23 juillet 1991 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe de MM. François Mitterrand, Président de la République, et Helmut Kohl, chancelier de RFA, notamment sur la situation en Yougoslavie, le rôle du Parlement européen et le retrait des troupes françaises, Bad Wiessee, le 23 juillet 1991.

LE CHANCELIER KOHL.- Nous sommes venus ici aujourd'hui, dans la vallée de Tegern à Bad Wiessee, pour répondre à un ancien désir que j'avais de montrer au Président Mitterrand, une des plus belles parties de l'Allemagne et nous avons eu également la chance d'avoir beau temps et je remercie le maire et tous ceux qui nous ont accueillis ici aussi amicalement.
- Comme vous le savez, le Président de la République et moi-même, depuis de nombreuses années avons l'habitude à côté des rencontres officielles et des consultations officielles franco-allemandes de nous rencontrer également de manière privée ce qui correspond à nos relations personnelles et amicales. J'ai déjà eu ainsi l'occasion de connaître des régions en France que je ne connaissais pas et la même chose vaut certainement pour le Président de la République. Avant les vacances d'été nous nous sommes donné rendez-vous, bien que nous nous soyons vus il y a très peu de temps à Londres, pour parler en paix de questions à l'ordre du jour qui sont importantes. Et la chose la plus importante qui nous occupe pour l'instant est de savoir : comment nous, la France et l'Allemagne, le Président Mitterrand et moi-même, pouvons faire avancer les choses européennes. Comme vous le savez, pour les deux conférences gouvernementales sur l'union politique et l'union économique et monétaire, nous avons prévu de les conclure en décembre, à peu près un an avant le début du grand marché intérieur prévu pour le 1er janvier 1993. Sans fausse modestie je pense pouvoir dire que si nous deux, dans ces dernières huit années et plus, nous n'avions pas poussé les choses en avant avec la conviction qu'il était nécessaire de le faire et que c'était le moment de le faire, les choses n'auraient pas avancé autant. Nous avons travaillé de manière très intensive. Nous avons prévu que bientôt, en septembre, nous continuerions nos discussions, que nous aurions également beaucoup de discussions avec nos autres collègues européens et, que les collaborateurs des différents chefs d'Etat européens, se rencontreraient également durant l'été pour pouvoir arriver à une conclusion heureuse des conférences intergouvernementales. Nous avons également parlé d'autres questions : il y a un sujet dont j'aimerais parler ici qui nous cause du souci c'est la Yougoslavie. Nous sommes tous deux d'opinion que l'avenir de la Yougoslavie c'est le dialogue, la discussion et non l'utilisation de la force. C'est-à-dire que les militaires doivent rester dans leurs casernes et les responsables doivent parler ensemble. La Communauté européenne durant ces dernières semaines, dans ces derniers jours, a joué un rôle important, le jouera également à l'avenir et nous pouvons espérer que la raison vaincra et qu'on ne règlera pas les problèmes avec des chars ou avec des militaires.
- LE PRESIDENT.- J'ai trouvé beaucoup d'intérêt et d'agrément à venir ici et nous avons pu pendant quelques heures travailler utilement, indépendamment des promenades qui ont pu nous montrer à la fois une ferme bavaroise et un très beau paysage sur le lac. Ce qui a été dit sur le fond vient d'être résumé par le Chancelier Kohl, que je remercie pour son accueil. Je pense que le plus simple maintenant est pour vous, mesdames et messieurs, de poser les questions qui vous paraîtront utiles car je n'ajouterai rien à ce qui vient de vous être dit.\
QUESTION.- Est-ce que les événements en Yougoslavie, et particulièrement en Slovénie, ont déjà été discutés ?
- LE CHANCELIER KOHL.- Je ne crois pas qu'une décision dans le sens de ce que vous venez de dire ait déjà été prise ou devrait être prise. Je crois que ce qui est important c'est, comme je l'ai déjà dit, d'utiliser les possibilités de dialogue et surtout d'éviter toute forme de violence et lorsque la violence est utilisée de la désapprouver de manière officielle. Je le répète, ce problème de la cohabitation de peuples dans l'intérieur d'un Etat ne peut être résolu par la force. Et donc, je pense qu'il est raisonnable, sensé, de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que des discussions aient lieu sur place dans les différents Etats qui composent la Yougoslavie.
- LE PRESIDENT.- La médiation européenne a jusqu'ici réussi. Nous avons obtenu une trève. Nous espérons donc que le dialogue pourra s'installer. Les éléments seront plus clairs à l'esprit qu'au début, puisqu'au début c'était l'affrontement brutal. L'armée est rentrée, comme on dit, dans les casernes, et les gouvernements, après proclamation d'indépendance, ont accepté de surseoir à toute exécution. La diplomatie travaille. De toutes façons nous nous entendons fort bien pour estimer que l'on ne peut sauver une Fédération par la force. Nous n'en sommes plus aux empires qui ont si longtemps gouverné la région balkanique. Il faut donc un consentement mutuel ce qui suppose, comme l'a dit le Chancelier Kohl, un dialogue. Un dialogue pour aboutir à un contrat. C'est là-dessus que travaille la Communauté et que travaillent aussi les responsables des Républiques désireux d'aboutir.
- Qui peut prédire ce qui se passera dans les semaines où les mois qui viennent, de toutes manières cette règle est la bonne. Une Fédération ne peut subsister sur la base de la force. Alors qu'en sera-t-il ? Nous cherchons le contrat. Nous y travaillons, c'est notre mission, présentement en tant que membre de la Communauté européenne. Mais bien entendu nous nous entretenons de ce problème et de toutes les questions qu'il pose, c'est-à-dire les questions de fond et nous souhaitons aborder cette nouvelle phase en accord comme nous l'avons fait jusqu'ici.
- QUESTION.- On dirait que les Allemands ont beaucoup plus soutenu le droit à l'autodétermination. Est-ce qu'on peut interpréter ce que vous venez de dire, dans le sens que maintenant vous soutenez le Chancelier, monsieur le Président, et que la France a l'intention de reconnaître l'existence ou les désirs d'autonomie des différents Etats de la Yougoslavie ?
- LE PRESIDENT.- Je vous fais remarquer combien votre propos est caricatural, car vous parlez de ce que vous ne savez pas. Au nom de quoi vous permettez-vous de dire ce que vous venez de dire, au nom de quoi, de quelle déclaration ? J'ai défendu au sein de la Communauté européenne la médiation, j'ai soutenu le mandat donné à la Troïka. Cette mission était de tenter de préserver une chance de dialogue. Voilà quelle était la mission, soutenue par la France.
- Au-delà, je vous ai dit ce que je souhaitais vous dire aujourd'hui, que si cette médiation ne devait pas aboutir - et pour l'instant nous en sommes là - nous espérons qu'elle finira par aboutir, je le répète en sachant fort bien à quel point elle est fragile. Alors si les uns ou les autres veulent gouverner la Fédération par la force ou par la violence, son échec est assuré et nous examinerons l'affaire comme nous l'avons fait au sein de la Communauté et du dialogue franco-allemand. Tout le reste se sont des légendes que l'on fait courir très aisément.\
QUESTION.- Avez-vous évoqué la mission de paix de M. Baker au Proche-Orient et quelles réflexions son voyage vous inspire-t-il ?
- LE PRESIDENT.- Nous en avons peu parlé, nous étions davantage préoccupés aujourd'hui par le problème touchant à l'aboutissement heureux des négociations pour la fin de l'année des deux conférences intergouvernementales européennes. Mais enfin nous avons suivi les travaux de M. Baker. C'est-à-dire les travaux d'Hercule de M. Baker en admirant sa ténacité et nous avons constaté les progrès auxquels il a abouti. Nous nous en sommes réjoui. La première difficulté est d'ouvrir la Conférence, la deuxième difficulté sera de la clore sur un résultat positif. Nous n'en sommes pas là et nous encourageons le secrétaire d'Etat Américain dans la direction qu'il a prise.
- LE CHANCELIER KOHL.- J'aimerais reprendre à mon compte ce que vient de dire le Président de la République, c'est tout à fait dans notre intérêt commun que James Baker, le ministre des affaires étrangères, ait du succès. Nous ne pouvons qu'espérer que tous ceux qui doivent également contribuer à la décision que cette conférence ait lieu réalisent l'importance de ce moment historique. C'est une chance et je ne peux qu'espérer qu'elle soit utilisée, qu'elle soit saisie, parce que je ne sais pas combien de temps cette chance subsistera.\
QUESTION.- Avez-vous abordé le sujet de la Défense européenne ?
- LE PRESIDENT.- Bien entendu, nous en avons parlé, puisque nous avons parlé de l'union politique et que l'union politique suppose un certain nombre de conséquences sur le plan de la sécurité et la définition de certains principes. Mais c'est une conversation que nous avons engagée récemment, que nous poursuivrons, nous nous rencontrerons de nouveau à ce propos. Certains de nos collaborateurs travaillent sur ce sujet. Il serait prématuré de vous donner nos conclusions dès aujourd'hui.
- LE CHANCELIER KOHL.- Dans ce contexte, j'aimerais quand-même vous dire que je crois que nous sommes sur le bon chemin. Et même si vous trouvez que j'en dis peu pour l'instant c'est peut-être quand même quelque chose de très important que je viens de dire.\
QUESTION.- Avez-vous parlé également du droit d'asile ? Est-ce que vous avez un petit peu parlé de ce que pourrait être un droit d'asile européen ?
- LE CHANCELIER KOHL.- Non, aujourd'hui nous n'en avons pas parlé. Vous savez qu'au dernier Sommet de Luxembourg, il y a trois semaines, nous en avons parlé. Entre temps, les ministres de l'intérieur sont en train de travailler sur ce sujet, et notre souhait commun est qu'à Maastricht quelles que soient les autres décisions prises nous arrivions à une décision sur ce sujet.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-il exact qu'en France il y a des irritations sur l'attitude allemande vis-à-vis de la Yougoslavie ? En avez-vous parlé aujourd'hui ? Est-ce que vous avez pu un petit peu dissiper cette irritation ?
- LE PRESIDENT.- Je me permets de vous retourner la question. Est-il vrai monsieur qu'en Allemagne il y aurait des irritations contre la France à propos de la Yougoslavie ? Et moi-même je n'en sais rien.\
QUESTION.- On a parlé d'un Conseil européen de sécurité. Est-ce que c'était très visionnaire ? Est-ce que c'est quelque chose de concret ou est-ce que c'est quelque chose qui est dans l'air simplement ?
- LE CHANCELIER KOHL.- Ce n'est pas quelque chose dont nous avons discuté aujourd'hui. Nous avons parlé de l'évolution de l'union économique et monétaire et de l'union politique. Et, bien entendu, nous avons parlé des aspects de sécurité et comme je l'ai déjà dit cela se trouve sur la bonne voie. Mais cette question dont vous venez de parler n'a pas joué de rôle particulier.
- QUESTION.- Est-ce que vous êtes d'accord sur la manière dont les institutions européennes peuvent être renforcées à l'avenir ? Je pense particulièrement au Parlement. Monsieur le Président pouvez-vous vous imaginer que la France veuille également renforcer le Parlement ?
- LE CHANCELIER KOHL.- Nous voulons arriver à une conclusion des conférences intergouvernementales aussi bien la conférence économique et monétaire que la conférence sur l'union politique. Toutes les questions devront être abordées à ce sujet. Celle du développement des pouvoirs parlementaires en fait partie. Nous n'en avons pas parlé aujourd'hui, mais nous travaillons à ce sujet. Et je suis absolument persuadé qu'à Maastricht nous trouverons un compromis raisonnable.
- LE PRESIDENT.- Je me permets de vous donner un renseignement aussi. La France est un pays démocratique déjà depuis longtemps. Donc elle sait ce qu'est un Parlement. Elle sait qu'il n'y a pas de démocratie sans Parlement. Elle sait qu'il n'y aura pas de démocratie européenne sans Parlement européen et un vrai Parlement qui ait des pouvoirs. Donc, votre question me paraît déjà un peu bizarre. Vous voulez m'engager, mais nous n'avons pas parlé aujourd'hui, dans la discussion, de savoir quelle est l'étendue de ces pouvoirs ? Quelle répartition des compétences entre la Commission, le Conseil européen et le Parlement, etc, etc ? C'est bien qu'on en discute. La question est qu'il faut que le Parlement ait plus de pouvoirs qu'il n'en a, qu'arrive le moment où il désignera lui-même où il s'agit d'aboutir pour les deux traités en discussion à des renoncements de souveraineté, il ne faut pas négliger le rôle du Conseil européen composé de personnalités élues par leur peuple, et qui de ce fait, peuvent les engager. Il faut avoir une démarche équilibrée pour permettre aux trois institutions principales Parlement, Commission, Conseil de faire leur travail, chacune son travail. C'est comme cela que l'on arrivera à bâtir une Europe démocratique. Mais, je répète, les leçons de démocratie cela fait longtemps, chez nous, qu'il y a des gens qui se sont battus pour cela. Cela fait maintenant 120 ans, qu'une République existe continûment, avec un accident de 4 ans. Tous ces sujets-là on les traite constamment même si notre République change de numéro, la démocratie, elle, ne change pas.\
QUESTION.- Est-ce que vous avez parlé de la situation en Irak et éventuellement d'une nouvelle guerre ? On en parle.
- LE CHANCELIER KOHL.- Non, on n'en a pas parlé.
- QUESTION.- Pour éviter tout malentendu. Vous étiez à Berlin Est, un petit peu avant l'unification, vous étiez en Pologne et en Tchécoslovaquie. Il y a des voix critiques en République fédérale qui considèrent que votre politique est un peu anachronique. Est-ce qu'à l'avenir la politique française et la politique allemande seront plus harmonisées vis-à-vis de l'Europe de l'Est ?
- LE CHANCELIER KOHL.- Je ne vois aucun sens à ce que vous venez de dire si vous me le permettez. C'est un préjugé que vous avez et je ne vois aucune raison pour laquelle vous pouvez avoir ce préjugé.
- LE PRESIDENT.- Vous ne faites que continuer... après la Yougoslavie, l'Allemagne. Cela m'est très difficile de répondre à des partisans si on ne les fait pas changer d'avis. Ils jugent toujours a priori, donc peu importe les faits. Eh bien, j'ai décidé de visiter tous les pays de l'Europe communiste du temps où elle l'était et c'est ce que j'ai fait. Je ne suis pas le seul à l'avoir fait. Avez-vous l'impression que je sois le seul responsable d'un pays d'Europe de l'Ouest à m'être rendu dans les pays que vous avez cités ? A moi seul, c'est-à-dire à la France, ce serait interdit ? Ou bien il faudrait passer par votre contrôle, avoir votre autorisation ? Tous les autres, chefs d'Etat ou chefs de gouvernements l'ont fait, quelque fois même avant moi. Je suis très heureux d'être allé dans ces pays. Cela a dû demander plusieurs années. Le dernier en date, c'était en effet l'Allemagne de l'Est de l'époque. Ce n'était pas facile, puisqu'entre le moment de l'invitation que j'ai reçue - j'avais consulté le Chancelier Kohl qui m'avait donné naturellement son plein accord -, il y a eu trois chefs de gouvernement ou plutôt trois chefs d'Etat différents qui ont chaque fois repris l'invitation. Cela m'a permis de voir les leaders de l'opposition. C'est comme cela que j'ai connu un certain nombre de personnalités qui ont ensuite gouverné les "landers" de l'Allemagne de l'Est devenus démocratiques avant l'unification. Quant à la Pologne, vous souhaiteriez m'interdire, ne pas me donner le visa pour m'y rendre ? Et en Tchécoslovaquie, cela vous paraît abusif ? C'est là que j'ai rencontré M. Vaclav Havel. Il est sorti de prison le temps de me rencontrer. Il s'en souvient, il a le sentiment que c'était une des dates les plus importantes pour la résistance tchécoslovaque. Enfin, je ne veux pas m'expliquer, mais vous pouvez continuer comme cela longtemps et entretenir les faux procès. C'est une habitude que je connais bien et qui me laisse indifférent.
- Est-ce qu'à votre avis le modernisme consisterait à ne pas aller dans ces pays ? Etre moderne, ce n'est pas aller dans les pays de l'Est ?\
QUESTION.- Est-ce que vous avez discuté de l'attitude des autres pays européens sur le sujet de l'union économique et monétaire et l'union politique, particulièrement la Grande-Bretagne ?
- LE CHANCELIER KOHL.- Nous avons bien entendu parlé de ce que pensaient nos collègues, de ce qu'ils avaient dit au dernier Sommet du Luxembourg. Notre intérêt, l'intérêt du Président de la République comme le mien c'est que ces deux Conférences gouvernementales soient menées à bien. Nous ne sommes pas les précepteurs de l'Europe. Nous sommes deux, parmi d'autres, et nous avons des convictions communes pour lesquelles nous nous battons et nous deux, nous allons encore continuer à avoir beaucoup de discussions jusqu'au mois de décembre, jusqu'à ce que nous arrivions donc à une bonne conclusion à Maastricht. Cela vaut tout particulièrement, bien entendu, pour notre collègue britannique. Hier encore, j'ai parlé avec John Major des sujets communautaires au téléphone. C'est quelque chose qui va de soi.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce qu'il y a déjà des projets sur la présence des forces armées à Berlin ?
- LE CHANCELIER KOHL.- Nous, nous aimerions qu'ils restent encore plus longtemps.
- LE PRESIDENT.- Je vous remercie, je suis très sensible. Cela dit, j'ai en effet pris les dispositions pour que les troupes françaises puissent rentrer en France, cela me paraît plus normal. Bien entendu, je reste très ouvert aux formules qui permettraient que tout cela se fît dans les meilleures conditions et nous en avons un peu parlé avec le Chancelier Kohl. Nous avons même examiné toutes les formules de compensation, de substitution. Ce qui est vrai, c'est que nous sommes venus en Allemagne dans les conditions que vous savez. La mission de nos armées a changé de sens avec la construction de l'amitié franco-allemande et les traités d'amitié privilégiés qui existent aujourd'hui. C'est pourquoi les soldats français sont accueillis avec une vraie amitié en Allemagne. Mais je pense qu'il est raisonnable de penser au moment où chaque pays souhaitera avoir les armées qui portent ses couleurs plutôt que le contraire. Enfin, nous n'y mettons ni précipitation, ni passion. Nous voulons surtout assurer un passage harmonieux d'un statut à l'autre. Nous pensons déjà au futur.\