultés qu'on voudra. Je ne céderai pas là-dessus.\
QUESTION.- Si le Parlement vote la réforme de la Constitution, arrive alors la deuxième phase dont vous parliez tout à l'heure.
- LE PRESIDENT.- C'est cela.
- QUESTION.- Sur la ratification ? Quelle est votre préférence ?
- LE PRESIDENT.- Je vais voir comment cela se passe. La ratification peut se faire d'une façon extraordinairement simple, par une discussion ordinaire sur un sujet extraordinaire £ cela peut se faire par des voies, au contraire, plus solennelles, un peu comme la révision constitutionnelle, cela peut se faire par référendum. Je pense que ceux qui réclament l'intervention du peuple lui-même, et non pas simplement de ses représentants, touchent à une corde sensible, c'est important. Mais la manière dont les débats auront lieu, la disposition d'esprit des parlementaires, la manière dont le pays réagira, j'ai besoin de les connaître et j'en tiendrai le plus grand compte.
- QUESTION.- C'est-à-dire que vous n'excluez pas...
- LE PRESIDENT.- Je n'exclus rien.
- QUESTION.- Votre avis n'est pas encore fait.
- LE PRESIDENT.- Je n'exclus rien, sauf qu'il ne sera pas possible d'abattre ce traité "par la bande" en modifiant, en défaisant. Non. C'est le Traité ou ce n'est rien, et c'est le rôle historique de tous les gouvernements de la France, dans notre histoire et sous toutes nos républiques : c'est le gouvernement et le Président de la République - c'est le cas actuellement - qui débattent, qui discutent, ce n'est pas le Parlement. Il appartient au Parlement, ensuite, de constater, d'accepter, ou de refuser.
- QUESTION.- Au passage, je peux vous citer une phrase que j'ai trouvée dans Richelieu, dont je parcourais le testament politique. Voici cette phrase : "Les Rois doivent prendre bien garde des Traités qu'ils font, bien les négocier, mais quand ils sont faits, ils doivent les observer avec religion".
- LE PRESIDENT.- Il est très bien, Richelieu ! Enfin, là-dessus ! Nous n'en sommes plus tout à fait à la même époque...
- QUESTION.- Ni aux guerres de religions.
- LE PRESIDENT.- Mais c'était un grand connaisseur de ce qui était bon pour l'Etat.
- QUESTION.- Mais vous ne trouvez pas qu'il soit choquant, irrévérencieux, irréaliste, de dire qu'on veut une consultation des Français ? Vous me le dites bien ce matin ?
- LE PRESIDENT.- Non, c'est une hypothèse retenue par la Constitution. Ceux qui la réclament ont le droit de le faire. Je ne dis pas que ce soit opportun, mais ils en ont le droit. Tout cela est à voir.
- QUESTION.- Est-ce qu'il y a un critère à partir duquel vous déciderez le référendum ?
- LE PRESIDENT.- Je veux que le Traité soit adopté. Alors, je prendrai le chemin le plus sûr pour cela.\
QUESTION.- Parce que, quand il sera adopté, vous direz : "Hop ! C'est fini ! Ma mission historique est terminée " ?
- LE PRESIDENT.- Oh non !... C'est un événement important de mon mandat présidentiel, très important. Je suis un Européen convaincu, je le suis depuis de très longues années, depuis plusieurs décennies et je crois que c'est un engagement d'une immense ampleur. Vous savez, les deux guerres mondiales ont déchiré, détruit l'Europe pendant si longtemps, d'une façon tragique. Toutes nos familles en ont souffert, le sang a été partout. Je fais ce que je peux pour que, par ce Traité et par la construction de l'Europe, on crée (dans le monde, ce sera peut-être la seule) une zone de paix durable en même temps qu'une zone de croissance, car quand on a la paix, on peut travailler.
- QUESTION.- Au passage, quand vous dites "une zone de paix", certains pensent que les Etats, ou certains Etats, peuvent se laisser entraîner par une décision prise par tel ou tel autre Etat de l'Europe et qu'on peut se retrouver dans un conflit, avec des soldats français engagés...
- LE PRESIDENT.- Cela, c'est autre chose. Tout est toujours possible, bien entendu, et les hommes ne sont pas toujours sages. Mais il est très important que, par des institutions, nous disposions, à l'heure actuelle, d'une aire qui s'étend sur une large partie de l'Europe, qui est composée des pays quand même les plus prospères (même s'il y en a qui ne sont pas très prospères) et dans laquelle il est entendu, et vraisemblablement acquis, qu'il ne puisse plus y avoir de guerre entre nous plus de guerre entre l'Allemagne et la France ! Pour ceux qui connaissent bien l'Histoire, on en a eu, des ennemis héréditaires ! Eh bien ! La plupart de ces ennemis héréditaires sont dans la même Europe !
- QUESTION.- Surtout que l'Allemagne, aujourd'hui, a des difficultés qui peuvent être une menace, peut-être un danger pour elle, à l'intérieur d'elle-même, mais peut-être pour l'Europe ou pour nous, non ?
- LE PRESIDENT.- Je ne pense pas. Les grands partis politiques allemands se sont tous prononcés en faveur de l'Europe, de la construction européenne. Non. Je pense que c'est une affaire grandiose. Nous allons bâtir une zone de paix pour longtemps. Mais bien entendu, à côté de nous, cela bouge et il faut travailler à ce que, par l'union politique que contient Maastricht, on soit en mesure d'aligner et harmoniser nos positions, pour savoir de quelle manière on agit à l'extérieur.\
QUESTION.- On continue avec les Allemands.. Vous n'allez pas perdre un ami à Bonn, le Chancelier Kohl ? Le perdre politiquement ?
- LE PRESIDENT.- Le Chancelier Kohl est toujours Chancelier ! Si la majorité change, comme elle peut changer en France, je pense que nos deux pays et nos deux peuples ont suffisamment payé leurs différends et leurs guerres pour que, désormais, ils ne reviennent jamais en arrière et choisissent la paix, l'harmonie et l'amitié entre eux.
- QUESTION.- Monsieur Balladur disait l'autre jour une évidence, mais forte : "Après Maastricht, la terre va continuer à tourner" !
- LE PRESIDENT.- Naturellement. C'est une bonne pensée, mais ce n'est pas une découverte !
- QUESTION.- Non, mais il en a d'autres qui sont aussi fortes... Vous avez d'autres projets pour 1992-1993 ? Puisqu'il y a une crise en Italie, on voit que certains rêvent que vous imitiez le Président italien Cossiga, qui vient de dire : "Cela suffit, je m'en vais... ciao "
- LE PRESIDENT.- Le Président italien devait, de toutes manières, quitter son poste début juillet. Comme il y a une crise gouvernementale, il préfère qu'elle soit réglée par son successeur. Il a donc écourté de deux mois son mandat de sept ans.. Je le connais très bien, c'est un homme de conscience, il a agi comme il croyait devoir le faire.
- QUESTION.- Cela ne s'imite pas... ou alors, en 1995 ?
- LE PRESIDENT.- Je ne sais pas.. Est-ce que mes adversaires me demandent, au lieu du mois de mai de partir au mois de février 95 ? C'est possible ! Je n'en sais rien ! Je suis tout prêt à examiner cette situation !
- QUESTION.- Il y en a qui diraient : "C'est toujours cela de pris ", si je peux me permettre de dire cela ! Quand j'entends le slogan du bouillonnant Philippe de Villiers : "François Mitterrand devrait partir en 1993 "... parce qu'il va vous faire la guerre là-dessus, avec d'autres...
- LE PRESIDENT.- Il dit ce qu'il a envie de dire. Je ne suis pas obligé de l'écouter !\
QUESTION.- A propos des réformes dont la Constitution a besoin, est-ce que vous restez sur les orientations de novembre dernier, c'est-à-dire qu'il y aura des modifications... ?
- LE PRESIDENT.- Je pense que c'est utile. D'abord, il serait très bon de "nettoyer" la Constitution, qui comporte des dispositions tout à fait dépassées. D'autre part, j'ai cité quelques terrains sur lesquels il me paraît bon de consulter le peuple plus souvent, de lui permettre de défendre ses droits et ses libertés d'une façon plus commode (qui ne soit pas toujours derrière les hauts murs des institutions), qu'il puisse s'exprimer lui-même. La justice a besoin de garanties.. La stabilité des institutions, leur pérennité, a besoin d'être assurée. Tout cela, on en parlera.
- QUESTION.- Tout à fait, et les questions sur le mandat, ou la réduction du mandat, ce sera pour après ? On peut imaginer qu'il y aura une consultation des Français (au moins une consultation) par référendum cette année ?
- LE PRESIDENT.- Je ne prends aucun engagement d'aucune sorte, mais ce serait de bonne méthode.
- QUESTION.- Eh bien, vous allez fêter le 1er mai 1992, c'est-à-dire aujourd'hui. Je vous souhaite une bonne journée. Merci d'avoir passé ce moment avec nous.
- LE PRESIDENT.- C'est une journée qui célébrait les plus durs combats, les combats sociaux. C'est devenu un jour férié. Cela ne veut pas dire pour autant que le combat doit cesser.
- QUESTION.- Vous voudriez que ce soit une fête européenne ?
- LE PRESIDENT.- Ce serait la réussite de Maastricht.\