15 décembre 1991 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée à TF1 le 15 décembre 1991, sur la signature du Traité de Maastricht, la morosité politique et économique, les réformes constitutionnelles concernant le vote des Européens, la durée du mandat présidentiel, le mode de scrutin, et la situation en URSS et en Yougoslavie.

ANNE SINCLAIR.- Bonsoir.
- On a toujours un peu peur des mots, volontiers galvaudés, mais il faut bien le dire la semaine qui s'achève aura été historique. Pensez-vous ! Douze pays d'Europe décident d'une union si forte et si irréversible, qu'ils auront dans quelques années une défense commune et dans six ans une seule monnaie, et la même semaine, durant les mêmes journées, à l'autre bout du même continent l'empire de Lénine, Staline et Gorbatchev explose et décrète sa propre mort. Comment n'être pas frappé par la coïncidence de ces deux mouvements contraires ? Comment ne pas ressentir à la fois de l'enthousiasme et de l'inquiétude ?
- Et la France, et les Français dans tout cela direz-vous ? C'est le moment où jamais d'en parler. Je vous remercie d'être venu ce soir dans le studio de Sept sur Sept. Les Français sont inquiets et traversent une crise de pessimisme aigu, qui atteint la classe politique, affaiblit leurs dirigeants, et notamment le premier d'entre eux, c'est-à-dire vous-même, nous allons en parler plus tard, mais, si vous le voulez bien place à l'événement de la semaine.
- Le 11 décembre, à une heure du matin, en signant à Maastricht avec vos onze partenaires, est-ce que vous vous êtes dit : je vis un moment d'histoire ?
- LE PRESIDENT.- C'en était un. C'est l'un des événements les plus importants du dernier demi siècle. C'est un moment qui prépare le siècle suivant. Le nôtre, le 20ème a vu l'effondrement de tous les Empires, turc, austro-hongrois, russe, soviétique, deux Reich allemands, les empires coloniaux, et il voit maintenant la naissance d'une communauté de 350 millions d'hommes, c'est dire à quel point nous sommes exactement à la charnière de deux époques.
- QUESTION.- Alors, on va en parler longuement si vous le voulez bien, ce soir. Tout le monde reconnaît que vous avez beaucoup payé de votre personne et on croit toujours que tout est un peu ficelé d'avance dans ce genre de rencontre internationale.
- LE PRESIDENT.- Si cela pouvait l'être !
- QUESTION.- On est toujours étonné de se dire : est-ce que cela peut capoter au dernier moment, ou est-ce que c'est du cinéma que se font les partenaires ?
- LE PRESIDENT.- Comment voulez-vous que ce soit du cinéma ? C'est une assemblée de douze pays, chacun lourd de ses intérêts, de son histoire, de ses passions. Les situations politiques sont diverses et, finalement, hors la volonté de quelques-uns, tout peut à tout moment se défaire. Donc cette volonté, j'ai essayé de la porter au nom de la France.
- QUESTION.- Avec le Chancelier Kohl on a vu que le couple franco-allemand, dont on a toujours parlé comme le moteur de la construction européenne, avait un peu dominé les négociations, ce qui rassure tous ceux qui pensaient que l'Allemagne pouvait être moins européenne depuis les tentations à l'Est.
- LE PRESIDENT.- Non, moi je n'en ai pas douté parce que j'ai cru dans l'engagement du Chancelier Kohl mais la question pouvait se poser.\
QUESTION.- Alors en revanche, les Anglais (vous avez sûrement vu le sondage aujourd'hui de l'IFOP dans le "Journal du Dimanche") sont considérés par les Français comme les perdants. 30 % des Français pensent : "les Allemands et les Français ont gagné à Maastricht, les Anglais eux ont plutôt perdu". On a dit : ils viendront à l'Europe comme ils y sont toujours venus. Est-ce qu'à votre avis leur résistance est due à une vieille tradition isolationniste ou est-ce que c'est plus dû à une volonté idéologique du successeur de Mme Thatcher qui veut se trouver un peu à l'écart de la modernisation sociale en Europe ?
- LE PRESIDENT.- Je crois que les deux choses se confondent. C'est vrai que la Grande-Bretagne a un effort considérable à faire pour sortir des normes de son histoire. Je me souviens déjà de la difficulté qu'il y avait eu pour aboutir simplement à la création du tunnel sous la Manche que j'ai réglée avec Mme Thatcher ! Vous imaginez : avec le tunnel sous la Manche il y a désormais une unité entre les pays du continent, le nôtre, et la Grande-Bretagne.
- Et puis, il y a l'idéologie, M. Major représente un parti qui est un parti conservateur et qui n'aime pas beaucoup être bousculé.\
QUESTION.- La diversité des réactions en France a été grande et ne correspond pas à l'habituel clivage politique, puisqu'on a trouvé plutôt le parti socialiste, l'UDF, le CDS pour approuver très fortement ce qui s'est passé à Maastricht et, en revanche, une sorte de front du refus plutôt RPR, nettement Front national et le parti communiste. Est-ce qu'il y a des conséquences à tirer pour vous d'un bouleversement de l'échiquier politique ? Cela vous intéresse-t-il en tout cas ?
- LE PRESIDENT.- Je ne peux pas dire qu'il y ait bouleversement, après tout je ne répugne pas à trouver sur de grandes causes de nouveaux concours. Mais en fait le problème de l'Europe sépare deux groupes de partis et ce depuis plus de trente ans ce n'est pas nouveau.
- QUESTION.- Ce n'est pas nouveau, mais cela se reproduit.
- LE PRESIDENT.- L'événement est nouveau et considérable, la situation est semblable.\
QUESTION.- Alors, on va parler, bien sûr, du contenu. Les Français dans leur ensemble ont l'air d'approuver ce qui s'est passé, puisqu'à 56 % ils considèrent que c'est une bonne chose.
- LE PRESIDENT.- Vous n'avez que des pourcentages en tête ?
- QUESTION.- Quand ils sont bons, c'est toujours agréable !
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas le problème, mais on ne peut pas fonctionner comme cela.
- QUESTION.- C'est important de savoir ce que les Français pensent.
- LE PRESIDENT.- Bien entendu, et les sondages sont généralement sérieux en France. Moi je ne perds pas de temps à les contester, mais il ne faut pas en tirer des conséquences excessives.\
QUESTION.- Il y a une irréversibilité, à votre avis, c'est cela qui est différent des autres sommets européens ? Maastricht, c'est un état irréversible ?
- LE PRESIDENT.- Le Traité de Rome l'était déjà, j'en suis convaincu. Mais le point d'ancrage de ces douze pays dans une Communauté où ils sont désormais contraints d'agir ensemble dans les domaines les plus importants de l'activité politique, çà c'est irréversible.\
QUESTION.- Monsieur le Président, on a dit : "la Yougoslavie, c'est la honte de l'Europe", dans la mesure où elle est en train de s'unir d'un côté et qu'à deux cents kilomètres de ses frontières, on est en train de se déchirer, de se meurtrir, qui signifie dans quelques temps une politique étrangère commune, une défense commune fera qu'on n'assistera plus en spectateurs impuissants à ce qui se passe ?
- LE PRESIDENT.- D'abord, ce n'est pas la "honte de l'Europe", c'est le malheur de l'Europe, sa douleur. Ce n'est pas sa honte, parce qu'il n'existait pas, avant Maastricht, une force autorisée en Europe, la Communauté pas plus que les autres, à intervenir dans cette affaire autrement que par la diplomatie qui se révèle assez naturellement impuissante devant la passion des armes.
- QUESTION.- Mais vous aviez essayé, vous avez voulu essayer avec le Chancelier Kohl...
- LE PRESIDENT.- Dès le premier jour, au nom de la France, j'ai demandé aux Nations unies et à la Communauté la création d'une force d'interposition entre les combattants, c'est-à-dire entre les Serbes et les Croates. Cela n'a pas été accepté. Cela allait, en effet, contre les traditions juridiques de la Communauté ou des Nations unies, qui n'ont pas le droit d'intervenir dans ce qu'on appelle encore les affaires internes d'un pays. Ce sont des affaires internes, puisque ce sont des républiques qui se déchirent. Je regrette que cela n'ait pas été fait. Maintenant, c'est devenu inextricable : où sont les frontières ? Où est le front ? L'idée de front même est dérisoire.
- Je pense que l'Europe telle qu'elle s'est constituée avec un embryon de force de sécurité à Maastricht devrait être en mesure au cours des mois prochains de s'organiser pour intervenir à temps. Je l'ai souhaité.
- QUESTION.- Aussi rapidement que cela ?
- LE PRESIDENT.- J'espère.
- QUESTION.- A partir du corps de brigade franco-allemand ?
- LE PRESIDENT.- Non, ce n'est pas cela. Le corps de brigade franco-allemand peut être très utile. L'embryon de force de sécurité acceptée à Maastricht, c'est-à-dire le début d'une sorte d'Europe de la défense, doit comporter la contribution de tous les pays qui y concourent et pas simplement de deux.\
QUESTION.- Alors, demain à Bruxelles, se réunissent les ministres des affaires étrangères des douze et il doit être discuté de la reconnaissance ou non de la Slovénie, de la Croatie. Est-ce que vous y êtes favorable ? Est-ce que la France y est favorable ?
- LE PRESIDENT.- C'est-à-dire que nous avons toujours dit, j'ai toujours dit, que je ne pouvais pas être contre l'autodétermination reconnue par les traités et la Charte de Paris.
- Mais encore faut-il que ce choix de souveraineté et d'indépendance se fasse dans des conditions admissibles. Par exemple, le respect des minorités. Par exemple, la délimitation d'une frontière qui ne doit pas être un "piège à guérillas" à travers le temps qui vient.
- QUESTION.- C'est-à-dire que vous mettrez des conditions à cette reconnaissance ?
- LE PRESIDENT.- Oui, des conditions parfaitement raisonnables. Par exemple, la démocratie, le respect des droits de l'homme. Bref tout un ensemble de conditions qui seront examinées demain, en particulier, à la demande de la France.
- La reconnaissance, elle peut aller de soi. Elle présente des risques, surtout celui de ne pas changer la réalité sur le terrain. Mais si elle doit devenir la réalité, alors il faut qu'elle s'inscrive dans l'organisation de l'Europe tout entière et pas comme une aventure entre deux peuples qui se battent et qui sont prêts à recommencer.
- QUESTION.- Il y a des bons et des méchants, dans ces peuples qui se battent ?
- LE PRESIDENT.- S'il y en a, je ne m'instaure pas en juge. L'histoire du dernier siècle et d'avant montre que ces ethnies, ces populations, ces peuples différents se sont presque toujours combattus et combattus au sang. Qui a tort ? Qui a raison ? Qui a commencé ? Ne perdons pas de temps à faire cet examen.\
QUESTION.- Alors, venons-en à Maastricht. Ce qui à la fois séduit et ce qui fait peur, peut-être, c'est l'idée de se fondre dans un ensemble plus vaste que la Nation. Alors, on va peut-être...
- LE PRESIDENT.- Cela vous fait peur ?
- QUESTION.- Moi, cela ne me ferait pas peur, mais à certains, oui. Peut-être que votre présence ici, ce soir, c'est pour leur expliquer...
- LE PRESIDENT.- En tout cas, c'est normal qu'on se pose des questions.
- QUESTION.- Voilà, alors, qu'est-ce qui peut séduire ? Comment pouvez-vous expliquer à un jeune, à un industriel, à un chômeur, que l'Europe de demain, telle qu'elle va se faire, que l'idée de se dépasser, de dépasser les frontières nationales, est autre chose qu'une belle idée ?
- LE PRESIDENT.- D'abord, est-ce que vous croyez que c'était si bien que cela ? Moi, je suis né pendant une guerre mondiale et j'ai fait la deuxième ! Combien de millions de morts ? La deuxième, au moins 20 millions. La première, je ne connais pas le nombre. La France, en tout cas, a perdu 1500000 hommes. Ce n'était pas le rêve ! C'est-à-dire que la cohabitation des Nations était turbulente et meurtrière.
- Je ne suis pas contre la Nation, j'aime la nation française, mais je suis très heureux de la voir aujourd'hui accepter - j'espère qu'elle acceptera - de s'imbriquer dans un ensemble pacifique. Alors vous me disiez : à quoi cela sert ? On s'est fait la guerre pendant des siècles, maintenant, on ne se la fera plus entre ces pays d'Occident qui se sont rassemblés dans la Communauté.
- QUESTION.- On avait l'impression que c'était acquis, déjà depuis quarante-cinq ans. C'était acquis et on ne se faisait plus la guerre.
- LE PRESIDENT.- C'était acquis ? Comment, c'était acquis ? On a vécu sous la menace de la guerre atomique, on a eu la crise de Cuba, on a eu la crise de Berlin. A tout moment pouvaient resurgir autour des affaires de Yougoslavie les antagonismes traditionnels et historiques. N'oubliez pas que la guerre de 1914 a commencé là, en Bosnie-Herzégovine, dans un conflit qui a opposé l'empire austro-hongrois et l'Allemagne, en particulier, à la Russie, l'Angleterre et la France.
- Or, l'effort que nous avons entrepris doit désormais interdire le retour à la guerre, en tout cas entre nous, et c'est un facteur de paix avec les autres. Eh bien moi je considère que c'est déjà très important d'offrir cela aux générations nouvelles, en même temps que nous élargissons leur horizon. Que les parents qui nous écoutent pensent à leurs enfants £ l'horizon s'élargit. Ils appartiennent à la France, on y est fidèle, on l'aime. Moi, je ne prétends pas être le seul à l'aimer, mais je suis certainement parmi ceux qui y sont accrochés par toutes les fibres de leur esprit et de leur corps. Et je me réjouis de voir la France capable de défendre ses chances dans un ensemble plus vaste, plus fort et qui sera sans aucun doute plus prospère. Nous allons en parler, je l'espère.\
QUESTION.- Oui. Alors, plus prospère, précisément. Est-ce qu'aujourd'hui on ne doit plus raisonner en termes nationaux ? Est-ce qu'on doit se dire : "c'est l'Europe qui sera la puissance économique de demain ? Qui aura la croissance de demain ? Qui assurera les emplois de demain, et cela ne doit plus s'envisager dans le seul cadre national" ?
- LE PRESIDENT.- L'Europe y contribuera considérablement, mais il restera un vaste domaine national. L'Europe économique existait déjà, mais c'est vrai qu'on vient de la compléter par une Europe politique, par une Europe sociale et même par un début d'Europe de défense, sans parler du reste. Tout cela donne à nos contemporains et particulièrement à la jeunesse un immense champ d'action. Et puis il y a des choses très simples, vous savez, la monnaie, par exemple. La monnaie, cela va se traduire par des effets immédiats considérables dès qu'elle sera mise en route, c'est-à-dire soit en 1997, soit dernière limite, en 1999. On ne peut pas imaginer ce que cela peut représenter, les économies que cela va faire pour chacune de nos entreprises, les facilités que cela va apporter à chaque particulier qui voudra circuler, s'établir, pour l'étudiant qui voudra aller dans les universités. Tout sera plus économique. Avec votre chèque, votre passeport, votre carte bleue, vous pourrez aller partout dans cette Europe sans avoir d'autres questions à vous poser. Vous pourrez travailler, vous pourrez réfléchir, vous pourrez discuter et, si vous avez besoin d'assistance, d'être aidé, vous irez dans n'importe quel consulat de n'importe quel pays des Douze, et vous serez protégé. En signant ce traité, ce que je ferai bientôt, lorsqu'il sera complètement rédigé, en donnant mon accord au nom de la France, j'ai voulu protéger les Français par un moyen, à mon avis, plus efficace que n'importe quel autre.
- QUESTION.- Les protéger et leur assurer aussi peut-être un débouché économique ?
- LE PRESIDENT.- C'est une façon de les protéger.
- QUESTION.- Probablement du chômage tel qu'il se pose en France ?
- LE PRESIDENT.- C'est une façon de se protéger.
- QUESTION.- C'est une puissance économique accrue ?
- LE PRESIDENT.- La première du monde ! La monnaie va devenir la plus puissante du monde. Nous avons, à nous tous, des réserves. Je veux dire que l'Ecu, qui sera la nouvelle monnaie, aura des réserves de change de 1500 milliards de francs, six ou sept fois plus que les Etats-Unis d'Amérique. C'est une monnaie qui sera aussi puissante et, à mon avis, plus puissante que le dollar, puisqu'elle n'aura pas de variations de change, qu'elle sera beaucoup plus stable. Vous croyez que cela ne vaut pas la peine ?\
QUESTION.- Alors, il y a un débat qui est en train de s'amorcer sur la souveraineté, c'est-à-dire qu'est-ce qu'il restera de la compétence des Nations, donc éventuellement de la France, et qu'est-ce qui devrait être transféré demain à une autorité, un gouvernement fédéral ?
- Déjà la monnaie...
- LE PRESIDENT.- On n'en est pas là.
- QUESTION.- La politique monétaire, désormais, ne se fera plus au niveau de la France, mais elle se fera au niveau de l'Europe.
- LE PRESIDENT.- De la Communauté. Il y a une Communauté monétaire.
- QUESTION.- Alors, qu'est-ce qu'il doit rester de la compétence de la France ?
- LE PRESIDENT.- La Communauté existait déjà, mais elle ne disposait pas d'une monnaie unique, comme elle ne disposait pas d'une banque centrale.
- QUESTION.- Alors, la politique monétaire sera commune et la politique budgétaire, c'est-à-dire l'élément sur lequel on peut peser sur le budget d'un pays, d'une politique nationale, est-ce qu'à terme cela ne va pas nous échapper aussi ?
- LE PRESIDENT.- Il faudra que les budgets restent dans des limites de variation ou de déficit compatibles avec la politique générale de l'économie européenne, mais il y a quand même une marge d'appréciation fort importante.
- QUESTION.- Par exemple, les mesures de 1981 - 1983, c'est-à-dire : une politique économique et sociale originale, qu'elle soit acceptée ou refusée.
- LE PRESIDENT.- J'attendais de savoir ce que vous alliez en dire.
- QUESTION.- Originale.
- LE PRESIDENT.- Originale, audacieuse et utile. Mais enfin ! On ne va pas quand même nous interdire une politique sociale ! Au contraire, on vient d'engager l'Europe sur le terrain social.\
QUESTION.- Précisément, est-ce que ce sera encore possible, cela, ou est-ce qu'on sera englobé dans une sorte de norme sociale moyenne qui interdira toute variation, toute audace ?
- LE PRESIDENT.- Je vous ai dit tout à l'heure qu'il faudra rester à l'intérieur de limites raisonnables, mais en vérité, en 1981, puisque vous parlez de cela - on ne va pas refaire l'histoire, d'autres que nous l'écriront - et d'année en année, jusqu'à aujourd'hui, grâce aux mesures que nous avons prises, l'inflation a constamment baissé. Donc, nous sommes restés dans des limites raisonnables. A un moment donné, en 1982 et 1983, le déficit de notre commerce extérieur a fait un bond en avant. Il aurait fallu tout de suite, et nous l'aurions fait, réduire cet accident par rapport à nos voisins. Voilà des choses très précises. Quant à notre budget, notre déficit budgétaire est parmi les plus faibles des pays de la Communauté.
- QUESTION.- Certains reprochent d'ailleurs qu'on ne l'augmente pas, à droite comme à gauche, aujourd'hui, on dit qu'il faudrait lâcher sur le déficit budgétaire.
- LE PRESIDENT.- C'est une théorie qui se défend, qui a en effet ses théoriciens, notamment avec Keynes. On peut être séduit par cela. Il ne faut pas avoir une vue exagérément servile à l'égard des théories monétaristes, mais il n'empêche qu'il faut savoir rester dans une juste mesure, sans quoi on risque de tout faire capoter en revenant à un régime d'inflation, et l'inflation, cela, c'est mortel. Nous sommes à l'heure actuelle le pays des Douze qui a connu la plus faible inflation au cours des dernières années.
- QUESTION.- Vous disiez l'autre jour que les critères d'aujourd'hui devaient justement faire en sorte d'aller vers la monnaie unique.
- LE PRESIDENT.- Pour la monnaie, il y a quatre critères. Il y a le taux d'inflation, il y a le taux de l'argent à long terme, il y a le taux de déficit budgétaire, il y a le taux d'endettement. Ces quatre conditions réunies feraient que si on devait créer la monnaie unique aujourd'hui, il n'y aurait que le Luxembourg et la France qui pourraient entrer dans le système. C'est dire que ce sont les deux politiques aujourd'hui qui ont le mieux protégé, en dépit des difficultés et des plaintes, les intérêts de nos ressortissants.
- QUESTION.- Il y a peut-être d'autres critères qui peuvent entrer en jeu. L'Allemagne est une grande puissance.
- LE PRESIDENT.- J'ai dit "pour fixer la monnaie". Sur le plan de la prospérité qui détermine la contribution de chaque pays à la Communauté, c'est l'Allemagne et la France qui viennent en tête.\
QUESTION.- Alors la citoyenneté européenne, on a l'impression qu'on la découvre parce qu'on n'avait pas mis l'accent sur ce terrain-là, sur le Sommet de Maastricht. Alors selon ce que vous avez signé à Maastricht, des Européens non nationaux français, et cela se produit dans tous les différents pays, pourront être électeurs, éligibles aux élections locales et européennes.
- LE PRESIDENT.- Et européennes, oui.
- QUESTION.- Vous allez encore me dire que je suis obsédée par les chiffres, mais il y a un sondage aujourd'hui, il faut en profiter, qui dit que les Français sont favorables... 56 contre 39... Mais il y a deux questions que l'on se pose : on se dit "ou bien c'est un moyen de faire entrer par la fenêtre l'autre vieux débat qui est celui du vote des immigrés en France" et deuxième question : "si ça n'est pas le moyen, est-ce qu'il peut y avoir plusieurs catégories d'étrangers en France" ?
- LE PRESIDENT.- Vous savez, on a décidé cela à Douze. Ce ne sont pas nos préoccupations et nos débats franco-français qui ont orienté cette discussion à Douze. En vérité, ce vote, dans certains pays, existe déjà. Par exemple, les Français peuvent voter aux élections locales dans des pays comme l'Irlande, la Hollande ou le Danemark. D'autre part, est-ce que cela ne vous paraît pas normal ?
- Nous venons de décider qu'il y aurait une Union européenne. La Communauté a donné à cette Union européenne des pouvoirs importants, des compétences très importantes et les ressortissants de ces onze autres pays qui viendront habiter en France, au bout d'un certain temps devront pouvoir voter. Il va falloir définir une durée de résidence, ce n'est pas encore fait. D'autre part, celui qui votera ici, ne pourra pas voter là. Il n'y aura pas de double vote.
- D'autre part, les Anglais, les Allemands, les Hollandais, et les Grecs, je ne vais pas les énumérer, les ressortissants des onze pays de la Communauté qui viendront vivre en France, ne vont pas encombrer les urnes.
- Il y aura un certain nombre de ces personnes qui apporteront leur travail et leur intelligence, qui vivront depuis longtemps parmi nous, et qui auront droit de participer au vote municipal, local et au vote européen. Européen, c'est la moindre des choses. Je trouve cela normal. Nous avons désormais deux citoyennetés : la citoyenneté française, et la citoyenneté européenne.\
`Suite sur le droit de vote des Européens aux élections locales`
- LE PRESIDENT.- Voilà pourquoi je ne comprends pas pourquoi vous pouvez faire l'assimilation. On peut le vouloir ou ne pas le vouloir. Il n'y a pas de confusion possible avec la présence des autres étrangers avec qui il n'y a pas de Communauté : il n'y a pas d'union France - Maghreb £ il n'y a pas de communauté France - Amérique latine. Peut-être serait-ce désirable ? Ce n'est pas fait. Il faudra du temps avant qu'on en parle. Union européenne et citoyen européen, France et citoyen français : on ne parle que de cela !
- QUESTION.- Donc, vous, vous pouvez confirmer ce que vous avez dit à plusieurs reprises. A savoir que vous étiez personnellement pour, mais que la France n'étant pas prête...?
- LE PRESIDENT.- Vous me remettez sur ce problème qui est fort intéressant et fort important, mais ça n'est pas ce problème-là qui est en cause. Il s'agit de savoir si les citoyens de la Communauté européenne auront le droit de vote dans les autres pays de la Communauté. Il ne s'agit pas d'autre chose. Bien entendu, l'autre discussion se greffera sans aucun doute sur celle que nous évoquons. Ce sera un beau débat et enrichissant, je l'espère.
- QUESTION.- Vous pensez qu'il ne sera pas tranché rapidement ?
- LE PRESIDENT.- Je me permets de vous répéter que l'accord de Maastricht ne concerne que 12 pays d'Europe. Je n'entends pas mélanger les choses. Quand je soumettrai le Traité de Maastricht à l'appréciation des Français - on en parlera tout à l'heure - à ce moment-là, je ne mêlerai aucun problème de politique intérieure, ni aucune polémique subalterne, ou adjacente. On parlera de l'Europe. On ne parlera pas d'autre chose.\
QUESTION.- Alors sans même parler précisément d'autres catégories d'étrangers en France, déjà cela soulève un débat en France, parmi ceux qui pensent que cela peut être une perte d'identité nationale.
- M. Balladur, aujourd'hui, demandait à ce que vous consultiez les Français sur ce terrain-là précisément. Est-ce que cela mérite, à votre avis, une consultation ?
- LE PRESIDENT.- Ils le seront, forcément.
- QUESTION.- Directement ? Par le Parlement ?
- LE PRESIDENT.- Cela, c'est une affaire de procédure.
- Il y aura deux choses à faire pour appliquer en France les accords de Maastricht, c'est-à-dire pour l'Union européenne. Il y aura, d'une part, sur le terrain que vous venez à l'instant d'aborder, le problème du droit de vote des autres Européens de la Communauté en France, et de même qu'il faudra que les citoyens français puissent voter partout dans la Communauté. Cela nécessitera une réforme constitutionnelle. C'est l'article 3 de la Constitution.
- Et, d'autre part, il y aura besoin d'une réforme constitutionnelle sur certains transferts de souveraineté. Je vais faire examiner cela par des juristes compétents. Le faudra-t-il ou pas ?... Il y a déjà eu des transferts de souveraineté en 1957, lors de la signature du Traité qui a fondé l'Europe : le Traité de Rome.. En 1958, avec l'arrivée au pouvoir du Général de Gaulle, on ne s'en est pas occupé. On vit, depuis cette époque-là, avec des dispositions qui ne sont pas constitutionnelles.
- QUESTION.- Il faudra des retouches constitutionnelles ?
- LE PRESIDENT.- J'en profiterai pour rattraper le retard et rendre réguliers et constitutionnels les transferts de souveraineté de Maastricht et de Rome.
- QUESTION.- Ferez-vous un "paquet cadeau", si j'ose dire, avec votre réforme institutionnelle ?
- LE PRESIDENT.- Non ! Non, je vous l'ai dit, madame, je ne mélangerai pas les choses. J'ai évoqué des réformes constitutionnelles qui me paraissent utiles lors d'un débat récent et également télévisé. C'est une autre affaire. Cela fera l'objet d'un autre débat qui viendra en son heure en 1992, je l'espère. Ce n'est pas le traité de Maastricht, ça n'est pas la fondation de cette Europe-là que j'appelle de mes voeux et qui sera si nécessaire et si utile pour la France. Non.. Je ne mélangerai pas. Je ne veux pas. Je me répète mais il est indispensable qu'il n'y ait pas de polémiques subalternes, de batailles entre Français alors qu'il s'agit d'un grand acte qui engage notre Nation dans la construction de l'Europe.\
QUESTION.- Les retouches constitutionnelles concernant Maastricht peuvent se faire par deux voies : soit par la voie parlementaire, soit par la voie référendaire. Vous avez une préférence ?
- LE PRESIDENT.- Il y a deux choses, deux choix...
- QUESTION.- Absolument...
- LE PRESIDENT.- ... qui peuvent être reliés. Il y a les réformes constitutionnelles et il y a la ratification du Traité en question. Ce sont deux choses différentes qui peuvent être reliées. S'il y avait un référendum, ce serait lié. Tout serait accepté en même temps par le peuple, s'il était accepté.
- QUESTION.- C'est ce que vous trouvez légitime ?
- LE PRESIDENT.- Et il peut y avoir le vote par le Parlement.
- QUESTION.- Il peut y avoir l'examen des dispositions constitutionnelles propres à Maastricht ?
- LE PRESIDENT.- Je répète qu'on ne mélange pas Parlement et l'approbation par le peuple. Tout peut passer par le Parlement.
- QUESTION.- Dans un délai assez court ? Dans les trois mois qui viennent ?
- LE PRESIDENT.- Avant que les traités ne soient rédigés par les spécialistes, vous savez, les spécialistes, dans ce domaine, sont minutieux, si on voulait simplement rattraper les amendements qui ont été adoptés depuis le Traité de Rome, cela ferait déjà un bouquin de 400 pages et il y a tout ce qu'on vient d'ajouter. C'est un gros travail. On ne l'aura pas avant fin février. Il y a alors les élections régionales et cantonales en France. Il ne faut pas mélanger les choses. Je pense que ce serait plutôt pour avril.
- QUESTION.- Et vous pensez qu'il serait bon que les Français soient consultés directement par référendum plus que par la voie parlementaire ? Je parle cette fois de l'approbation des traités ?
- LE PRESIDENT.- Eh bien, quand j'aurai examiné la question à fond, j'aurai grand plaisir à vous en informer.
- QUESTION.- On a beaucoup parlé du déficit démocratique que suggère cette Europe...
- LE PRESIDENT.- Quelques-uns...
- QUESTION.- Il n'y a pas eu beaucoup de débats au Parlement...
- LE PRESIDENT.- Pas encore !
- QUESTION.- Est-ce qu'il ne vous semble pas légitime soit qu'il y ait des débats parlementaires, soit...
- LE PRESIDENT.- Je suis pour le maximum de débat au Parlement.
- QUESTION.- Plus que de consulter les Français ?
- LE PRESIDENT.- Pas plus.. Consulter les Français, n'est pas anti-démocratique !
- QUESTION.- Je ne crois pas.
- LE PRESIDENT.- Admettons-le !\
QUESTION.- L'ex-Union soviétique a explosé, Mikhaïl Gorbatchev est un peu sorti de la scène. Il n'a pas démissionné encore, mais on voit que ses pouvoirs sont aujourd'hui presque inexistants. Est-ce qu'on va le regretter ?
- LE PRESIDENT.- Oh oui ! Mais je le regretterai en tous cas. Je pense que c'est l'un des hommes les plus importants dans l'histoire de ce siècle. Il faut imaginer ce qu'a été son oeuvre. Il a d'abord libéré ce monde clos, écrasant et froid qu'était le monde communiste. Il l'a libéré, il a ouvert les portes et les fenêtres, et il a été courageux, car lui-même comme à peu près tous les autres était un produit du système. Donc, je l'admire pour cela, et on lui doit une grande reconnaissance. C'est un homme d'envergure.
- Ensuite, il lui faut adapter cette libération à l'explosion des nationalismes qui s'emparent des peuples multiples de ce qui fut l'empire de Pierre Le Grand, et aussi l'empire de Staline. Ce n'était pas exactement le même, mais c'était un empire. Alors il a apporté cela. Et aujourd'hui il semble vouloir s'identifier à une deuxième cause : la première, c'était la libération £ celle d'aujourd'hui, c'est l'union. Il veut s'opposer de toutes ses forces à ce que cette Russie d'autrefois, celle de Pierre Le Grand, le grand empire soviétique, celui de Staline, éclatent en mille morceaux.
- Il admet l'autonomie et même la souveraineté des républiques, il voudrait qu'elles gardent un centre, un lien commun suffisamment fort pour que cet ensemble soit cohérent £ quant il ne s'agirait que de la détention de l'arme nucléaire, ce n'est pas négligeable.
- QUESTION.- Ce centre a l'air de se faire, mais sans lui.
- LE PRESIDENT.- Et autrement. A mon avis, il porte le poids du fait qu'il est l'héritier d'un pouvoir absolu qui depuis Lénine s'est constamment succédé à lui-même, jusqu'à Gorbatchev compris, et qu'aujourd'hui, dans le rejet de ces peuples à l'égard du marxisme-léninisme, on a tendance aussi à renvoyer celui qui a su en sortir.
- Alors la proposition d'Eltsine, du Président de l'Ukraine, du Président de Biélorussie, des républiques slaves et aujourd'hui l'adhésion des républiques musulmanes, créent un nouvel ensemble. C'est intéressant, c'est important, il ne faut pas détourner notre regard de cette situation. Mais nous ne savons pas encore quel sera le pouvoir suprême qui pourrait harmoniser cette fédération, plutôt cette confédération des républiques anciennement soviétiques.\
QUESTION.- Pouvoir suprême, détenteur de l'arme nucléaire, et c'est ce qui inquiète aujourd'hui les Occidentaux. James Baker en parlait l'autre jour, cela pourrait être une Yougoslavie avec le nucléaire en plus.
- LE PRESIDENT.- Je veux dire simplement que ce désir d'un lien entre toutes les républiques de cet immense pays, c'est peut-être - ce n'est pas à moi d'en juger - l'intérêt de ceux qui y vivent, mais c'est aussi, je crois, l'intérêt de l'Europe et du monde. L'éparpillement, les rivalités, les luttes internes, pourquoi pas les querelles locales : va-t-on recommencer l'affaire de la Yougoslavie ?
- QUESTION.- Vous êtes inquiet ? Vous avez des éléments qui vous permettent d'être inquiet ?
- LE PRESIDENT.- Je ne suis pas inquiet de nature, mais je suis résolu à affronter tout ce qui peut advenir, et c'est Raymond Aron qui le disait : "Il ne faut pas oublier que l'histoire est tragique".
- QUESTION.- Vous avez proposé une conférence nucléaire à quatre depuis le mois de septembre, qui réunirait les puissances détentrices de l'arme nucléaire en Europe, c'est-à-dire les Etats-Unis qui y sont, la France, la Grande-Bretagne et, proposiez-vous, l'Union soviétique. Aujourd'hui, qui est le 4ème ? Est-ce qu'on ajoute l'Ukraine, la Biélorussie, le kazakhstan ?
- LE PRESIDENT.- C'est justement la question, d'où l'intérêt d'avoir un interlocuteur. Mais si on doit en avoir trois au lieu d'un, eh bien on discutera avec eux, l'essentiel n'étant pas le nombre, l'essentiel étant que l'arme atomique soit contrôlée.
- QUESTION.- Vous avez vu que l'Ukraine a déjà pris le contrôle des armes sur son territoire, ce qui est un élément d'inquiétude supplémentaire.
- LE PRESIDENT.- L'actuel Président de l'Ukraine m'avait averti il y a déjà un mois qu'il ne céderait pas sur ce qu'il possède en Ukraine, ni au bénéfice de l'Union, ni au bénéfice de la Russie.\
QUESTION.- Le Président Bush propose de réunir en janvier une conférence internationale à Washington qui devrait débattre de l'aide à apporter et conditionner cette aide à un certain nombre, justement, de garanties en ce qui concerne le nucléaire. On a l'impression que les Européens accueillent cette proposition fraîchement.
- LE PRESIDENT.- Non, ils accueillent assez fraîchement le fait de réunir à Washington des pays qui sont déjà en contact quotidien pour organiser l'aide humanitaire aux pays de l'ancienne Union soviétique. Les pays d'Europe à l'heure actuelle contribuent beaucoup plus que les Etats-Unis à cette aide.
- QUESTION.- L'Europe contribue à 80 %.
- LE PRESIDENT.- Alors naturellement, tout d'un coup, la demande du Président Bush d'aller se réunir à Washington pour coordonner ces efforts me paraît un peu superfétatoire. C'est d'ailleurs ce que j'ai expliqué au Président Bush auquel j'ai téléphoné il y a une heure. J'ai dit : mais pourquoi ? Ce n'est pas indispensable, cela va nous retarder.
- QUESTION.- Et qu'est-ce qu'il vous a dit ?
- LE PRESIDENT.- Il trouvait que ce n'était pas mal, mais il a été comme d'habitude extrêmement aimable. Ce qui est important, c'est que ce soit efficace, et naturellement à partir de l'Europe on voit mieux ce qui se passe à côté de chez nous qu'avec 5000 kilomètres d'océan entre nous.
- QUESTION.- La conférence sur le nucléaire, on essaiera quoi ? De demander des garanties en contrepartie ?
- LE PRESIDENT.- Il s'agit de parler strictement de ce problème de la dévolution du nucléaire dans l'ancienne Union soviétique. Il ne s'agit pas de parler de désarmement. Gorbatchev a accepté, je crois que les Présidents des républiques sont prêts à accepter. John Major a accepté et m'en a reparlé à Maastricht avec beaucoup d'insistance. Mais M. Bush n'a pas encore répondu favorablement.\
QUESTION.- L'élargissement de l'Europe précisément : l'Europe des Douze, aux pays de l'Est, M. Geremek dans le Monde il y a quelques jours parlait d'un "signe d'espoir". Est-ce qu'on peut donner ce signe d'espoir, un signe politique ? Est-ce qu'on peut faire à la fois une petite Europe des Douze et la très grande Europe avec toutes les nations européennes aujourd'hui ?
- LE PRESIDENT.- La petite Europe des Douze, c'est la grande, et la grande Europe des autres, c'est la petite ! Vous voyez comme les choses sont faciles à comprendre ! En réalité chacun des Etats existants, ou en train d'exister, a besoin de la Communauté. Naturellement certains sont prospères - la Suède et l'Autriche - qui vont venir dans la Communauté dès 1993. Mais pour la plupart des pays qui appartenaient à l'Europe du Centre et de l'Est, ce sont des pays ruinés. Il faut que la Communauté s'en occupe. Nous avons de fortes relations avec eux, mais ils ne peuvent pas comme cela, d'emblée, se soumettre à toutes les contraintes de la Communauté, ils achèveraient de s'y perdre.\
QUESTION.- Contraintes économiques, mais contraintes politiques ? Est-ce qu'on pourrait les associer de manière politique ?
- LE PRESIDENT.- C'est ce que je souhaite, c'est ce que j'ai demandé.
- QUESTION.- La "confédération" dont vous avez parlé ?
- LE PRESIDENT.- Je l'ai déjà appelée comme cela. C'est un voeu que j'ai exprimé le 31 décembre 1989, pour 1990. J'avais demandé la création d'une Confédération entre tous les pays de l'Europe, dès lors qu'ils seraient les uns et les autres démocratiques. C'est ce qui est en train de se produire.
- Mais je redoute un peu la puissance de la Communauté, avec ses 340 millions d'habitants et sa puissance économique, et d'autre part l'espèce de pauvreté, d'isolement dans lesquels se trouve chacun des autres pays de l'Europe. Il faudrait que tous se rassemblent, à égalité de dignité, pour discuter en commun des intérêts communs.
- QUESTION.- Certains ici, je pense à Jacques Chirac notamment, disent : on ne va pas recréer le mur de l'argent après le mur de Berlin.
- LE PRESIDENT.- C'est une expression qui a le mérite d'être frappante, mais elle n'a pas beaucoup de sens. Qui créé le mur de l'argent ?
- QUESTION.- Une Europe riche laissant les autres dans la salle d'attente ?
- LE PRESIDENT.- Non, il faut que ces pays-là soient en mesure de supporter l'adhésion à la Communauté. Vous savez ce que cela représente ? Vous savez que tous leurs marchés seront envahis, sans la moindre limitation puisqu'il n'y aura plus de frontières, par les produits européens de l'Ouest qui sont infiniment plus puissants. Il ne leur restera rien ! Il faut aménager les étapes, c'est ce que nous sommes en train de faire.
- Mais sur le plan politique en revanche, il n'y a pas d'obstacle, et moi je suis prêt à traiter toute forme de communauté élargie ou de confédération.\
QUESTION.- Monsieur le Président, si vous voulez bien, on va un peu parler de la France, et du climat de morosité dans lequel elle baigne. Monsieur le Président, vous avez vu, il y en a pour tous les goûts : pour Georges Bush, le libéral, cela va mal, pour Felipe Gonzalez le socialiste cela va bien. Pour Georges Bush c'est un peu comme pour vous, grand prestige extérieur, et contesté à l'intérieur.
- LE PRESIDENT.- Comme vous avez pu le constater, cela va et cela vient. Moi, ce n'est pas mon problème, je mène une politique, on jugera aux résultats.
- Ma tâche consiste - au total de mon action, pendant ma présence à la tête de l'Etat - à faire que les Français, même s'ils en doutent parfois, pas toujours, se sentent mieux protégés, mieux assurés, que leur place soit plus forte et plus grande dans le monde, en Europe, et que les droits fondamentaux soient respectés.
- Je vous dis : qu'est-ce que c'est que cette "sinistrose" ? Que n'importe quelle personne honnête regarde, si elle dispose d'un atlas ou d'une mappemonde, le globe terrestre, et cherche avec son doigt un pays où il y a plus de libertés qu'en France, un pays davantage protégé désormais par la paix, c'est-à-dire par la sécurité, un pays où chaque citoyen dispose de plus de sécurité - pas assez sans aucun doute, il y a des malheurs, il y a encore des millions de gens (je n'en ferai pas l'estimation) qui souffrent - mais par rapport à la marche du monde, nous nous trouvons, je le dis hautement, sans crainte d'être démenti, en cette année 1991, malgré tout ce dont nous souffrons, parmi les pays du monde qui vivent avec les meilleures garanties.
- Alors la "sinistrose", je la mets de côté.\
LE PRESIDENT.- `Suite sur la situation politique et économique`
- En revanche, l'opinion des Français sur la politique que nous menons, après tout ils ont le droit de ne pas être d'accord. J'espère qu'ils ne seront pas toujours en désaccord, j'espère qu'ils seront vite rassurés, mais ça c'est une autre affaire.
- L'opinion sur la politique : il y a un certain doute, mais ce doute est dû surtout au fait qu'après avoir cru à la croissance pendant deux à trois ans, d'un seul coup, nous est venue, surtout d'Amérique, il faut le dire, la mauvaise nouvelle selon laquelle on était non pas en train de replonger, mais que tout se ralentissait, que cela ne marchait pas : les échanges diminuent, les entreprises ont beaucoup de peine à boucler leurs affaires, donc elles se défont d'un certain nombre de travailleurs, d'où l'accroissement du chômage partout.
- QUESTION.- On va y venir.
- LE PRESIDENT.- On va y venir. Ce que je veux vous dire c'est que la France, par exemple en augmentation de chômage, pour ces dernières années, a beaucoup moins souffert et Dieu sait si elle souffre, si les travailleurs souffrent, que les principaux pays concurrents. Donc je crois qu'il faut que les Français comprennent que mon intention, c'est de tenir bon, c'est de mener une politique jusqu'au résultat qui sera jugé par les électeurs le jour venu. Je ne débraye pas ! Je reste, non pas sûr de moi, ce serait excessif, mais sûr de la politique menée, et j'entends rester absolument impassible, sans être influencé ni par les sondages, ni par ce que j'entends et par ce que je vois tous les jours dans la presse.\
QUESTION.- Vous notiez le décalage, que beaucoup d'observateurs notent, entre la réalité de notre économie et la perception de cette réalité.
- LE PRESIDENT.- Oui, c'est vrai.
- QUESTION.- Quand on gouverne, est-ce qu'on ne doit pas être sensible à la perception des citoyens ? Est-ce que ce n'est pas ce qui l'emporte à certains moments, même si la réalité est autre ?
- LE PRESIDENT.- Oui, mais pas seulement. La réalité vaut mieux que la perception, mais pour les responsables politiques, la perception pourrait mieux valoir que la réalité, c'est ce que je ne veux pas. Ce que je veux, avec le gouvernement, c'est travailler sur les choses sérieures. C'est dire aux Français : "on est en train de bâtir un système qui vous protègera contre la guerre, contre la pauvreté, et contre l'insécurité, et si vous voulez bien juger avec sang-froid, en dehors des passions et sans vous laisser entraîner par cette sorte de vague à l'âme qui s'empare assez souvent de notre peuple, vous verrez bien que face à la carte du monde, la France se défend bien".
- QUESTION.- Vague à l'âme, mais qui touche l'ensemble de la classe politique, l'ensemble des partis politiques.
- LE PRESIDENT.- Naturellement.
- QUESTION.- L'ensemble de la classe politique. Est-ce qu'il n'y a pas un problème moral ?
- LE PRESIDENT.- Sûrement.
- QUESTION.- Au travers des scandales, les Français ont le sentiment qu'il y a deux catégories de citoyens, une catégorie, pensent-ils, qui serait au-dessus des lois, et une catégorie qui en subirait toute la rigueur...
- LE PRESIDENT.- Vous avez raison, cela compte certainement beaucoup dans la triste opinion qu'ont les Français, à l'égard de la plupart de leurs dirigeants. C'est vrai.
- Cela est dû au fait qu'on a vu surgir beaucoup d'affaires à caractère scandaleux. Permettez-moi de vous dire, le scandale n'a pas spécialement choisi les rangs d'un camp plutôt que les rangs d'un autre. La malhonnêteté fleurit à mesure que se développent les pouvoirs, et même les lois de décentralisation, auxquelles je tiens tant, et qu'il faut développer, permettent désormais à beaucoup de gens de ne pas respecter les règles de la démocratie. J'en conviens.
- QUESTION.- Disons qu'on a l'oeil plus acéré quand cela touche ceux qui exercent le pouvoir.
- LE PRESIDENT.- C'est sûr, et les Français ont raison d'être très sévères là-dessus £ je voudrais quand même réparer quelques injustices.
- Voyez par exemple, l'un des faits qui ont le plus compté dans cette démoralisation publique, c'est ce qu'on a appelé la loi d'amnistie de 1990.
- QUESTION.- C'était une erreur ?
- LE PRESIDENT.- La perception montre que c'était une erreur. Mais la réalité, et je vais vous surprendre, j'en suis sûr, et tous ceux qui m'écoutent aussi, c'est qu'il n'y a pas eu de loi d'amnistie pour les Parlementaires. Il n'y a pas eu de loi d'amnistie pour les Parlementaires !
- QUESTION.- Ils se sont exclus de cette loi.
- LE PRESIDENT.- S'il y a eu loi d'amnistie en 1990 pour les exécutants d'un certain nombre d'opérations contestables, précisément un amendement a exclu les Parlementaires de cette disposition et c'est pourquoi je l'ai acceptée. Pendant trois mois je l'ai refusée et quand j'ai vu que les Parlementaires en étaient exclus, alors j'ai pensé que cela devenait juste, mais en réalité tous les Français sont convaincus que les Parlementaires se sont auto-amnistiés.
- Ils ont pensé ce que vous venez de dire : pour les petits la loi est rude, mais les puissants elle ne les touche pas.
- Je peux vous dire, responsable que je suis de la France, que si tel était le cas, je me rangerais à la loi du plus grand nombre et je ne supporterais pas cette injustice.\
QUESTION.- Vous parliez des données économiques françaises en disant qu'elles n'étaient pas si mauvaises que cela. C'est vrai qu'on a un chômage important : 9,5 % de la population active, 2 millions huit cent mille chômeurs. Il a des spécificités bien françaises, c'est-à-dire une rigidité certaine, un nombre plus important qu'ailleurs de chômeurs de longue durée, et un chômage des jeunes qui touche les moins de 25 ans. Ce sont des spécificités françaises qui font que quand cela va bien en France, les sans-emploi en profitent moins qu'ailleurs.
- LE PREsIDENT.- Vous ne pouvez pas dire cela...
- QUESTION.- Il y a moins de souplesse.
- LE PRESIDENT.- On a fait beaucoup de pourcentages, de statistiques. En vérité le chômage s'est beaucoup moins accru en France qu'ailleurs, cela ne veut pas dire qu'en France ce soit agréable. Il est tragique qu'il y ait 2 millions huit cent mille chômeurs. C'est tragique en Allemagne, c'est tragique aux Etats-Unis, c'est tragique en Angleterre. Partout c'est insupportable, et l'une des raisons qui ont voulu que je me batte pour l'existence d'une Charte sociale pour l'Europe (c'est moi qui l'ai proposée le premier) en même temps qu'une monnaie unique, qu'une économie communautaire, c'est parce que nous allons économiser énormément sur les coûts, nous allons organiser une compétition, les investissements vont pouvoir beaucoup plus aisément se multiplier. J'espère que nous y parviendrons, à condition qu'il y ait une reprise américaine, on l'annonce quand même pour 1992, même si c'est un peu tard. De plus avec une formation des jeunes accélérée, ce que fait le gouvernement d'Edith Cresson, - croyez-moi, comme personne ne l'a fait avant elle - je crois que nous "sortirons du trou".
- Mais vous devez bien imaginer que cela, c'est le souci, je dirai même, le seul, qui me ronge. Je voudrais rendre justice à ces hommes et à ces femmes qui désespèrent, parce qu'ils n'ont pas d'emploi. Tout est fait pour cela.
- J'ai confiance dans le résultat. J'ai dit "on jugera au résultat". Mais je crois pouvoir dire que pour beaucoup d'autres raisons il n'y a pas lieu de désespérer des capacités économiques de la France qui se trouve parmi les pays les mieux portants du monde.
- J'espère que cela finira par se répercuter sur l'emploi. Il faut dire aussi que c'est le progrès technique qui a accéléré cette perte de l'emploi, parce que l'arrivée de machines extrêmement sophistiquées, a fait que les grandes industries lourdes ont jeté à la rue des milliers et des milliers, des centaines de milliers de gens qui n'étaient pas préparés aux métiers nouveaux.\
QUESTION.- Vous savez bien qu'on vous répond à cet argument en disant : cela fait dix ans que vous êtes là, (avec deux ans d'exercice du pouvoir par la droite pendant la cohabitation), vous auriez pu adapter le pays, faire en sorte de faire baisser ce chômage qui était déjà un mal endémique quand vous êtes venu au pouvoir.
- LE PRESIDENT.- Cela fait trente-cinq ans que c'est comme cela et cela fait dix-sept ans que cette crise est devenue visible à cause du coût du pétrole et du coût du dollar. Cela est allé constamment dans le sens du chômage, avec une réduction du pourcentage à mesure que le temps passait, mais beaucoup trop. Et c'est vrai que depuis dix ans, j'ai eu de très bons ministres de l'économie et des finances, d'ailleurs très cotés dans l'opinion publique, qui n'y sont pas parvenus, parce que la France toute seule sur le plan de l'économie ne peut pas vaincre les pesanteurs. C'est pourquoi la France n'est plus seule et j'espère pouvoir dire aux Français que finalement mon travail aura été utile. Je l'espère et en tout cas je me bats.
- Vous savez je ne suis pas omniscient comme on pourrait le croire, je n'ai pas toutes les puissances comme on le dit, comme je le vois répéter un peu partout d'une façon un peu enfantine, ridicule. Ce dont on ne doit pas douter, c'est que toutes mes journées et toutes mes heures de travail - il y en a beaucoup par jour - sont orientées vers cela. Je voudrais que les familles, je veux que les entreprises soient en meilleur état que lorsque je les ai trouvées, qu'au bout du compte, cette crise s'achève. Y croyez-vous ? Moi, j'y crois beaucoup en tout cas.
- QUESTION.- Alors, cela doit vous agacer horriblement quand vous entendez l'opposition dire : "C'est l'immobilisme c'est le conservatisme. Nous, c'est le changement et le progrès" ?
- LE PRESIDENT.- Entendre les conservateurs se plaindre du conservatisme, il y a quelque chose qui rappelle certaines républiques d'Ubu Roi.\
QUESTION.- Quand aujourd'hui vous voyez l'état de la France, vous pensez qu'il faut la rassurer ou la réformer ? Autrement dit, est-ce qu'au delà de l'aspect politique de telle ou telle action, de tel ou tel acte, de telle ou telle réforme, il y a une voie dans laquelle vous vous dites : "C'est la voie qu'il faut expliquer aux Français".. Est-ce qu'il n'y a pas dans cette morosité peut-être une absence de perspective ?
- LE PRESIDENT.- Ecoutez... c'est peut-être vrai.. Mais la formation et l'éducation, c'est considérable. Mais l'absence de perspective existe quelquefois, en effet. Il y a un tel besoin chez nos contemporains de trouver une foi, de préciser un idéal, tant de choses importantes et qu'on oublie trop souvent dans les sondages, c'est-à-dire le bonheur d'être ensemble, la famille, l'amitié dans le village ou dans le quartier, tout cela compte, et puis l'entreprise..
- QUESTION.- L'Etat n'apportera jamais cela ?
- LE PRESIDENT.- Non, mais l'Etat peut y contribuer par de meilleurs équipements, un peu moins d'heures dans les métros ou dans les transports, un peu moins d'embouteillages dans Paris, et puis une plus grande sécurité, une sécurité sociale sûre de répondre aux exigences qui sont celles de la population.
- Je la protège, vous savez, cette sécurité sociale, au maximum. Je ne veux pas qu'on lui porte atteinte, et je vois certains programmes des partis conservateurs qui seraient tout prêts de recréer la médecine des pauvres et la médecine des riches. Ceux-là me trouveront toujours devant eux.
- QUESTION.- Il y a des gens qui disent : "Aujourd'hui, peut-être, l'Etat providence, c'est fini". Peut-être qu'on peut responsabiliser davantage les citoyens et leur dire : "Prenez en charge votre destin, vos cotisations, vos retraites et, en contre-partie, touchez un peu plus de ce qu'on appelle le salaire direct, c'est-à-dire ce que verse directement l'entreprise pour être réservé aux citoyens".
- LE PRESIDENT.- Cela peut se discuter, mais l'Etat providence pour tout, bien entendu, moi je ne suis pas de ceux qui y croient. Je suis de ceux qui croient absolument à la nécessité de l'intervention de l'Etat pour empêcher les méfaits et les crimes d'une société qui se dirait libérale simplement parce que les plus forts auraient eu le droit d'écraser les plus faibles. C'est-à-dire les sociétés qui existent dans certains pays occidentaux où on compte les pauvres démunis de toute protection sociale par dizaines de millions. Ce n'est pas le cas en France, même s'il y a trop de cas douloureux.
- Cela, c'est une théorie qui ne me plaît pas. Et je tiens absolument à dire que ceux qui s'inventent maintenant des programmes nouveaux, c'est un peu pour séduire et pour plaire. Moi je ne cherche pas à plaire. Je suis, je l'ai déjà dit, au travail. Je suis responsable. On me jugera à la fin. Mais je n'ai pas l'intention de distribuer des promesses. Je crois qu'on en a quelquefois souffert.\
QUESTION.- Alors, Edith Cresson n'est pas populaire. Elle l'assume, et elle dit tout ce que vous venez de dire. Elle dit : "Je continue mon travail, peu importe".
- LE PRESIDENT.- Je suis très heureux qu'elle parle comme moi, je n'en ai jamais douté.
- QUESTION.- Même si vous trouvez cela injuste, là aussi on revient peut-être au sentiment...
- LE PRESIDENT.- Oui, c'est injuste pour elle, c'est sûr. Mon opinion, c'est que c'est très injuste. Elle travaille, elle lutte, elle a une énergie farouche, elle a le souci des Français. Mais évidemment comme elle a été chargée de faire ce qui n'a pas été fait, qui est difficile à supporter, elle en paie le prix. Cela durera ce que cela durera. Mais elle est capable, je crois, de mener le pays vers un meilleur horizon.
- QUESTION.- Cela durera ce que cela durera... Vous pensez à l'impopularité ou à la durée ?
- LE PRESIDENT.- A l'impopularité. De toute manière les gouvernements ont une fin.
- QUESTION.- Alors précisément on rejoint là le thème de la perception et de la réalité de tout à l'heure. Même si vous trouvez cela injuste, la perception est telle.. Est-ce que vous ne devez pas en tenir compte ?
- LE PRESIDENT.- Je dois en tenir compte, mais pas au point de renverser l'ordre des facteurs, de préférer l'apparence à la réalité. C'est la réalité qui compte. Si l'apparence est déficitaire, il faut essayer de mieux s'expliquer. J'essaie de le faire avec vous. Je ne sais pas si j'y parviens.
- QUESTION.- Pour qu'un gouvernement soit efficace, il faut peut-être un minimum de popularité ?
- LE PRESIDENT.- Naturellement, il faut qu'il la gagne, il faut qu'il la mérite. Cela ne tiendra pas seulement aux "flonflons" et aux débats publics. Cela tient à la qualité du travail, et je voudrais continuer comme cela. Et je vous garantis que j'ai bien l'intention de continuer la tâche que j'assume avec pour objectif ce que je viens de définir et qui a un centre absolu : le sort des Français.
- Et si j'ai contribué à faire, bien entendu après d'autres, et avec d'autres, l'Europe, c'est dans cette intention et dans cette volonté.\
QUESTION.- Dans la grande popularité que recueille aujourd'hui Jacques Delors, la reconnaissance du travail d'un grand Européen, il y a aussi toutes les voix de ceux qui vous susurrent dans l'oreille qu'après tout, pour mettre en accord votre ambition européenne pour la France et peut-être une désaffection pour ce gouvernement, il serait judicieux de le nommer Premier ministre.
- LE PRESIDENT.- Vous voulez qu'on fasse maintenant le gouvernement futur ? Quelles sont vos suggestions ?
- QUESTION.- Aucune idée, je ne me permettrais pas d'en avoir..
- LE PRESIDENT.- Qu'est-ce que vous voyez comme ministre des sports ? Comme secrétaire d'Etat...
- QUESTION.- Je ne me fais que l'écho...
- LE PRESIDENT.- Ecoutez, Jacques Delors est un remarquable président de la Commission européenne, il a été un très bon ministre de l'économie et des finances au début de mon premier septennat, c'est un homme parmi les plus qualifiés en France, mais il ne m'appartient pas de décider de son futur aujourd'hui avec vous. De toute manière, croyez-moi, il sera très utile à la France, où qu'il soit.\
QUESTION.- Alors, la réduction du mandat présidentiel. Il y a un mois, vous en avez parlé sur les antennes de la Cinq et vous avez dit : il faudra bien que l'on raccourcisse le mandat présidentiel, surtout en cas de renouvellement. J'annoncerai tout cela aux Français dans un délai qui sera relativement bref. Est-ce que le temps est venu d'annoncer quelque chose ?
- LE PRESIDENT.- Cela, c'est la réforme constitutionnelle. Il est normal que les Français sachent combien de temps un Président peut rester à son poste, et c'est vrai qu'on a greffé en 1988 une situation nouvelle sur un mandat, traditionnel en France, mais avec des institutions tout à fait changées depuis le début de la IIIème République jusqu'à la Vème République. Ce mandat est de sept ans. Et puis, ma réélection (le Général de Gaulle lui-même avait été réélu, donc ce n'est pas moi qui l'ai inauguré) a fait tout d'un coup une projection formidable : ce n'est pas sept, mais quatorze ans !
- Quatorze ans, c'est vrai, je l'ai dit partout, cela peut paraître long, y compris à celui qui est Président de la République. C'est long. Et je pense qu'il serait bon de pouvoir prévoir une durée constitutionnelle qui ne projette pas sur une aussi longue distance l'élection et la réélection. Voilà, c'est tout. Et comme l'opposition en parlait beaucoup, je me suis permis de lui dire : vous avez raison.
- Et depuis qu'elle sait que je lui donne raison, elle n'en parle plus ! Si bien que j'en arrive à me demander si, après avoir tant discuté de droit public, de droit constitutionnel, si noblement des institutions, au fond, elle n'avait pas qu'une idée en tête, c'était que moi, je m'en aille !
- QUESTION.- Précisément, ils ont rebondi sur vos propos en disant : si le quinquennat est institué, M. Mitterrand se l'applique...
- LE PRESIDENT.- Non, non, ce n'était pas du tout cela, ce n'est pas qu'ils ont rebondi. Je me demande si le débat qu'ils avaient engagé et qu'ils ont abandonné depuis lors, depuis que j'en ai parlé, avant mon intervention chez un de vos confrères, si ce n'était pas en réalité des simagrées pour signifier simplement qu'ils étaient pressés de se mettre à ma place ! Remarquez qu'ils sont plusieurs à avoir ce type de souhait et de réaction. Je ne sais pas comment ils s'arrangeront ! Ce sont les Français qui trancheront.
- Mais après, en effet, (je m'en doutais, je ne suis quand même pas tout à fait innocent), ils ont dit : mais alors, si c'est cinq ans, si c'est ceci, si c'est cela, est-ce que vous l'appliquerez à vous-même ? En effet, je suis maître de ma décision. Mais croyez-moi, j'alignerai ce que je crois être la morale d'une décision sur la réalité politique. Mais il n'empêche que mon droit, c'est d'être là où je suis pour le temps où j'ai été élu.
- QUESTION.- Cela dit, je me suis replongée dans beaucoup de vos déclarations depuis longtemps, que ce soit les 110 propositions, "La lettre aux Français", que ce soit les interventions que vous avez faites ici ou là, à chaque fois vous évoquez les deux hypothèses...
- LE PRESIDENT.- Cela vous a intéressée ? Très bien, je suis content.
- QUESTION.- ... et là, vous évoquez le quinquennat et le septennat non renouvelable.
- LE PRESIDENT.- Oui, c'est vrai.\
QUESTION.- Est-ce que vous avez fait votre choix ? J'ai l'impression que vous préférez le septennat non renouvelable. A un moment donné, vous avez dit : cela transformerait la France en une sorte de régime à l'allemande, avec une sorte de Chancelier réélu en même temps que l'Assemblée. Alors, est-ce que vous avez fait votre choix ?
- LE PRESIDENT.- Je vous ferai connaître ce choix, mais pas ce soir, parce que je le dois aux Français et, aussi importante que soit la chaîne où nous nous exprimons, aussi sympathique que soit mon interlocutrice, c'est aux Français dans leur ensemble que je le dois. Vous me comprenez bien. Donc, je m'exprimerai en temps utile, n'ayez pas d'inquiétude.
- QUESTION.- Vous avez dit : "le plus tôt sera le mieux..."
- LE PRESIDENT.- Seulement, en vérité les réformes que j'ai proposées ne se réduisent pas à la durée du mandat présidentiel. C'est l'aspect sensationnel, c'est un peu du théâtre, mais j'ai dit aussi une réforme judiciaire, des réformes législatives, également une réforme du référendum. Cela forme un tout, car il faut démocratiser nos institutions.
- QUESTION.- Donc, ce soir, nous ne saurons rien sur l'état de votre réflexion sur la durée du mandat !
- Est-ce qu'on en saura un petit peu plus sur la façon dont vous voulez faire trancher les Français ? On a parlé tout à l'heure de la procédure que vous comptiez appliquer en ce qui concerne à l'Europe : à la fois les retouches constitutionnelles et l'approbation des traités. Est-ce que là, en ce qui concerne les réformes constitutionnelles à faire, vous avez fait votre choix entre procédure parlementaire ou, au contraire, le choix des François par référendum ?
- LE PRESIDENT.- De toute manière, je respecterai la Constitution.
- QUESTION.- Bien. On n'en saura pas plus...
- LE PRESIDENT.- C'est déjà beaucoup !
- QUESTION.- C'est la moindre des choses...
- LE PRESIDENT.- Comment, c'est la moindre des choses ? Je connais pas mal de mes prédécesseurs qui ne sont pas du tout soucié de cet aspect des choses !\
QUESTION.- Vous aviez parlé aussi du mode de scrutin c'est pourquoi je vous repose la question, vous avez dit : "plus tôt on connaîtra les règles et mieux ce sera". Est-ce que c'est partie remise ou pas, de modifier le mode de scrutin ?
- LE PRESIDENT.- J'ai parlé du mode de scrutin à diverses reprises. J'en ai parlé le 14 juillet dernier. Je visais les élections locales, c'est-à-dire départementales, conseils général et régional.
- Je trouve le système actuel très injuste. Il y a, disons, deux groupes d'opinion en France. On appelle cela la droite et la gauche. Cela porte des noms, selon les temps et les circonstances, depuis qu'il y a une République, c'est-à-dire au moins deux siècles. Bon. Mais on voit bien ce que cela veut dire : ceux qui sont plutôt partisans du progrès et ceux qui sont plutôt partisans de maintenir les choses en place.
- Il n'est pas normal, dans un pays aussi évolué que la France, où ces groupes, généralement, s'équilibrent, que les Régions, il y ait vingt Régions qui aillent aux partis conservateurs et deux Régions (ce qui est le cas jusqu'ici, en Métropole) qui aillent aux partis de progrès. Ce n'est pas normal qu'il y ait vingt-cinq (c'est à peu près le chiffre) départements pour les gens de progrès et soixante-quinze (j'arrondis) pour les gens de la conservation. C'est que cette loi électorale n'est pas juste. Donc, j'estime qu'il faudra un jour ou l'autre la changer.
- QUESTION.- Vous avez vu les réticences...
- LE PRESIDENT.- Oui, il y a des réticences. D'ailleurs, à mon avis, il n'y a pas de majorité parlementaire pour cela. Cela n'empêche pas que le problème doit être posé à l'opinion.
- QUESTION.- S'il n'y a pas de majorité parlementaire, il y aura une incidence...
- LE PRESIDENT.- Je pense, je ne l'assure pas, je pense qu'il n'y a pas de majorité parlementaire pour ces deux...
- QUESTION.- Et donc, pas non plus de procédure pour les réformes...
- LE PRESIDENT.- Laissez-moi aller au bout de mon propos ! Je veux être clair. De toute manière, les procédures ne seront pas changées avant les élections qui auront lieu au mois de mars. Il n'y aura pas de session consacrée à ce sujet, d'ici la session normale du mois d'avril. Donc, ce sera comme cela. Mais cela n'empêche pas que c'est injuste.\
LE PRESIDENT.- `Suite sur la réforme du mode de scrutin`
- Quant aux élections législatives, c'est une autre affaire. J'ai approuvé l'intention qu'avait le Premier secrétaire du Parti socialiste, avec lequel j'ai des relations particulièrement amicales, de réformer le mode de scrutin.
- Il s'est rendu compte qu'il n'y avait pas non plus de majorité pour cela et il a porté l'examen de ses projets pour plus tard, c'est-à-dire également à partir de la session d'avril, c'est-à-dire déjà un peu tard. Je ne peux pas, moi, me substituer aux partis politiques, ce n'est pas mon rôle. Posez-leur la question. Quand ils vous auront répondu, vous pourrez, si vous voulez bien, m'interroger à nouveau.
- QUESTION.- Mais comment convaincre les gens que de changer un mode de scrutin si tard, ou plutôt si près des élections, ce n'est pas justement pour éviter au parti majoritaire d'aller dans le mur ?
- LE PRESIDENT.- Mais non, madame, c'est toujours comme cela ! En 1958, le mode de scrutin a été changé deux ou trois mois avant les élections. Il ne faut quand même pas raconter d'histoire ! Les modes de scrutin ont quelquefois changé en France et ils ont changé dans le cadre de la démocratie. Cela dit, pour cette fois-ci, j'ai le sentiment que la majorité parlementaire, qui se recrute un peu partout, ne souhaite pas retoucher le mode de scrutin actuel. Alors, on verra bien.\
QUESTION.- Dernière question sur le mode de scrutin. Le reproche qui est fait à tout le mode de scrutin qui instillerait un peu de proportionnelle, serait que le Front national entrerait abondamment l'Assemblée nationale. Edith Cresson a écrit dans "Le Monde" un article il y a deux jours, intitulé "l'ennemi de la démocratie" et cet article visait l'extrême-droite et le Front national.
- LE PRESIDENT.- Elle ne souhaite sûrement pas voir entrer des députés de cette nuance à l'Assemblée nationale.
- QUESTION.- Est-ce qu'on peut faire entrer l'ennemi de la démocratie par un mode de scrutin qui leur permettrait d'entrer au Parlement ?
- LE PRESIDENT.- Etes-vous sûre qu'ils n'entreront pas de toute manière ? Etes-vous sûre qu'il n'y aura pas des accords entre le Front national et les autres partis de droite ?
- Qu'est-ce qui peut le garantir ? Quand on présente des candidats aux Français, les Français votent comme ils veulent, quels que soient les modes de scrutin, et croyez-moi on n'a pas de députés qua nd on n'a pas d'électeurs.
- QUESTION.- C'est un conseil aux partis politiques qui se réclament de la majorité d'essayer de les séduire plus qu'ils ne le font.
- LE PRESIDENT.- Quand on a des électeurs, on a des chances d'avoir des députés. Je ne sortirai pas de ce théorème.\
QUESTION.- Quand on va aux élections, on peut les prendre. Si en 1993, il y a une majorité de droite, il y a aujourd'hui un certain nombre de gens qui disent : on peut cohabiter comme la dernière fois avec le Président de la République.
- Et puis M. Valéry Giscard d'Estaing a dit : personne ne peut contraindre le Président à partir et personne...
- LE PRESIDENT.- Certainement.
- QUESTION.- Mais personne ne peut contraindre non plus à aller gouverner avec lui. Vous trouverez un chef de gouvernement comme cela ?
- LE PRESIDENT.- Ceux qui ne voudront pas gouverner, je n'irai pas les chercher. Permettez-moi de vous le dire, on en trouve toujours.\
QUESTION.- Dernière question politique : le parti socialiste a tenu son congrès ce week-end. Il a vingt ans ce Parti socialiste que vous avez fondé à Epinay. Il devient social-démocrate. Est-ce que c'est un Parti qui est en bout de course, d'une histoire qui a été au fond un instrument de conquête du pouvoir, et qui aujourd'hui manque de souffle, ou est-ce que vous croyez qu'il peut retrouver justement le souffle social-démocrate ?
- LE PRESIDENT.- Vous me posez des questions que vous ne devriez pas me poser. Je ne suis plus le premier responsable du Parti socialiste. Disons que vous demandez un avis d'expert.
- QUESTION.- Un avis d'expert et affectif.
- LE PRESIDENT.- Et du Président de la République ! Affectif : j'aime les socialistes, ce sont mes amis, il y a toujours eu parmi eux des gens qui ont contesté mon action, et d'autres qui l'ont approuvée. Le plus grand nombre l'a approuvée. Je reste fidèlement leur ami. Je suis convaincu qu'ils ne sont pas à bout de souffle, simplement ils sont au terme d'une étape, et ils ont besoin aujourd'hui de considérer celle qu'ils vont commencer.
- Hier soir, j'ai reçu à l'Elysée celui qui portait la flamme olympique. C'était des jeunes rayonnants et sympathiques. C'était la vie même qu'ils portaient là quand ils sont venus me voir à l'Elysée. Ils avaient fait pas mal de distance. Je leur ai dit : jusqu'où allez-vous ? "On va jusqu'à la Défense". Quand ils sont arrivés à la Défense, ils ont été certainement très contents de passer le relais, la flamme à d'autres.
- Les socialistes n'ont pas envie de repasser le témoin à d'autres partis politiques pour gouverner la France. Ils ont besoin de prendre le moment de la réflexion et de faire autre chose que ce qu'ils ont fait jusqu'ici. Vingt ans c'est une génération, c'était la mienne. Maintenant il faut faire autre chose, eh bien j'espère qu'ils auront l'esprit assez alerte.
- QUESTION.- C'est quoi autre chose ?
- LE PRESIDENT.- C'est à eux de le dire.\
QUESTION.- On arrive au terme de cette émission. Il y a deux ans c'était la chute du mur de Berlin, et beaucoup ont dit : voilà c'est une ère de paix en Europe. Un an après, c'était la découverte du nouvel ordre mondial et on a dit un peu béatement : c'est aussi une ère de paix pour le monde. Au terme de cette année, on a l'impression que le nouvel ordre mondial, c'est un peu le nouveau désordre mondial.
- LE PRESIDENT.- Qui a dit cela ? Quel esprit assez léger a pu prononcer ces paroles ?
- Je me souviens en tout cas, en tant que responsable, que je porte avec moi ce que je puis porter de sécurité des Français et d'avenir de leur pays, de notre pays. Je me souviens d'avoir dit : voilà, nous sortons d'un ordre, il était détestable. C'était l'ordre stalinien.
- Quelle chance : ces peuples vont ainsi respirer. Les individus, les particuliers, les citoyens vont redevenir des hommes et des femmes libres, quelle chance ! Mais nous entrons dans un désordre, entre le moment où cet ordre détestable s'en va, détestable mais pour certains rassurant et auquel ils s'étaient habitués depuis quarante ans, et ce qui va naître. C'est une période d'incertitude où s'accumulent les craintes et les peurs.
- Vous voyez surgir partout, chez tous les peuples aujourd'hui libérés, des aspirations contradictoires. Chacun veut affirmer ce qu'il est, à l'intérieur de chaque petit groupe, et à l'intérieur de chaque petit groupe apparaît un sous-groupe qui en veut davantage. C'est sans doute dans l'esprit de l'homme que de s'affirmer ainsi soi-même. Mais ce nouvel ordre il faudra qu'il naisse, il ne va pas naître tout de suite. La Communauté européenne, ce qu'elle a fait à Maastricht, et je crois y avoir contribué, a déjà apporté un élément de réponse. Il en faudra d'autres.
- La Yougoslavie est l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire mais de ce que l'on fait. On risque de voir non pas se multiplier mais se répéter ce tragique exemple. Il faut que les Français le sachent et qu'ils s'unissent au moins pour cela, c'est-à-dire pour considérer qu'ayant la chance d'être un pays homogène en dépit de sa diversité, un pays pacifique, après tant de guerres, un pays uni à ceux qui l'avaient combattu au cours des siècles précédents, il faut qu'ils tendent la main et en même temps qu'ils soient sûrs de lui, qu'ils sortent de leur frilosité, de la morosité, parce qu'on a besoin des Français, dans un monde désormais sans axe, désordonné, qui a perdu son triste état de la veille, qui n'en a pas encore recomposé un autre. Voilà pourquoi fédération, communauté, confédération, oui il faut retrouver le sens de l'histoire. Mais il faudra du temps et de la peine. Je suis sûr que les Français obscurément s'inquiètent de cela, ce qui peut-être, accroît leur souci. Je ne peux pas les rassurer sur tout. Je peux au moins leur dire que là où je suis, à côté d'eux, avec eux, et pour eux, mon seul souci sera d'assurer cette sécurité dans un ordre revenu, pour l'Europe, qui sera l'ordre de la liberté.\