21 août 1991 - Seul le prononcé fait foi
Interview accordée par M. François Mitterrand, Président de la République, à TF1, Antenne 2, FR3 et La Cinq le 21 août 1991, sur l'échec du coup d'Etat en URSS et la position française.
LE PRESIDENT.- Il semble selon les nouvelles que nous avons reçues à Paris comme dans toutes les capitales qu'à l'heure actuelle le putsch de Moscou ait échoué et que déjà les autorités régulières sont en mesure de reprendre leurs fonctions. Le fait que le putsch ait échoué ne m'a pas étonné car je n'ai jamais cessé de penser que cela finirait de la sorte.
- J'ai dit pourquoi lundi. C'était tellement à contre courant de tout. Cependant, naturellement, ce putsch était dangereux, d'abord pour les personnes sur place, il y a eu des morts et des blessés. Il a fallu un grand courage aux responsables politiques et notamment à M. Boris Eltsine sur place pour affronter tous les périls à visage découvert, ce qu'il a pu encore m'expliquer ce matin au téléphone puisqu'au moment où nous parlions rien n'était réglé et qu'il a dû me dire nous sommes décidés à rester là à l'intérieur du Parlement à siéger autant qu'il le faudra et quels que soient les risques.
- C'était un putsch dangereux aussi cela va de soi pour l'évolution immédiate de la pérestroïka vers une plus grande démocratie.
- C'était un putsch irréaliste, superficiel, et cela, je l'ai pensé aussitôt. J'ai communiqué ma pensée aux dix ou onze chefs d'Etat auxquels j'ai téléphoné dès lundi matin, en commençant par M. Lubbers, Premier ministre de Hollande et Président du Conseil européen, auquel je demandais de réunir dans les plus brefs délais le Conseil européen, c'est-à-dire les chefs d'Etat et de gouvernement des Douze pays de la Communauté, et c'est ce qu'il a fait. Bien entendu, cette réunion perd beaucoup de son sens pour vendredi prochain. C'était irréaliste, parce que le putsch n'avait pas de support idéologique, pas de pensée directrice. Il n'y avait pas de support politique, le parti n'a pas bougé £ il n'avait pas de support populaire, vous l'avez tous vu sur les images £ et finalement il n'avait pas de support historique. C'est ce que je me suis efforcé d'exposer lundi dernier, en montrant que c'était tellement anachronique que moi, je ne pensais pas qu'il fût pour la paix du monde et pour les puissances intéressées à la stabilité de la Russie et du monde soviétique un réel danger.\
Seulement, il fallait aider, nous nous y sommes efforcés particulièrement en France, il fallait d'abord aider ceux qui résistaient sur place. Je l'ai fait directement, du mieux que j'ai pu, par des messages, par des missions, par des appels téléphoniques : message à M. Gorbatchev, appel téléphonique à M. Gorbatchev, sans succès car je n'ai pas pu l'atteindre, avec succès pour M. Boris Eltsine, et ce dernier me disait à quel point cela était important pour eux et m'a demandé l'autorisation d'en faire état dans le discours qu'il allait prononcer devant le Soviet Suprême, devant les parlementaires de Russie, de façon qu'ils se sentent exaltés par le soutien des puissances démocratiques. Puis, d'une façon indirecte, nous avons organisé, on peut le dire, une vaste chaîne internationale dès lundi matin. Dans l'heure qui a suivi l'information qui m'est parvenue du putsch, j'ai téléphoné, je l'ait dit, à M. Lubbers, mais aussi à MM. Bush, Major, Kohl, Andreotti, Gonzalez un peu plus tard Vaclav Havel en Tchécoslovaquie, Walesa en Pologne, Mulroney au Canada, j'en passe. Je pense que ce témoignage de solidarité d'une large partie du monde, en tout cas de tout le monde démocratique a joué un rôle quand même utile, sinon déterminant, car le mérite revient aux Soviétiques et aux Russes qui, sur place, ont su dire non et prendre des risques pour leur vie. C'est simplement ce que je voulais vous dire ce soir c'est que cela nous crée des devoirs.\
Ceux qui critiquaient hier notre position en faveur de M. Gorbatchev, qui trouvaient que c'était de l'argent perdu, imprudemment investi, qui se moquaient, qui nous taxaient de naïveté et qui d'ailleurs ont montré depuis trois jours un zèle extraordinaire qui surpassait le nôtre paraît-il en faveur de ceux qu'ils n'ont pas aidés, qu'ils ne voulaient pas aider. Donc, il faut que l'on comprenne bien que nous avons des devoirs et l'on ne répond pas à ces devoirs par des mesures de pure apparence. On m'a demandé la réunion du Parlement, moi je suis tout à fait pour les réunions du Parlement mais quelle figure aurions-nous ce soir ? Et ces appels, cette sorte d'excitation, d'affolement, de spéculations sur les nerfs de la population qui avait le droit d'être inquiète. Tout cela fait que je ne vois pas comment nous pourrions laisser un certain nombre de responsables qui n'ont pas de sang froid gouverner un jour la France. En tout cas, je ne le souhaite pas à mon pays.\
Cet échec du putsch, il montre autre chose, il montre qu'il y a une grande puissance des forces de modernisation et de démocratisation à la suite de M. Gorbatchev. La pérestroïka est lancée et finalement cela marche même avec des accidents de parcours et c'est cette puissance populaire qui est passionnante et qu'il faut continuer d'encourager. Il faudra l'aider : les grandes puissances qui le peuvent et l'opinion que j'appelle précisément à se rassembler pour contribuer à la réussite aujourd'hui quasiment certaine des progrès de la démocratie en Union soviétique. Voilà ce que je voulais vous dire. Je rassure tout de suite ceux qui m'entendent. Pas plus lundi soir que ce soir, je n'ai jamais pensé que la France était en danger. Veillons à ne pas tomber dans le dérisoire, à commencer de mêler les problèmes du budget militaire, des économies. La France n'était pas en danger. La paix non plus du moins dans l'immédiat. La rapidité avec laquelle les forces populaires et quelques dirigeants politiques ont su surmonter le drame à Moscou, montre que nous sommes sur la bonne voie, simplement il faut continuer.\
QUESTION.- Monsieur le Président, les événements ont été très rapides. Il y a 48 heures, ici même, vous sembliez tout de même considérer qu'il y avait un vrai danger, puisque vous demandiez aux putschistes un certain nombre de garanties et que vous pensiez que le coup d'Etat pouvait réussir même s'il allait à l'opposé de l'histoire. Alors, qu'est-ce qui, à votre avis a fait que le putsch est aujourd'hui réduit à néant ? Qu'est-ce qui explique cette sorte de pessimisme que l'on sentait lundi et que l'on ne sent plus aujourd'hui ? Est-ce que finalement on ne doit pas en tirer comme conclusion que la France devrait peut-être aller plus loin dans son soutien aux forces les plus démocratiques, celles qui veulent aller jusqu'au parachèvement de la démocratie, ce qui n'a pas toujours été le cas du pouvoir soviétique en place ?
- LE PRESIDENT.- Vous avez tout à fait raison sur ce dernier point. Vous n'avez pas tout à fait raison sur l'analyse de mon état d'esprit lundi, car j'ai bien dit que pour moi, ce coup, ce putsch n'avait aucune chance de réussir. Mais à quel prix ? Cela, je ne le savais pas et c'était effectivement extrêmement dangereux et inquiétant. Je craignais pour la vie de M. Gorbatchev, je craignais pour la vie de ceux qui tenaient le Parlement russe en face des forces militaires des gens du putsch. Il y aurait pu y avoir des centaines ou des milliers de morts. Il y avait donc de quoi s'en inquiéter lundi. Nous savons aujourd'hui que l'analyse optimiste, celle qui pouvait spéculer sur la faiblesse profonde, réelle, intellectuelle, politique des auteurs du putsch, s'est avéré juste, tant mieux. En revanche, que nous poussions davantage encore les éléments qui veulent plus de démocratie, bien entendu, il faut tenir compte du réel, c'est sûr. J'avais exprimé cela, monsieur Mano, d'une autre façon, il y a déjà longtemps, au début de la Pérestroïka, avant les changements intervenus dans l'ensemble des pays d'Europe centrale et orientale. J'avais dit : la révolution qui commence à Moscou reviendra à Moscou après avoir fait le tour de l'Europe.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que vous voulez dire que maintenant M. Gorbatchev est sauvé, qu'il faut lui accorder les crédits que le Sommet de Londres lui avait à peu près refusés et est-ce à lui ou bien à la personne qui émerge de cette crise, M. Eltsine auquel vous rendiez hommage pour son courage et qui a été vraiment la figure centrale de la résistance ?
- LE PRESIDENT.- M. Eltsine a révélé ses qualités profondes qui sont celles d'un homme de grand courage, de grande fermeté, de grande énergie. Ce n'est pas à moi de choisir les prochains dirigeants de l'Union soviétique d'ailleurs, pour l'instant, ce sont les dirigeants légaux qui reviennent en place. Il est possible qu'il y ait des changements, mais c'est le peuple et les assemblées qualifiées qui en décideront. Nous aiderons M. Gorbatchev et M. Eltsine.
- QUESTION.- Et les crédits qui n'ont été que très chichement mesurés jusqu'à présent ?
- LE PRESIDENT.- J'ai constamment demandé une aide réelle et plus forte pour que la Pérestroïka, c'est-à-dire l'annonce de la liberté et de la démocratie, le prélude à une vraie démocratie en Union soviétique puisse être assumée, puisse réussir. Pour ça naturellement, il fallait faire un effort plus grand que celui qui a été fait et c'est ma plaidoirie, dont mes partenaires des pays industrialisés ont retenu un certain nombre d'éléments, mais à mon avis pas assez.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous disiez tout à l'heure que vous n'avez jamais cru, au fond, au succès de cette opération puisque les hommes qui ont mené le putsch n'avaient aucun appui populaire et allaient au contre-courant de l'histoire. On s'interroge quand même un peu sur le déroulement de ce coup d'Etat, sur ces conditions. Est-ce que c'est un acte désespéré ? Est-ce qu'avec un peu de cynisme on serait obligé de dire qu'il a été mal préparé et puis certains aussi se posent des questions autour d'une phrase de l'ancien ministre des affaires étrangères, M. Chevardnadze qui disait hier, qu'il ne voulait pas imaginer une seconde que M. Gorbatchev ait été mêlé directement ou indirectement à cette opération. Quel est votre sentiment ?
- LE PRESIDENT.- Je n'arriverai pas à le croire, connaissant M. Gorbatchev avec lequel j'ai des liens d'amitié très réels, anciens et profonds. C'est tout le contraire de son caractère. Donc, je ne peux pas le croire. Ce que je peux croire en revanche, c'est que tout été mal fait dans ce putsch mais qu'il disposait d'une force brute au point de départ pouvait-on croire. Le KGB. La police, et quelle police ! L'armée avec des chars, des militaires qui obéissent, ils n'ont pas tous obéi, nous l'avons vu. Cela pouvait être un épisode dramatiquement sanglant. On a connu ces journées dans l'histoire. Voilà, ce que je pouvais redouter et pour le reste, non j'ai toujours eu confiance.\
QUESTION.- C'est le dernier sursaut à votre avis de ce type ? Dernière opération ? On peut craindre d'autres coups d'Etat ?
- LE PRESIDENT.- Je ne vois pas comment il serait possible sur un plan disons d'illégalités mais de recommencer une aventure de ce genre. Il doit y avoir, bien entendu des compétitions politiques âpres. Il reste un problème qui n'est pas réglé, c'est que ce putsch a eu lieu à la veille, ce n'est sans doute pas sans rapport, de la signature du traité de l'union, c'est-à-dire de la façon dont vont être constitutionnellement réglés les rapports entre les Républiques qui demandent leur indépendance et l'Union soviétique au dessus d'elles. Quels pouvoirs seront concédés aux uns et aux autres ? Quelle répartition ? Ce problème reste posé. Donc, je pense que c'est là comme d'ailleurs, autour de ce problème pour la réussite économique d'un peuple qui souffre beaucoup que se dessineront les lignes de l'avenir.\
QUESTION.- Monsieur le Président, c'est un peu une crise particulière puisque l'on voit apparaître la société civile, alors, pour vous est-ce que en fait le grand vainqueur de ces heures dramatiques, ce n'est pas le peuple russe ?
- LE PRESIDENT.- On pourrait le dire et je crois que c'est une vue à la fois juste et généreuse. Ce peuple s'est incarné dans quelques figures. C'était quand même très émouvant et beau de voir Boris Eltsine sur le char serrant la main du soldat. Après tout était-il certain de ses réflexes, à ce soldat ? Haranguant sans micro, sans moyen de diffusion, les gens qui étaient là, revenant s'enfermer au sein du Parlement et rejoint par des personnalités diverses qui savaient ce qu'elles risquaient, tout simplement leur vie. Je pense à M. Chevardnadze. Je pense qu'il y a beaucoup de parlementaires. J'en étais étonné, je l'ai dit tout à l'heure, allaient-ils venir ? Mais oui, ils étaient là. Il y a donc eu là une expression de représentants du peuple qui ont su comprendre l'âme de leur peuple et c'est donc bien finalement le peuple qui est vainqueur.\
- J'ai dit pourquoi lundi. C'était tellement à contre courant de tout. Cependant, naturellement, ce putsch était dangereux, d'abord pour les personnes sur place, il y a eu des morts et des blessés. Il a fallu un grand courage aux responsables politiques et notamment à M. Boris Eltsine sur place pour affronter tous les périls à visage découvert, ce qu'il a pu encore m'expliquer ce matin au téléphone puisqu'au moment où nous parlions rien n'était réglé et qu'il a dû me dire nous sommes décidés à rester là à l'intérieur du Parlement à siéger autant qu'il le faudra et quels que soient les risques.
- C'était un putsch dangereux aussi cela va de soi pour l'évolution immédiate de la pérestroïka vers une plus grande démocratie.
- C'était un putsch irréaliste, superficiel, et cela, je l'ai pensé aussitôt. J'ai communiqué ma pensée aux dix ou onze chefs d'Etat auxquels j'ai téléphoné dès lundi matin, en commençant par M. Lubbers, Premier ministre de Hollande et Président du Conseil européen, auquel je demandais de réunir dans les plus brefs délais le Conseil européen, c'est-à-dire les chefs d'Etat et de gouvernement des Douze pays de la Communauté, et c'est ce qu'il a fait. Bien entendu, cette réunion perd beaucoup de son sens pour vendredi prochain. C'était irréaliste, parce que le putsch n'avait pas de support idéologique, pas de pensée directrice. Il n'y avait pas de support politique, le parti n'a pas bougé £ il n'avait pas de support populaire, vous l'avez tous vu sur les images £ et finalement il n'avait pas de support historique. C'est ce que je me suis efforcé d'exposer lundi dernier, en montrant que c'était tellement anachronique que moi, je ne pensais pas qu'il fût pour la paix du monde et pour les puissances intéressées à la stabilité de la Russie et du monde soviétique un réel danger.\
Seulement, il fallait aider, nous nous y sommes efforcés particulièrement en France, il fallait d'abord aider ceux qui résistaient sur place. Je l'ai fait directement, du mieux que j'ai pu, par des messages, par des missions, par des appels téléphoniques : message à M. Gorbatchev, appel téléphonique à M. Gorbatchev, sans succès car je n'ai pas pu l'atteindre, avec succès pour M. Boris Eltsine, et ce dernier me disait à quel point cela était important pour eux et m'a demandé l'autorisation d'en faire état dans le discours qu'il allait prononcer devant le Soviet Suprême, devant les parlementaires de Russie, de façon qu'ils se sentent exaltés par le soutien des puissances démocratiques. Puis, d'une façon indirecte, nous avons organisé, on peut le dire, une vaste chaîne internationale dès lundi matin. Dans l'heure qui a suivi l'information qui m'est parvenue du putsch, j'ai téléphoné, je l'ait dit, à M. Lubbers, mais aussi à MM. Bush, Major, Kohl, Andreotti, Gonzalez un peu plus tard Vaclav Havel en Tchécoslovaquie, Walesa en Pologne, Mulroney au Canada, j'en passe. Je pense que ce témoignage de solidarité d'une large partie du monde, en tout cas de tout le monde démocratique a joué un rôle quand même utile, sinon déterminant, car le mérite revient aux Soviétiques et aux Russes qui, sur place, ont su dire non et prendre des risques pour leur vie. C'est simplement ce que je voulais vous dire ce soir c'est que cela nous crée des devoirs.\
Ceux qui critiquaient hier notre position en faveur de M. Gorbatchev, qui trouvaient que c'était de l'argent perdu, imprudemment investi, qui se moquaient, qui nous taxaient de naïveté et qui d'ailleurs ont montré depuis trois jours un zèle extraordinaire qui surpassait le nôtre paraît-il en faveur de ceux qu'ils n'ont pas aidés, qu'ils ne voulaient pas aider. Donc, il faut que l'on comprenne bien que nous avons des devoirs et l'on ne répond pas à ces devoirs par des mesures de pure apparence. On m'a demandé la réunion du Parlement, moi je suis tout à fait pour les réunions du Parlement mais quelle figure aurions-nous ce soir ? Et ces appels, cette sorte d'excitation, d'affolement, de spéculations sur les nerfs de la population qui avait le droit d'être inquiète. Tout cela fait que je ne vois pas comment nous pourrions laisser un certain nombre de responsables qui n'ont pas de sang froid gouverner un jour la France. En tout cas, je ne le souhaite pas à mon pays.\
Cet échec du putsch, il montre autre chose, il montre qu'il y a une grande puissance des forces de modernisation et de démocratisation à la suite de M. Gorbatchev. La pérestroïka est lancée et finalement cela marche même avec des accidents de parcours et c'est cette puissance populaire qui est passionnante et qu'il faut continuer d'encourager. Il faudra l'aider : les grandes puissances qui le peuvent et l'opinion que j'appelle précisément à se rassembler pour contribuer à la réussite aujourd'hui quasiment certaine des progrès de la démocratie en Union soviétique. Voilà ce que je voulais vous dire. Je rassure tout de suite ceux qui m'entendent. Pas plus lundi soir que ce soir, je n'ai jamais pensé que la France était en danger. Veillons à ne pas tomber dans le dérisoire, à commencer de mêler les problèmes du budget militaire, des économies. La France n'était pas en danger. La paix non plus du moins dans l'immédiat. La rapidité avec laquelle les forces populaires et quelques dirigeants politiques ont su surmonter le drame à Moscou, montre que nous sommes sur la bonne voie, simplement il faut continuer.\
QUESTION.- Monsieur le Président, les événements ont été très rapides. Il y a 48 heures, ici même, vous sembliez tout de même considérer qu'il y avait un vrai danger, puisque vous demandiez aux putschistes un certain nombre de garanties et que vous pensiez que le coup d'Etat pouvait réussir même s'il allait à l'opposé de l'histoire. Alors, qu'est-ce qui, à votre avis a fait que le putsch est aujourd'hui réduit à néant ? Qu'est-ce qui explique cette sorte de pessimisme que l'on sentait lundi et que l'on ne sent plus aujourd'hui ? Est-ce que finalement on ne doit pas en tirer comme conclusion que la France devrait peut-être aller plus loin dans son soutien aux forces les plus démocratiques, celles qui veulent aller jusqu'au parachèvement de la démocratie, ce qui n'a pas toujours été le cas du pouvoir soviétique en place ?
- LE PRESIDENT.- Vous avez tout à fait raison sur ce dernier point. Vous n'avez pas tout à fait raison sur l'analyse de mon état d'esprit lundi, car j'ai bien dit que pour moi, ce coup, ce putsch n'avait aucune chance de réussir. Mais à quel prix ? Cela, je ne le savais pas et c'était effectivement extrêmement dangereux et inquiétant. Je craignais pour la vie de M. Gorbatchev, je craignais pour la vie de ceux qui tenaient le Parlement russe en face des forces militaires des gens du putsch. Il y aurait pu y avoir des centaines ou des milliers de morts. Il y avait donc de quoi s'en inquiéter lundi. Nous savons aujourd'hui que l'analyse optimiste, celle qui pouvait spéculer sur la faiblesse profonde, réelle, intellectuelle, politique des auteurs du putsch, s'est avéré juste, tant mieux. En revanche, que nous poussions davantage encore les éléments qui veulent plus de démocratie, bien entendu, il faut tenir compte du réel, c'est sûr. J'avais exprimé cela, monsieur Mano, d'une autre façon, il y a déjà longtemps, au début de la Pérestroïka, avant les changements intervenus dans l'ensemble des pays d'Europe centrale et orientale. J'avais dit : la révolution qui commence à Moscou reviendra à Moscou après avoir fait le tour de l'Europe.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que vous voulez dire que maintenant M. Gorbatchev est sauvé, qu'il faut lui accorder les crédits que le Sommet de Londres lui avait à peu près refusés et est-ce à lui ou bien à la personne qui émerge de cette crise, M. Eltsine auquel vous rendiez hommage pour son courage et qui a été vraiment la figure centrale de la résistance ?
- LE PRESIDENT.- M. Eltsine a révélé ses qualités profondes qui sont celles d'un homme de grand courage, de grande fermeté, de grande énergie. Ce n'est pas à moi de choisir les prochains dirigeants de l'Union soviétique d'ailleurs, pour l'instant, ce sont les dirigeants légaux qui reviennent en place. Il est possible qu'il y ait des changements, mais c'est le peuple et les assemblées qualifiées qui en décideront. Nous aiderons M. Gorbatchev et M. Eltsine.
- QUESTION.- Et les crédits qui n'ont été que très chichement mesurés jusqu'à présent ?
- LE PRESIDENT.- J'ai constamment demandé une aide réelle et plus forte pour que la Pérestroïka, c'est-à-dire l'annonce de la liberté et de la démocratie, le prélude à une vraie démocratie en Union soviétique puisse être assumée, puisse réussir. Pour ça naturellement, il fallait faire un effort plus grand que celui qui a été fait et c'est ma plaidoirie, dont mes partenaires des pays industrialisés ont retenu un certain nombre d'éléments, mais à mon avis pas assez.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous disiez tout à l'heure que vous n'avez jamais cru, au fond, au succès de cette opération puisque les hommes qui ont mené le putsch n'avaient aucun appui populaire et allaient au contre-courant de l'histoire. On s'interroge quand même un peu sur le déroulement de ce coup d'Etat, sur ces conditions. Est-ce que c'est un acte désespéré ? Est-ce qu'avec un peu de cynisme on serait obligé de dire qu'il a été mal préparé et puis certains aussi se posent des questions autour d'une phrase de l'ancien ministre des affaires étrangères, M. Chevardnadze qui disait hier, qu'il ne voulait pas imaginer une seconde que M. Gorbatchev ait été mêlé directement ou indirectement à cette opération. Quel est votre sentiment ?
- LE PRESIDENT.- Je n'arriverai pas à le croire, connaissant M. Gorbatchev avec lequel j'ai des liens d'amitié très réels, anciens et profonds. C'est tout le contraire de son caractère. Donc, je ne peux pas le croire. Ce que je peux croire en revanche, c'est que tout été mal fait dans ce putsch mais qu'il disposait d'une force brute au point de départ pouvait-on croire. Le KGB. La police, et quelle police ! L'armée avec des chars, des militaires qui obéissent, ils n'ont pas tous obéi, nous l'avons vu. Cela pouvait être un épisode dramatiquement sanglant. On a connu ces journées dans l'histoire. Voilà, ce que je pouvais redouter et pour le reste, non j'ai toujours eu confiance.\
QUESTION.- C'est le dernier sursaut à votre avis de ce type ? Dernière opération ? On peut craindre d'autres coups d'Etat ?
- LE PRESIDENT.- Je ne vois pas comment il serait possible sur un plan disons d'illégalités mais de recommencer une aventure de ce genre. Il doit y avoir, bien entendu des compétitions politiques âpres. Il reste un problème qui n'est pas réglé, c'est que ce putsch a eu lieu à la veille, ce n'est sans doute pas sans rapport, de la signature du traité de l'union, c'est-à-dire de la façon dont vont être constitutionnellement réglés les rapports entre les Républiques qui demandent leur indépendance et l'Union soviétique au dessus d'elles. Quels pouvoirs seront concédés aux uns et aux autres ? Quelle répartition ? Ce problème reste posé. Donc, je pense que c'est là comme d'ailleurs, autour de ce problème pour la réussite économique d'un peuple qui souffre beaucoup que se dessineront les lignes de l'avenir.\
QUESTION.- Monsieur le Président, c'est un peu une crise particulière puisque l'on voit apparaître la société civile, alors, pour vous est-ce que en fait le grand vainqueur de ces heures dramatiques, ce n'est pas le peuple russe ?
- LE PRESIDENT.- On pourrait le dire et je crois que c'est une vue à la fois juste et généreuse. Ce peuple s'est incarné dans quelques figures. C'était quand même très émouvant et beau de voir Boris Eltsine sur le char serrant la main du soldat. Après tout était-il certain de ses réflexes, à ce soldat ? Haranguant sans micro, sans moyen de diffusion, les gens qui étaient là, revenant s'enfermer au sein du Parlement et rejoint par des personnalités diverses qui savaient ce qu'elles risquaient, tout simplement leur vie. Je pense à M. Chevardnadze. Je pense qu'il y a beaucoup de parlementaires. J'en étais étonné, je l'ai dit tout à l'heure, allaient-ils venir ? Mais oui, ils étaient là. Il y a donc eu là une expression de représentants du peuple qui ont su comprendre l'âme de leur peuple et c'est donc bien finalement le peuple qui est vainqueur.\