28 septembre 1991 - Seul le prononcé fait foi
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur les droits de l'Homme, notamment l'évolution des libertés individuelles et collectives, le droit à la dignité et celui des minorités, Evry le 28 septembre 1991.
Monsieur le maire,
- Mesdames et messieurs,
- Il n'est pas habituel que je vienne deux fois dans la même commune, surtout en une année. Si je l'ai fait, c'est parce que l'évolution d'Evry est très significative de l'effort d'une multitude de gens, d'organisations, d'associations, de communes. C'est donc un très bel effort collectif, qui a recherché à la fois à construire, à aménager, à urbaniser, aussi à embellir.
- Je ne pourrai pas naturellement suivre le même rythme avec l'ensemble des communes françaises, il faudra que les autres me le pardonnent.
- Mais les thèmes aussi que vous avez proposés, par le simple fait qu'il m'était demandé d'inaugurer une place qui s'appelle les Droits de l'Homme et du citoyen et un Hôtel de Ville, justifiaient quelques réflexions comme cela, comme on se parle à soi-même. Réflexions précisément sur ces droits, sur leur nature, sur leur application.
- L'année 1989 a été une année très riche et presqu'un peu prodigue en discours sur ce thème. Et on m'a mobilisé plus que de raison à ce sujet mais enfin c'est un beau thème. Et j'ai quand même encore quelque chose à vous dire. Vous les connaissez ces droits de l'homme et du citoyen. Des 17 articles de la Déclaration fameuse, mais difficilement adoptée dès le début de la Révolution, déclaration qui a été au fond un compromis entre les textes préparés par les plus fameux des hommes politiques de l'époque et dont aucun n'a plu à l'Assemblée, aussi bien La Fayette que Sieyès et Mirabeau, mais la liste est longue, se sont cassés les dents, non pas sur la résistance de l'Assemblée à accepter les principes, qu'ils proposaient fort bien rédigés, mais parce que c'était déjà une Assemblée très politique et qu'on ne voit pas pourquoi on identifierait à celui-ci plutôt qu'à celui-là, une grande entreprise.
- Je sais bien que le texte, finalement, a été celui du 6ème bureau, parfaitement anonyme, qui avait pris un peu ici, un peu là, réalisant un compromis, faisant peut-être la part la plus belle à Sieyès. C'est ainsi qu'a été rédigé et adopté l'un des textes les plus fameux de l'histoire politique et morale du monde.
- C'est quand même un apprentissage de modestie. D'autant plus que personne n'avait prévu l'extraordinaire rayonnement de ce texte, dont on s'attardait à dire qu'il était mal écrit. Moi je le trouve plutôt beau, mais sans doute y a-t-il eu la patine des siècles et surtout la patine de l'histoire. Seulement il ne suffit pas d'écrire, il faut ensuite faire !
- Les libertés de l'époque, c'était essentiellement les libertés individuelles, les droits de l'homme, d'abord la liberté avant l'égalité. Et ceux qui ont conçu la liberté dans les institutions politiques, n'avaient pas encore - parce que le temps n'était pas venu - éprouvé les rigueurs de la société industrielle. De telle sorte qu'ils n'ont pas songé - ils ne pouvaient d'ailleurs pas songer - à l'extension des droits sociaux, le droit collectif, si bien que peu à peu, les fameux principes de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen sont apparus comme vides de substance à la génération suivante. Cela n'ôte rien en vérité à leur force, à leur nécessité.\
En ce qui concerne le droit d'expression, je puis dire qu'à l'heure où je m'exprime ici, jamais dans l'histoire du pays, depuis qu'il existe une presse, c'est-à-dire quand même depuis plusieurs siècles, jamais le droit d'expression n'a été aussi libre. Il est totalement libre. Jusqu'en 1981, certes le champ était déjà vaste des libertés conquises mais le pouvoir exécutif s'arrogeait un droit particulier, qui était celui de décider à sa guise ce qu'il était bon ou moins bon d'entendre. C'était certes très imprudent de notre part, on le voit tous les jours mais il faut être imprudent quand on défend le droit, je pense en particulier aux grands moyens audiovisuels. Nous avons cassé le monopole, qui, à certains égards, était utile et en tous cas très commode. Nous avons multiplié les postes de radio-diffusion, les chaînes sont devenues assez nombreuses peut-être trop, les postes de radio-diffusion ont atteint d'abord quelques milliers, se sont un peu réduits mais sont encore extrêmement nombreux. En France, des créateurs, des artistes, des journalistes disent, racontent, expriment ce qui se passe ici ou là, c'est un grand champ de liberté, que la France. Ce champ atteint très vite la cacophonie, ce qui apprend au demeurant que la liberté doit se discipliner elle-même et il me semble même qu'on avait dit à l'époque que la liberté s'arrêtait là où commençait le dol ou le détriment pour les autres.
- Ce qui veut dire que si l'on a atteint en France au cours de ces dernières années un stade incomparable de liberté d'expression, je crois que, tout naturellement, ceux qui s'en servent devraient s'imposer à eux-mêmes les règles de morale et de respect des autres que l'on peut en attendre.\
Une autre liberté : celle d'aller et venir, la liberté de réunion, d'association est entière, mais la liberté d'aller et de venir n'est plus seulement française ou nationale, elle devient européenne, depuis que nous avons signé les accords de Schengen qui préludent à l'ouverture du Marché unique du 1er janvier 1993 où l'on verra trois cent quarante millions de personnes, c'est-à-dire la population totale des douze pays de la Communauté pouvoir circuler en même temps que les marchandises, les capitaux et les idées. Les personnes pourront circuler là où elles voudront comme elles voudront, s'établir de la même façon. Je veux dire par là que rarement dans l'histoire on aura atteint un tel degré où les droits de l'homme ne seront plus bornés par l'artifice des frontières ou des barrières.\
J'ai dit un mot sur les libertés collectives, les libertés économiques et sociales, et j'ai déjà esquissé mon sujet. A partir du début de la société industrielle, c'est-à-dire au début du XIXème siècle, qui a explosé autour des années 1840 et la suite, que signifiait le mot de "liberté" ? Ces principes étaient inscrits sur tous les frontons des bâtiments publics, j'ai remarqué au passage que vous ne les aviez pas oubliés, liberté, égalité, fraternité. La fraternité d'ailleurs a rejoint le binôme : liberté - égalité un peu plus tard.
- Mais pour l'ouvrier, par exemple, qui n'avait aucun droit, aucun, strictement rien, et dans aucun domaine, pas de droit au salaire, pas de droit à l'emploi, pas de droit au logement, pas de droit à l'éducation, rien, pas de droit à la retraite, pas de droit aux loisirs, pas de droit aux jours de congé dans la semaine, si, le temps d'aller à la messe le dimanche matin, sous contrôle évidemment. Tout cela n'avait pas beaucoup de sens. On n'avait pas eu le temps de s'adapter et le droit peu à peu perdait, je l'ai dit tout à l'heure, sa substance. On n'y croyait plus guère. Les classes sociales opprimées ne pouvaient plus croire aux grands principes qu'elles pensaient être l'un des moyens mis en place par la classe dirigeante pour vivre plus tranquille.
- D'où des révoltes parfaitement justes à l'encontre des droits de l'homme réservés à quelques-uns. Et ces grands mouvements sociaux, la naissance du mouvement socialiste sous les formes les plus diverses parfois contradictoires : les luttes ouvrières, les crises de régime, la multiplicité des institutions, les républiques fragiles, le retour de la monarchie, les empires, enfin la IIIème République et cela a continué jusqu'à nos jours et il est vraisemblable que cela durera après nous. Malgré tout, l'édifice législatif réalisé par quelques gouvernements peu nombreux à travers ces deux siècles, représente aujourd'hui un peu de progrès, auquel je le pense du moins, nul n'oserait s'en prendre pour en détruire quelques structures.\
Le droit des personnes et les droits collectifs : que de fois ai-je rappelé dans des campagnes anciennes qu'il avait fallu attendre le Conseil municipal des années 1840 en gros, pour que les enfants de moins de dix ans cessent de travailler quatorze heures par jour dans le fond de la mine. Mais comme ils étaient plus petits et plus souples que les adultes, c'était plus commode de les employer pour aller jusqu'au fond des galeries où l'on ne pouvait jamais se redresser, où l'on pouvait mieux ramper, creuser. On se plaint et on a raison de se plaindre et on plaint les enfants du Pérou, chercheurs d'or. Les images abondent actuellement sur ce drame, mais les enfants au fond des galeries, il y a un siècle et demi dans un pays civilisé, un demi-siècle après la Déclaration des Droits de l'Homme et des citoyens, c'était déjà pas mal. Il a fallu attendre les années 1873 - 1875 pour reconnaître aux femmes un droit particulier. Par exemple de pouvoir se reposer plus de trois jours lorsqu'elles accouchaient d'un enfant, mais cela paraissait scandaleux à beaucoup. Chaque fois que l'un de ces progrès a été défini, il y a toujours eu quelqu'un et généralement ce n'étaient pas les moins influents qui gémissaient en public et qui s'opposaient en disant "ce sont des mesures humanitaires nécessaires nous le comprenons fort bien, mais, pas maintenant, le moment n'est pas venu, la situation économique, la concurrence internationale, la compétition entre nos industries, pas maintenant, un jour sûrement." Et de jour en jour on a attendu longtemps.
- C'est ce raisonnement qu'il faut avoir en tête chaque fois qu'il y a débat sur un progrès social ou sur une liberté économique lorsque des résidus d'affrontement entre groupes sociaux, socio-professionnels, se déroulent. Mais enfin, je crois que les grandes réussites de ces quelques gouvernements, je pense en particulier, à celui du Front Populaire en 1936 à ceux du lendemain de la libération dont nous avons cherché à reprendre la trace à partir de 1981, ont permis quelques avancées qui restent encore loin du compte.\
Cependant, j'ai voulu que nous puissions aligner la conception que nous avions du droit avec le moyen d'apporter la garantie du droit. Et c'est pourquoi dès 1981, le 20 octobre, j'ai demandé avec M. Robert Badinter, qui était à l'époque, ministre de la justice, garde des sceaux, que la France adhère, signe pour adhérer à la Cour européenne des Droits de l'Homme, qui, comme vous le savez, siège à Strasbourg. Jusqu'ici la France qui avait été l'une des instigatrices de la création de cette Cour européenne avait refusé de signer parce que c'est en effet embarrassant que de voir des citoyens de notre pays pouvoir s'adresser à une Cour européenne pour réclamer son droit.
- Moi, je pense qu'il faut courir ce risque et nous l'avons couru. La France comme tous les autres pays a été quelquefois condamnée depuis lors, pour avoir manqué au respect des droits de tel ou de tel citoyen, c'est très bien ! Et je ne m'en plaindrai jamais. L'Etat, la puissance publique ont besoin de se savoir constamment contrôlés par ceux qui ont charge du droit.
- De la même façon, j'ai demandé que soit signée, un peu plus tard, en février 1986, la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme. Et c'est ainsi qu'a été supprimée en France, avec la garantie d'une institution européenne, la peine de mort en temps de paix. Je ne reviens pas sur ces décisions, je pense qu'elles ont ajouté au droit dont disposent les citoyens, et je regrette très vivement qu'une assemblée parlementaire ait jusqu'ici bloqué le moyen qui nous permettrait d'offrir aux citoyens français de disposer d'une saisine constitutionnelle chaque fois qu'ils sentiraient que leur droit est atteint. Cela se fera un jour. Il eût mieux valu que cela eût été accompli au cours de ces dernières années. Je n'en abandonne au demeurant nullement le projet.\
Mais, les Droits de l'Homme, ce n'était pas que les libertés, si vous permettez cette expression apparemment négative, ce n'était pas que des libertés. C'était aussi l'égalité. Mais l'égalité, elle est toujours mise à mal, je crois que c'est dans la nature des hommes que de rechercher l'avantage, le privilège, la domination.
- C'est pourquoi, il faut des institutions, seules les institutions peuvent permettre aux hommes de se plier aux lois communes et aux principes fondamentaux, mais on part de loin et il nous reste beaucoup de chemin à faire, même si nous avons accompli de grandes marches. Car l'égalité des droits, c'est comme la liberté, c'est écrit dans les textes, mais qu'en est-il de l'égalité de fait dans la vie quotidienne, pour soi-même, pour sa famille, pour les siens, pour ses enfants ? Je demande chaque fois aux gouvernements qui ont été créés sous mon autorité, depuis 1981, de tenir le plus grand compte, de constater les défaillances et de tenter de les réparer. Il est des inégalités objectives qui sont comme le résidu des siècles, il y a le fait que la domination aujourd'hui de quelques idéologies, notamment de libéralisme débridé font que les individus sont le plus souvent abandonnés au hasard des rapports de France. Donc, il faut y veiller de très près.
- Mais comme je ne peux pas non plus développer trop longtemps ce thème, je me contenterai de dire que, à l'égalité de droits, il faut ajouter la notion de dignitié. C'est une règle morale. C'est notre loi de vivre. La dignité de l'autre, égalité d'accord, le droit certainement, la dignité, comment l'écrire ? Comment pourrait-elle faire l'objet d'un projet débattu dans des assemblées ? C'est la vie de tous les jours. C'est la relation avec ceux qui sont auprès de vous. C'est une certaine façon de considérer l'égalité fondamentale entre les personnes humaines, sur tout le pourtour de la planète. Ce qui veut dire qu'une vraie notion de l'égalité devrait naturellement écarter de notre langage et de nos controverses un certain nombre d'expressions et d'attitudes, spécialement appliquées parce que c'est plus facile, et fâcheusement plus populaire, appliquées plus facilement aux étrangers, surtout aux étrangers très différents d'autres cultures, aux étrangers plus pauvres, bref aux immigrés.
- Je pense qu'il y a là un grand péril et qu'il devrait être facile de s'accorder entre gens qui prétendent à la civilisation et au respect de la République et de ses lois pour qu'on fasse ce qui doit l'être sans s'enfoncer davantage dans des querelles qui ne grandissent personne.\
Une loi récente vient d'être décidée et adoptée par le Conseil des ministres pour lutter contre les organisateurs du travail clandestin. Bien entendu, si elle est passée en Conseil des ministres, c'est parce que je l'approuvais, que dis-je, je la réclamais ! Mais d'une façon générale, notre législation est au point. Il n'y a pas besoin de faire toujours d'autres lois, en tous domaines, manie française ! Je vais vous dire très simplement ce que j'en pense, ce ne sera pas long, il faut les appliquer. De ce point de vue, encore un effort, mesdames et messieurs !
- L'inégalité, on la voit partout. Il faut donc que partout il y ait des combattants pour l'égalité, de plus en plus nombreux, de plus en plus vigilants. Et croyez-moi, je suis prêt de nouveau à m'enrôler dans les rangs des volontaires.\
Mais les droits de l'homme, on ne peut pas les comprendre seulement selon l'explication classique. L'homme a droit aussi à la paix, il a droit de vivre en sécurité, c'est quand même quelque chose de fondamental, c'est sa vie qui est en cause, son équilibre. Si bien que s'est agencée, au cours de ces années que nous venons de vivre, comme à travers tous les temps, toute une série d'événements. Ces événements aujourd'hui sont à la fois extraordinairement heureux et dangereux, c'est toujours le cas. On sort d'un ordre qu'on n'aimait pas, on débouche sur un désordre qui le premier jour ravit, mais qui exige ensuite de la part des citoyens conscients, la substitution d'un ordre nouveau, fondé, je l'espère, cette fois-ci, sur les droits de l'homme et du citoyen que nous sommes venus célébrer ce matin.
- Nous venons d'assister et j'ai eu l'occasion de le dire déjà, à la chute des empires. C'est quand même assez extraordinaire que dans le même siècle on ait assisté à la chute de l'empire turc, de l'empire austro-hongrois, deux empires allemands, et maintenant à la chute d'un empire russe devenu soviétique.
- Mais les empires, ils étaient gestionnaires d'une certaine Europe, puisque je parle de l'Europe. Et ils savaient y faire. Ils avaient souvent, pas toujours, une main ferme. Ils ont donc ramassé les ethnies les plus différentes sous le sceau de leur puissance. Ils ne les ont pas vraiment rassemblées, ils les ont fait servir la même cause, la leur. Mais enfin, souvent les peuples s'étaient habitués, bien qu'on aperçoive aujourd'hui qu'il faudrait plus d'un siècle, ou plus de deux, pour effacer les réalités profondes de l'histoire et de la géographie. Les empires ne sont plus là. Ce n'est pas seulement, au nord et à l'est de l'Europe, l'empire soviétique qui s'écroule, c'est l'empire de Pierre le Grand. Que de données à réviser ! Et combien de peuples tenus sous la botte qui aujourd'hui se souviennent de ce qu'ils étaient, qui rêvent à ce qu'ils pourraient être. C'est donc un formidable phénomène de liberté, en voie d'être reconquise, conquise ou reconquise.
- Voilà l'époque que nous vivons. J'ai dit dangereuse aussi parce que ces libertés-là elles me font penser à ces tortues de mers qui vont pondre leurs oeufs dans le sable, sur la terre parce qu'effectivement si elles les pondaient dans l'eau, il n'y aurait pas d'oeufs. Il faut qu'elle aient une coquille qui résiste, extra dure, elles en pondent d'ailleurs beaucoup j'ai remarqué. Quelle fécondité ! Mais c'est bien nécessaire parce que cela permet ensuite aux petites tortues qui naissent de commencer leur vie dangereusement puisqu'elles doivent faire quelques centaines de mètres sur la plage avant de rejoindre la mer, et que bien peu y réussissent. De tous les côtés les prédateurs se précipitent, c'est ce qui arrive aussi le plus souvent aux libertés. Il y a beaucoup de prédateurs qui surveillent et on comprend qu'ils surveillent puisque c'est leur nourriture. Il y a des systèmes politiques, il y a des hommes aussi, il y a des groupes sociaux dont l'appétit est immense, et qui fondent sur tout ce qui passe. Quand la liberté passe par là, il faut avoir des jambes rapides pour échapper au sort qui nous est réservé. Il faut donc une organisation internationale, je disais il faut des institutions à l'intérieur, sans institutions il n'y aurait pas de libertés maintenues. L'âme échapperait à toute règle de principes, pas sur le plan international, il faut des institutions pour précisément préserver les libertés, et particulièrement la sécurité et la paix.\
Alors, devant ce surgissement, partout sur notre continent, de nationalités qui demandent, parfois qui exigent, et on les comprend, leur identité, il convient de savoir comment on peut faire pour que naissent un ordre, un équilibre nouveau. Comment s'y prendre ? On y a beaucoup réfléchi. Je me réjouis quand même que pendant cette période si difficile, depuis 1989, et en même temps si belle, on ait pu quand même signer quelques accords fondamentaux. C'est pendant cette période qu'a été conclu ce fameux accord de la Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe, par tous les pays d'Europe, à l'époque ils étaient 32 plus 2 nord-américains, il manquait encore l'Albanie, à présent elle y est et puis les pays Baltes et il en viendra d'autres. Et c'est dans un traité solennel signé à Paris, parce que la France a toujours été au premier rang de ceux qui souhaitaient organiser l'Europe de la paix, où l'on a vu tous les chefs d'Etat ou de gouvernement de notre continent se rejoindre dans cet acte solennel et mettre un terme à la politique des blocs et aux menaces de guerre, et garantir les frontières. Cela a été fait en même temps qu'éclatait l'Europe. De la même façon, nous avions déjà engagé un traité d'Union économique et monétaire pour les douze pays de la Communauté et par une initiative commune au Chancelier Kohl et à moi-même, nous avons saisi nos dix partenaires d'une demande d'union politique, car les deux mouvements doivent être compris et soutenus. Celui qui va vers la dispersion, s'il correspond à la liberté légitime et celui qui va vers les ensembles si l'on veut disposer du moyen de faire progresser l'Europe dans la paix. Je pense que ces deux traités seront signés à la fin de l'année. C'est une belle réponse qui n'est pas contraire au mouvement d'émancipation des peuples. C'est leur offrir des structures futures dans lesquelles ils pourront s'inscrire et, comme on ne peut pas tout faire en un jour, j'ai évoqué en même temps, c'était à la fin de 89, l'idée d'une confédération de tous les pays d'Europe. Pour que personne ne reste sur le sable, et que les pays les plus pauvres, ou qui sont encore très pauvres après l'effondrement du communisme, ne soient pas sur le bord de la route, abandonnés par les puissants et les prospères, dont nous faisons partie collectivement.\
Ce double effort concomitant, doit être remarqué pour la défense des libertés qui dépendent pour beaucoup de la défense de la paix. Voyez ce qui se passe en Yougoslavie. A aucun moment, contrairement à ce que j'ai lu souvent dans la presse, la France n'a pris position contre l'auto-détermination de telle ou telle République. Simplement, elle a dit et répondu à ceux qui réclamaient tout de suite la reconnaissance de souveraineté qu'il convenait - lorsque l'on reconnaissait des frontières internationales, alors qu'elles étaient précédemment internes et administratives - qu'elles s'inscrivent dans le droit général, dans le respect des traités de paix. Dans le droit général de l'Europe civilisée qui s'est accompli précisément avec ce traité de Paris. Sans quoi l'on risquait d'entretenir des guérillas, des guerres à l'infini, entre ethnies, peuples, qui eux-mêmes ne savent plus où donner de la tête. Mais c'est nous qui avons proposé aussitôt que des observateurs pussent travailler à la conciliation. Il y a de nombreux Français qui se trouvent aujourd'hui en Yougoslavie pour cette tâche. Il y faut du courage et de l'initiative. Nous avons su créer, dans le cadre de la Communauté qui a aussi affirmé son existence, une conférence de paix. Et j'ai demandé au nom de la France, la création d'une cour arbitrale composée de cinq membres qui seraient appelés à arbitrer, ou à juger, tous les conflits. Cela ne peut pas être réglé par la Cour de La Haye. La Cour de La Haye n'est compétente que pour les conflits internationaux, c'est-à-dire entre pays actuellement souverains, reconnus comme tels. Mais lorsqu'une république ou une province tend à se détacher de l'Etat au sein de laquelle elle se trouve, il n'y a plus de juridiction pour en juger, il faut donc en créer une. Et c'est comme cela que la commission d'arbitrage a été instituée par la Communauté avec l'accord des Nations unies, que la présidence en a été confiée à un Français, Robert Badinter. Elle comprend un Allemand, un Italien, un Espagnol et un Belge. Je parlais encore ce matin à Robert Badinter au téléphone et nous discutions de la manière de mettre en marche un système aussi nécessaire.\
Le désarmement fait partie de la défense de la paix. La France, depuis toujours, enfin depuis le début du 20ème siècle, avec les premiers concepteurs d'une Société des nations, a toujours dit arbitrage et sécurité collective, désarmement. C'était la trilogie. Désarmement : c'est à Paris que s'est tenu le Traité de désarmement chimique et biologique. Une conférence réunissant tous les Etats du monde intéressés par ce problème. Nous avons proposé diverses formes de désarmement et nous avons tout de suite approuvé l'accord de Washington qui réunissait Soviétiques et Américains, pour mettre un terme à ce que l'on appelait les armes nucléaires à moyenne portée. Nous avons encouragé les deux principaux partenaires, dont l'arsenal d'armes est naturellement incomparable, à traiter sur les forces stratégiques, et vous avez sans doute pris connaissance des propositions de George Bush hier soir. Nous nous en sommes beaucoup entretenus puisque nous nous sommes téléphoné quatre fois sur les cinq premiers jours de la semaine, pour mettre au point ces choses. Et je me réjouis, nous l'avons d'ailleurs dit par un communiqué, des initiatives du Président américain proposées au monde qui s'appelait récemment soviétique.
- Il y a là un effort remarquable afin de liquider les armes nucléaires à très courte portée, réduire les missiles transatlantiques, en réduisant leur puissance à une seule tête destructive. Un élément qui n'a pas été très souligné jusqu'alors, qui le sera je pense d'ici là, c'est que le Président américain, comme l'avait fait avant lui M. Gorbatchev, a accepté ma proposition, celle que j'ai exprimée dans une conférence de presse, d'une réunion à quatre des puissances nucléaires, disposant de forces en Europe. Il y aura donc bientôt une conférence où se retrouveront les représentants de l'Union des républiques souveraines, on simplifiera en disant Russie et autres, les Etats-Unis d'Amérique, la Grande-Bretagne et la France. Donc nous sommes vraiment sur le bon chemin et l'on doit remercier les dirigeants étrangers qui ont pris cette initiative. J'ajoute et je répète ici, que la France s'associera à la destruction des forces nucléaires dès lors que l'effort de nos deux principaux partenaires, russes et américains, aura atteint un niveau suffisant pour que l'on puisse comparer ce qui est comparable. Pour l'instant, les réductions ramènent les deux plus puissants pays, sur le plan de cet armement à quelques dizaines et milliers de charges nucléaires. Tandis que nous n'en sommes, nous, qu'à quelques centaines. J'ai envie de leur dire : "encore un effort, messieurs ! Et nous serons heureux de vous retrouver autour de la table, sur ce terrain-là". Nous serons autour de la table pour la sécurité nucléaire dans le monde je l'espère d'ici peu.\
Les droits de l'homme ne sont jamais mieux garantis que par la paix, la sécurité et l'arbitrage international. D'une certaine manière par ce que l'on appelle le droit d'ingérence, prolongement du droit d'assistance. Lorsqu'à l'intérieur d'un pays, le comportement des dictateurs ou des partis majoritaires, échappant à toute norme de civilisation, consiste à écraser les minorités. C'est le droit des minorités aussi qui est en cause et nous en aurons fort besoin en Europe au cours des années qui viennent. Et ce droit d'ingérence a été reconnu par le Conseil de Sécurité des Nations unies, à l'initiative de la France, c'est une résolution française.\
Je dis cela, non pas pour esquisser une défense dans notre politique, on n'en a pas besoin. Simplement pour que l'on sache à quel point la présence de la France fidèle à sa plus grande tradition, continue de s'exercer partout où c'est possible, sans oublier le tiers monde. Toutes les initiatives tendant au désendettement du tiers monde, toutes sont françaises. Nous avons nous-mêmes donné l'exemple en supprimant, en annulant notre créance publique à l'égard d'abord de trente-cinq pays, puis de quatre autres et nous continuons et nous sommes, parmi les sept grands pays industriels, le premier pour l'aide apportée au pays du tiers monde, loin devant les Etats-Unis et le Japon qui sont d'ailleurs les derniers des Sept et devant l'Allemagne et le Canada qui sont ceux qui nous suivent.\
Je dis cela aussi pour qu'on puisse témoigner, monsieur le maire, mesdames et messieurs, lorsque vous mettez une plaque sur une place pour marquer votre adhésion à un grand principe, nous ne nous contentons pas des principes et des plaques sur les places. Et je suis très heureux de voir que vous mettez en application vous-mêmes dans le domaine qui est le vôtre, dont vous avez la responsabilité, les principes que nous énonçons. Créer ou construire une ville nouvelle, c'est j'imagine une rude entreprise. D'autant plus qu'il vous a fallu d'abord concilier le besoin de cette ville nouvelle et puis du vieil Evry, que je connaissais naguère. Je ne m'y reconnais pas. Mais, je sais qu'il reste parmi vous un certain esprit du vieil Evry et aussi du Petit Bourg, parce qu'il faut être fidèle. Vous savez il y a des traditions nécessaires. Chaque génération ne rebâtit pas le monde, on en a parfois l'illusion mais elle devrait être plus humble, heureusement que nous avons nos pères, puissions-nous dire un jour à nos fils la même chose.
- J'ai remarqué, je suis venu pour cela déjà, votre grand effort pour le développement de l'éducation. Non seulement effort en quantité, construction, mais aussi en qualité. Vous disiez tout à l'heure que vous aviez une moyenne d'âge ici d'un peu plus de vingt-six ans, cela est surprenant. J'avais moi une autre statistique qui vous concernait, c'est-à-dire que 50 % de vos habitants ont effectivement moins de vingt-cinq ans et se rapprochent de vingt. Vous avez donc à réaliser entre les enfants de vos familles l'égalité des chances qui est l'un des grands projets de la République, depuis déjà plus d'un siècle.
- Et cela vous est d'autant plus difficile qu'il y a beaucoup d'enfants de familles qui ne sont pas francophones. Au lieu de s'en plaindre ou de préférer le vocabulaire qui blesse ou fait souffrir, vous vous êtes dit : à l'école il faut qu'ils y soient tous, il faut qu'ils apprennent tous le français, mais pas simplement le français. A partir du français, ils apprennent ce que tout homme, ou femme doit connaître, doit savoir. Et je dois dire que je suis émerveillé par la compétence et le dévouement de ces enseignants qui s'y consacrent. Comment font-ils ? Avec le peu de temps dont ils disposent, et parfois le peu de moyens, comment font-ils ? Ce sont des trésors d'imagination humaine au service du bien public, on ne les remerciera jamais assez. Car vous réalisez à ce stade l'intégration dont nous avons fait un département d'Etat auprès du ministre des affaires sociales.
- Je crois que votre école Raymond Queneau correspond à ces critères. Pas simplement l'intégration, aussi la qualification, il faut quand même que les gens soient formés, si l'on veut qu'ils trouvent un travail. Vous avez déjà quelques établissements de haute qualité, je pense à la formation en génie mécanique et aux automatismes divers, j'ai inauguré avec vous un centre universitaire, je sais que ça va vite, je ne suis même pas au courant de tout ce que vous faites, d'ailleurs tant mieux pour moi, et tant mieux pour vous. Cela vous permet d'être vous-mêmes, de faire qu'Evry soit à soi tout seul une entreprise d'envergure, à laquelle on croit et à laquelle on se consacre.\
Il y a la formation et puis il y a la ville, l'urbanisme, l'équilibre entre l'habitat et l'emploi, l'équilibre entre l'accession à la propriété et la fonction locative, la présence des équipements et des services publics, tout ce qui manque aux grands ensembles aujourd'hui, dans les villes où on a laissé vieillir les banlieues sans les réformer.
- Alors il y a là je crois, quand même une tentative d'équilibre assez harmonieuse entre des quartiers de tailles différentes qui restent proches des équipements nécessaires au développement de la population et puis un souci qu'il me plaît de souligner pour que soient pris en compte les besoins des jeunes, des étudiants, des personnes âgées, des travailleurs isolés et des handicapés.
- Du côté de l'Etat on s'en préoccupe naturellement, et la loi d'orientation sur la ville, je le crois est d'une grande importance. C'est aujourd'hui Michel Delebarre qui a la charge qu'il souhaitait. Il est à la tête d'un des plus grands ministères français, l'équipement et le reste et quand il est passé de l'un à l'autre, je pense qu'il devait avoir à sa disposition dix fonctionnaires et encore. Je veux dire qu'il n'a pas cherché à fonder un empire, mais c'est un empire. Comment guérir la ville de ses maux, comment guérir les quartiers, les grands ensembles de leur misère, de leur angoisse, de leur chômage, de leur laideur ? Certains d'entre nous s'y attèlent.
- Nous avons déjà adopté un certain nombre de textes, j'avais lancé l'avertissement, peut-être vous en souvenez-vous à Bron. J'avais demandé qu'il y eût la création d'une dotation sociale urbaine, que se mette en place un mécanisme de péréquation entre les plus pauvres et les plus riches. Tout cela est mis patiemment en place par les ministres responsables £ j'ai cité Michel Delebarre, je sais aussi de quelle manière le secrétaire d'Etat aux collectivités locales, ici présent, qui est lui-même maire d'une ville importante et qui connaît ce type de problème, s'attache à les résoudre.
- Il y a là un immense chantier, chacun d'entre vous y est convié, mesdames et messieurs.\
Parmi les éléments qui font la qualité d'une ville, j'ai aussi noté la vie associative et je crois que vous êtes nombreux ici à représenter les associations et je crois savoir que la municipalité réunit autour d'elle beaucoup d'associations qui savent dépasser les clivages politiques. Je ne sais exactement qui est dans cette salle, mais ce que je sais c'est que sont là, des personnes qui se consacrent avec un extrême dévouement pour que la vie en commun, la vie associative illumine la vie et les travaux de la ville d'Evry, sans oublier ce qui touche à la beauté. Construire, oui, embellir aussi, et l'ensemble des réalisations dont vous nous avez parlé, que j'ai déjà pu apercevoir, celles qui sont en voie de construction, devraient permettre à Evry de disposer d'une architecture originale et belle.
- Voilà, je n'ai rien d'autre à vous dire, mesdames et messieurs, mais j'ai le sentiment que vous parlant d'Evry, en fin d'exposé, j'ai continué à parler de la même chose. Car de quoi vous occupez-vous ? Elus d'Evry et des communes appartenant au syndicat des communes, associations présentes ici, enfants du conseil municipal, conseil municipal d'Evry, de quoi vous occupez-vous ? Si vous réussissez l'ensemble du programme que je vois là, sans oublier par exemple la multitude d'équipements sportifs de proximité, je crois que l'on n'y manque pas ici et Mme Bredin, ministre de la jeunesse et des sports reçoit le concours du gouvernement pour cela. Eh bien, vous travaillez aux Droits de l'Homme. Les principes ne sont plus de votre ressort, on ne nous a pas attendus, ni vous, ni moi, mais en même temps on nous attendra toujours car ce ne sera jamais fini pour appliquer, concrétiser, mettre en oeuvre, respecter, accroître la part des droits dont jouissent en fait et dans la réalité des choses, les citoyens de notre pays.
- Vous me donnez là, cher monsieur Guyard, un bon exemple. Je m'en sers. Il vous suffit de continuer.\
- Mesdames et messieurs,
- Il n'est pas habituel que je vienne deux fois dans la même commune, surtout en une année. Si je l'ai fait, c'est parce que l'évolution d'Evry est très significative de l'effort d'une multitude de gens, d'organisations, d'associations, de communes. C'est donc un très bel effort collectif, qui a recherché à la fois à construire, à aménager, à urbaniser, aussi à embellir.
- Je ne pourrai pas naturellement suivre le même rythme avec l'ensemble des communes françaises, il faudra que les autres me le pardonnent.
- Mais les thèmes aussi que vous avez proposés, par le simple fait qu'il m'était demandé d'inaugurer une place qui s'appelle les Droits de l'Homme et du citoyen et un Hôtel de Ville, justifiaient quelques réflexions comme cela, comme on se parle à soi-même. Réflexions précisément sur ces droits, sur leur nature, sur leur application.
- L'année 1989 a été une année très riche et presqu'un peu prodigue en discours sur ce thème. Et on m'a mobilisé plus que de raison à ce sujet mais enfin c'est un beau thème. Et j'ai quand même encore quelque chose à vous dire. Vous les connaissez ces droits de l'homme et du citoyen. Des 17 articles de la Déclaration fameuse, mais difficilement adoptée dès le début de la Révolution, déclaration qui a été au fond un compromis entre les textes préparés par les plus fameux des hommes politiques de l'époque et dont aucun n'a plu à l'Assemblée, aussi bien La Fayette que Sieyès et Mirabeau, mais la liste est longue, se sont cassés les dents, non pas sur la résistance de l'Assemblée à accepter les principes, qu'ils proposaient fort bien rédigés, mais parce que c'était déjà une Assemblée très politique et qu'on ne voit pas pourquoi on identifierait à celui-ci plutôt qu'à celui-là, une grande entreprise.
- Je sais bien que le texte, finalement, a été celui du 6ème bureau, parfaitement anonyme, qui avait pris un peu ici, un peu là, réalisant un compromis, faisant peut-être la part la plus belle à Sieyès. C'est ainsi qu'a été rédigé et adopté l'un des textes les plus fameux de l'histoire politique et morale du monde.
- C'est quand même un apprentissage de modestie. D'autant plus que personne n'avait prévu l'extraordinaire rayonnement de ce texte, dont on s'attardait à dire qu'il était mal écrit. Moi je le trouve plutôt beau, mais sans doute y a-t-il eu la patine des siècles et surtout la patine de l'histoire. Seulement il ne suffit pas d'écrire, il faut ensuite faire !
- Les libertés de l'époque, c'était essentiellement les libertés individuelles, les droits de l'homme, d'abord la liberté avant l'égalité. Et ceux qui ont conçu la liberté dans les institutions politiques, n'avaient pas encore - parce que le temps n'était pas venu - éprouvé les rigueurs de la société industrielle. De telle sorte qu'ils n'ont pas songé - ils ne pouvaient d'ailleurs pas songer - à l'extension des droits sociaux, le droit collectif, si bien que peu à peu, les fameux principes de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen sont apparus comme vides de substance à la génération suivante. Cela n'ôte rien en vérité à leur force, à leur nécessité.\
En ce qui concerne le droit d'expression, je puis dire qu'à l'heure où je m'exprime ici, jamais dans l'histoire du pays, depuis qu'il existe une presse, c'est-à-dire quand même depuis plusieurs siècles, jamais le droit d'expression n'a été aussi libre. Il est totalement libre. Jusqu'en 1981, certes le champ était déjà vaste des libertés conquises mais le pouvoir exécutif s'arrogeait un droit particulier, qui était celui de décider à sa guise ce qu'il était bon ou moins bon d'entendre. C'était certes très imprudent de notre part, on le voit tous les jours mais il faut être imprudent quand on défend le droit, je pense en particulier aux grands moyens audiovisuels. Nous avons cassé le monopole, qui, à certains égards, était utile et en tous cas très commode. Nous avons multiplié les postes de radio-diffusion, les chaînes sont devenues assez nombreuses peut-être trop, les postes de radio-diffusion ont atteint d'abord quelques milliers, se sont un peu réduits mais sont encore extrêmement nombreux. En France, des créateurs, des artistes, des journalistes disent, racontent, expriment ce qui se passe ici ou là, c'est un grand champ de liberté, que la France. Ce champ atteint très vite la cacophonie, ce qui apprend au demeurant que la liberté doit se discipliner elle-même et il me semble même qu'on avait dit à l'époque que la liberté s'arrêtait là où commençait le dol ou le détriment pour les autres.
- Ce qui veut dire que si l'on a atteint en France au cours de ces dernières années un stade incomparable de liberté d'expression, je crois que, tout naturellement, ceux qui s'en servent devraient s'imposer à eux-mêmes les règles de morale et de respect des autres que l'on peut en attendre.\
Une autre liberté : celle d'aller et venir, la liberté de réunion, d'association est entière, mais la liberté d'aller et de venir n'est plus seulement française ou nationale, elle devient européenne, depuis que nous avons signé les accords de Schengen qui préludent à l'ouverture du Marché unique du 1er janvier 1993 où l'on verra trois cent quarante millions de personnes, c'est-à-dire la population totale des douze pays de la Communauté pouvoir circuler en même temps que les marchandises, les capitaux et les idées. Les personnes pourront circuler là où elles voudront comme elles voudront, s'établir de la même façon. Je veux dire par là que rarement dans l'histoire on aura atteint un tel degré où les droits de l'homme ne seront plus bornés par l'artifice des frontières ou des barrières.\
J'ai dit un mot sur les libertés collectives, les libertés économiques et sociales, et j'ai déjà esquissé mon sujet. A partir du début de la société industrielle, c'est-à-dire au début du XIXème siècle, qui a explosé autour des années 1840 et la suite, que signifiait le mot de "liberté" ? Ces principes étaient inscrits sur tous les frontons des bâtiments publics, j'ai remarqué au passage que vous ne les aviez pas oubliés, liberté, égalité, fraternité. La fraternité d'ailleurs a rejoint le binôme : liberté - égalité un peu plus tard.
- Mais pour l'ouvrier, par exemple, qui n'avait aucun droit, aucun, strictement rien, et dans aucun domaine, pas de droit au salaire, pas de droit à l'emploi, pas de droit au logement, pas de droit à l'éducation, rien, pas de droit à la retraite, pas de droit aux loisirs, pas de droit aux jours de congé dans la semaine, si, le temps d'aller à la messe le dimanche matin, sous contrôle évidemment. Tout cela n'avait pas beaucoup de sens. On n'avait pas eu le temps de s'adapter et le droit peu à peu perdait, je l'ai dit tout à l'heure, sa substance. On n'y croyait plus guère. Les classes sociales opprimées ne pouvaient plus croire aux grands principes qu'elles pensaient être l'un des moyens mis en place par la classe dirigeante pour vivre plus tranquille.
- D'où des révoltes parfaitement justes à l'encontre des droits de l'homme réservés à quelques-uns. Et ces grands mouvements sociaux, la naissance du mouvement socialiste sous les formes les plus diverses parfois contradictoires : les luttes ouvrières, les crises de régime, la multiplicité des institutions, les républiques fragiles, le retour de la monarchie, les empires, enfin la IIIème République et cela a continué jusqu'à nos jours et il est vraisemblable que cela durera après nous. Malgré tout, l'édifice législatif réalisé par quelques gouvernements peu nombreux à travers ces deux siècles, représente aujourd'hui un peu de progrès, auquel je le pense du moins, nul n'oserait s'en prendre pour en détruire quelques structures.\
Le droit des personnes et les droits collectifs : que de fois ai-je rappelé dans des campagnes anciennes qu'il avait fallu attendre le Conseil municipal des années 1840 en gros, pour que les enfants de moins de dix ans cessent de travailler quatorze heures par jour dans le fond de la mine. Mais comme ils étaient plus petits et plus souples que les adultes, c'était plus commode de les employer pour aller jusqu'au fond des galeries où l'on ne pouvait jamais se redresser, où l'on pouvait mieux ramper, creuser. On se plaint et on a raison de se plaindre et on plaint les enfants du Pérou, chercheurs d'or. Les images abondent actuellement sur ce drame, mais les enfants au fond des galeries, il y a un siècle et demi dans un pays civilisé, un demi-siècle après la Déclaration des Droits de l'Homme et des citoyens, c'était déjà pas mal. Il a fallu attendre les années 1873 - 1875 pour reconnaître aux femmes un droit particulier. Par exemple de pouvoir se reposer plus de trois jours lorsqu'elles accouchaient d'un enfant, mais cela paraissait scandaleux à beaucoup. Chaque fois que l'un de ces progrès a été défini, il y a toujours eu quelqu'un et généralement ce n'étaient pas les moins influents qui gémissaient en public et qui s'opposaient en disant "ce sont des mesures humanitaires nécessaires nous le comprenons fort bien, mais, pas maintenant, le moment n'est pas venu, la situation économique, la concurrence internationale, la compétition entre nos industries, pas maintenant, un jour sûrement." Et de jour en jour on a attendu longtemps.
- C'est ce raisonnement qu'il faut avoir en tête chaque fois qu'il y a débat sur un progrès social ou sur une liberté économique lorsque des résidus d'affrontement entre groupes sociaux, socio-professionnels, se déroulent. Mais enfin, je crois que les grandes réussites de ces quelques gouvernements, je pense en particulier, à celui du Front Populaire en 1936 à ceux du lendemain de la libération dont nous avons cherché à reprendre la trace à partir de 1981, ont permis quelques avancées qui restent encore loin du compte.\
Cependant, j'ai voulu que nous puissions aligner la conception que nous avions du droit avec le moyen d'apporter la garantie du droit. Et c'est pourquoi dès 1981, le 20 octobre, j'ai demandé avec M. Robert Badinter, qui était à l'époque, ministre de la justice, garde des sceaux, que la France adhère, signe pour adhérer à la Cour européenne des Droits de l'Homme, qui, comme vous le savez, siège à Strasbourg. Jusqu'ici la France qui avait été l'une des instigatrices de la création de cette Cour européenne avait refusé de signer parce que c'est en effet embarrassant que de voir des citoyens de notre pays pouvoir s'adresser à une Cour européenne pour réclamer son droit.
- Moi, je pense qu'il faut courir ce risque et nous l'avons couru. La France comme tous les autres pays a été quelquefois condamnée depuis lors, pour avoir manqué au respect des droits de tel ou de tel citoyen, c'est très bien ! Et je ne m'en plaindrai jamais. L'Etat, la puissance publique ont besoin de se savoir constamment contrôlés par ceux qui ont charge du droit.
- De la même façon, j'ai demandé que soit signée, un peu plus tard, en février 1986, la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme. Et c'est ainsi qu'a été supprimée en France, avec la garantie d'une institution européenne, la peine de mort en temps de paix. Je ne reviens pas sur ces décisions, je pense qu'elles ont ajouté au droit dont disposent les citoyens, et je regrette très vivement qu'une assemblée parlementaire ait jusqu'ici bloqué le moyen qui nous permettrait d'offrir aux citoyens français de disposer d'une saisine constitutionnelle chaque fois qu'ils sentiraient que leur droit est atteint. Cela se fera un jour. Il eût mieux valu que cela eût été accompli au cours de ces dernières années. Je n'en abandonne au demeurant nullement le projet.\
Mais, les Droits de l'Homme, ce n'était pas que les libertés, si vous permettez cette expression apparemment négative, ce n'était pas que des libertés. C'était aussi l'égalité. Mais l'égalité, elle est toujours mise à mal, je crois que c'est dans la nature des hommes que de rechercher l'avantage, le privilège, la domination.
- C'est pourquoi, il faut des institutions, seules les institutions peuvent permettre aux hommes de se plier aux lois communes et aux principes fondamentaux, mais on part de loin et il nous reste beaucoup de chemin à faire, même si nous avons accompli de grandes marches. Car l'égalité des droits, c'est comme la liberté, c'est écrit dans les textes, mais qu'en est-il de l'égalité de fait dans la vie quotidienne, pour soi-même, pour sa famille, pour les siens, pour ses enfants ? Je demande chaque fois aux gouvernements qui ont été créés sous mon autorité, depuis 1981, de tenir le plus grand compte, de constater les défaillances et de tenter de les réparer. Il est des inégalités objectives qui sont comme le résidu des siècles, il y a le fait que la domination aujourd'hui de quelques idéologies, notamment de libéralisme débridé font que les individus sont le plus souvent abandonnés au hasard des rapports de France. Donc, il faut y veiller de très près.
- Mais comme je ne peux pas non plus développer trop longtemps ce thème, je me contenterai de dire que, à l'égalité de droits, il faut ajouter la notion de dignitié. C'est une règle morale. C'est notre loi de vivre. La dignité de l'autre, égalité d'accord, le droit certainement, la dignité, comment l'écrire ? Comment pourrait-elle faire l'objet d'un projet débattu dans des assemblées ? C'est la vie de tous les jours. C'est la relation avec ceux qui sont auprès de vous. C'est une certaine façon de considérer l'égalité fondamentale entre les personnes humaines, sur tout le pourtour de la planète. Ce qui veut dire qu'une vraie notion de l'égalité devrait naturellement écarter de notre langage et de nos controverses un certain nombre d'expressions et d'attitudes, spécialement appliquées parce que c'est plus facile, et fâcheusement plus populaire, appliquées plus facilement aux étrangers, surtout aux étrangers très différents d'autres cultures, aux étrangers plus pauvres, bref aux immigrés.
- Je pense qu'il y a là un grand péril et qu'il devrait être facile de s'accorder entre gens qui prétendent à la civilisation et au respect de la République et de ses lois pour qu'on fasse ce qui doit l'être sans s'enfoncer davantage dans des querelles qui ne grandissent personne.\
Une loi récente vient d'être décidée et adoptée par le Conseil des ministres pour lutter contre les organisateurs du travail clandestin. Bien entendu, si elle est passée en Conseil des ministres, c'est parce que je l'approuvais, que dis-je, je la réclamais ! Mais d'une façon générale, notre législation est au point. Il n'y a pas besoin de faire toujours d'autres lois, en tous domaines, manie française ! Je vais vous dire très simplement ce que j'en pense, ce ne sera pas long, il faut les appliquer. De ce point de vue, encore un effort, mesdames et messieurs !
- L'inégalité, on la voit partout. Il faut donc que partout il y ait des combattants pour l'égalité, de plus en plus nombreux, de plus en plus vigilants. Et croyez-moi, je suis prêt de nouveau à m'enrôler dans les rangs des volontaires.\
Mais les droits de l'homme, on ne peut pas les comprendre seulement selon l'explication classique. L'homme a droit aussi à la paix, il a droit de vivre en sécurité, c'est quand même quelque chose de fondamental, c'est sa vie qui est en cause, son équilibre. Si bien que s'est agencée, au cours de ces années que nous venons de vivre, comme à travers tous les temps, toute une série d'événements. Ces événements aujourd'hui sont à la fois extraordinairement heureux et dangereux, c'est toujours le cas. On sort d'un ordre qu'on n'aimait pas, on débouche sur un désordre qui le premier jour ravit, mais qui exige ensuite de la part des citoyens conscients, la substitution d'un ordre nouveau, fondé, je l'espère, cette fois-ci, sur les droits de l'homme et du citoyen que nous sommes venus célébrer ce matin.
- Nous venons d'assister et j'ai eu l'occasion de le dire déjà, à la chute des empires. C'est quand même assez extraordinaire que dans le même siècle on ait assisté à la chute de l'empire turc, de l'empire austro-hongrois, deux empires allemands, et maintenant à la chute d'un empire russe devenu soviétique.
- Mais les empires, ils étaient gestionnaires d'une certaine Europe, puisque je parle de l'Europe. Et ils savaient y faire. Ils avaient souvent, pas toujours, une main ferme. Ils ont donc ramassé les ethnies les plus différentes sous le sceau de leur puissance. Ils ne les ont pas vraiment rassemblées, ils les ont fait servir la même cause, la leur. Mais enfin, souvent les peuples s'étaient habitués, bien qu'on aperçoive aujourd'hui qu'il faudrait plus d'un siècle, ou plus de deux, pour effacer les réalités profondes de l'histoire et de la géographie. Les empires ne sont plus là. Ce n'est pas seulement, au nord et à l'est de l'Europe, l'empire soviétique qui s'écroule, c'est l'empire de Pierre le Grand. Que de données à réviser ! Et combien de peuples tenus sous la botte qui aujourd'hui se souviennent de ce qu'ils étaient, qui rêvent à ce qu'ils pourraient être. C'est donc un formidable phénomène de liberté, en voie d'être reconquise, conquise ou reconquise.
- Voilà l'époque que nous vivons. J'ai dit dangereuse aussi parce que ces libertés-là elles me font penser à ces tortues de mers qui vont pondre leurs oeufs dans le sable, sur la terre parce qu'effectivement si elles les pondaient dans l'eau, il n'y aurait pas d'oeufs. Il faut qu'elle aient une coquille qui résiste, extra dure, elles en pondent d'ailleurs beaucoup j'ai remarqué. Quelle fécondité ! Mais c'est bien nécessaire parce que cela permet ensuite aux petites tortues qui naissent de commencer leur vie dangereusement puisqu'elles doivent faire quelques centaines de mètres sur la plage avant de rejoindre la mer, et que bien peu y réussissent. De tous les côtés les prédateurs se précipitent, c'est ce qui arrive aussi le plus souvent aux libertés. Il y a beaucoup de prédateurs qui surveillent et on comprend qu'ils surveillent puisque c'est leur nourriture. Il y a des systèmes politiques, il y a des hommes aussi, il y a des groupes sociaux dont l'appétit est immense, et qui fondent sur tout ce qui passe. Quand la liberté passe par là, il faut avoir des jambes rapides pour échapper au sort qui nous est réservé. Il faut donc une organisation internationale, je disais il faut des institutions à l'intérieur, sans institutions il n'y aurait pas de libertés maintenues. L'âme échapperait à toute règle de principes, pas sur le plan international, il faut des institutions pour précisément préserver les libertés, et particulièrement la sécurité et la paix.\
Alors, devant ce surgissement, partout sur notre continent, de nationalités qui demandent, parfois qui exigent, et on les comprend, leur identité, il convient de savoir comment on peut faire pour que naissent un ordre, un équilibre nouveau. Comment s'y prendre ? On y a beaucoup réfléchi. Je me réjouis quand même que pendant cette période si difficile, depuis 1989, et en même temps si belle, on ait pu quand même signer quelques accords fondamentaux. C'est pendant cette période qu'a été conclu ce fameux accord de la Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe, par tous les pays d'Europe, à l'époque ils étaient 32 plus 2 nord-américains, il manquait encore l'Albanie, à présent elle y est et puis les pays Baltes et il en viendra d'autres. Et c'est dans un traité solennel signé à Paris, parce que la France a toujours été au premier rang de ceux qui souhaitaient organiser l'Europe de la paix, où l'on a vu tous les chefs d'Etat ou de gouvernement de notre continent se rejoindre dans cet acte solennel et mettre un terme à la politique des blocs et aux menaces de guerre, et garantir les frontières. Cela a été fait en même temps qu'éclatait l'Europe. De la même façon, nous avions déjà engagé un traité d'Union économique et monétaire pour les douze pays de la Communauté et par une initiative commune au Chancelier Kohl et à moi-même, nous avons saisi nos dix partenaires d'une demande d'union politique, car les deux mouvements doivent être compris et soutenus. Celui qui va vers la dispersion, s'il correspond à la liberté légitime et celui qui va vers les ensembles si l'on veut disposer du moyen de faire progresser l'Europe dans la paix. Je pense que ces deux traités seront signés à la fin de l'année. C'est une belle réponse qui n'est pas contraire au mouvement d'émancipation des peuples. C'est leur offrir des structures futures dans lesquelles ils pourront s'inscrire et, comme on ne peut pas tout faire en un jour, j'ai évoqué en même temps, c'était à la fin de 89, l'idée d'une confédération de tous les pays d'Europe. Pour que personne ne reste sur le sable, et que les pays les plus pauvres, ou qui sont encore très pauvres après l'effondrement du communisme, ne soient pas sur le bord de la route, abandonnés par les puissants et les prospères, dont nous faisons partie collectivement.\
Ce double effort concomitant, doit être remarqué pour la défense des libertés qui dépendent pour beaucoup de la défense de la paix. Voyez ce qui se passe en Yougoslavie. A aucun moment, contrairement à ce que j'ai lu souvent dans la presse, la France n'a pris position contre l'auto-détermination de telle ou telle République. Simplement, elle a dit et répondu à ceux qui réclamaient tout de suite la reconnaissance de souveraineté qu'il convenait - lorsque l'on reconnaissait des frontières internationales, alors qu'elles étaient précédemment internes et administratives - qu'elles s'inscrivent dans le droit général, dans le respect des traités de paix. Dans le droit général de l'Europe civilisée qui s'est accompli précisément avec ce traité de Paris. Sans quoi l'on risquait d'entretenir des guérillas, des guerres à l'infini, entre ethnies, peuples, qui eux-mêmes ne savent plus où donner de la tête. Mais c'est nous qui avons proposé aussitôt que des observateurs pussent travailler à la conciliation. Il y a de nombreux Français qui se trouvent aujourd'hui en Yougoslavie pour cette tâche. Il y faut du courage et de l'initiative. Nous avons su créer, dans le cadre de la Communauté qui a aussi affirmé son existence, une conférence de paix. Et j'ai demandé au nom de la France, la création d'une cour arbitrale composée de cinq membres qui seraient appelés à arbitrer, ou à juger, tous les conflits. Cela ne peut pas être réglé par la Cour de La Haye. La Cour de La Haye n'est compétente que pour les conflits internationaux, c'est-à-dire entre pays actuellement souverains, reconnus comme tels. Mais lorsqu'une république ou une province tend à se détacher de l'Etat au sein de laquelle elle se trouve, il n'y a plus de juridiction pour en juger, il faut donc en créer une. Et c'est comme cela que la commission d'arbitrage a été instituée par la Communauté avec l'accord des Nations unies, que la présidence en a été confiée à un Français, Robert Badinter. Elle comprend un Allemand, un Italien, un Espagnol et un Belge. Je parlais encore ce matin à Robert Badinter au téléphone et nous discutions de la manière de mettre en marche un système aussi nécessaire.\
Le désarmement fait partie de la défense de la paix. La France, depuis toujours, enfin depuis le début du 20ème siècle, avec les premiers concepteurs d'une Société des nations, a toujours dit arbitrage et sécurité collective, désarmement. C'était la trilogie. Désarmement : c'est à Paris que s'est tenu le Traité de désarmement chimique et biologique. Une conférence réunissant tous les Etats du monde intéressés par ce problème. Nous avons proposé diverses formes de désarmement et nous avons tout de suite approuvé l'accord de Washington qui réunissait Soviétiques et Américains, pour mettre un terme à ce que l'on appelait les armes nucléaires à moyenne portée. Nous avons encouragé les deux principaux partenaires, dont l'arsenal d'armes est naturellement incomparable, à traiter sur les forces stratégiques, et vous avez sans doute pris connaissance des propositions de George Bush hier soir. Nous nous en sommes beaucoup entretenus puisque nous nous sommes téléphoné quatre fois sur les cinq premiers jours de la semaine, pour mettre au point ces choses. Et je me réjouis, nous l'avons d'ailleurs dit par un communiqué, des initiatives du Président américain proposées au monde qui s'appelait récemment soviétique.
- Il y a là un effort remarquable afin de liquider les armes nucléaires à très courte portée, réduire les missiles transatlantiques, en réduisant leur puissance à une seule tête destructive. Un élément qui n'a pas été très souligné jusqu'alors, qui le sera je pense d'ici là, c'est que le Président américain, comme l'avait fait avant lui M. Gorbatchev, a accepté ma proposition, celle que j'ai exprimée dans une conférence de presse, d'une réunion à quatre des puissances nucléaires, disposant de forces en Europe. Il y aura donc bientôt une conférence où se retrouveront les représentants de l'Union des républiques souveraines, on simplifiera en disant Russie et autres, les Etats-Unis d'Amérique, la Grande-Bretagne et la France. Donc nous sommes vraiment sur le bon chemin et l'on doit remercier les dirigeants étrangers qui ont pris cette initiative. J'ajoute et je répète ici, que la France s'associera à la destruction des forces nucléaires dès lors que l'effort de nos deux principaux partenaires, russes et américains, aura atteint un niveau suffisant pour que l'on puisse comparer ce qui est comparable. Pour l'instant, les réductions ramènent les deux plus puissants pays, sur le plan de cet armement à quelques dizaines et milliers de charges nucléaires. Tandis que nous n'en sommes, nous, qu'à quelques centaines. J'ai envie de leur dire : "encore un effort, messieurs ! Et nous serons heureux de vous retrouver autour de la table, sur ce terrain-là". Nous serons autour de la table pour la sécurité nucléaire dans le monde je l'espère d'ici peu.\
Les droits de l'homme ne sont jamais mieux garantis que par la paix, la sécurité et l'arbitrage international. D'une certaine manière par ce que l'on appelle le droit d'ingérence, prolongement du droit d'assistance. Lorsqu'à l'intérieur d'un pays, le comportement des dictateurs ou des partis majoritaires, échappant à toute norme de civilisation, consiste à écraser les minorités. C'est le droit des minorités aussi qui est en cause et nous en aurons fort besoin en Europe au cours des années qui viennent. Et ce droit d'ingérence a été reconnu par le Conseil de Sécurité des Nations unies, à l'initiative de la France, c'est une résolution française.\
Je dis cela, non pas pour esquisser une défense dans notre politique, on n'en a pas besoin. Simplement pour que l'on sache à quel point la présence de la France fidèle à sa plus grande tradition, continue de s'exercer partout où c'est possible, sans oublier le tiers monde. Toutes les initiatives tendant au désendettement du tiers monde, toutes sont françaises. Nous avons nous-mêmes donné l'exemple en supprimant, en annulant notre créance publique à l'égard d'abord de trente-cinq pays, puis de quatre autres et nous continuons et nous sommes, parmi les sept grands pays industriels, le premier pour l'aide apportée au pays du tiers monde, loin devant les Etats-Unis et le Japon qui sont d'ailleurs les derniers des Sept et devant l'Allemagne et le Canada qui sont ceux qui nous suivent.\
Je dis cela aussi pour qu'on puisse témoigner, monsieur le maire, mesdames et messieurs, lorsque vous mettez une plaque sur une place pour marquer votre adhésion à un grand principe, nous ne nous contentons pas des principes et des plaques sur les places. Et je suis très heureux de voir que vous mettez en application vous-mêmes dans le domaine qui est le vôtre, dont vous avez la responsabilité, les principes que nous énonçons. Créer ou construire une ville nouvelle, c'est j'imagine une rude entreprise. D'autant plus qu'il vous a fallu d'abord concilier le besoin de cette ville nouvelle et puis du vieil Evry, que je connaissais naguère. Je ne m'y reconnais pas. Mais, je sais qu'il reste parmi vous un certain esprit du vieil Evry et aussi du Petit Bourg, parce qu'il faut être fidèle. Vous savez il y a des traditions nécessaires. Chaque génération ne rebâtit pas le monde, on en a parfois l'illusion mais elle devrait être plus humble, heureusement que nous avons nos pères, puissions-nous dire un jour à nos fils la même chose.
- J'ai remarqué, je suis venu pour cela déjà, votre grand effort pour le développement de l'éducation. Non seulement effort en quantité, construction, mais aussi en qualité. Vous disiez tout à l'heure que vous aviez une moyenne d'âge ici d'un peu plus de vingt-six ans, cela est surprenant. J'avais moi une autre statistique qui vous concernait, c'est-à-dire que 50 % de vos habitants ont effectivement moins de vingt-cinq ans et se rapprochent de vingt. Vous avez donc à réaliser entre les enfants de vos familles l'égalité des chances qui est l'un des grands projets de la République, depuis déjà plus d'un siècle.
- Et cela vous est d'autant plus difficile qu'il y a beaucoup d'enfants de familles qui ne sont pas francophones. Au lieu de s'en plaindre ou de préférer le vocabulaire qui blesse ou fait souffrir, vous vous êtes dit : à l'école il faut qu'ils y soient tous, il faut qu'ils apprennent tous le français, mais pas simplement le français. A partir du français, ils apprennent ce que tout homme, ou femme doit connaître, doit savoir. Et je dois dire que je suis émerveillé par la compétence et le dévouement de ces enseignants qui s'y consacrent. Comment font-ils ? Avec le peu de temps dont ils disposent, et parfois le peu de moyens, comment font-ils ? Ce sont des trésors d'imagination humaine au service du bien public, on ne les remerciera jamais assez. Car vous réalisez à ce stade l'intégration dont nous avons fait un département d'Etat auprès du ministre des affaires sociales.
- Je crois que votre école Raymond Queneau correspond à ces critères. Pas simplement l'intégration, aussi la qualification, il faut quand même que les gens soient formés, si l'on veut qu'ils trouvent un travail. Vous avez déjà quelques établissements de haute qualité, je pense à la formation en génie mécanique et aux automatismes divers, j'ai inauguré avec vous un centre universitaire, je sais que ça va vite, je ne suis même pas au courant de tout ce que vous faites, d'ailleurs tant mieux pour moi, et tant mieux pour vous. Cela vous permet d'être vous-mêmes, de faire qu'Evry soit à soi tout seul une entreprise d'envergure, à laquelle on croit et à laquelle on se consacre.\
Il y a la formation et puis il y a la ville, l'urbanisme, l'équilibre entre l'habitat et l'emploi, l'équilibre entre l'accession à la propriété et la fonction locative, la présence des équipements et des services publics, tout ce qui manque aux grands ensembles aujourd'hui, dans les villes où on a laissé vieillir les banlieues sans les réformer.
- Alors il y a là je crois, quand même une tentative d'équilibre assez harmonieuse entre des quartiers de tailles différentes qui restent proches des équipements nécessaires au développement de la population et puis un souci qu'il me plaît de souligner pour que soient pris en compte les besoins des jeunes, des étudiants, des personnes âgées, des travailleurs isolés et des handicapés.
- Du côté de l'Etat on s'en préoccupe naturellement, et la loi d'orientation sur la ville, je le crois est d'une grande importance. C'est aujourd'hui Michel Delebarre qui a la charge qu'il souhaitait. Il est à la tête d'un des plus grands ministères français, l'équipement et le reste et quand il est passé de l'un à l'autre, je pense qu'il devait avoir à sa disposition dix fonctionnaires et encore. Je veux dire qu'il n'a pas cherché à fonder un empire, mais c'est un empire. Comment guérir la ville de ses maux, comment guérir les quartiers, les grands ensembles de leur misère, de leur angoisse, de leur chômage, de leur laideur ? Certains d'entre nous s'y attèlent.
- Nous avons déjà adopté un certain nombre de textes, j'avais lancé l'avertissement, peut-être vous en souvenez-vous à Bron. J'avais demandé qu'il y eût la création d'une dotation sociale urbaine, que se mette en place un mécanisme de péréquation entre les plus pauvres et les plus riches. Tout cela est mis patiemment en place par les ministres responsables £ j'ai cité Michel Delebarre, je sais aussi de quelle manière le secrétaire d'Etat aux collectivités locales, ici présent, qui est lui-même maire d'une ville importante et qui connaît ce type de problème, s'attache à les résoudre.
- Il y a là un immense chantier, chacun d'entre vous y est convié, mesdames et messieurs.\
Parmi les éléments qui font la qualité d'une ville, j'ai aussi noté la vie associative et je crois que vous êtes nombreux ici à représenter les associations et je crois savoir que la municipalité réunit autour d'elle beaucoup d'associations qui savent dépasser les clivages politiques. Je ne sais exactement qui est dans cette salle, mais ce que je sais c'est que sont là, des personnes qui se consacrent avec un extrême dévouement pour que la vie en commun, la vie associative illumine la vie et les travaux de la ville d'Evry, sans oublier ce qui touche à la beauté. Construire, oui, embellir aussi, et l'ensemble des réalisations dont vous nous avez parlé, que j'ai déjà pu apercevoir, celles qui sont en voie de construction, devraient permettre à Evry de disposer d'une architecture originale et belle.
- Voilà, je n'ai rien d'autre à vous dire, mesdames et messieurs, mais j'ai le sentiment que vous parlant d'Evry, en fin d'exposé, j'ai continué à parler de la même chose. Car de quoi vous occupez-vous ? Elus d'Evry et des communes appartenant au syndicat des communes, associations présentes ici, enfants du conseil municipal, conseil municipal d'Evry, de quoi vous occupez-vous ? Si vous réussissez l'ensemble du programme que je vois là, sans oublier par exemple la multitude d'équipements sportifs de proximité, je crois que l'on n'y manque pas ici et Mme Bredin, ministre de la jeunesse et des sports reçoit le concours du gouvernement pour cela. Eh bien, vous travaillez aux Droits de l'Homme. Les principes ne sont plus de votre ressort, on ne nous a pas attendus, ni vous, ni moi, mais en même temps on nous attendra toujours car ce ne sera jamais fini pour appliquer, concrétiser, mettre en oeuvre, respecter, accroître la part des droits dont jouissent en fait et dans la réalité des choses, les citoyens de notre pays.
- Vous me donnez là, cher monsieur Guyard, un bon exemple. Je m'en sers. Il vous suffit de continuer.\