31 janvier 1992 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la mission de sécurité internationale de l'ONU, la proposition de mettre un contingent français en permanence à la disposition de l'ONU et celle d'un sommet mondial sur le développement social, New York, le 31 janvier 1992.

Monsieur le Président,
- Je veux d'abord vous remercier de votre initiative, celle qui nous réunit ici, membres du Conseil de Sécurité. C'est, je le crois, un événement important, comme vient de le souligner M. le secrétaire général, auquel je veux dire en même temps, à quel point mon pays se réjouit de le voir aujourd'hui à la tête de notre grande société internationale. Je lui souhaite pleine réussite dans sa mission. Nous ne lui mesurerons pas notre soutien.
- Je joindrai à ces encouragements les remerciements que nous devons à M. Perez de Cuellar ainsi que l'a fort bien exprimé M. le Président Major.\
J'avais moi-même souhaité une réunion de ce type, il y a dix mois, lorsque nous étions à la fin d'une guerre, menée pour enrayer une agression et restaurer le droit, précisément sous l'égide des Nations unies, ce qui était nouveau et essentiel, guerre qui a naturellement entraîné son cortège inévitable de souffrances. Que de bouleversements depuis lors ! Des peuples jetés sur les routes, des guerres civiles, la dislocation de vastes ensembles politiques déjà anciens. On s'interroge : où allons-nous ? On cherche des repères, on ne les trouve pas toujours, c'est le rôle du Conseil de Sécurité et de l'Assemblée générale que de les déterminer.
- Le désordre et l'imprévisibilité sont devenus la règle. On dira qu'il y a peut-être tout simplement trop d'événements à la fois et que la seule constante du jour c'est le changement. Seulement voilà, va-t-on regretter l'ordre ancien et préférer, avec le grand écrivain allemand Goethe, l'injustice au désordre ? Sûrement pas. La liberté a grandi dans le monde, il faut continuer de l'aider.
- Existe-t-il des réponses claires ? C'est vrai qu'un temps de crise, comme celui que nous vivons, doit être un temps de choix : d'un côté la guerre, l'exode, l'éclatement des états, le terrorisme, est-ce fatal ? Nous pouvons l'empêcher, c'est la première affirmation que je prononcerai et c'est précisément la tâche qui incombe au premier chef au Conseil de Sécurité des Nations unies, conformément à la Charte. Dès le mois de mars de l'an dernier, cette réunion était nécessaire, M. le Président Major a parfaitement eu raison, les choses ayant mûri, de nous inviter ici même, tout ne dépend pas de nous, loin de là, mais beaucoup quand même.\
Alors je voudrais, en quelques mots, tracer avec vous le chemin à suivre. D'abord en remarquant que le monde en crise a besoin d'instruments pour une action globale universelle. Deuxièmement, qu'il s'agit aussi de garantir la sécurité collective. Enfin, qu'il faudra inventer de nouvelles formes de solidarité. Bien entendu, cet exposé ne sera pas exhaustif puisque nous devons nous exprimer, et c'est une bonne chose, en peu de temps.
- I - Une action globale.
- J'ajouterai juste quelques idées ou quelques projets. C'est vrai que, depuis 1945, tous les grands problèmes apparus sur la terre ont nécessité un traitement universel. Eh bien ! il faut maintenant créer les instruments de cette action globale, les instruments de la sécurité, étudier comment élargir les moyens d'intervention de notre conseil.
- Prenez l'exemple de la résolution 687 qui a mis fin à la guerre du Koweit. Son application rigoureuse est nécessaire pour revenir à la paix au Moyen-Orient mais elle n'est pas suffisante. Elle appelle, c'est évident, la création d'une zone libre d'armes, débarrassée d'armes de destruction massive, ce qui suppose l'adhésion de tous les états dans cette région ou dans les autres. De même, il faut que chacun adhère au Traité de non-prolifération. La France, pour sa part, est à l'heure actuelle, en train de ratifier ce dernier traité. Elle va également adhérer au protocole additionnel no 1 de Tlatelolco dont on célèbrera le 25ème anniversaire dans deux semaines.
- Mais cette zone suppose aussi l'adoption de la Convention d'interdiction des armes chimiques. C'est possible et c'est pourquoi j'invite tous les états à venir la signer à Paris avant la fin de l'année.
- Il convient également de surveiller, de limiter les transferts d'armes, d'accélérer la réduction effective des armes nucléaires comme l'ont excellemment proposé les présidents Bush et Eltsine, de mieux relier les notions de désarmement et de non-prolifération et ainsi de suite. Nous n'en sommes plus à la course au surarmement, au contraire, et c'est une grande et bonne nouvelle. Maintenant il faut que chacun prenne part au désarmement nucléaire à la condition de réunir d'abord toutes les chances afin que tous les états en cause puissent voir leur sécurité assurée. Il ne faut donc pas maintenir une trop grande différence dans le potentiel nucléaire détenu par les uns et par les autres.\
L'interdépendance économique, voilà une autre évidence. Que de chemin à faire pour en tirer des conséquences pratiques ! On peut alléger désormais les budgets militaires au profit du développement. Je rappelle à quel point nous avons été plusieurs à demander que reprenne constamment le dialogue entre le nord et le sud. Il ne faut pas que ce fossé se creuse davantage et donc il nous faut poursuivre le travail engagé sur la dette, en examinant maintenant par exemple le cas des pays à revenus intermédiaires de la tranche inférieure, de même que nous avons, c'est le cas du Venezuela et de la France, essayé d'amorcer sans bruit particulier, en juillet dernier, un dialogue entre producteurs et consommateurs de pétrole. Voilà, il nous faut réviser bien des concepts, bien des méthodes, bien des moyens.\
Je n'insisterai pas sur l'environnement, nous avons rendez-vous à Rio. Il nous faudra alors adopter une vue large des choses, afin que nous préservions notre planète tout en permettant le progrès des peuples, qui sont souvent contraints d'altérer les équilibres naturels, faute pour eux de disposer du moyen de vivre autrement.\
Quant aux droits de l'homme, les voilà qui sortent vainqueurs, j'espère non pas provisoires, des luttes idéologiques de la guerre froide, ce n'est pas un nouveau système que je propose, simplement je rappelerai que la démocratie commence à l'école, il faut songer au rôle de l'UNESCO, rénovée, qui peut devenir exemplaire, qu'il faut consolider et voilà pourquoi je dis aux Etats, qui comprendront de quoi je parle, qu'il est temps, pour ceux qui l'ont quittée, d'y revenir afin de contribuer à cette grande tâche.\
II - Une sécurité collective.
- Cette sécurité collective sera très vite compromise si nous n'en créons pas les conditions modernes. Les expériences passées n'ont pas convaincu. Rien n'est possible, sans la volonté des états, et particulièrement des grandes puissances, de refuser la loi de la jungle qui est simplement la loi du plus fort. Cette volonté est inscrite dans la Charte des Nations unies. Elle a été longtemps bloquée cette charte, et pourtant, désormais, elle est utilisable dans toutes ses dispositions qu'il faut mettre en pratique sans délai. Voici quelques propositions, vous en ferez d'autres vous-mêmes, afin d'assurer une meilleure efficacité des opérations de maintien de la paix, je vous informe qu'un pays comme la France est prêt à mettre à la disposition du secrétaire général des Nations unies, et à tout moment, dans un délai de quarante-huit heures, un contingent de mille hommes pour les opérations de maintien de la paix, chiffre qui pourra être doublé en une semaine. Cette affectation impliquerait évidemment la mise en activité du Comité d'Etat-Major prévu par la Charte. Deuxièmement, pour développer la diplomatie préventive, indispensable, il faut que les membres du Conseil s'engagent à fournir systématiquement au secrétaire général, des éléments d'appréciation sur la sécurité internationale et lui donnent mandat d'entretenir régulièrement des contacts avec ses homologues, responsables des organisations régionales. Le chapitre 8 de la Charte, permettez-moi de le rappeler, sur les accords régionaux, ne doit plus être laissé de côté.\
Enfin nous devons également recourir, autant que nécessaire, à de nouvelles instances pour faire face à des besoins spécifiques sur les relations entre désarmement et développement. Des suggestions ont été faites comme celles de l'Allemagne, elles sont bonnes. Voilà pourquoi la France recommande la création de "fonds régionaux pour la conversion" qui favoriseraient le transfert de la recherche et du développement militaire vers la production civile au profit, pour commencer, d'états nouveaux, de républiques directement pressées par la nécessité. Il en est ainsi de certains états héritiers de l'ancienne Union soviétique, mais aussi de beaucoup d'autres pays, notamment au Proche-Orient. De même, à la suite de ce qui s'amorce en Europe, pourquoi ne pas développer dans chaque région du monde, des instances appropriées d'arbitrage ? La Communauté européenne s'en est déjà dotée.
- Voilà pour quelques instruments. Encore faut-il assurer à l'organisation un financement régulier et croissant, et pour cela payer les arriérés. Je ne ferai la leçon à personne, mais enfin je me permets de le rappeler, cela me permettra en tout cas de marquer que l'esprit de coopération présidera à nos travaux.\
III - Quelles conditions pour une nouvelle solidarité ?
- La sécurité ne peut pas être conçue seulement sur le plan militaire, elle est évidente sur le plan économique et même c'est celle-là qui prendra le pas sur l'autre à mesure que le temps va passer, dans la mesure où l'insécurité économique ne sera pas génératrice de nouveaux conflits militaires. Il y a là-dessus bien des propositions à faire, il ne faut pas qu'une confrontation nord-sud se substitue à l'affrontement est-ouest, chacun en sera bien d'accord. La politique comme l'économie, le désarmement de nos sociétés, l'environnement, nous renvoient à cette même loi, celle de la solidarité.
- Depuis longtemps le terme général de "pays en voie de développement" n'est plus adapté à la réalité. Il y a vingt ans on pouvait croire au progrès uniforme, général. Il y a en vérité deux grandes catégories de pays, certains parviennent effectivement à progresser, mais beaucoup d'autres, en Afrique surtout, mais ailleurs aussi, dans la péninsule indochinoise, sont enfoncés dans une situation dont ils ne pourront sortir sans notre aide. Et s'il y a plusieurs types de pays en voie de développement, pour employer l'expression traditionnelle que je conteste, il faut des formes d'aide adaptée. Les pays en vrai développement, qui se développent, ont besoin d'investissements privés et publics, de crédits bon marché, de croissance du commerce international, d'où l'importance des négociations internationales en cours.
- Pour les autres pays, qui n'ont pas encore accédé au vrai développement, ne nous payons pas de mots, il faut voir comment les réinsérer dans l'économie mondiale. Je vous demande vraiment de procéder à cet examen, notamment en pensant à la maîtrise nécessaire des cours des matières premières sans quoi se créent des situations intenables, et les pays de bonne volonté qui travaillent, qui exigent beaucoup de leurs citoyens se trouvent souvent projetés dans de terribles crises, où les plans de deux ans, trois ans ou cinq ans pour leur redressement sont démolis parce qu'en une semaine, la spéculation internationale a joué.
- Voilà quelques données sur lesquelles je vous demande de réfléchir.
- Je souhaite vraiment, mon pays en tout cas le demande, la convocation d'un sommet mondial sur le développement social, qui permettra de renouveler notre réflexion sur le développement lui-même et de mettre en valeur la dimension humaine des choses.\
Voilà, monsieur le Président, Excellences, ce que je souhaitais dire. Aujourd'hui, nous vivons en Europe, occidentale surtout, une expérience exceptionnelle, celle d'une Communauté qui a connu des guerres atroces, qui ont occupé toute l'histoire de ce siècle, accumulé les destructions, les désastres, détruit pour longtemps les chances de ce continent-là. Eh bien nous avons décidé, il y a plus de quarante ans, de régler nos différends, par la voie de la négociation, de réaliser les réconciliations indispensables, d'apprendre à partager nos souverainetés respectives, et nos ressources, à dignité égale, pour la sécurité et le bien commun.
- Je ne veux pas donner cela en exemple, beaucoup d'autres, ailleurs, ont beaucoup de choses et d'exemples à nous apporter, tous sont riches de traditions, de cultures et d'apports à la civilisation universelle. Je vous demande simplement, Excellences, de bien vouloir, au nom du Conseil de Sécurité des Nations unies, les mettre en valeur.\