30 janvier 1992 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, sur les relations franco-omanaises, le résultat et les enseignements de la guerre du Golfe, la situation au Proche et au Moyen-Orient, et l'hospitalisation à Paris de Georges Habache, Mascate le 30 janvier 1992.

Mesdames et messieurs,
- Nous achevons notre voyage en Oman, vous étiez présents, vous avez donc pu suivre l'emploi du temps de ces trois journées. Les ministres qui m'accompagnaient ont eu des conversations nombreuses avec leurs homologues omanais : affaires étrangères, défense, industrie, pêche, mer, communication. C'est essentiellement sur ces points-là qu'ont porté les conversations. D'autre part, le ministre des affaires étrangères a été conduit à parler de tout ce qui touche la vie internationale avec le ministre correspondant d'Oman, de même que moi-même avec Sa Majesté le Sultan, j'ai pu aborder l'ensemble des questions qui occupent aujourd'hui la scène internationale.\
QUESTION.- Monsieur le Président, nous aimerions avoir quelques informations sur les pourparlers officiels que vous avez eus avec Sa Majesté le Sultan. Monsieur le Président, pourriez-vous nous dire quelle est votre vision de l'avenir des relations entre la France et Oman ?
- LE PRESIDENT.- Vous le savez, ces relations sont anciennes et elles ont pratiquement toujours été bonnes, la France ayant adopté, dès le XVIIème siècle, à l'égard de l'Oman et vice et versa, une position amicale qui a pu s'affirmer dans certaines circonstances difficiles, c'est-à-dire dans le cadre de la politique internationale et des difficultés que Mascate a eu à connaître avec tel ou tel Etat européen. Ces relations ont été continuées au XVIIIème, XIXème et XXème siècles, c'est donc un pays avec lequel il nous est très facile de parler. Nous connaissons l'oeuvre entreprise par Sa Majesté Qabous depuis les 21 ou 22 années qu'il règne, et c'est vrai qu'Oman a connu une période de renaissance et d'activités pour entrer dans le monde moderne, sans perdre pour autant son attachement à la tradition. C'est donc un exemple particulièrement intéressant de ce qui peut être accompli aujourd'hui, particulièrement dans ce qu'on appelle le monde arabe, mais un monde arabe particulièrement ouvert sur le monde extérieur. La situation géographique du sultanat, son ouverture vers l'Est, vers l'Iran d'un côté, vers le Pakistan et l'Hindoustan de l'autre, et puis ses relations historiques avec les côtes orientales de l'Afrique, tout cela donne à ce pays une riche expérience à laquelle a été mêlée constamment la France, à la fois par sa présence dans l'Océan Indien, et par le fait que Mascate était une escale déjà fréquentée par tous les marins à travers les âges. Ce qui nous a frappés, c'est l'effort remarquable et réussi qui a conduit Oman aujourd'hui à devenir un pays tout à fait moderne, et particulièrement bien outillé dans certains domaines.
- J'ai pu précisément au cours de ce voyage visiter un certain nombre de ces réalisations. Sa Majesté le Sultan est naturellement très au fait de toutes les questions internationales. J'ai pu lui demander son avis sur l'évolution actuelle de l'Iran, sur celle de l'Irak, la manière dont son pays a su maintenir ses liens avec le Pakistan, à travers le Baloutchistan. Vous savez, il y a des privilèges ou des droits spéciaux de l'Oman dans ce pays, et aussi en Hindoustan. Cela a été très utile pour moi surtout après une période où j'ai reçu un certain nombre de responsables de cette région, notamment le Premier ministre pakistanais, il y a peu de jours à Paris. C'est donc une très riche source d'informations que de parler au Sultan Qabous, dès lors qu'il s'agit de s'intéresser aux problèmes de l'ASEAN. Nous avons beaucoup parlé de l'organisation des Etats de l'Asie du sud-est, de même que de l'évolution du monde arabe qui est au premier plan de ses préoccupations.
- J'ai eu moi-même à lui dire ce que je pensais avant de me rendre à New York de l'évolution des conversations entre les Etats membres du Conseil de Sécurité touchant en particulier au problème du désarmement. Je compléterai mon information dans les heures qui viendront, lorsque j'aurai pu établir un contact avec les autres membres du Conseil de Sécurité.\
Je crois pouvoir dire que vraiment il y a une ouverture faite à la France, une ouverture amicale, très vivante sur le plan intellectuel et culturel et qui tend à se développer sur le plan économique et technique.
- Voilà pourquoi, il a surtout été question des disciplines techniques dont j'ai parlé tout à l'heure : le pétrole et le gaz, les problèmes de production d'électricité, de télécommunication, toute une série de produits courants, produits alimentaires et la volonté évidente de Oman de permettre à la France de prendre part davantage encore à tous les courants commerciaux dans cette région du globe.
- Voilà les conclusions extrêmement positives que personnellement je tire de cette rencontre. Il est vrai que le Sultan d'Oman, représentant cette longue histoire et particulièrement ouvert aux problèmes modernes, représente un facteur, non pas unique peut-être, mais assez rare de connaissance approfondie des problèmes internationaux.\
QUESTION.- Monsieur le Président, ce matin, nos rédactions nous ont appris qu'un leader palestinien avait été hospitalisé à Paris, la nuit dernière, est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?
- LE PRESIDENT.- Je l'ai appris moi aussi, il n'y a pas si longtemps. Je me suis informé pour apprendre que cela avait été le résultat de contacts entre le Croissant Rouge palestinien et la Croix-Rouge française, pour la raison d'une intervention chirurgicale urgente, présentée en tout cas comme telle. Les services du ministère de l'intérieur et des affaires étrangères n'ont pas fait d'objection étant entendu que M. Habache circule sous un passeport d'un pays étranger reconnu comme tel. Quel est l'état de santé réel de M. Georges Habache, moi je ne le sais pas, mais les médecins actuellement poursuivent leurs investigations et nous les ferons connaître. Je pense que ce séjour devrait être extrêmement bref, la gravité d'extrême urgence n'est pas démontrée. C'est en tout cas ce à quoi je veillerai personnellement. Si les informations médicales sont d'une autre sorte, j'examinerai la question quand je serai de retour à Paris. Mais il est évident qu'il peut y avoir des implications judiciaires. Dans l'état présent des choses, il n'y a pas de mandat d'arrêt national français, ni mandat d'arrêt international à l'égard d'un homme qui s'est souvent réclamé de l'action terroriste. Il n'y a donc pas de base juridique à une action judiciaire. Mais je crois savoir que le juge Bruguière établit une relation entre telles et telles affaires qu'il a eu à traiter en la personne de M. Habache. Si la justice demande des informations, bien entendu, elles lui seront fournies. Voilà tout ce que je peux vous dire à ce sujet.\
QUESTION.- Monsieur le Président, presque simultanément M. Eltsine et le Président Bush ont fait des propositions de désarmement. Dans son discours, M. Eltsine à un moment donné, a demandé que la France et l'Angleterre, puissances nucléaires, fassent également, elles aussi, un effort. On vous a déjà posé la question. Vous avez toujours répondu la même chose. Est-ce que vous aurez la même réponse vis-à-vis de M. Elstine, ou est-ce que le moment est venu pour la France de faire un petit effort ?
- LE PRESIDENT.- J'apporterai la même réponse, pour la simple raison que cette réponse deviendra positive dès lors que les Etats-Unis d'Amérique et les héritiers de l'Union soviétique auront fait un effort beaucoup plus important pour se défaire de leur armement stratégique nucléaire. Pour l'instant il y a des intentions exprimées. Il semble même qu'il y ait à l'heure actuelle une sorte de course dont je ne me plaindrai pas vers les annonces de désarmement entre la Russie et les Etats-Unis. Quand cela se sera concrétisé, qu'on saura de combien de charges nucléaires chacun de ces pays veut se débarrasser, quand on en arrivera au niveau, qu'il me restera à apprécier, de destruction ou d'élimination de ces armes, pour que cela devienne vraiment comparable avec ce dont dispose la France - le nombre de charges en particulier - alors la discussion sera ouverte et la France participera avec le plus grand plaisir à ce type de débat. Mais je dois le dire très clairement, nous n'en sommes pas là. Et il serait vain de penser que la France pourrait en quoi que ce soit s'installer au-dessous d'un seuil de suffisance dans le domaine nucléaire, alors que les autres pays seraient largement au-dessus. Chacun, je l'espère, comprendra ce raisonnement.\
QUESTION.- Monsieur le Président vous avez évoqué tout à l'heure l'évolution du monde arabe. Il y a un an, on était en pleine guerre du Golfe et à l'occasion du premier anniversaire du déclenchement de cette guerre, on a beaucoup écrit, on a beaucoup parlé. Est-ce que vous pourriez nous donner rapidement le regard que vous avez vous-même sur ce conflit un an après et plus précisément, avez-vous le sentiment que les promesses d'un ordre meilleur, d'un nouvel ordre mondial ont été tenues ?
- LE PRESIDENT.- Je ne pense pas que la situation internationale se règle selon ces règles-là. La guerre avait pour objet - le Conseil de Sécurité des Nations unies s'étant prononcé, ce n'est pas un détail, c'est pour moi-même une loi fondamentale et cela devrait l'être pour tous en toutes circonstances - de restituer au Koweit envahi son indépendance, son intégrité et sa souveraineté. Voilà quel était l'objectif. Cet objectif a été rempli. Si donc vous me demandez d'apprécier le résultat immédiat de ce qu'on a appelé la guerre du Golfe par rapport aux responsabilités encourues par l'Irak dans le déclenchement de cette guerre, alors le conflit s'est terminé de la manière que l'on pouvait souhaiter en dépit du drame que représente toute guerre puisque le Koweit a été libéré. Mais à cette occasion, comme l'affaire du Koweit n'est pas la seule qui puisse occuper nos esprits pour la zone du Proche et du Moyen-Orient puisque étaient pendants en même temps le problème du Liban, et celui des relations entre Israël et les pays arabes, c'était une occasion, en tout cas moi je l'ai considérée comme telle, - vous savez de quelle manière j'ai insisté - pour que fut amorcé le règlement de ces conflits. Et ce, toujours par référence au droit international, et donc par rapport aux décisions du Conseil de Sécurité.
- Du côté du Liban, ce qui a prévalu, ce sont les accords de Taëf, que la France a approuvés, mais qui ne sont pas entièrement remplis. Ce qui a été accompli a été dans ce sens, mais les accords de Taëf reconnaissent la primauté de l'indépendance et la souveraineté du Liban, c'est déjà beaucoup, cela reste à parfaire. On ne peut donc pas dire de ce point de vue-là que nous soyons au terme de nos efforts.
- Pour ce qui touche au conflit israélo-arabe, une conférence de la paix a lieu pour l'instant, non sans difficultés et sans accrocs. Comment l'apprécier ? Je pense qu'il vaut mieux que cette conférence existe, plutôt que l'absence de tout dialogue. Après tout c'est la première fois que les antagonistes israéliens et arabes parlent depuis la naissance d'Israël. Les chances de réussite restent à estimer. Il faudra du temps et de la peine, mais c'est quand même un résultat utile qui reste encore à prouver, de ce que nous avons appelé de nos voeux : un nouvel ordre international. Au Koweit, le droit a été rétabli, le droit international, les problèmes intérieurs sont d'un autre ordre. Au Liban, les accords de Taëf ont fait des progrès, pas assez. La conférence israélo-arabe a suivi un processus qui n'était pas celui que la France avait préféré mais c'est un processus de paix. On discute, on se rend compte. Nous faisons donc des voeux pour que la réussite soit au bout. Je ne peux pas dire autre chose.\
QUESTION.- On parle de la création d'une force dans le cadre du conseil de coopération du Golfe. J'aimerais savoir quel est votre avis à ce sujet, et quelles sont les chances de maintien de la sécurité dans la région à propos de la création d'une telle force.
- LE PRESIDENT.- C'est une décision qui relève des pays qui font partie du Conseil de coopération des Etats arabes du Golfe. Mieux ils s'organiseront, plus ils s'organiseront, mieux cela vaudra. On peut justement déplorer, pour le passé, un certain désordre dans les positions des uns et des autres. Si décidément il devient possible de mener une diplomatie dont la conséquence, en la circonstance serait militaire, cela sera bien. Quant aux problèmes de la zone, quels sont-ils ? Y a-t-il de nouvelles intentions agressives, c'est possible, mais je ne le pense pas, il y a l'Iran d'un côté, il y a l'Irak, et les autres pays, ceux du Golfe persique en particulier, semblent en position de protection, de sécurité défensive et n'ont aucune intention de troubler l'ordre international. Donc, l'existence d'une force propre aux pays du Conseil de coopération me parait d'abord relever de leurs responsabilités, et non pas de la mienne, mais s'ils le font, je préfère l'harmonie et la coopération entre eux plutôt qu'une sorte d'absence sur la scène internationale qui ne peut qu'être nuisible à l'équilibre de la paix.\
QUESTION.- Au nom de Dieu clément et miséricordieux, monsieur le Président, le monde international a fait un mouvement pour assurer la légalité internationale. Est-ce que cette situation peut se répéter en ce qui concerne la Palestine et quelle est la vision française vis-à-vis de l'injustice dans la région arabe devant cette politique d'expansion et cette politique expansionniste israélienne ?
- LE PRESIDENT.- Je suis flatté, cher monsieur, que vous souhaitiez entendre ce qui ne sera qu'une nouvelle mouture d'une longue répétition : comme le problème n'est pas résolu, je suis toujours amené à vous faire les mêmes réponses. Ces réponses, je les ai exprimées sur de nombreuses tribunes internationales, aux Nations unies notamment, mais aussi à la tribune de la Knesset. Ce que j'ai dit aux Israéliens, pourquoi ne le répéterai-je pas partout, c'est-à-dire : à la fois la nécessité pour la société internationale de garantir davantage encore l'existence et la sécurité d'Israël, et d'autre part la nécessité de mettre en oeuvre les résolutions des Nations unies, et de reconnaître l'existence du peuple palestinien au travers d'une terre, d'une patrie. Cela, je l'ai souvent dit et j'ai quelques scrupules à le répéter, monsieur. Cela fait l'objet du texte que nous avons signé avec les pays de la Communauté européenne, les positions que nous avons prises au Conseil de Sécurité en tant que membre permanent, donc nous restons dans la logique de cette attitude qui nous parait celle de la justice. En effet, toute volonté expansionniste est redoutable et doit être récusée.\
QUESTION.- Monsieur le Président, que pensez-vous du résultat de la Conférence de Moscou et quel rôle a joué la France dans cette Conférence ?
- LE PRESIDENT.- La France, vous le savez, autant que moi, ne participe pas à cette conférence. La France y joue un rôle dans la mesure où ayant préconisé une autre procédure, elle s'efforce de ne rien dire et de ne rien faire qui puisse gêner ce processus-là, car ce qui est important, c'est d'aboutir. Nous avons reçu depuis plusieurs mois un certain nombre des protagonistes de ce drame, soit israéliens, soit palestiniens, soit des différents pays arabes de la région, et nous avons toujours répété ce que nous en pensions, mais en évitant d'intervenir dans un débat où nous ne sommes pas, où nous aurions sans doute exposé notre point de vue qui ne serait sans doute pas semblable à tous ceux qui sont exprimés, et comme nous ne voulons gêner personne, dans le souci de préserver toutes les chances du dialogue et de la paix, nous continuons de développer des relations bilatérales avec chacun des protagonistes.\
QUESTION.- Monsieur le Président, le monde actuellement se dirige sur la voie des blocs économiques, on dit qu'il y a trois forces, les Etats-Unis d'Amérique, les Etats-Unis d'Europe et l'Asie, et ceci sur une base économique et non pas sur une base militaire comme c'était le cas dans le passé. Cette théorie est-elle véridique et où est la position de la France vis-à-vis de ces forces ?
- LE PRESIDENT.- Je crois que c'est une bonne description d'une réalité internationale, celle qui se dessine sous nos yeux avec des rapports de force changeant selon les circonstances. La première puissance commerciale du monde actuellement, c'est la Communauté européenne. Le pays qui dispose de la monnaie de réserve et qui possède la plus grande force dans le monde, ce sont les Etats-Unis d'Amérique. Ils ont aussi une économie puissante mais aujourd'hui incertaine. Beaucoup de problèmes à l'intérieur doivent être réglés si les Etats-Unis d'Amérique veulent préserver leur situation internationale économique. Quant à l'Asie, il est difficile de dire l'Asie : il y a les pays d'Extrême-Orient, et encore ces pays ne sont-ils pas alignés au sein d'une seule entité, donc on pourrait dire le Japon, mais on doit constater en même temps le très puissant développement de pays comme la Corée du Sud, Taïwan, comme Singapour, et ce ne sont pas les seuls, ces pays qui connaissent actuellement un puissant développement. Bref, du côté asiatique des rives du Pacifique, il y a à l'heure actuelle une progression, une croissance hors pair, ce qui signifie que le siècle prochain sera certainement marqué par cette entrée en puissance des pays en question.
- Mais la Communauté va se développer £ elle réunit 340 millions d'habitants, bientôt sans doute 350 à 360, et sa course n'est pas terminée. Il est d'autres pays européens qui, un jour, y prendront part. Une union politique avec un long travail déjà décidé, du moins dans son principe, une union monétaire, une union économique qui devraient normalement entrer dans les faits au cours des années qui nous séparent de la fin du siècle permettront à cet ensemble européen de disposer, en plus de sa force commerciale dont j'ai parlé, d'un très grand pouvoir industriel, technologique, agricole - c'est déjà le cas - mais aussi politique.
- C'est l'éternelle compétition entre les puissants du moment. Mais vous avez une réflexion tout à fait juste, il est intéressant d'observer que ces rapports de force s'établissent sur le plan économique aujourd'hui, plus que sur le plan militaire, puisque les problèmes militaires ont été centrés pendant toute la durée d'une génération autour du rapport de force entre les deux plus puissants pays du monde, animateur l'un et l'autre d'un bloc militaire. Cette période semble aujourd'hui révolue, enfin du côté du bloc appelé soviétique, car bien entendu tout a changé. Du côté Atlantique cela est resté conforme à ce que cela était. Mais comme il ne s'agit pas d'établir une suprématie sur le reste du monde, c'est beaucoup plus en effet, le développement économique, le développement tout simplement et je l'espère, les moyens mis à la disposition du monde en voie de développement pour vraiment finir son endettement et atteindre le point de développement qui permettrait de penser qu'on y a réussi alors qu'on ne peut pas le dire aujourd'hui, au contraire. Alors là, je pense que les rapports de puissance s'établiront dès les vingt premières années du siècle prochain entre les trois entités dont nous venons de parler à cela près, je vous répète, qu'il n'y a pas de bloc asiatique.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez parlé avec le Sultan du danger de l'intégrisme dans la région. Comment conciliez-vous vos appels pour la démocratie en Algérie et le danger intégriste qui menace l'Algérie ?
- LE PRESIDENT.- Pour réussir la démocratie, il faut réunir beaucoup de conditions, des conditions d'éducation, de savoir, des institutions, naturellement aussi, créer des traditions, c'est commencer par en créer, avoir des habitudes. On voit bien que cela est très difficile dans des pays qui ont vécu autrement. Ce qui est vrai c'est que l'intégrisme, avec le contenu, qui est sans doute dans votre esprit, à la manière dont vous posez la question, c'est-à-dire une certaine vue extrémiste, un comportement des hommes dans les Etats en question, surtout dans les Etats arabes actuellement, passionnel, intégriste, fondamentaliste, pour employer une litote, ne me paraît pas le plus sûr moyen de parvenir à la démocratie.\
QUESTION.- Monsieur le Président, en ce qui concerne la guerre du Golfe, en fait cette guerre était une occasion pour les pays qui ont participé pour tester leurs armes. Qu'en a-t-il été pour la France et est-ce que la France a conclu des accords dans la vente de matériaux militaires avec les pays du Golfe ou avec d'autres pays qui ont participé militairement dans la guerre du Golfe ?
- LE PRESIDENT.- Je ne pense pas qu'il puisse être dit, vous ne l'avez pas dit exactement d'ailleurs, mais qu'on puisse dire : on fait une guerre pour tester ses armes. Cela serait tout à fait contraire à une certaine vision humaniste et pacifique de la vie du monde, ce n'est pas dans l'esprit de la France. Une guerre est en effet l'occasion, comment pourrait-il en être autrement de savoir aussi où l'on en est de ces moyens. La France a engagé une quinzaine de milliers d'hommes dans cette guerre et les moyens correspondants. Elle a été un partenaire à part entière, mais elle n'a pas engagé toutes ses forces dans cette guerre qui pour elle, était une guerre lointaine et qui ne correspondait pas à ses champs de vision traditionnels. Mais chacun a reconnu je crois, en particulier nos alliés, que les forces françaises engagées avaient accompli leur mission avec un éclat particulier. Nous en avons tiré des enseignements, le ministre de la défense, M. Pierre Joxe, a déjà dit de quelle manière, devant le Parlement français ou dans différentes déclarations faites depuis un an. Nous avons besoin notamment d'une présence dans l'espace. Nous avons besoin de renseignements, de transmissions, de moyens de transports, bref, d'un certain type d'avions. L'expérience est toujours utile pour qui veut assurer son avenir sur le plan militaire. Est-ce que cela a été le prétexte ou l'occasion de nouveaux contrats militaires, non. Non, nous ne les recherchons pas. Certes, si tel ou tel pays souhaite obtenir de la France des formes d'armements compatibles avec les principes que nous avons développés et ceux du Conseil de Sécurité, c'est-à-dire ne pas surcharger les déséquilibres régionaux, la France, naturellement, sera comment dirais-je, à l'égard de ses amis aussi coopérative que cela sera possible, en particulier sur le plan de l'armement. Voilà à peu près ce que je peux vous répondre.\
QUESTION.- Monsieur le Président, qu'en est-il de la position de la France en ce qui concerne l'affaire de Lockerbie ?
- LE PRESIDENT.- Avec la Libye, nous avons toujours souhaité établir de bonnes relations. Je ne sais quel dieu malin a toujours voulu que ces relations fussent très compliquées. Il y a eu les problèmes du Tchad, mais enfin ce problème a été réglé. S'il n'y avait pas, dans un passé récent, des actes de terrorisme qui ont jeté la suspicion, en tout cas dans l'esprit de la justice française, sur des actions de Libyens, nous serions sans aucun doute dans une situation d'apaisement et nos relations seraient quand même plus fécondes qu'elles ne le sont. Nous n'avons aucun a priori désagréable. Nous constatons que notre politique doit épouser les faits. Avec une Libye vivant selon les normes du droit international, comme il serait facile de développer des relations dont nous tirerions l'un et l'autre profit. En tout cas c'est ce que je souhaite.\
QUESTION.- L'un des responsables des îles Comores, m'a dit personnellement que les îles Comores souhaitaient devenir membre de la ligue des Etats arabes, cependant un des obstacles à leur adhésion est la position d'une des îles Comores contre l'adhésion de l'ensemble des îles de la ligue des Etats arabes. Quelle est la position de la France en ce qui concerne ce sujet actuellement ?
- LE PRESIDENT.- Je pense qu'il faudrait d'abord connaître la position des Comoriens. S'ils nous ont dit qu'ils désiraient adhérer à la ligue arabe, qu'est-ce qui les en empêche ? Alors vous dites, que ce qui gêne c'est que l'une de ces îles, vous parlez sans doute de Mayotte, n'est pas favorable. Mais présentement Mayotte ne fait pas partie de l'Etat comorien. De ce fait, son opposition à l'adhésion à la ligue arabe ne présente aucune gêne pour les Comores. Vous pouvez, si vous voulez bien, leur transmettre ce message. Ils adhéreraient à la ligue arabe, je leur dirais : "si vous vous reconnaissez dans la ligue arabe, libre à vous". Il est certain qu'il y a beaucoup de relations entre les Comores et le monde arabe depuis l'origine. C'est à eux d'apprécier. Si Mayotte ne se reconnaît pas dans le monde arabe, ils ont sans doute quelques raisons. Laissez-les s'expliquer eux-mêmes.\
QUESTION.- Avez-vous parlé avec le Sultan de l'embargo qui vise toujours l'Irak. Est-il prématuré d'envisager une levée de cet embargo. Sur quels critères politiques objectifs, vous baseriez-vous, vous, Président de la République française pour envisager une levée de l'embargo ?
- LE PRESIDENT.- Nous n'en avons pas spécialement parlé avec Sa Majesté le Sultan. Vous me posez la question à moi sur un plan plus général. Les causes du blocus devraient cesser pour que le blocus cessât. Il y a donc un certain style de régime, générateur d'insécurité encore dans la région qui exige une très grande vigilance. Bien entendu plus tôt sera levé ce blocus, plus tôt j'en serai heureux à la condition qu'aucune menace ne subsiste. Je dois dire que les dispositions du gouvernement irakien ne sont pas telles que je puisse en avoir l'assurance à l'heure actuelle.\
QUESTION.- Je reviens, monsieur le Président, à votre visite dans le Sultanat. La coopération militaire a été l'un des sujets des discussions que vous avez eues avec Sa Majesté le Sultan. Pourrions-nous avoir une idée des accords auxquels vous êtes parvenus dans ces domaines, que ce soit pour les ventes de matériels militaires ou pour l'entraînement de personnels militaires ou dans le cadre d'accord de sécurité dans le Golfe ?
- LE PRESIDENT.- Non, je n'ai mené aucune conversation de ce type. Je ne suis pas venu ici pour faire du commerce fût-ce des armes. Les ministres qui m'accompagnaient, c'était leur devoir ont engagé des conversations avec leurs homologues pour hâter ou approfondir les accords actuellement en gestation. Il en va de l'armement comme des autres disciplines traitées. En particulier, je l'ai dit tout à l'heure, les télécommunications, l'électricité ou le pétrole. Je pense que si une réponse peut vous être apportée ce sera dans les semaines qui viennent, mais pas maintenant.\
QUESTION.- Monsieur le Président, que peut faire la France pour promouvoir les relations entre le Conseil de coopération du Golfe et la CEE ?
- LE PRESIDENT.- Tout ce qui sera fait sera bien. Nous avons de bonnes relations avec les différents membres de ce Conseil de coopération et, je suis tout prêt, en effet, à intervenir s'il le faut au sein de la Communauté pour que les relations se précisent, s'affermissent et se multiplient. J'y serai très favorable.\
QUESTION.- Monsieur le Président, historiquement la France a toujours occupé une position privilégiée dans le domaine culturel et le sultanat d'Oman essaie sous la conduite de Sa Majesté le Sultan de promouvoir ou de faire vivre certaines traditions culturelles. Pourriez-vous nous donner une idée du développement des relations entre les deux pays, particulièrement dans le domaine de la culture ?
- LE PRESIDENT.- Vous avez pu constater vous-même hier, il faut dire l'extrême ouverture, et même bienveillance de Sa Majesté le Sultan pour tout ce qui touche à la présence française, spécialement sur le plan culturel. Cette maison de Vice-consul, d'autrefois, transformée en Musée est un témoignage probant et vivant qui va s'étoffer. Désormais les échanges vont s'accentuer, des documents, des objets, l'histoire de nos deux pays va vivre dans ces murs. Mais de la même façon l'ambassade de France à Mascate qui a été récemment construite et dont nous avons voulu faire un modèle de ce qui peut être désormais construit dans les ambassades françaises a pour mission d'entretenir au travers des jeunes, des écoles, mais aussi des échanges littéraires et scientifiques un grand mouvement d'intérêt culturel. Vous savez qu'il y a des spécialistes de géologie. Vous savez qu'il y a des spécialistes d'archéologie. Vous savez que la France est très présente dans ces disciplines. Si on n'en fait pas assez, il faudra en faire plus, en particulier avec la Maison française chargée de diffuser la culture et le livre français. Naturellement, en revanche, il conviendra de faire la place qui lui revient à la création omanaise qui a besoin d'être davantage connue en France, notamment sur le plan de la traduction.\
QUESTION.- Nous sommes très honorés par les positions prises par la France en faveur du droit arabe en général, d'une façon continue. Ceci donc nous donne de l'espoir. En ce qui concerne vos positions dans l'avenir, nous voudrions avoir votre avis au sujet de cet appui accordé par la France à la position arabe et ceci à la lumière de l'évolution de la situation internationale dans l'avenir.
- LE PRESIDENT.- La France s'efforce de défendre le droit. Elle peut le faire si elle se réfère à son histoire. La plupart des grands principes qui aujourd'hui sont les fondements de toutes les démocraties dans le monde, une bonne partie de ces principes vient de France et de sa Révolution de 1789, de sa Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Donc elle est un défenseur du droit, pas spécialement du droit arabe, mais du droit des Arabes à être garanti par le droit international, et par le droit humain tout simplement. Si nous pensons que dans une situation donnée tel pays arabe, je ne dis pas les Arabes ce serait extrapoler, a tort, je n'hésiterai pas à dire que selon moi et selon la France il a tort. Bien entendu, s'il a raison, je ne vois pas pourquoi je ne le dirais pas aussi. Et je pense que les Arabes, d'une façon générale, ont tout à fait le droit de revendiquer la protection et la sécurité pour une partie des leurs, c'est le cas des Palestiniens, cela peut être le cas de tous autres. A ce moment-là, la France se souvient d'une longue amitié historique et donc traditionnelle avec le monde arabe. Ce n'est pas né d'aujourd'hui. On se souvient des accords passés dès le Moyen-Age et plus clairement encore à l'époque de la Renaissance. De ce fait, je pense que la France continuera de se faire l'interprète de ce qu'elle croit être le droit, le droit des gens. Si on devait douter de ce que ces expressions signifient, on se reporterait aux textes fondamentaux, et on retrouverait quelques lignes très simples qui veulent que dans tout pays l'individu soit respecté, ne soit pas écrasé par la société, ni par l'Etat, que les catégories les moins favorisées soient aidées pour connaître un sort meilleur, que la justice soit respectée et que les principes constitutionnels touchant au droit des peuples à s'exprimer puissent en effet être vérifiés dans la réalité.
- Il y a encore bien d'autres choses à dire, notamment le pluralisme, indispensable, sans quoi toute démocratie est bafouée. Enfin, tout cela nous lancerait dans de grandes idées qui ne sont pas négligeables. Mais nous en avons assez dit aujourd'hui, je vous en remercie.
- Je voudrais simplement pour conclure, que nos amis omanais veuillent bien recevoir les remerciements de la délégation française et les miens en particulier. L'accueil de votre peuple et l'hospitalité très remarquable de votre souverain nous ont permis de vivre là, trois journées avec le sentiment d'être chez des amis et d'être en mesure de bâtir pour les années futures une solide entente entre nos deux pays.\