18 octobre 1991 - Seul le prononcé fait foi
Conférence de presse conjointe de MM. François Mitterrand, Président de la République et Giulio Andreotti, Président du Conseil des ministres de la République italienne, sur l'union économique et monétaire, l'union politique, la proposition franco-allemande de défense européenne et la position française par rapport à l'OTAN, Viterbe, le 18 octobre 1991.
M. ANDREOTTI.- Nous avons consacré ces entrevues à certains thèmes qui sont particulièrement d'actualité et importants. Et notamment le premier niveau de préparation des résultats définitifs des deux conférences intergouvernementales qui sont en train de se tenir au sein de la Communauté et devront se terminer à Maastricht au mois de décembre prochain. Nous avons constaté qu'au cours de ces conférences - ce qui était prévu - il y a une grande convergence générale sur certains points. Et ce n'est pas une nouveauté en ce qui concerne, par exemple, le développement des compétences du Parlement européen. Nous avons traditionnellement une position plus avancée. Mais je dois dire que le Président Mitterrand est fortement partisan d'une nouveauté qui pourrait être fort intéressante. Autrement dit, ce qui a été fait au cours de notre présidence, de manière expérimentale - au sein d'une réunion entre les représentants du Parlement européen et les représentants des parlements nationaux - deviendrait une norme. Et ce contact pourrait avoir lieu deux fois par an. Je pense que cela pourrait aider énormément au sein de nos douze pays à rendre plus populaire les travaux de cette assemblée parlementaire.
- L'ordre du jour de notre Conseil européen de Maastricht prévoit - en rapport justement avec la conclusion de ces deux conférences - d'examiner certains problèmes qui auront été en partie traités précédemment au cours de la réunion de l'OTAN qui va se tenir à Rome, au début du mois de novembre, dont le lien est le progrès de l'union politique en ce qui concerne les problèmes communs de sécurité et de défense. Nous pensons, comme nous l'avons dit lors du dernier Conseil européen, que le débouché d'une union politique ne peut que prévoir une politique commune de défense et de sécurité. Nous pensons que cela n'est pas en opposition et que cela peut représenter, au contraire, une phase qui se lie bien à l'activité concernant la révision de l'Alliance. Révision qui est naturellement dictée par les conditions qui ont profondément changé dans le cadre de l'Europe. Le concept de menace, tel qu'il existait historiquement, était une notion vraie qui n'était pas engendrée par des craintes excessives. Cette notion n'existe plus. Mais nous avons aussi une situation qui est en grande mutation, sur le plan institutionnel, dans de nombreuses parties de l'Europe. Ce qui fait qu'à mon avis, tout doit être envisagé maintenant graduellement, mais aussi en mettant à jour les informations que nous avons.\
Nous avons également discuté ce matin et les ministres nous ont parlé - en particulier M. Bérégovoy et M. Carli - de la partie importante et délicate de la conférence de l'union économique et monétaire. Ils nous ont donc parlé des points fermes qui ont déjà été décidés en ce qui concerne l'achèvement de la première phase, le passage à la deuxième phase et les conditions permettant d'arriver à la conclusion de tout cet exercice. Conditions sur lesquelles nous discutons afin de savoir si elles doivent être établies de manière chiffrée ou si elles doivent être fixées sur la base de leur contenu et de leur tendance précise.
- Je crois que nous sommes tous d'accord sur le fait qu'il ne peut y avoir une union de ce genre s'il n'y a pas une convergence très rapprochée entre les positions des divers pays. Et, pour donner un exemple, en ce qui concerne les différences d'inflation, elles devront être comblées de telle sorte que la différence ne soit pas de plus de 1 % entre le pays qui a l'inflation la plus basse et le pays qui a celle la plus élevée. Nous avons besoin que le poids qui pèse sur l'Italie diminue en ce qui concerne la dette publique. Donc, ce qui est important, ce qui compte, entre la dette publique, le produit intérieur brut, la tendance aux "coupes sombres" qui ont été faites en Italie, peuvent fournir la garantie d'être des partenaires de plein droit dans la Communauté. Je crois que ceci représentera certainement la chose la plus révolutionnaire qui ait été faite depuis longtemps sur notre continent.\
Nous avons ensuite parlé des thèmes, aussi bien les ministres des affaires étrangères que nous-mêmes, de politique qui sont les plus actuels, en particulier de l'Union des ex-républiques socialistes soviétiques, cette union économique qui a été acceptée par un certain nombre de ces républiques. Mais aussi de la crainte, paraît-il confirmée, que certaines républiques - comme par exemple l'Ukraine dont l'importance n'est pas secondaire - n'accepteraient pas cette union.
- Donc, à part ce dessein de projet économique, il y a encore toute une discussion à caractère politique qui est importante, non seulement au sein de ces républiques mais aussi à l'extérieur. Il suffit de penser au côté si délicat des problèmes militaires, nucléaires en particulier, et sous un autre aspect, au problème de la dette publique des républiques soviétiques socialistes. Qui va en prendre la responsabilité ? Qui va en hériter ? Et dans quelles proportions ? Tous ces problèmes sont donc en suspens et tous nos ministres - et en particulier ceux des affaires étrangères et des finances - les suivent de très près.\
Nous avons parlé de la Yougoslavie. Notre position est la position communautaire. Nous rappelons que nous sommes liés par un traité de coopération économique. Et l'effort maximum de chacun des douze pays communautaires est d'examiner et de prendre des décisions qui soient le plus possible convergentes et simultanées par rapport aux autres pays. Nous reconnaissons que le principe de l'autodétermination, autrement dit, la reconnaissance de la volonté exprimée par les peuples de ces républiques - qui ont déjà prouvé qu'elles voulaient être indépendantes - est un point sur lequel on ne peut varier. Tout ceci, bien entendu, en recherchant et en donnant des garanties pour qu'il ne s'agisse pas seulement d'une affirmation, pour que ce soient des garanties efficaces pour le traitement des minorités et la sécurité des frontières, qui étaient jusqu'à présent administratives, et qui seraient maintenant des frontières internationales. Ceci dans un contexte où nous avons bien fait de ne pas accélérer certaines initiatives en ce qui concerne la reconnaissance des ces frontières tout en donnant à ces peuples l'assurance que cette reconnaissance aura lieu. Et nous avons tout fait pour ne pas bloquer ces deux républiques dans leur processus de transformation radicale de la Yougoslavie, qui a eu avec la Bosnie ces derniers jours une autre manifestation d'un désir d'indépendance.
- Pour le moment les ministres des affaires étrangères ont très justement pensé réévaluer la position de la Communauté. C'est-à-dire augmenter le nombre des observateurs communautaires pour empêcher les conflits sanglants qui malheureusement ont eu lieu et ont encore lieu. Les observateurs étaient au nombre de cent jusqu'à présent et, selon nos prévisions, ils devraient être déjà augmentés, ce que nous devrions faire le plus tôt possible.\
Je reviens un moment sur la réunion du Sommet de l'OTAN des 7 et 8 novembre. Nous avons examiné également les idées qui circulent par rapport aux positions vis-à-vis des pays étrangers à ceux qui font partie de l'OTAN. Un conseiller politique est déjà allé à Moscou. Le consensus existe déjà. Mais il faut parler d'institutionnalisation de ces contacts avec les autres pays, car à mon avis, il faut avancer dans ce cadre sans oublier les points fermes de notre politique européenne, à côté de la Communauté que j'ai rappelée tout à l'heure, - la CSCE - c'est-à-dire la Coopération et la Sécurité en Europe et il faut tenir compte du travail extrêmement important qui a été fait à Paris lorsque nous avons signé des documents fondamentaux, et mis l'accent sur ces problèmes et sur ces contextes élargis.
- Je ne veux pas multiplier les forums, mais cultiver l'esprit de ces contacts au service de la paix par un travail commun. Il faut vraiment que nous soyons tous davantage au service de la paix.
- Nous avons parlé du désarmement en rappelant la conférence que le Président Mitterrand a organisée à Paris pour l'interdiction des armes chimiques, des résultats et des buts que nous recherchons. Nous avons dû dernièrement travailler sur ce plan et j'espère que les résultats, d'ici les prochains mois, seront définitifs. Enfin, nous avons souhaité en ce qui concerne la politique étrangère au Moyen Orient que cette conférence de paix puisse avoir lieu, sans se dissimuler les problèmes sérieux et profonds qui existent. Et en disant également que la Conférence représente un point très important qui devrait alléger les terribles tensions de l'Intifada. Mais les problèmes qui subsistent ne permettent certainement pas d'envisager des conclusions rapides. Le fait est que pour la première fois les partenaires se retrouveront autour d'une table et si cela se réalise, ce sera extrêmement important.\
Les ministres nous ont également donné en détail les résultats de leurs entretiens. Je ne veux pas "marcher sur leurs plates-bandes" mais nous avons pu examiner de nombreux problèmes tout en constatant une volonté commune dans de nombreux secteurs. Non seulement les secteurs dont la Communauté s'occupe, c'est-à-dire le Marché intérieur mais également la résolution de toute une série de problèmes concernant le respect des règles de concurrence. De même que certaines contestations qui ont eu lieu et qui, nous l'espérons, ne seront pas définitives dans le secteur de l'aéronautique par exemple. La question de Havilland doit être réexaminée car nous ne croyons pas qu'elle soit contraire aux intérêts de la Communauté mais qu'elle représente à l'inverse un renforcement de nos collaborations européennes.
- Quelles sont en effet nos chances d'être fortement compétitifs en dehors de la Communauté ? Nous avons parlé des accords que la Communauté a pris avec le Japon en ce qui concerne l'automobile et de toutes les conséquences qui en découlent. Ceci aussi a représenté un progrès après de longues années de contestation.
- Les ministres des transports ont également examiné un certain nombre de questions : non seulement le train à grande vitesse, mais également des solutions qui permettront aux chemins de fer un transport des marchandises beaucoup plus intense qu'il ne l'est aujourd'hui, ce qui crée malheureusement les conditions de malaise et de coût que nous connaissons tous bien. La mise en chantier de la poursuite de la ligne à grande vitesse Lyon - Turin : elle fonctionnait jusqu'à présent, dans une première phase jusqu'à Chambéry £ la deuxième phase devrait la prolonger jusqu'à Lyon. J'essaie de voir s'il existe d'autres points plus particuliers, mais je pense que dans l'ensemble tels sont les points les plus importants qui nous ont occupés ces jours-ci. Eventuellement certains d'entre vous, spécialistes d'une chose ou d'une autre, pourront interroger directement les ministres et se faire donner tout renseignement utile en ce qui concerne leur spécialité.\
LE PRESIDENT.- En effet, nous avons bien parlé de chacun des sujets évoqués par le Président Andreotti et je n'ai rien à ajouter à ce qui a été énoncé. Je reste à votre disposition, bien entendu, pour compléter tel ou tel aspect de ces questions. Je souhaiterais simplement dire que nous avons profité de l'hospitalité italienne dans une belle ville d'abord, puis dans une belle villa où nous sommes actuellement. Cela prête un agrément certain à des réunions qui seraient par nature austères, qui le sont et qui doivent l'être.\
QUESTION.- Monsieur le Président Andreotti, une question sur la défense. Nous savons que l'Italie ne considère pas la proposition franco-allemande comme étant en contradiction avec la position italienne. Cependant, l'Italie a présenté une proposition avec la Grande-Bretagne. Celle-ci ne paraît pas très satisfaite de la proposition franco-allemande. Or comment cette position particulière de l'Italie peut-elle être exploitée pour trouver un point d'accord ? Mon autre question s'adresse au Président Mitterrand. Sur la proposition franco-allemande, pensez-vous qu'un accord pourra être trouvé ? Est-ce que l'Italie pourrait jouer un rôle de médiation ?
- M. ANDREOTTI.- Je voudrais dire simplement ceci : politiquement, je considère toujours comme très utile tout ce qui peut renforcer les relations de l'Allemagne avec les autres pays et notamment quand il s'agit de la France. Nous, "les vieux" pour ainsi dire, nous savons bien comment cette région a été à l'origine de crises et de conflits. Les jeunes d'aujourd'hui, sauf ceux qui étudient l'histoire, parlent de l'Alsace et de la Lorraine sans savoir, sans connaître quels sont les problèmes qui sont derrière ces noms. Eh bien nous pensons qu'en examinant soigneusement les positions différentes, il n'est absolument pas impossible de trouver des formes d'évaluation communes en ce qui concerne ces problèmes. On est en train de travailler progressivement afin d'établir un renforcement de l'union européenne et par conséquent également de tout ce qui concerne la sécurité et la défense. Personne ne songe à remettre en discussion le pacte atlantique. Cela dit, je ne vois vraiment pas quelles pourraient être les difficultés non seulement pour les réunions à venir mais également pour une ligne politique qui soit véritablement positive comme l'a été généralement la ligne politique que nous avons suivie jusqu'à aujourd'hui.\
LE PRESIDENT.- Les deux textes - le texte anglo-italien, le texte franco-allemand - abordent les mêmes questions, mais de façon différente certainement. Mais elles traitent du même sujet pour un même objectif, puisque la déclaration anglo-italienne parle de défense européenne commune qui est un objectif à terme et peut-être dans l'esprit de certains de ses signataires à long terme. La déclaration franco-allemande est concrète et précise et à effet immédiat puisqu'il s'agit de définir une position qui trouverait son expression à Maastricht et qui fera certainement l'objet de conversations à Rome au début du mois de novembre. Je ne pense pas que ces deux déclarations soient antinomiques, en tout cas pas dans les textes. Dans la pensée peut-être, mais alors là, à chacun de s'expliquer. Mais il me semble que précisément l'Italie se trouve en situation de faciliter le rapprochement des points de vues. Car il est indéniable que la politique italienne a toujours été favorable et continue d'être favorable, non seulement à une politique étrangère, à une union politique, fortes, mais aussi à la notion d'une défense commune. Là où le débat reste ouvert - et ce sera l'objet des conversations qui vont venir - c'est autour de ce seul sujet : où l'accent sera-t-il mis dans les projets de l'OTAN et dans les projets de défense européenne ? Où l'accent sera-t-il mis et quels seront les mécanismes qui permettront à ces deux institutions - l'une existant et fonctionnant depuis de longues années et heureusement, l'Alliance atlantique et l'autre embryonnaire et vue en perspective, la défense européenne commune - de coexister ? Elles doivent être articulées et le débat c'est celui-là : de quelle façon ? Certains sont maximalistes d'autres sont minimalistes. Ce qui est le propre de toute discussion.
- L'Italie en cette affaire étant d'accord avec l'Allemagne, la France, d'autres encore, l'Espagne notamment pour une défense européenne, tient essentiellement - et je le comprends bien - à ce qu'il n'y ait pas de disparité, de difficulté entre cette construction qui est à faire et celle qui existe et qui a assuré la sécurité de l'Europe depuis déjà très longtemps. Mais dans nos conversations entre l'Italie et la France, cela ne pose aucune difficulté. Peut-être si nous avions discuté avec les partenaires de l'Italie, partenaires récents ou peut-être occasionnels, c'est-à-dire la Grande-Bretagne, peut-être alors la difficulté aurait-elle été plus grande.\
QUESTION.- La réaction favorable, disons prometteuse, des Américains à la proposition franco-allemande ne montre-t-elle pas que la France a accompli un sérieux pas en direction de l'OTAN ?
- LE PRESIDENT.- Je cherche à suivre les méandres de votre pensée. La France a toujours été dans l'OTAN. Peut-être enfin dois-je le souligner, elle a toujours été dans l'OTAN et elle y est restée. Et elle a bien l'intention d'y rester. Elle ne fait plus partie du commandement intégré depuis de longues années £ elle n'y est pas, elle n'a pas l'intention d'y entrer. Que voulez-vous que je vous dise de plus ? Cela n'empêche pas que lorsqu'il s'agit de définir la stratégie, la politique générale de l'OTAN, nous sommes partie prenante. Lorsqu'il s'agit de débattre au sein de l'organisation intégrée, nous ne sommes pas partie prenante. Alors je ne vois pas où serait le moindre changement. Vous dites que les Etats-Unis d'Amérique ont vu avec faveur l'accord franco-allemand. Soyez de bonne augure. J'espère que vous avez raison. Comme vous êtes un analyste extrêmement fin de ces sujets, je pense que vous avez raison. Mais dans ce cas-là au lieu de dire : est-ce que la France ne serait pas rapprochée de l'OTAN ? Je dirais : elle n'a pas besoin de le faire, elle y est. Il faudrait plutôt dire : est-ce que les Etats-Unis d'Amérique ne se sont pas rapprochés de la défense commune européenne ?\
QUESTION.- Monsieur le Président, l'accueil qui a été réservé à vos propositions jusqu'à présent vous laisse-t-il penser que le Sommet de Maastricht pourrait se terminer de façon positive ? Ou pensez-vous qu'il y a quand même encore dans l'air une menace de crise et de rupture à cette occasion ?
- LE PRESIDENT.- C'est toujours très difficile et très imprudent de se livrer au jeu des pronostics. Mais puisque vous posez la question, je n'ai aucune raison de le dissimuler. Au moment où vous me posez cette question, en ce jour à Viterbe, oui, je crois à la réussite de la Conférence de Maastricht, sous une double nécessité. La première est que les pays de la Communauté, les Douze, ont pris conscience non seulement de leur existence mais de leur nécessité et qu'il leur est très difficile de s'arrêter en chemin. En plus, c'est un traité - deux traités, les deux unions - qui sont examinés avec beaucoup de soins et d'attention et depuis longtemps déjà. Beaucoup de travail a été accompli. Les initiatives se sont multipliées, notamment la dernière initiative franco-allemande. Tout cela place cette conférence de Maastricht sous les feux de l'actualité au point que la Communauté ne peut pas se dédire. Mais l'autre aspect des choses c'est que l'Europe centrale et orientale regarde la Communauté avec une attention souvent inquiète. Le sort des pays anciennement communistes a beaucoup dépendu, avant leur libération, de l'état de la Communauté. Mieux elle se portait, plus ils espéraient, plus fort était leur désir d'aller vers cette libération. Ils sont maintenant libres, mais entravés par des crises politiques et économiques graves. La Communauté n'a pas le droit de retirer l'espérance qu'elle représente et, disons-le, la seule construction solide, cohérente et d'avenir dont dispose l'Europe. Ces deux notions sont très importantes dans l'esprit de tous les partenaires de la Communauté des Douze. D'autant plus que chacun d'entre eux ou presque, a aussi à se protéger contre les effets du désordre général qui risquerait de s'emparer de l'Europe. Toutes ces raisons - je ne les ai pas toutes dites, il faudrait en parler longtemps - en tout cas ces deux raisons principales, font que je crois à la réussite de Maastricht. En tout cas, je m'y emploie.\
- L'ordre du jour de notre Conseil européen de Maastricht prévoit - en rapport justement avec la conclusion de ces deux conférences - d'examiner certains problèmes qui auront été en partie traités précédemment au cours de la réunion de l'OTAN qui va se tenir à Rome, au début du mois de novembre, dont le lien est le progrès de l'union politique en ce qui concerne les problèmes communs de sécurité et de défense. Nous pensons, comme nous l'avons dit lors du dernier Conseil européen, que le débouché d'une union politique ne peut que prévoir une politique commune de défense et de sécurité. Nous pensons que cela n'est pas en opposition et que cela peut représenter, au contraire, une phase qui se lie bien à l'activité concernant la révision de l'Alliance. Révision qui est naturellement dictée par les conditions qui ont profondément changé dans le cadre de l'Europe. Le concept de menace, tel qu'il existait historiquement, était une notion vraie qui n'était pas engendrée par des craintes excessives. Cette notion n'existe plus. Mais nous avons aussi une situation qui est en grande mutation, sur le plan institutionnel, dans de nombreuses parties de l'Europe. Ce qui fait qu'à mon avis, tout doit être envisagé maintenant graduellement, mais aussi en mettant à jour les informations que nous avons.\
Nous avons également discuté ce matin et les ministres nous ont parlé - en particulier M. Bérégovoy et M. Carli - de la partie importante et délicate de la conférence de l'union économique et monétaire. Ils nous ont donc parlé des points fermes qui ont déjà été décidés en ce qui concerne l'achèvement de la première phase, le passage à la deuxième phase et les conditions permettant d'arriver à la conclusion de tout cet exercice. Conditions sur lesquelles nous discutons afin de savoir si elles doivent être établies de manière chiffrée ou si elles doivent être fixées sur la base de leur contenu et de leur tendance précise.
- Je crois que nous sommes tous d'accord sur le fait qu'il ne peut y avoir une union de ce genre s'il n'y a pas une convergence très rapprochée entre les positions des divers pays. Et, pour donner un exemple, en ce qui concerne les différences d'inflation, elles devront être comblées de telle sorte que la différence ne soit pas de plus de 1 % entre le pays qui a l'inflation la plus basse et le pays qui a celle la plus élevée. Nous avons besoin que le poids qui pèse sur l'Italie diminue en ce qui concerne la dette publique. Donc, ce qui est important, ce qui compte, entre la dette publique, le produit intérieur brut, la tendance aux "coupes sombres" qui ont été faites en Italie, peuvent fournir la garantie d'être des partenaires de plein droit dans la Communauté. Je crois que ceci représentera certainement la chose la plus révolutionnaire qui ait été faite depuis longtemps sur notre continent.\
Nous avons ensuite parlé des thèmes, aussi bien les ministres des affaires étrangères que nous-mêmes, de politique qui sont les plus actuels, en particulier de l'Union des ex-républiques socialistes soviétiques, cette union économique qui a été acceptée par un certain nombre de ces républiques. Mais aussi de la crainte, paraît-il confirmée, que certaines républiques - comme par exemple l'Ukraine dont l'importance n'est pas secondaire - n'accepteraient pas cette union.
- Donc, à part ce dessein de projet économique, il y a encore toute une discussion à caractère politique qui est importante, non seulement au sein de ces républiques mais aussi à l'extérieur. Il suffit de penser au côté si délicat des problèmes militaires, nucléaires en particulier, et sous un autre aspect, au problème de la dette publique des républiques soviétiques socialistes. Qui va en prendre la responsabilité ? Qui va en hériter ? Et dans quelles proportions ? Tous ces problèmes sont donc en suspens et tous nos ministres - et en particulier ceux des affaires étrangères et des finances - les suivent de très près.\
Nous avons parlé de la Yougoslavie. Notre position est la position communautaire. Nous rappelons que nous sommes liés par un traité de coopération économique. Et l'effort maximum de chacun des douze pays communautaires est d'examiner et de prendre des décisions qui soient le plus possible convergentes et simultanées par rapport aux autres pays. Nous reconnaissons que le principe de l'autodétermination, autrement dit, la reconnaissance de la volonté exprimée par les peuples de ces républiques - qui ont déjà prouvé qu'elles voulaient être indépendantes - est un point sur lequel on ne peut varier. Tout ceci, bien entendu, en recherchant et en donnant des garanties pour qu'il ne s'agisse pas seulement d'une affirmation, pour que ce soient des garanties efficaces pour le traitement des minorités et la sécurité des frontières, qui étaient jusqu'à présent administratives, et qui seraient maintenant des frontières internationales. Ceci dans un contexte où nous avons bien fait de ne pas accélérer certaines initiatives en ce qui concerne la reconnaissance des ces frontières tout en donnant à ces peuples l'assurance que cette reconnaissance aura lieu. Et nous avons tout fait pour ne pas bloquer ces deux républiques dans leur processus de transformation radicale de la Yougoslavie, qui a eu avec la Bosnie ces derniers jours une autre manifestation d'un désir d'indépendance.
- Pour le moment les ministres des affaires étrangères ont très justement pensé réévaluer la position de la Communauté. C'est-à-dire augmenter le nombre des observateurs communautaires pour empêcher les conflits sanglants qui malheureusement ont eu lieu et ont encore lieu. Les observateurs étaient au nombre de cent jusqu'à présent et, selon nos prévisions, ils devraient être déjà augmentés, ce que nous devrions faire le plus tôt possible.\
Je reviens un moment sur la réunion du Sommet de l'OTAN des 7 et 8 novembre. Nous avons examiné également les idées qui circulent par rapport aux positions vis-à-vis des pays étrangers à ceux qui font partie de l'OTAN. Un conseiller politique est déjà allé à Moscou. Le consensus existe déjà. Mais il faut parler d'institutionnalisation de ces contacts avec les autres pays, car à mon avis, il faut avancer dans ce cadre sans oublier les points fermes de notre politique européenne, à côté de la Communauté que j'ai rappelée tout à l'heure, - la CSCE - c'est-à-dire la Coopération et la Sécurité en Europe et il faut tenir compte du travail extrêmement important qui a été fait à Paris lorsque nous avons signé des documents fondamentaux, et mis l'accent sur ces problèmes et sur ces contextes élargis.
- Je ne veux pas multiplier les forums, mais cultiver l'esprit de ces contacts au service de la paix par un travail commun. Il faut vraiment que nous soyons tous davantage au service de la paix.
- Nous avons parlé du désarmement en rappelant la conférence que le Président Mitterrand a organisée à Paris pour l'interdiction des armes chimiques, des résultats et des buts que nous recherchons. Nous avons dû dernièrement travailler sur ce plan et j'espère que les résultats, d'ici les prochains mois, seront définitifs. Enfin, nous avons souhaité en ce qui concerne la politique étrangère au Moyen Orient que cette conférence de paix puisse avoir lieu, sans se dissimuler les problèmes sérieux et profonds qui existent. Et en disant également que la Conférence représente un point très important qui devrait alléger les terribles tensions de l'Intifada. Mais les problèmes qui subsistent ne permettent certainement pas d'envisager des conclusions rapides. Le fait est que pour la première fois les partenaires se retrouveront autour d'une table et si cela se réalise, ce sera extrêmement important.\
Les ministres nous ont également donné en détail les résultats de leurs entretiens. Je ne veux pas "marcher sur leurs plates-bandes" mais nous avons pu examiner de nombreux problèmes tout en constatant une volonté commune dans de nombreux secteurs. Non seulement les secteurs dont la Communauté s'occupe, c'est-à-dire le Marché intérieur mais également la résolution de toute une série de problèmes concernant le respect des règles de concurrence. De même que certaines contestations qui ont eu lieu et qui, nous l'espérons, ne seront pas définitives dans le secteur de l'aéronautique par exemple. La question de Havilland doit être réexaminée car nous ne croyons pas qu'elle soit contraire aux intérêts de la Communauté mais qu'elle représente à l'inverse un renforcement de nos collaborations européennes.
- Quelles sont en effet nos chances d'être fortement compétitifs en dehors de la Communauté ? Nous avons parlé des accords que la Communauté a pris avec le Japon en ce qui concerne l'automobile et de toutes les conséquences qui en découlent. Ceci aussi a représenté un progrès après de longues années de contestation.
- Les ministres des transports ont également examiné un certain nombre de questions : non seulement le train à grande vitesse, mais également des solutions qui permettront aux chemins de fer un transport des marchandises beaucoup plus intense qu'il ne l'est aujourd'hui, ce qui crée malheureusement les conditions de malaise et de coût que nous connaissons tous bien. La mise en chantier de la poursuite de la ligne à grande vitesse Lyon - Turin : elle fonctionnait jusqu'à présent, dans une première phase jusqu'à Chambéry £ la deuxième phase devrait la prolonger jusqu'à Lyon. J'essaie de voir s'il existe d'autres points plus particuliers, mais je pense que dans l'ensemble tels sont les points les plus importants qui nous ont occupés ces jours-ci. Eventuellement certains d'entre vous, spécialistes d'une chose ou d'une autre, pourront interroger directement les ministres et se faire donner tout renseignement utile en ce qui concerne leur spécialité.\
LE PRESIDENT.- En effet, nous avons bien parlé de chacun des sujets évoqués par le Président Andreotti et je n'ai rien à ajouter à ce qui a été énoncé. Je reste à votre disposition, bien entendu, pour compléter tel ou tel aspect de ces questions. Je souhaiterais simplement dire que nous avons profité de l'hospitalité italienne dans une belle ville d'abord, puis dans une belle villa où nous sommes actuellement. Cela prête un agrément certain à des réunions qui seraient par nature austères, qui le sont et qui doivent l'être.\
QUESTION.- Monsieur le Président Andreotti, une question sur la défense. Nous savons que l'Italie ne considère pas la proposition franco-allemande comme étant en contradiction avec la position italienne. Cependant, l'Italie a présenté une proposition avec la Grande-Bretagne. Celle-ci ne paraît pas très satisfaite de la proposition franco-allemande. Or comment cette position particulière de l'Italie peut-elle être exploitée pour trouver un point d'accord ? Mon autre question s'adresse au Président Mitterrand. Sur la proposition franco-allemande, pensez-vous qu'un accord pourra être trouvé ? Est-ce que l'Italie pourrait jouer un rôle de médiation ?
- M. ANDREOTTI.- Je voudrais dire simplement ceci : politiquement, je considère toujours comme très utile tout ce qui peut renforcer les relations de l'Allemagne avec les autres pays et notamment quand il s'agit de la France. Nous, "les vieux" pour ainsi dire, nous savons bien comment cette région a été à l'origine de crises et de conflits. Les jeunes d'aujourd'hui, sauf ceux qui étudient l'histoire, parlent de l'Alsace et de la Lorraine sans savoir, sans connaître quels sont les problèmes qui sont derrière ces noms. Eh bien nous pensons qu'en examinant soigneusement les positions différentes, il n'est absolument pas impossible de trouver des formes d'évaluation communes en ce qui concerne ces problèmes. On est en train de travailler progressivement afin d'établir un renforcement de l'union européenne et par conséquent également de tout ce qui concerne la sécurité et la défense. Personne ne songe à remettre en discussion le pacte atlantique. Cela dit, je ne vois vraiment pas quelles pourraient être les difficultés non seulement pour les réunions à venir mais également pour une ligne politique qui soit véritablement positive comme l'a été généralement la ligne politique que nous avons suivie jusqu'à aujourd'hui.\
LE PRESIDENT.- Les deux textes - le texte anglo-italien, le texte franco-allemand - abordent les mêmes questions, mais de façon différente certainement. Mais elles traitent du même sujet pour un même objectif, puisque la déclaration anglo-italienne parle de défense européenne commune qui est un objectif à terme et peut-être dans l'esprit de certains de ses signataires à long terme. La déclaration franco-allemande est concrète et précise et à effet immédiat puisqu'il s'agit de définir une position qui trouverait son expression à Maastricht et qui fera certainement l'objet de conversations à Rome au début du mois de novembre. Je ne pense pas que ces deux déclarations soient antinomiques, en tout cas pas dans les textes. Dans la pensée peut-être, mais alors là, à chacun de s'expliquer. Mais il me semble que précisément l'Italie se trouve en situation de faciliter le rapprochement des points de vues. Car il est indéniable que la politique italienne a toujours été favorable et continue d'être favorable, non seulement à une politique étrangère, à une union politique, fortes, mais aussi à la notion d'une défense commune. Là où le débat reste ouvert - et ce sera l'objet des conversations qui vont venir - c'est autour de ce seul sujet : où l'accent sera-t-il mis dans les projets de l'OTAN et dans les projets de défense européenne ? Où l'accent sera-t-il mis et quels seront les mécanismes qui permettront à ces deux institutions - l'une existant et fonctionnant depuis de longues années et heureusement, l'Alliance atlantique et l'autre embryonnaire et vue en perspective, la défense européenne commune - de coexister ? Elles doivent être articulées et le débat c'est celui-là : de quelle façon ? Certains sont maximalistes d'autres sont minimalistes. Ce qui est le propre de toute discussion.
- L'Italie en cette affaire étant d'accord avec l'Allemagne, la France, d'autres encore, l'Espagne notamment pour une défense européenne, tient essentiellement - et je le comprends bien - à ce qu'il n'y ait pas de disparité, de difficulté entre cette construction qui est à faire et celle qui existe et qui a assuré la sécurité de l'Europe depuis déjà très longtemps. Mais dans nos conversations entre l'Italie et la France, cela ne pose aucune difficulté. Peut-être si nous avions discuté avec les partenaires de l'Italie, partenaires récents ou peut-être occasionnels, c'est-à-dire la Grande-Bretagne, peut-être alors la difficulté aurait-elle été plus grande.\
QUESTION.- La réaction favorable, disons prometteuse, des Américains à la proposition franco-allemande ne montre-t-elle pas que la France a accompli un sérieux pas en direction de l'OTAN ?
- LE PRESIDENT.- Je cherche à suivre les méandres de votre pensée. La France a toujours été dans l'OTAN. Peut-être enfin dois-je le souligner, elle a toujours été dans l'OTAN et elle y est restée. Et elle a bien l'intention d'y rester. Elle ne fait plus partie du commandement intégré depuis de longues années £ elle n'y est pas, elle n'a pas l'intention d'y entrer. Que voulez-vous que je vous dise de plus ? Cela n'empêche pas que lorsqu'il s'agit de définir la stratégie, la politique générale de l'OTAN, nous sommes partie prenante. Lorsqu'il s'agit de débattre au sein de l'organisation intégrée, nous ne sommes pas partie prenante. Alors je ne vois pas où serait le moindre changement. Vous dites que les Etats-Unis d'Amérique ont vu avec faveur l'accord franco-allemand. Soyez de bonne augure. J'espère que vous avez raison. Comme vous êtes un analyste extrêmement fin de ces sujets, je pense que vous avez raison. Mais dans ce cas-là au lieu de dire : est-ce que la France ne serait pas rapprochée de l'OTAN ? Je dirais : elle n'a pas besoin de le faire, elle y est. Il faudrait plutôt dire : est-ce que les Etats-Unis d'Amérique ne se sont pas rapprochés de la défense commune européenne ?\
QUESTION.- Monsieur le Président, l'accueil qui a été réservé à vos propositions jusqu'à présent vous laisse-t-il penser que le Sommet de Maastricht pourrait se terminer de façon positive ? Ou pensez-vous qu'il y a quand même encore dans l'air une menace de crise et de rupture à cette occasion ?
- LE PRESIDENT.- C'est toujours très difficile et très imprudent de se livrer au jeu des pronostics. Mais puisque vous posez la question, je n'ai aucune raison de le dissimuler. Au moment où vous me posez cette question, en ce jour à Viterbe, oui, je crois à la réussite de la Conférence de Maastricht, sous une double nécessité. La première est que les pays de la Communauté, les Douze, ont pris conscience non seulement de leur existence mais de leur nécessité et qu'il leur est très difficile de s'arrêter en chemin. En plus, c'est un traité - deux traités, les deux unions - qui sont examinés avec beaucoup de soins et d'attention et depuis longtemps déjà. Beaucoup de travail a été accompli. Les initiatives se sont multipliées, notamment la dernière initiative franco-allemande. Tout cela place cette conférence de Maastricht sous les feux de l'actualité au point que la Communauté ne peut pas se dédire. Mais l'autre aspect des choses c'est que l'Europe centrale et orientale regarde la Communauté avec une attention souvent inquiète. Le sort des pays anciennement communistes a beaucoup dépendu, avant leur libération, de l'état de la Communauté. Mieux elle se portait, plus ils espéraient, plus fort était leur désir d'aller vers cette libération. Ils sont maintenant libres, mais entravés par des crises politiques et économiques graves. La Communauté n'a pas le droit de retirer l'espérance qu'elle représente et, disons-le, la seule construction solide, cohérente et d'avenir dont dispose l'Europe. Ces deux notions sont très importantes dans l'esprit de tous les partenaires de la Communauté des Douze. D'autant plus que chacun d'entre eux ou presque, a aussi à se protéger contre les effets du désordre général qui risquerait de s'emparer de l'Europe. Toutes ces raisons - je ne les ai pas toutes dites, il faudrait en parler longtemps - en tout cas ces deux raisons principales, font que je crois à la réussite de Maastricht. En tout cas, je m'y emploie.\