9 avril 1992 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Mitterrand, Président de la République, lors de la cérémonie commémorative du 75ème anniversaire de la Bataille de Vimy, sur l'amitié franco-canadienne, Vimy le 9 avril 1992.

Monsieur le Premier ministre,
- Sur cette terre canadienne, auprès de ce monument qui célèbre le sacrifice de soldats canadiens, en ces lieux qui célèbrent l'amitié du premier jour, puis de tous les jours entre le Canada et la France, je considérais qu'il vous appartenait à vous d'exprimer nos sentiments communs, c'est ce que vous venez de faire et je vous en remercie.
- Je suis venu à vos côtés, aux côtés des personnalités canadiennes qui vous accompagnent, de Mme Mulroney et particulièrement des vétérans qui sont ici, afin d'apporter le témoignage de la France, afin de vous dire très simplement que restent aussi présents dans la mémoire française le sacrifice des Canadiens, l'amitié de votre pays, la pérennité de nos liens.
- Comment ne pas éprouver le sentiment de gravité alors qu'il y a seulement 75 ans sur cette crête tragiquement fameuse tant de vies ont été exposées, tant de vies ont été sacrifiées. Tout autour, c'est la terre de France. Ici, la conquête fut celle de vos soldats. Ils sont venus se porter au secours de la France, menacée dans sa propre existence. Ils sont venus de si loin et vous venez de l'évoquer, des franges du Pacifique aux bords de l'Atlantique, mais de l'autre côté, souche commune sans doute pour beaucoup. L'histoire se faisait, ici et là, chacun de son côté, jusqu'au jour où le Canada a décidé de renouer les liens que l'histoire avait tissés, de leur rendre présence et vie pour le sacrifice suprême. Les divisions qui composaient le corps d'armée canadien ont pris part aux plus dures batailles du nord de notre pays. Les troupes canadiennes ont payé le plus lourd tribu et démontré si besoin était la vaillance de votre peuple.
- Vous l'avez rappelé, en ce matin du 9 avril 1917, lors de l'offensive dite "d'Artois", quatre divisions canadiennes montaient à l'assaut de la crête de Vimy et capturaient une position réputée imprenable, mais à quel prix ? Ici même, plus de 3500 jeunes hommes de chez vous y ont laissé la vie.\
Je sais l'importance de cette bataille pour l'histoire du Canada et vous venez de le rappeler. Sacrifice partagé où pour la première fois vos soldats combattaient sous les couleurs du Canada, là s'est scellée la solidarité qui nous lie. A ceux qui ont participé à cette bataille et qui vous entourent aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, et qui par leur présence affirment la permanence - dans notre mémoire - du rôle glorieux joué par eux et par leur frères, je veux dire à quel point leur présence nous émeut, à quel point nous voudrions leur dire beaucoup plus et beaucoup mieux ce que nous, patriotes français, nous ressentons pour ce noble geste qui les a conduits à connaître ici la plus dure épreuve de leur vie.
- L'impressionnant effort de guerre soutenu par votre pays, - vous l'avez également dit, 66000 de ses fils sont venus mourir sur nos champs de bataille -, illustre la générosité de toute une nation qui en dépit de sa diversité n'hésita pas devant l'accomplissement de ce qu'elle considérait comme un même devoir. Loin de se replier sur un égoïsme prudent qui eut été bien légitime et de considérer que le conflit qui déchirait l'Europe lui était étranger, le Canada traçait à l'époque la voie qu'il allait suivre avec courage, lucidité pour la défense universelle de la liberté. Et sachez que la France, non plus, n'a pas oublié le sacrifice de ceux qui sont venus à ses côtés, que ce geste-là reste et restera à jamais présent dans nos mémoires, geste renouvelé par votre pays à l'époque du second conflit mondial avec le même élan, le même sens du sacrifice et la même amitié.
- Vous serez demain à Dieppe, monsieur le Premier ministre, et vous y trouverez un lieu tout aussi symbolique qui marquera de la même façon ce que fut et ce qu'est la valeur de vos soldats.
- Ainsi, à deux reprises, le Canada a partagé avec la France le poids des combats pour notre libération. Puissions-nous dire que ceux qui sont tombés ici, à l'endroit que marque ce gigantesque monument, puissions-nous dire qu'ils ne sont pas morts en vain ! Question que l'on pose toujours lorsqu'on tombe pour la patrie : sera-t-elle reconnaissante, méritera-t-elle le sacrifice, saura-t-elle tirer profit pour ses fils de la guerre gagnée pour construire la paix ?\
Le même attachement de nos deux pays à des valeurs communes, une même volonté de défendre ces valeurs chaque fois qu'elles sont mises en cause, tout cela s'est naturellement traduit après les luttes que je viens d'évoquer pour notre adhésion à la même Alliance, Alliance qui depuis quarante ans exprime sans avoir jamais été en défaut, la solidarité transatlantique. Nous l'estimons toujours vivante, aujourd'hui et pour l'avenir prévisible, composante essentielle de notre sécurité, garantie pour l'avenir de l'Europe, pour que ce continent ne soit plus le théâtre de tragiques affrontements de guerres civiles qui ont été proches de détruire nos peuples. Sans doute les concepts et les stratégies de défense doivent-ils être adaptés aux évolutions politiques en cours en Europe, sans doute les changements intervenus vont-ils conduire les Européens à prendre une part plus importante pour leur propre sécurité. Il est souhaitable et sain qu'ils le fassent dans des conditions de complémentarité qui permettront à nos liens d'alliance de durer tandis que s'affirmera l'identité européenne.
- Mais rien ne doit porter atteinte à la solidarité fondamentale qui unit notre Europe à ses amis et alliés canadiens et américains. Vous le comprendrez mieux que personne, monsieur le Premier ministre, vous qui êtes Québécois, de souche irlandaise, symbole dans votre personne de ce lien vivant, celui que vous souhaitez pour votre pays et qui marque bien la nature de nos propres solidarités. En temps de guerre, nous venons de le dire £ en temps de paix - c'est notre tâche d'aujourd'hui -, nous avons beaucoup fait ensemble pour que réussisse cette Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe, cadre unique rassemblant sur un pied de totale égalité, souveraineté, dignité, tous les Etats, cinquante-et-un désormais, parties prenantes à la sécurité de l'Europe. Ensemble, la France et le Canada oeuvrent pour consolider la démocratie, pour affirmer le respect des droits de l'homme, pour promouvoir la libre circulation des hommes et des idées, pour favoriser la prévention et le règlement pacifique des conflits.\
Ailleurs, dans le monde, qu'il s'agisse de l'univers de la Francophonie, de l'aide au développement, des opérations de maintien de la paix au titre des Nations unies, en Yougoslavie, au Cambodge, partout dans le monde, nous restons côte à côte, je le pense dans le même esprit fraternel. Il me semblait qu'après vous, il convenait que je pusse le dire ici, et j'ai voulu vous accompagner, vous tous amis canadiens. Vous ne pouviez douter de la France, et la présence de cette foule venue des environs est bien une preuve supplémentaire que notre coeur bat à l'unisson, et ces paroles sont dites qui se veulent de vie et d'espérance près du tombeau où reposent vos morts qui sont aussi les nôtres. Comme nous apercevons sur cette belle terre la naissance du printemps et donc du renouveau, la force de la pérénité, ce qui nous attache au souvenir des morts, la valeur de leur message, les mots se bousculeraient si l'on voulait tout dire et je veux me limiter à un seul d'entre eux pour vous, monsieur le Premier ministre, pour vous, mesdames et messieurs canadiens, et pour vos morts, un seul mot : le merci de la France.\