10 décembre 1991 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du Conseil européen, notamment sur l'union économique et monétaire, l'union politique, la politique étrangère de la Communauté et la charte sociale, Maastricht le 10 décembre 1991.

Messieurs,
- Voici l'heure des comptes-rendus à votre usage. Je vous imagine déjà très informés. Vous avez eu le temps de consulter tous ceux qui allaient et venaient de la salle de conférence jusqu'à vous. Je vais donc essayer de résumer en peu de mots l'union économique et monétaire. Une monnaie unique pour l'Europe a été décidée, selon l'expression même du texte, le processus est irréversible. A la demande française, une date, celle du premier janvier 1999 a été inscrite dans le traité. Donc, à cette date au plus tard, l'union économique et monétaire aura été réalisée et la Communauté disposera d'une monnaie unique. Bien entendu, le Conseil européen pourrait s'il le voulait, décider de passer plus tôt à la troisième phase, c'est comme ça qu'on l'appelle, de l'union économique et monétaire.
- Les Britanniques n'ont pas voulu prendre aujourd'hui l'engagement de participer à cette troisième phase mais les onze autres pays l'ont acceptée. De ce fait, une disposition particulière a été prévue pour les Britanniques. Le Royaume uni remplira toutes ses obligations pendant la deuxième phase de l'union économique et monétaire et à tout moment, il pourra rejoindre les autres Etats et nous espérons qu'il le fera. Le Danemark, pour des raisons tout à fait différentes d'ordre institutionnel, a bénéficié de dispositions analogues. Voilà pour l'union économique et monétaire, je vous ai dit l'essentiel.\
Pour l'union politique, les douze ont décidé de former une union européenne. Les citoyens de chaque Etat sont citoyens européens £ ils ont donc le droit de vote et de se présenter aux élections municipales du pays dans lequel ils habitent, même si ce n'est pas le leur. Pour la première fois les Douze vont agir ensemble en politique étrangère. Alors qu'il n'existait jusqu'ici qu'une coordination, maintenant il y aura des actions communes dans tous les domaines qui seront retenus, de la politique étrangère et de la sécurité. A terme, ils auront une défense commune, perspective qui nous paraît essentielle pour l'union politique. Ce sont les délégations française et allemande qui ont demandé que cette mesure soit inscrite dans le traité. Quant au Parlement européen, il participera à la préparation et à l'adoption des textes législatifs dans un grand nombre de domaines. Nous avons décidé une association des Parlements nationaux et du Parlement européen à travers des assises qui donneront un avis sur les grandes orientations de l'union européenne. D'autre part la Communauté mènera des actions dans divers secteurs d'importance pour l'avenir : recherche, environnement, grands réseaux de transports, protection des consommateurs, santé, formation professionnelle, culture. Dans la perspective de la renégociation du financement de la Communauté, l'an prochain, des principes consignés dans le traité ont été établis, qui permettront de rendre ce financement plus équitable. Les bases d'une politique commune dans les affaires de police et de justice ont été également mises en place. Ainsi les contrôles aux frontières, la maîtrise de l'immigration, la lutte contre le grand banditisme, feront l'objet d'une approche de plus en plus concertée.\
Fin 1989, la France avait demandé à la Communauté d'adopter une charte sociale. Fin 1991, cette charte accompagnera la politique sociale £ seulement elle sera menée à onze en raison du souhait de la Grande Bretagne de rester au dehors. On peut estimer que cela représente un pas considérable vers une Europe qui sera désormais plus unie. En 1996, nous nous reverrons pour aller plus loin, dans des domaines comme les droits des citoyens, les affaires de police, de justice, la défense.
- En avril 1990, le Chancelier Kohl et moi-même, avions proposé à nos partenaires de constituer une union politique. Aujourd'hui nous avons à Douze décidé de lui donner vie. Il y a beaucoup d'autres textes naturellement. Peut-être devrais-je laisser à votre souci d'information, le soin de poser des questions sur les points que je n'aurais pas cités. Habitué à ce dialogue, monsieur Bortoli, je vous laisse le soin de commencer.\
QUESTION.- Monsieur le Président, une question très générale, est-ce que pour vous Maastricht est un sommet entièrement réussi, est-ce que les accords conclus répondent vraiment à toutes vos attentes ?
- LE PRESIDENT.- Nous avons souhaité une union économique et monétaire autour d'une monnaie unique et nous voulions, je parle de la France, en plus que contrairement à la préparation des textes, une date fût fixée. Tel a été le cas. Je considère donc que dans ce domaine, il y a un réel succès du sommet de Maastricht.
- Nous avions souhaité, c'était l'objet d'une lettre du Chancelier Kohl et de moi-même, la naissance d'une union politique dans plusieurs domaines, notamment en politique extérieure. Je vous ai donné les éléments principaux des résultats de nos conversations. Il me semble que pour la première fois la Communauté s'est engagée vraiment sur ce terrain. A vous d'apprécier en prenant connaissance des textes si l'on a réellement avancé ici ou là. Il y a eu des discussions sur le rôle du Parlement européen, sur les affaires de police, de sécurité, de justice. Les points difficiles qui n'ont, vous l'avez noté, été adoptés qu'à onze, ont tourné autour de la charte sociale, mais elle a été adoptée. C'est un objectif que j'avais moi-même désiré dès le premier sommet auquel j'avais participé. Donc une monnaie unique à date fixe, une charte sociale précise, tellement précise que nous n'avons pas pu y parvenir à Douze, des secteurs communs où les votes auront lieu dans la plupart des cas à la majorité qualifiée, je vous les ai cités, et également une autre avancée sérieuse dans le domaine de la sécurité. Vous n'ignorez rien de ces choses, mais je crois pouvoir dire qu'il est tout à fait important que nous ayons pu aboutir également dans ce domaine. Vous l'aviez vu à Rome au moment de la réunion de l'OTAN où déjà avait été reconnue une amorce d'identité européene. Il était important pour l'identité européenne de donner à l'UEO un rôle particulier, spécifique, complémentaire de l'Alliance atlantique, mais pas exactement soumis aux décisions de l'Alliance atlantique. Il fallait lever les malentendus : ceux qui estimaient que l'UEO devait jouer un rôle accru au nom de l'union européenne n'entendaient pas s'en prendre à l'Alliance atlantique, mais ils ont été soupçonnés. Ils pensaient qu'avec le type de responsabilités qui incombera à l'union européenne, il était très important que l'UEO pût affirmer son existence et prendre ses propres dispositions. Cela a été acquis.
- Je considère que sur les points qui viennent à l'esprit tout de suite : l'union économique et monétaire, l'union politique, l'amorce de forces communes, la France a obtenu ce qu'elle souhaitait obtenir.\
QUESTION.- Est-ce que le vote à la majorité qualifiée a été accepté dans la mise en oeuvre de la politique étrangère commune ? D'autre part le fait que la Grande-Bretagne se soit ainsi opposée à un certain nombre de clauses du projet de traité et soit restée en dehors dans deux aspects importants ne jette-t-il pas une ombre sur l'élan que vous souhaitiez donner à partir de Maastricht ?
- LE PRESIDENT.- L'ombre eût été plus épaisse en cas contraire. Quant à la politique étrangère, il a été décidé que les mesures de mise en oeuvre seraient prises à la majorité qualifiée £ le Conseil décidera, au cas par cas et à l'unanimité, de quel type de mesures il s'agira.
- Le fait qu'un pays n'ait pas pu enrayer la marche en avant de la Communauté est à mes yeux un point considérable et le fait que les autres se soient retrouvés est également un point considérable. Donc si je le regrette bien entendu, bien qu'il n'y ait pas eu divorce dans cette affaire, on reste tous dans l'union européenne et on continuera de travailler ensemble. Même si sur ces deux points l'un de ces pays s'est absenté, j'ai l'impression que dans l'état actuel des choses, cela facilitera les démarches européennes en attendant que l'on se retrouve à Douze.\
QUESTION.- Monsieur le Président, j'ai une question à propos de la charte sociale : telle qu'elle a été adoptée, relève-t-elle des affaires communautaires ou est-ce que dans le jargon technocratique elle devient un quatrième pilier relevant de la décision intergouvernementale ?
- LE PRESIDENT.- C'est la Communauté qui se dote d'une charte sociale, pour l'instant la Communauté fonctionne très souvent par accord de façon intergouvernementale. Nous sommes actuellement dans une phase d'évolution, nous avons une Europe idéale en vue, mais nous n'y sommes pas. C'est ce qui fait que, par exemple, le Parlement ne dispose pas encore de toutes les compétences qu'auraient eues nos Parlements nationaux. Donc, c'est vrai qu'il y a beaucoup d'éléments intergouvernementaux dans la Communauté présente. Ce n'est pas plus mal puisqu'il faut épouser la réalité et, si dans l'application de cette charte sociale, les Etats joueront un grand rôle, on doit dire que la charte sociale est une branche supplémentaire de l'activité communautaire.\
QUESTION.- Ces deux traités sur l'union économique et monétaire et sur l'union politique doivent être ratifiés par le Parlement français, est-ce que vous attendez un débat difficile sur ce point sur le plan national ?
- LE PRESIDENT.- Un débat difficile ? C'est possible, je ne sais pas. C'est un domaine qui se trouve en dehors des discussions politiques habituelles pour la politique intérieure. C'est un vaste sujet qui intéresse la France et son avenir et je pense que ce débat devrait être moins difficile que la plupart. Il pourrait même être aisé.\
QUESTION.- En quoi les dispositions que vous avez adoptées en matière de politique étrangère et de sécurité commune permettent à la Communauté, plus demain qu'hier, de prendre position par rapport à des conflits comme en Yougoslavie, ou de prendre position par rapport à l'émergence de nouveaux Etats, je pense aux Républiques slaves.
- LE PRESIDENT.- Oui, pas autant que je le souhaiterais, plus aujourd'hui qu'hier. D'ailleurs à cet égard, la France par le canal du ministre des affaires étrangères, M. Roland Dumas, avait soumis aux différents ministres et cela a été accepté, un texte indiquant que, je le cite, "l'on ne pouvait pas aborder les changements aussi considérables que ceux qui se produisent en Yougoslavie et dans l'ancienne Union soviétique sans une vue d'ensemble qui nous soit commune et qui garantisse la paix en Europe". Ce qui vaut en cas d'apparition de nouveaux Etats en Europe, situation plus que probable, que ce soit par unification ou par désintégration d'ensembles plus vastes. Alors bien entendu ces changements sont considérés comme légitimes s'ils sont démocratiques, pacifiques, négociés, c'est-à-dire si les Etats s'engagent à respecter les principes de la CSCE, à garantir le droit des minorités, à ne pas employer la force à propos des frontières. Alors les ministres ont eu un premier échange de vues sur ces propositions et les principes qui les inspirent. Cela a été un des sujets importants et la présidence a fait savoir qu'elle préparait les éléments d'une position commune qui devra donc être établie et c'est la première fois qu'une initiative de ce genre est prise. Ce qui a été fait représente un grand pas en avant. Je l'aurais voulu plus grand encore, c'est-à-dire laisser un peu de côté l'unanimité, retrouver plus souvent les majorités qualifiées et même parfois les majorités simples. C'est comme cela que la Communauté trouvera sa pleine liberté d'action, mais enfin je dois reconnaître que l'effort accompli est en effort sérieux et profitable.
- QUESTION.- Toujours sur cette même question, le président de la commission européenne, Jacques Delors, disait récemment dans une conférence de presse que le dispositif de prise de décision d'actions communes sur le plan de la politique étrangère serait inefficace et que cette "machinerie" ne marcherait pas. Est-ce que le texte a tellement changé qu'aujourd'hui, vous pouvez dire que le dispositif permet de mettre en route une véritable politique étrangère commune ?
- LE PRESIDENT.- J'ai constamment vu Jacques Delors au cours de ce débat, je crois que le plus sage serait que vous le consultiez pour savoir ce qu'il en pense par rapport à ce qu'il pensait hier.\
QUESTION.- Sur le social, est-ce que ça ne pose pas un problème pour l'avenir en créant un précédent. Chaque fois qu'un pays n'aime pas quelquechose, on essayera de trouver un "opting out" ?
- LE PRESIDENT.- Tous nos pays disposent de législations sociales avancées et c'est vrai que si la Communauté montre le chemin, on ne peut décider ex abrupto d'aligner tous les pays au niveau le plus élevé des législations sociales les plus sophistiquées. Mais cela à une valeur indicative importante et le débat s'est focalisé sur l'organisation du travail, la consultation et la participation des travailleurs. Je ne crois pas extrapoler la pensée des Britanniques en disant que c'est essentiellement là-dessus que la difficulté a résidé, de même qu'ils souhaitaient restreindre au maximum, et même en totalité, le champ des majorités qualifiées pour s'en tenir strictement partout à la règle de l'unanimité. C'est en ce sens que l'accord n'a pas pu se faire. Cela montre a contrario, la détermination des onze autres pays à aborder l'ensemble du champ social et particulièrement les questions que je viens de citer.\
QUESTION.- Monsieur le Président, quelle a été l'atmosphère au cours des deux dernières heures de la soirée ? Comment les choses se sont-elles passées, comment est-on finalement arrivé à un accord ?
- LE PRESIDENT.- Comment vous dire ? A la fin c'était un peu long ! D'abord il y a eu débat sur l'union monétaire, ensuite on passe aux ministres et puis ça revient. Ensuite, on adopte ou on n'adopte pas. Puis on fait la compilation de tous les textes et les commissions de travail mettent en forme l'ensemble du document, qui est soumis à l'appréciation presque mot-à-mot des membres du Conseil. Bien entendu, on cherche à éviter au moment du document final de reprendre ce qui a été tranché sur le fond mais selon les circonstances, les discussions reprennent. C'est un peu ce qui s'est produit ce soir. Cela dit, les choses se sont passées quand même tout à fait normalement £ ce n'est pas la première fois, mesdames et messieurs, que nous nous retrouvons à des heures très tardives après des séances qui ont duré plus longtemps que prévu. Eh bien, cela s'est produit ce soir de nouveau. Nous supporterons notre peine ensemble, ce qui nous consolera un peu.\
QUESTION.- Monsieur le Président, par rapport aux résolutions sur la cohésion, il y a un peu de flou, il y a quand même une résolution mais dont on ne sait pas l'envergure ?
- LE PRESIDENT.- Pour ceux qui ont suivi de près cette discussion, j'ai l'impression que des pays comme l'Espagne, la Grèce et le Portugal ont obtenu d'importantes satisfactions. Car les pays contributeurs nets, ceux qui se trouvent être dans une meilleure situation que les autres doivent aussi veiller à leur trésorerie. En fait, sous l'éloquente pression de plusieurs d'entre eux, notamment de M. Félipe Gonzalès, l'ensemble de ces problèmes a été traité de façon plus positive encore que prévu, donc là-dessus, je crois qu'il y a une réelle satisfaction. J'étais très disposé à contribuer à cette aide mutuelle entre membres de la Communauté mais comme c'est la France qui, au sein des douze pays de la Communauté mais comme c'est la France qui, au sein des douze pays de la Communauté, a actuellement le niveau de vie, par tête d'habitant, le plus élevé, elle serait amenée aussi à contribuer davantage aux charges communes. Alors naturellement on se défend, partagé entre le désir de contribuer au développement des autres et le souci de ne pas être trop imposé. Cela s'est terminé vraiment par un accord général. Il est intéressant de noter dans cette discussion que c'est précisément la France qui se trouve être considérée comme le pays dont le niveau de vie s'améliore le plus nettement au sein de cette Communauté £ cela pourrait, le cas échéant, démentir quelques idées reçues !\
QUESTION.- Monsieur le Président, le tour de table sur l'UEM vous a-t-il paru encourageant sur le devenir de la notion de gouvernement économique qui est chère à la France par rapport à ce que l'on appelle souvent le monétarisme étroit.
- LE PRESIDENT.- Oui, sans aucun doute. Par prudence la présidence n'avait pas soumis de date et employé des termes allusifs qui revenaient au même, c 'est certain, mais il fallait beaucoup d'attention pour pouvoir traduire en termes concrets ce qui était dit et nous avons obtenu la réponse que vous savez donc nous n'avons pas demandé plus. Et ce gouvernement économique doit être en mesure d'exercer ses fonctions. C'est M. Bérégovoy qui a mené cet amical combat pendant tous ces jours, on peut dire que sur tous ces plans c'était déjà un début de gouvernement économique qui s'exerçait, mais pas la loi des monétarismes.\
QUESTION.- L'octroi à d'autres que les nationaux français du droit de vote implique une révision de la Constitution française, pensez-vous soumettre cette revision ou bien la ratification de l'ensemble des traités au peuple français par voie de référendum ?
- LE PRESIDENT.- Il est certain qu'il y a plusieurs points sur lesquels je consulterai les juristes, plusieurs points peuvent nous obliger à retoucher, ici ou là, la Constitution. Dans ce cas, on prendra les moyens qu'il faudra, mais la méthode que je demanderai au gouvernement d'appliquer n'a pas été définie et de toute manière il y aura débat au Parlement.\
QUESTION.- Est-ce que l'on a défini quelques grandes lignes concernant la politique de l'immigration au niveau communautaire ?
- LE PRESIDENT.- Ceux qui en avaient la charge en ont beaucoup discuté en effet. Il y a eu d'ailleurs des débats très longs sur les visas, sur la maîtrise de l'immigration, cela a été un des sujets qui a retenu l'attention de ceux d'entre nous qui en étaient chargés. Oui cela a été un sujet important. Mais vous savez que tous les pays d'Europe occidentale sont devant ce type de problème, qu'ils doivent traiter d'une façon correspondant aux Droits de l'homme, aux droits de la personne et donc avec une grande attention et en même temps, bien entendu, faire respecter leur loi qui ne permet pas le travail clandestin.\